mardi 2 septembre 2025

Lorsqu'un emprunt est souscrit par plusieurs emprunteurs, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales de ces coemprunteurs

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

JB



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 2 juillet 2025




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 374 F-D

Pourvoi n° V 24-14.305




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 JUILLET 2025

La société CIC Nord Ouest, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 24-14.305 contre l'arrêt rendu le 21 février 2024 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 6), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [C] [M], domiciliée chez ses parents [Adresse 3],

2°/ à M. [N] [L], domicilié chez monsieur et madame [L] [Adresse 1],

3°/ à la société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chazalette, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société CIC Nord Ouest, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Crédit logement, de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [M], après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Chazalette, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 février 2024), par un acte du 17 octobre 2011, la société Banque CIC Nord Ouest (la banque) a consenti à M. [L] et Mme [M], agissant solidairement, un prêt immobilier garanti par la société Crédit logement.

2. Les 16 août 2017 et 9 avril 2018, la société Crédit logement a payé au prêteur des échéances impayées puis la totalité du capital restant dû.

3. La société Crédit logement a assigné en paiement M. [L] et Mme [M]. Ceux-ci ont appelé la banque en intervention forcée.
Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [M] une certaine somme en réparation du préjudice tenant à la perte de chance de ne pas contracter le prêt immobilier du 17 octobre 2011, alors « que lorsqu'un emprunt est souscrit par plusieurs emprunteurs, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales de ces co-emprunteurs ; que pour condamner le CIC Nord-Ouest à payer à Mme [M] des dommages-intérêts, l'arrêt après avoir énoncé que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'adaptation du prêt doit s'apprécier non eu égard à la situation d'un des emprunteurs mais globalement au regard des capacités financières des deux intéressés, retient que les situations de M. [L], d'une part, et de Mme [M], d'autre part, étaient éminemment différentes et relève qu'en retenant la capacité de remboursement propre à Mme [M], il ressort que ses revenus ne pouvaient lui permettre d'assurer le remboursement de mensualités de l'emprunt en totalité, représentant plus du double de ses revenus personnels, qu'en effet Mme [M] fait état de ce qu'au moment de la souscription du prêt, elle était employée en qualité de responsable d'agence d'hôtes et hôtesses d'accueil dans le secteur de l'événementiel et que sa part dans les revenus du ménage était de 18 %, qu'elle ne détenait ni patrimoine immobilier ou mobilier, ni épargne et que Mme [M] n'était propriétaire indivis qu'à hauteur de 30 %, que par conséquent la banque était à son égard, Mme [M] étant emprunteur non averti ce qui n'est pas contestable, tenue d'un devoir de mise en garde qu'elle ne justifie pas avoir respecté, n'ayant jamais rencontré Mme [M] ; que compte tenu de sa proximité avec M. [L], dont les capacités financières étaient certaines, la perte de chance de ne pas s'engager à ses côtés est faible et sera justement indemnisée par l'octroi d'une somme équivalente à 10 % de la somme due à Crédit logement, soit 73 500 euros que le CIC Nord sera condamné à lui payer en réparation du préjudice tenant à la perte de chance de ne pas contracter ; qu'en statuant ainsi, en refusant de prendre en compte l'ensemble des biens et revenus des co-emprunteurs lors de l'octroi du prêt, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Il résulte de ce texte que lorsqu'un emprunt est souscrit par plusieurs emprunteurs, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales de ces coemprunteurs.

6. Pour condamner la banque à payer à Mme [M] des dommages et intérêts, l'arrêt, après avoir énoncé que l'adaptation du prêt s'apprécie à l'égard de chaque emprunteur, retient que les mensualités de remboursement représentaient plus de la moitié des revenus personnels de
Mme [M], qu'il existait un risque d'endettement excessif et que la banque
ne démontre pas avoir exécuté son devoir de mise en garde.

7. En statuant ainsi, sans prendre en compte l'ensemble des biens et revenus des coemprunteurs lors de l'octroi des prêts, la cour d'appel a violé
le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que la banque qui a consenti un prêt à plusieurs emprunteurs et obtenu leur engagement solidaire à le rembourser n'est pas tenue d'informer chacun d'eux de ce qu'il peut avoir, conformément à la définition même de la solidarité, à répondre sur son patrimoine des conséquences d'une défaillance dans l'exécution de l'obligation de remboursement ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a, de nouveau, violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 :

9. Il résulte de ce texte que l'établissement de crédit n'est pas tenu d'informer chaque emprunteur de ce qu'il peut avoir, conformément à la définition même de la solidarité, à répondre sur son patrimoine des conséquences d'une défaillance dans l'exécution de l'obligation de remboursement.

10. Pour condamner la banque à payer à Mme [M] des dommages et intérêts, l'arrêt, après avoir énoncé que la banque doit informer chacun des coemprunteurs sur la notion de solidarité, retient encore que la banque, qui n'avait jamais rencontré cette dernière, ne justifie pas avoir exécuté cette obligation.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

12. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y aura lieu de mettre hors de cause la société Crédit logement dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Met hors de cause la société Crédit logement ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Banque CIC Nord Ouest à payer à Mme [M] la somme de 73 500 euros en réparation du préjudice tenant à la perte de chance de ne pas contracter le prêt immobilier du 17 octobre 2011 et en ce qu'il statue sur les dépens concernant Mme [M] et la société Banque CIC Nord Ouest, l'arrêt rendu le 21 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le deux juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:CO00374

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