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mardi 9 avril 2024

Perte de personnalité juridique d'une SCI faute d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 mars 2024




Cassation sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 172 F-D

Pourvoi n° Y 22-22.695







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 MARS 2024

1°/ La société Axa France IARD, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ le syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores, dont le siège est [Adresse 3], représenté par la son syndic la société CO.GE.SIM, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° Y 22-22.695 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2022 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Alcala, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [R] [V] [P], domicilié [Adresse 1],

3°/ à M. [E] [D] [P], domicilié [Adresse 5] (Espagne)

tous deux pris tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'héritiers de [C] [T] [J], épouse [P],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Axa France IARD et du syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société civile immobilière Alcala et de MM. [V] [P] et [D] [P], après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 6 septembre 2022), la société civile immobilière Alcala (la SCI), représentée par sa gérante, [C] [T] [J], a acquis une propriété en 1968, dont elle a cédé une partie à la société Miraflores en 1989, laquelle y a édifié deux bâtiments comportant une centaine de logements.

2. Se plaignant de désordres ayant pour origine des travaux réalisés sur la parcelle vendue et affectant l'immeuble dont elle avait conservé la propriété, la SCI a assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores (le syndicat des copropriétaires) et la société Axa France IARD (l'assureur) en indemnisation.

3. Le syndicat des copropriétaires et l'assureur ayant invoqué, en appel, la perte de la personnalité morale de la SCI, faute d'avoir procédé à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, ses associés, [C] [T] [J] ainsi que MM. [V] [P] et [D] [P], agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'héritier de [C] [T] [J], sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le syndicat des copropriétaires et l'assureur font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit d'agir, alors :

« 1°/ que les sociétés civiles n'ayant pas procédé à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique ; qu'une société ne jouissant pas de la personnalité juridique est dépourvue du droit d'agir en justice ; qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'en l'espèce, la SCI Alcala avait fait assigner le syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores et la société Axa France IARD, le 21 juin 2017, pour obtenir leur condamnation à lui payer, notamment, la somme de 86 586,41 euros TTC ; que la cour d'appel a constaté que la SCI Alcala n'avait pas été immatriculée au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, de sorte qu'elle avait perdu sa personnalité juridique et était soumise au régime des sociétés en participation ; qu'en s'abstenant toutefois de conclure à l'irrecevabilité de son action dirigée contre le syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores et la société Axa France IARD, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 32 du code de procédure civile, ensemble l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et l'article 1871 du code civil ;

2°/ que les sociétés civiles n'ayant pas procédé à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique ; qu'une société ne jouissant pas de la personnalité juridique ne peut ester en justice par l'intermédiaire de son gérant ; que l'assignation du 21 juin 2017 avait été délivrée à la seule requête de la SCI Alcala, avec la précision « poursuites et diligences de son gérant Mme [C] [H] [T] [J] veuve [P] demeurant [Adresse 6] » ; que la cour d'appel a constaté que la SCI Alcala n'avait pas été immatriculée au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, de sorte qu'elle avait perdu sa personnalité juridique et était soumise au régime des sociétés en participation ; qu'en jugeant que l'action de la SCI Alcala était « valablement poursuivie et la fin de non-recevoir non-fondée » parce que Mme [C] [H] [P] avait reçu « mandat pour la représenter » lors de l'acte introductif d'instance, quand le défaut de personnalité juridique de la SCI Alcala, constaté par la cour d'appel, ne lui permettait pas d'ester en justice, fût-ce par l'intermédiaire de sa gérante, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 32 du code de procédure civile, ensemble l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et l'article 1871 du code civil ;

3°/ que les sociétés civiles n'ayant pas procédé à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique ; qu'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte par l'intervention à l'instance d'une autre partie ; qu'en l'espèce, la SCI Alcala avait fait assigner le syndicat des copropriétaires de la résidence Miraflores et la société Axa France IARD, le 21 juin 2017, pour obtenir leur condamnation à lui payer, notamment, la somme de 86 586,41 euros TTC ; que la cour d'appel a constaté que la SCI Alcala n'avait pas été immatriculée au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, de sorte qu'elle avait perdu sa personnalité juridique et était soumise au régime des sociétés en participation ; qu'en jugeant toutefois que l'action de la SCI Alcala était « valablement poursuivie et la fin de non-recevoir non-fondée » en raison de l'intervention volontaire de ses associés, quand une telle intervention ne permettait pas de couvrir l'irrégularité tenant au défaut de personnalité juridique de la SCI Alcala, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 32 et 117 du code de procédure civile, ensemble l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et l'article 1871 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 117 du code de procédure civile, 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 et 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :

5. Selon le premier de ces textes, constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, le défaut de capacité d'ester en justice.

6. Il résulte de la combinaison des deux derniers de ces textes que les sociétés civiles devaient procéder, avant le 1er novembre 2002, à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

7. Les sociétés civiles n'ayant pas procédé à cette immatriculation avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique (Com., 26 février 2008, pourvoi n° 06-16.406, Bull. 2008, IV, n° 46) et sont soumises aux règles applicables aux sociétés en participation (3e Civ., 4 mai 2016, pourvoi n° 14-28.243, Bull. 2016, III, n° 59).

8. L'irrégularité d'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est une irrégularité de fond qui ne peut être couverte (2e Civ., 26 mars 1997, pourvoi n° 94-15.528, Bull. 1997, II, n° 96).

9. Pour accueillir les demandes formées contre le syndicat des copropriétaires et l'assureur, l'arrêt retient que la SCI a perdu sa personnalité juridique à défaut d'immatriculation avant le 1er novembre 2002, de sorte que ses biens appartiennent en indivision à ses associés, [C] [T] [J], qui avait mandat pour la représenter lors de l'acte introductif d'instance, et MM. [V] [P] et [D] [P], lesquels sont intervenus volontairement à l'instance.

10. En statuant ainsi, alors que la procédure engagée par la seule SCI, dépourvue de personnalité juridique, était entachée d'une irrégularité de fond qui ne pouvait être couverte par l'intervention volontaire des associés à l'instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile et tel que suggéré par les demandeurs au pourvoi, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

13. L'irrégularité de la procédure tirée du défaut de capacité d'ester en justice ne pouvant être régularisée, il y a lieu de prononcer la nullité des actes introductifs d'instance délivrés les 19 et 21 juin 2017 par la SCI, dépourvue de personnalité juridique, ainsi que du jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Bayonne.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Constate le défaut de capacité d'ester en justice de la société civile immobilière Alcala ;

Annule les assignations délivrées par la société civile immobilière Alcala les 19 et 21 juin 2017 ;

Annule le jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Bayonne ;

Condamne MM. [V] [P] et [D] [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille vingt-quatre.

vendredi 5 juin 2020

LE CANDIDAT DONT L’OFFRE EST IRRÉGULIÈRE PEUT CONTESTER UNE AUTRE OFFRE EN RÉFÉRÉ CONTRACTUEL

Note JM Pastor, AJDA 2020, p.1091.

Conseil d'État

N° 435982   
ECLI:FR:CECHR:2020:435982.20200527
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


lecture du mercredi 27 mai 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Texte intégral

Vu la procédure suivante :

La société Clean Building a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, à titre principal, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, sur le fondement de celles de l'article L. 551-13 du même code, d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la procédure de passation des lots n°s 1 à 7 et du lot n° 9 du marché public engagée par la collectivité territoriale de Martinique sous la forme d'un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, d'autre part, à l'annulation des décisions du 22 août 2019 portant rejet de ses offres.

Par une ordonnance n° 1900526 du 30 septembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de la société Clean Building présentée sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 novembre et 2 décembre 2019 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Clean Building demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 89/665/CEE du 21 décembre 1989, modifiée par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007 ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Clean Building et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la collectivité territoriale de Martinique ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 26 février 2019 au Journal officiel de l'Union européenne et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, la collectivité territoriale de Martinique a engagé une consultation en vue de la conclusion d'un accord cadre de prestations de nettoyage de locaux et de sites, divisé en neuf lots. La société Clean Building, qui s'est portée candidate, a été informée, par courrier du 22 août 2019, que le lot n° 8 lui a été attribué et que son offre a été rejetée pour les autres lots, les lots n°s 1 à 6 et le lot n° 9 étant attribués à la société Sadis'nov et le lot n° 7 à la société Madianet. La société Clean Building a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure de passation du marché pour les lots qui ne lui ont pas été attribués. Le juge des référés a décidé, par une ordonnance du 30 septembre 2019 contre laquelle se pourvoit en cassation la société Clean Building, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de la société Clean Building présentée sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, puis il a rejeté le surplus des conclusions qu'elle a présentées en cours d'instance sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du même code.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Selon l'article L. 551-4 de ce code : " Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ". Aux termes de l'article L. 551-13 du même code : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". Selon l'article L. 551 14 de ce code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats (...) / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ". Aux termes de l'article L. 551 18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsqu'a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551 1 et L. 551 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ". Selon l'article L. 551-20 du même code : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière ". Enfin, aux termes de l'article L. 551 21 de ce code : " Les mesures mentionnées aux articles L. 551-17 à L. 551-20 peuvent être prononcées d'office par le juge (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur, lorsqu'est introduit un recours en référé précontractuel dirigé contre la procédure de passation d'un contrat, doit suspendre la signature de ce contrat à compter, soit de la communication du recours par le greffe du tribunal administratif, soit de sa notification par le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours agissant conformément aux dispositions de l'article R. 551-1 du code de justice administrative. S'agissant d'un recours envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d'ouverture de ce service est dépourvue d'incidence, le délai de suspension courant à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite. En vertu des dispositions de l'article L. 551-14 du même code, la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre la signature du contrat ouvre la voie du recours en référé contractuel au demandeur qui avait fait usage du référé précontractuel. En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, qui doivent être lues à la lumière de celles de l'article 2 sexies de la directive du Conseil du 21 décembre 1989 dont elles assurent la transposition, en cas de conclusion du contrat avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre, ou, comme en l'espèce, pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du même code, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou une réduction de la durée du contrat. Enfin, le rejet des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que soit prononcée, même d'office, une sanction sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-20 du même code, si le contrat litigieux a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 du code de justice administrative.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique que le contrat en litige a été conclu le 6 septembre 2019 dans la matinée, postérieurement à la réception par les services de la collectivité territoriale de Martinique de la télécopie et du courrier électronique de l'avocat de la société requérante lui notifiant son référé précontractuel. Le marché a ainsi été signé par la collectivité en méconnaissance de l'obligation prévue à l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Par suite, alors même qu'il avait rejeté les conclusions de la société Clean Building présentées sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le juge du référé contractuel du tribunal administratif était tenu de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du même code. En s'abstenant de prononcer l'une d'entre elles, il a commis une erreur de droit.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au litige, dont la substance a été reprise à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique : " Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions fixées par voie réglementaire. / L'acheteur met en oeuvre tous moyens pour détecter les offres anormalement basses lui permettant de les écarter ". Selon l'article 60 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, applicable au litige, dont la substance a été reprise aux articles R. 2152-3 et R. 2152-4 du code de la commande publique : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services (...) / II. - L'acheteur rejette l'offre : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

7. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a relevé que le pouvoir adjudicateur avait demandé à la société Sadis'nov, lors de l'examen des offres, de justifier les prix qu'elle proposait. En estimant ensuite, pour juger que cette offre n'était pas anormalement basse, qu'il n'était pas établi que la cadence de travail moyenne retenue par la société ne lui permettrait pas de réaliser les prestations au prix proposé, le juge des référés, qui a suffisamment motivé son ordonnance, a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d'erreur de droit.

8. En troisième lieu, la circonstance que l'offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige. Tel est notamment le cas lorsqu'une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas.

9. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a considéré que les justifications apportées par la société Madianet, attributaire du lot n° 7 du marché en litige, n'étaient pas suffisantes pour que le prix qu'elle proposait ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué. Toutefois, il a estimé que la société requérante ne pouvait pas utilement se prévaloir de cette irrégularité au motif que sa propre offre pour ce lot était également irrégulière, faute pour elle d'avoir répondu dans les délais prescrits à la demande de justification des prix de son offre que lui a adressée le pouvoir adjudicateur sur le fondement des dispositions citées au point 5. En statuant ainsi, le juge des référés s'est fondé sur un moyen inopérant et a, ce faisant, commis une erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant que le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du lot n° 7 du marché et a omis de prononcer l'une des sanctions prévues à l'article L. 551-20 du code de justice administrative.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les précisions et justifications apportées par la société Madianet ne sont pas suffisantes pour que le prix qu'elle a proposé pour le lot n° 7, inférieur de plus de 60 % à l'estimation annuelle du pouvoir adjudicateur, ne soit pas regardé, d'une part, eu égard à l'ensemble des coûts nécessaires à la réalisation de la prestation, comme manifestement sous-évalué et, d'autre part, de nature, dans les circonstances de l'espèce, à compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, il appartenait au pouvoir adjudicateur, ainsi qu'il a été dit au point 6, de rejeter son offre. Par suite, la société Clean Building est fondée à demander l'annulation du lot n° 7 du marché.

13. En second lieu, pour déterminer la sanction à prononcer en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative, il incombe au juge du référé contractuel qui constate que le contrat a été signé prématurément, en méconnaissance des obligations de délai rappelées à l'article L. 551-20 du code de justice administrative, d'apprécier l'ensemble des circonstances de l'espèce, en prenant notamment en compte la gravité du manquement commis, son caractère plus ou moins délibéré, la plus ou moins grande capacité du pouvoir adjudicateur à connaître et à mettre en oeuvre ses obligations ainsi que la nature et les caractéristiques du contrat.

14. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il résulte de l'instruction que la société Clean Building a adressé, le 6 septembre 2019 en début de matinée, une télécopie et un courrier électronique informant la collectivité territoriale de Martinique de son référé précontractuel. Dès lors, cette collectivité, qui ne pouvait ignorer ses obligations dans ce domaine, a signé le contrat litigieux alors qu'elle était informée de l'existence d'un référé précontractuel. Il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une pénalité financière d'un montant de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative au titre de la passation des lots n°s 1 à 6 et du lot n° 9.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique la somme de 3 000 euros à verser à la société Clean Building, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 30 septembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique est annulée en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Clean Building tendant à l'annulation du lot n° 7 du marché et a omis de prononcer l'une des sanctions prévues par l'article L. 551-20 du code de justice administrative.
Article 2 : Le lot n° 7 " prestation de nettoyage courant du laboratoire territorial d'analyses " du marché conclu par la collectivité territoriale de Martinique avec la société Madianet est annulé.
Article 3 : Une pénalité de 10 000 euros, qui sera versée au Trésor public, est infligée à la collectivité territoriale de Martinique en application des dispositions de l'article L. 551-20 du code de justice administrative.
Article 4 : La collectivité territoriale de Martinique versera à la société Clean Building une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Clean Building est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Clean Building, à la collectivité territoriale de Martinique et au directeur régional des finances publiques de la Martinique.
Copie en sera adressée à la société Sadis'nov, à la société Madianet et à la direction régionale des finances publiques-Martinique.






Analyse

Abstrats : 39-08-015-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. PROCÉDURES D'URGENCE. - IRRÉGULARITÉ DE L'OFFRE RETENUE - 1) VICE POUVANT ÊTRE INVOQUÉ PAR L'AUTEUR DU RÉFÉRÉ DONT L'OFFRE EST ELLE-MÊME IRRÉGULIÈRE - [RJ1] - 2) ILLUSTRATION - OFFRE ANORMALEMENT BASSE POUVANT ÊTRE ASSIMILÉE À UNE OFFRE IRRÉGULIÈRE.

Résumé : 39-08-015-02 1) La circonstance que l'offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige.,,,2) Tel est notamment le cas lorsqu'une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas.



[RJ1] Ab. jur. CE, 11 avril 2012, Syndicat Ody 1218 newline du Lloyd's de Londres et Bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), n°s 354652 354709, T. p. 858. Rappr. CJUE, 4 juillet 2013, Fastweb, aff. C-100/12 ; CJUE, 5 septembre 2019, Lombardi, aff. C-333/18.