vendredi 15 mars 2024

Responsabilité du maître de l'ouvrage, qui omet d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie, sauf délégation de paiement, de la fourniture d'une caution

 

7 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-23.309

Troisième chambre civile - Formation de section

PUBLIÉ AU BULLETIN

ECLI:FR:CCASS:2024:C300134

Titres et sommaires

CONTRAT D'ENTREPRISE

En application des articles 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1382, devenu 1240, du code civil, le maître de l'ouvrage, qui omet d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie, sauf délégation de paiement, de la fourniture d'une caution, prive le sous-traitant du bénéfice d'une garantie lui assurant le complet paiement du solde de ses travaux. Le préjudice réparable est alors égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues. L'indemnisation accordée au sous-traitant est donc déterminée par rapport aux sommes restant dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant, peu important que les travaux aient été acceptés par le maître de l'ouvrage dès lors qu'ils avaient été confiés au sous-traitant pour l'exécution du marché principal

Texte de la décision

CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
____________________
Audience publique du 7 mars 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 134 FS-B
Pourvoi n° R 22-23.309
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MARS 2024

La société Ineo Provence et Côte d'Azur, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Ineo Réseaux Côte d'Azur, a formé le pourvoi n° R 22-23.309 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Axyme, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], représentée par M. [I] [K], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Dutheil,

2°/ à la société Application provençale hydraulique (APH), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], prise en la personne de son administrateur provisoire la société de Saint-Rapt et [M], représentée par M. [X] [M],

3°/ à la société Sensation gestion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

4°/ à la société Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP banque), société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

5°/ à la société Swisslife assurance de biens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],

6°/ à la société de Saint-Rapt et [M], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en sa qualité d'administrateur provisoire de la société Application provençale hydraulique,

7°/ à la société Sensation, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Ineo Provence et Côte d'Azur, de Me Balat, avocat des sociétés Sensation gestion et Sensation, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Swisslife assurance de biens, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, MM. Boyer, Pety, Brillet, Mme Pic, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Rat, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Ineo Provence et Côte d'Azur du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Axyme, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Dutheil, la société Application provençale hydraulique et son administrateur provisoire, la société de Saint-Rapt et [M], la société Banque du bâtiment et des travaux publics.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2022), la société Sensation a confié la réalisation de travaux d'agrandissement et de rénovation d'un hôtel à la société Dutheil, qui a sous-traité le lot électricité à la société Pignatta, devenue la société Ineo Provence et Côte d'Azur (la société Ineo).

3. Contestant le décompte général définitif en raison de malfaçons et de retard dans l'exécution des travaux, la société Sensation n'a pas payé les situations de la société Dutheil et n'étant pas payée par celle-ci, la société sous-traitante n'a pas achevé les travaux.

4. La société Dutheil a été mise en redressement judiciaire le 23 juin 2011, puis en liquidation judiciaire le 26 octobre suivant.

5. N'ayant pas obtenu le règlement du solde de ses factures, la société Ineo a assigné la société Sensation en indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Celle-ci a demandé, à titre reconventionnel, l'indemnisation de ses préjudices résultant des défauts d'exécution des travaux sous-traités.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

Vu l'article 975 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que l'absence ou l'inexactitude de la mention relative à la dénomination du défendeur en cassation constitue une irrégularité de forme susceptible d'entraîner la nullité de la déclaration de pourvoi s'il est justifié que cette irrégularité cause un grief au défendeur.

7. Par déclaration du 23 novembre 2022, la société Ineo s'est pourvue en cassation contre un arrêt du 9 septembre 2022 en mentionnant la société Sensation gestion.

8. L'irrecevabilité du pourvoi est soulevée, au motif qu'il a été formé contre la société Sensation gestion, société distincte de la société Sensation, seule partie à l'arrêt attaqué.

9. Cependant, la société Sensation, qui a le même siège social et le même gérant que la société Sensation gestion, a pu se constituer en défense, prendre connaissance du mémoire ampliatif adressé à son avocat constitué le 6 février 2023 et présenter son mémoire dans le délai légal.

10. Aucun grief n'étant ainsi établi, ni même allégué par la défenderesse, le pourvoi est recevable à l'égard de la société Sensation.

Examen des moyens

Sur le second moyen


11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. La société Ineo fait grief à l'arrêt de condamner la société Sensation à lui payer la somme limitée de 257 028,38 euros TTC au titre d'impayés de la part de la société Dutheil envers son sous-traitant, les intérêts dus sur cette somme étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil dans sa version applicable à la date des faits, alors « qu'il appartient au maître de l'ouvrage, qui doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution, de veiller à l'efficacité des mesures qu'il met en oeuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge et que, à défaut, il commet une faute qui engage sa responsabilité à l'égard du sous-traitant ; qu'en rejetant la demande de la société Ineo en réparation du préjudice subi du fait de la faute de la société Sensation au titre de sa créance relative aux travaux supplémentaires et à la rémunération complémentaire, motifs pris que « c'est à bon droit que les premiers juges (…) ont rejeté les travaux supplémentaires à hauteur de 32 531,62 euros HT, les devis produits à l'instance n'étant pas validés par la maîtrise d'ouvrage, ainsi que la rémunération complémentaire demandée par la société Pignatta au titre de laquelle il n'est pas établi qu'un bouleversement de l'économie du contrat du fait d'un tiers serait intervenu et qui, au demeurant, n'a pas été validée par la maîtrise d'ouvrage », cependant que la mise en oeuvre de la responsabilité du maître de l'ouvrage, pour n'avoir pas exigé de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution, n'est pas subordonnée à une validation de la part du maître de l'ouvrage, des travaux confiés au sous-traitant par l'entrepreneur principal et dont le paiement aurait dû être garanti, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition et violé l'article 14-1 alinéa 1er tiret 2° de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1382, devenu 1240, du code civil :

13. Selon le premier de ces textes, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations qui lui incombent et, lorsque le sous-traitant est accepté et que ses conditions de paiement ont été agréées, exiger de l'entrepreneur principal, si le sous-traitant ne bénéficie pas d'une délégation de paiement, qu'il justifie avoir fourni la caution.

14. Il résulte du second que le sous-traitant est fondé à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du maître de l'ouvrage qui ne s'est pas conformé à ses obligations en matière de sous-traitance en rapportant la preuve de son préjudice.

15. Le manquement du maître de l'ouvrage qui, ayant eu connaissance de l'existence d'un sous-traitant sur un chantier, s'est abstenu de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter des obligations qui lui incombent en lui présentant le sous-traitant, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l'action directe. Il en résulte que le préjudice du sous-traitant s'apprécie au regard de ce que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier ou des sommes qui ont été versées à l'entreprise principale postérieurement à cette date.

16. En revanche, lorsque le sous-traitant est agréé et que ses conditions de paiement ont été acceptées, le manquement du maître de l'ouvrage à son obligation d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie, sauf délégation de paiement, d'avoir fourni une caution prive le sous-traitant du bénéfice du cautionnement ou de la délégation de paiement lui assurant le complet paiement du solde de ses travaux. Il en résulte que le préjudice réparable est alors égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues.

17. Pour limiter la demande indemnitaire du sous-traitant à l'encontre du maître de l'ouvrage, l'arrêt retient que la société Sensation, qui avait accepté et agréé la société Ineo, a commis une faute délictuelle en s'abstenant d'exiger de l'entrepreneur principal la remise d'un cautionnement ou la mise en place d'une délégation de paiement prévues à l'article 14 de la loi précitée et que le préjudice subi par la société Ineo du fait de cette faute correspond au montant de sa créance de travaux impayés, à l'exclusion des travaux supplémentaires dont les devis n'avaient pas été validés par la maîtrise d'ouvrage, ainsi que d'une rémunération complémentaire, qui n'avait pas été justifiée par le bouleversement de l'économie du contrat du fait d'un tiers, ni validée par la maîtrise d'ouvrage.

18. En statuant ainsi, alors que l'indemnisation accordée à un sous-traitant agréé et accepté mais ne bénéficiant pas d'une garantie de paiement est déterminée par rapport aux sommes restant dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant, peu important que les travaux aient été acceptés par le maître de l'ouvrage dès lors qu'ils avaient été confiés au sous-traitant pour l'exécution du marché principal, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Swisslife assurance de biens et Sensation gestion, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE recevable le pourvoi formé par la société Ineo Provence et Côte d'Azur à l'encontre de la société Sensation ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Sensation à payer à la société Ineo Provence et Côte d'Azur la somme de 257 028,38 euros TTC au titre d'impayés de la part de la société Dutheil envers son sous-traitant, les intérêts dus sur cette somme étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil dans sa version applicable à la date des faits, l'arrêt rendu le 9 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause les sociétés Sensation gestion et Swisslife assurance de biens ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Sensation aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille vingt-quatre.

Dommage causé par un produit défectueux : responsabilité pour faute

 Note C. de Cabarrus, D. 2024, p. 501.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
_____________________
Audience publique du 15 novembre 2023
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 597 FS-B
Pourvoi n° V 22-21.174
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 NOVEMBRE 2023

1°/ Mme [M] [H], domiciliée [Adresse 3],

2°/ Mme [G] [I], domiciliée [Adresse 2],

3°/ Mme [P] [I], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° V 22-21.174 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (3ème chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Les Laboratoires Servier, société par actions simplifiée (SAS), dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (CPAM), dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mmes [H] et [I], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Les Laboratoires Servier, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Jessel, M. Mornet, M. Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, Mme de Cabarrus, Mme Dumas, Mme Feydeau-Thieffry, Mme Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), Mme [M] [H], à laquelle a été prescrit du Mediator de 2006 à 2008, a présenté des lésions cardiaques. Le 14 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 21 juillet 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament. Par lettre du 16 octobre 2015, la société Les Laboratoires Servier, producteur du Mediator (le producteur), a adressé à Mme [H] une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

2. Le 7 juillet 2020, Mme [H], sa fille, Mme [G] [I], et sa petite-fille, Mme [P] [I] (les consorts [H]) ont assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, qui a sollicité le remboursement de ses débours. Ils ont, ensuite, fondé leur action sur l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que leur action ne saurait être poursuivie sur le fondement de l'article 1240 du code civil et de la déclarer irrecevable comme prescrite, alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ; qu'exposant les prétentions des consorts [H], les juges du fond ont constaté que le reproche qu'ils adressaient aux laboratoires Servier portait sur la carence dolosive du producteur qui, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s'était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ; qu'il en résulte que les consorts [H] se prévalaient, devant les juges du fond, d'une faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ; qu'en jugeant cependant que tel n'était pas le cas pour leur fermer la voie de la responsabilité pour faute et retenir l'application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont, dès lors, violé les articles 1245-17, anciennement 1386-18, et 1240, anciennement 1382, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31).

6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 21 juillet 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Condamne la société Les Laboratoires Servier aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme [M] [H], Mmes [G] et [P] [I] la somme globale de 4 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C100597

mercredi 13 mars 2024

La cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.
FB
COUR DE CASSATION
_____________________
Audience publique du 6 mars 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 110 F-D
Pourvoi n° B 22-16.074
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 MARS 2024

M. [I] [J], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-16.074 contre l'arrêt rendu le 8 février 2022 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Banque Courtois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ au fonds commun de titrisation (FCT) Ornus, dont le siège est [Adresse 1], ayant pour société de gestion la société Eurotitrisation, représenté par son recouvreur la société MCS & associés, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Banque Courtois,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [J], de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du fonds commun de titrisation Ornus, représenté par la société MCS & associés, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 février 2022), le 24 novembre 2009, M. [J] s'est porté caution solidaire d'un prêt consenti par la société Banque Courtois (la banque) à la société Victor dont il était le gérant.

2. Cette société a été mise en redressement judiciaire le 1er février 2012 et la banque a déclaré sa créance. La procédure ayant été convertie en liquidation judiciaire, le 16 mai 2018, la banque a assigné la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. Le 18 mars 2019, le tribunal a accueilli cette demande.

3. Le 19 avril 2021, la banque a cédé les créances détenues sur M. [J] au fonds commun de titrisation Ornus (le fonds Ornus) ayant pour société de gestion la société Eurotitrisation.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir opposées au fonds Ornus, de dire que la cession de créance à ce fonds lui est opposable et de le condamner à payer à ce fonds la somme de 77 171,32 euros, alors « que le recouvrement des créances cédées à un fonds de titrisation continue d'être assuré par le cédant ou peut à tout moment être assuré par la société de gestion, sauf à être confié, par voie de convention, à une autre entité désignée à cet effet ; que, pour rejeter la fin de non-recevoir résultant du défaut de qualité à agir de la société MCS & associés, faute pour elle d'avoir été désignée par une convention, la cour d'appel a jugé que la production d'une lettre de désignation, acte unilatéral émanant de la société de gestion représentant le Fonds, permettait d'établir que la société MCS & associés avait été régulièrement chargée du recouvrement ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 214-172 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 214-172 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable, issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, une société de gestion, en tant que représentant légal d'un fonds de titrisation, peut confier par voie de convention à une entité désignée à cet effet le recouvrement de toute créance dont ce fonds serait cessionnaire.

7. Ayant relevé que l'acte de cession de créances stipule que, conformément aux dispositions de l'article L. 214-172, alinéa 6, du code monétaire et financier, la société MCS & associés est désignée par le cessionnaire comme l'établissement chargé de la gestion, du suivi et du recouvrement des créances cédées et que cette société interviendra seule, en qualité de représentant direct du fonds, dans toutes les actions en justice liées à la gestion, au suivi et au recouvrement de ces créances, faisant ressortir l'existence d'une convention confiant à la société MCS & associés le recouvrement des créances cédées au fonds Ornus, la cour d'appel en a exactement déduit que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société MCS & associés devait être rejetée.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en mainlevée des mesures conservatoires d'ores et déjà engagées, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'après avoir retenu, dans ses motifs, que la demande de mainlevée des mesures conservatoires prises par le Fonds devait être présentée au juge de l'exécution, la cour d'appel l'en a débouté ; qu'en statuant ainsi, elle a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs relatifs à la compétence de la juridiction saisie et le dispositif touchant au fond du litige et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.

11. Après avoir, dans ses motifs, énoncé que le code des procédures civiles d'exécution donne compétence au juge de l'exécution pour ordonner la mainlevée des mesures qu'il a prononcées, et retenu que M. [J] ne justifiant pas avoir saisi ce juge à cette fin, il lui appartiendra de porter sa contestation devant ce juge compétent en cas de saisie, l'arrêt, dans son dispositif, rejette les demandes en mainlevée des mesures conservatoires formées par M. [J].

12. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes en mainlevée des mesures conservatoires formées par M. [J], l'arrêt rendu le 8 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier autrement composée ;

Condamne M. [J] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [J] et le condamne à payer au fonds commun de titrisation Ornus, représenté par la société MCS & associés, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.ECLI:FR:CCASS:2024:CO00110

Faute délictuelle de l'huissier - préjudice - lien de causalité

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
_____________________
Audience publique du 24 janvier 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 34 F-B
Pourvoi n° K 22-14.748
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 JANVIER 2024

La société Large Network Administration LNA, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° K 22-14.748 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2022 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Coudert Flammery et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité d'assureur de la société Coudert Flammery et associés,

défenderesses à la cassation.

La société Coudert Flammery et associés et la société Allianz IARD ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Large Network Administration LNA, de la SCP Duhamel, avocat de la société Coudert Flammery et associés et de la société Allianz IARD, ès qualités, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 janvier 2022), par acte du 28 juin 2013, la société Coudert, Flammery et associés, huissiers de justice (la société d'huissiers), a signifié un congé donné par la société Large Network Administration (la société LNA) à sa bailleresse.

2. Celle-ci ayant invoqué la nullité du congé et la poursuite du contrat jusqu'à son terme, la société LNA l'a assignée en constatation de la validité de ce congé et a appelé à la procédure la société d'huissiers afin d'obtenir subsidiairement sa garantie.

3. La société LNA a exécuté le jugement qui annulait le congé et la condamnait avec exécution provisoire au paiement des loyers et charges subséquents. Ce jugement a été infirmé par un arrêt irrévocable du 10 janvier 2017 qui a validé le congé et rejeté les demandes formées par la bailleresse en exécution du bail.

4. La société bailleresse a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde puis d'un plan prévoyant l'apurement de la créance de restitution de la société LNA sur une période de dix ans.

5. Invoquant une faute commise par la société d'huissiers dans la rédaction du congé, la société LNA l'a, par acte du 2 mai 2017, assignée, ainsi que son assureur, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur la troisième branche du premier moyen et le second moyen du pourvoi principal

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

7. La société d'huissiers et l'assureur font grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes d'indemnisation formées par la société LNA contre la société d'huissiers et l'assureur, et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 037,25 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, alors :

« 1°/ qu'en matière de responsabilité civile, la cause de l'action à prendre en compte pour déterminer l'existence d'une identité de cause, condition de l'autorité de la chose jugée, est, d'une part, le texte sur lequel la demande est fondée et, d'autre part, les éléments de fait invoqués au soutien de ces moyens de droit ; qu'en l'espèce, dans la première procédure, ayant abouti à l'arrêt du 10 janvier 2017, la demande en garantie formée par la société LNA contre la société Coudert, Flammery et associés et la société Allianz était fondée sur l'ancien article 1382 du code civil (actuel article 1240), et dans la présente procédure, la demande de la société LNA contre la société Coudert, Flammery et associés et la société Allianz était également fondée sur l'article 1240 du code civil et invoquait les mêmes préjudices, de sorte qu'il y avait identité de cause, de parties et d'objet, en conséquence de quoi son action se heurtait à l'autorité de la chose jugée ; qu'en jugeant néanmoins que la cause de la présente action était différente car le placement du bailleur sous sauvegarde postérieurement à l'arrêt du 10 janvier 2017 "est venu modifier la situation antérieure, dès lors qu'il existe désormais une incertitude quant à la possibilité d'obtenir restitution des sommes indûment versées au bailleur", tandis que cette circonstance ne modifiait ni la cause ni l'objet, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;

2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que dans leurs conclusions, se fondant sur ce principe, les sociétés Coudert, Flammery et associés et Allianz faisaient valoir que la présente action de la société LNA avait pour but de pallier les carences de sa précédente action à l'encontre du bailleur et de la société Coudert, Flammery et associés, tandis que "LNA pouvait tant en première instance que devant la cour d'appel solliciter la garantie formelle de l'huissier en application de l'article 336 du code de procédure civile de manière à ce que celui-ci ne soit pas simplement tenu de lui rembourser sur justificatifs les loyers acquittés par elle mais que le jugement oblige l'huissier à verser directement les loyers entre les mains du bailleur tant que LNA occupait les lieux" et "de même, LNA pouvait solliciter de la cour d'appel que l'huissier soit subrogé dans sa créance de restitution vis-à-vis de la SCI [Adresse 3] et ce serait alors l'huissier et son assureur qui auraient dû subir le plan de continuation de la SCI" ; qu'en déclarant néanmoins l'action de la société LNA recevable sans répondre à ces conclusions fondées sur l'obligation de concentration des moyens, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'autorité de la chose jugée s'attache aux dispositions explicites du jugement et s'étend aux dispositions implicites lorsque, pour rendre sa décision dans la première procédure, le juge a nécessairement statué sur le point querellé dans la seconde ; qu'en l'espèce, dans son arrêt du 10 janvier 2017, la cour d'appel, a jugé que, d'une part, le congé de la société LNA à la SCI [Adresse 3] du 28 juin 2013 "à effet au 31 décembre 2013, a été [délivré] dans le délai de six mois précédant cette date" conformément aux stipulations du bail, et, d'autre part, "les mentions figurant à l'acte signifié le 28 juin 2013 ne laissent aucun doute quant au contrat de location qu'il vise et pour lequel le congé est donné ; que même si la société Coudert, Flammery et associés a, par erreur, indiqué sur cet acte qu'elle agissait à la requête de la société SCC Services, c'était en qualité de venant aux droits de la société LNA, sa sous-locataire, expressément mentionné dans cet acte", raisons pour lesquelles la cour d'appel a définitivement déclaré le congé valide ; qu'en jugeant néanmoins que "dans son arrêt du 10 janvier 2017, la cour n'a pas - contrairement à ce qu'a pu estimer le premier juge - définitivement écarté l'existence d'une faute imputable à la société d'huissier. En effet, la cour a simplement admis que le vice de forme affectant le congé délivré en juin 2013 n'entraînait pas la nullité de cet acte, de sorte qu'il pouvait produire effet, ce qui ne permettait pas pour autant d'écarter toute faute de la société Coudert, Flammery et associés", tandis qu'en déclarant valide le congé délivré par cette dernière, la cour d'appel avait nécessairement écarté sa faute dans la première procédure, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code de procédure civile ;

4°/ qu'un événement nouveau, postérieur à la première procédure, ne peut faire obstacle à l'autorité de la chose jugée que s'il est venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en matière de responsabilité délictuelle, tel n'est pas le cas de l'événement qui influe sur le seul préjudice, lorsque la faute invoquée a été exclue par la première procédure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que "le placement de la SCI [Adresse 3] sous sauvegarde de justice, par jugement du 31 janvier 2017, est donc bien venu modifier la situation antérieure en ce que la société LNA se trouve désormais dans l'impossibilité d'obtenir la restitution immédiate des sommes versées en exécution du jugement", tandis que cette circonstance n'a pas modifié la situation reconnue par l'arrêt du 10 janvier 2017, à savoir l'efficacité du congé délivré le 28 juin 2013 à la SCI [Adresse 3] par la société Coudert, Flammery et associés et, partant, l'absence de dette de la société LNA envers la SCI [Adresse 3] ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;

5°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que la cour d'appel a affirmé qu'elle avait "expressément indiqué, dans les motifs de sa décision [arrêt du 10 janvier 2017], qu'elle ne statuait pas sur la demande subsidiaire en garantie formée contre la société Coudert, Flammery et associés" et qu' "il résulte ainsi, tant du dispositif que des motifs de l'arrêt du 10 janvier 2017, que - faisant droit à la demande principale de la société LNA en validant le congé du 28 juin 2013 - la cour n'a pas statué sur la demande subsidiaire en garantie formée par la société LNA à l'encontre de la société Coudert, Flammery et associés" et enfin qu'"il en résulte que n'ayant pas tranché la question de la garantie éventuellement due par la société Coudert, Flammery et associés, l'arrêt précité n'a pas autorité de chose jugée sur ce point" ; que l'arrêt du 10 janvier 2017 avait au contraire débouté la société LNA de sa demande en garantie en jugeant qu'il n'y avait "pas lieu à condamnation de la société Coudert, Flammery et associés à garantir la société LNA", rejetant ainsi "toutes autres demandes" ; que la cour d'appel a dès lors dénaturé l'arrêt du 10 janvier 2017 et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a relevé que l'arrêt du 10 janvier 2017 s'était prononcé sur les demandes principales de la société LNA et avait expressément précisé dans ses motifs qu'il ne statuait pas sur la demande subsidiaire en garantie formée contre la société d'huissiers, en indiquant : « la cour ayant infirmé le jugement sur ce point, il n'y a pas lieu à condamnation de la société d'huissiers à garantir la société LNA qui ne se trouve plus débitrice d'aucune somme envers la SCI bailleresse. »

9. Elle a retenu que le fait que le dispositif de cet arrêt ait mentionné « y ajoutant, rejette toutes autres demandes » ne signifiait pas qu'il ait statué ainsi sur les demandes subsidiaires mais simplement qu'il rejetait les autres demandes qui avait été examinées,et notamment la demande au titre des frais irrépétibles.

10. Elle a estimé que cet arrêt n'avait pas définitivement écarté l'existence d'une faute imputable à la société d'huissiers mais simplement admis que le vice de forme affectant le congé délivré en juin 2013 n'entraînait pas la nullité de cet acte, de sorte qu'il pouvait produire effet, ce qui ne permettait pas pour autant d'écarter toute faute de la société d'huissiers dès lors que le congé restait affecté d'un vice de forme.

11. La cour d'appel, qui devait éclairer le dispositif ambigu de l'arrêt du 10 janvier 2017 à la lumière de ses motifs et des demandes qui avaient été présentées, en a exactement déduit, sans dénaturation et sans être tenue de répondre au moyen relatif à l'obligation de concentration des moyens que ses constatations rendaient inopérant, d'une part que, après avoir fait droit à la demande principale de la société LNA, cet arrêt n'avait pas statué sur la demande en garantie qu'elle avait formée contre la société d'huissiers, qui ne lui était soumise qu'à titre subsidiaire, d'autre part que, en validant le congé malgré le vice de forme qui l'affectait, l'arrêt n'avait pas implicitement statué sur la faute de l'huissier.

12. Le moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants en ses première et quatrième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La société LNA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que la société d'huissiers soit condamnée à lui verser la somme de 1 453 870,02 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que la responsabilité d'un huissier de justice ne présente pas de caractère subsidiaire ; qu'en jugeant que le principe de non-subsidiarité de la responsabilité de l'huissier de justice était "inapplicable" en l'espèce car "la possibilité de recouvrer la créance" contre la SCI [Adresse 3] placée en procédure de sauvegarde "n'ét(ait)pas une conséquence de la situation dommageable née de la faute" de ce dernier, cependant qu'il s'évinçait de ses propres constatations que l'action formée par la SCI [Adresse 3] qui avait imposé à la société LNA de se dessaisir de sommes en exécution d'un jugement de première instance, avait pour "unique cause" la faute de l'huissier de justice, de sorte que l'action dont disposait la société LNA pour recouvrer ces sommes auprès de la SCI [Adresse 3], à la suite de l'infirmation de ce jugement, était née de la situation dommageable résultant de la faute de l'huissier puisque, sans celle-ci, la société LNA ne s'en serait pas dessaisie et n'aurait donc pas eu à la recouvrer, la cour d'appel a violé l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

14. La responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte que la mise en jeu de la responsabilité d'un huissier n'est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un autre débiteur et qu'est certain le dommage subi par sa faute, quand bien même la victime aurait disposé, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice.

15. Pour rejeter la demande de la société LNA, l'arrêt, après avoir retenu que la société d'huissiers avait commis une faute consistant en un manquement à son obligation de rédiger un acte juridiquement efficace et insusceptible de contestation et que la procédure introduite par la bailleresse en contestation de validité du congé avait pour cause unique le vice de forme affectant ce congé, énonce que la possibilité de recouvrer la créance contre la société bailleresse en procédure collective n'est pas une conséquence de la situation dommageable née de la faute et que le préjudice constitué du défaut de restitution des fonds versés à tort au bailleur en exécution du jugement infirmé est tout à fait hypothétique, de sorte qu'il n'est pas réparable.

16. En statuant ainsi, alors que, sans la faute de l'huissier ayant motivé l'annulation du congé et sa condamnation par le jugement infirmé, la société LNA ne se serait pas dessaisie des fonds, si bien que la possibilité de les recouvrer auprès de la société bailleresse bénéficiant d'une procédure de sauvegarde est une conséquence de la situation dommageable née de la faute de l'huissier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Large Network Administration tendant à ce que la société Coudert, Flammery et associés soit condamnée à lui verser la somme de 1 453 870,02 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Coudert, Flammery et associés aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Coudert, Flammery et associés et la condamne à payer à la société Large Network Administration la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C100034

 

Photovoltaïque : conditions de la confirmation tacite d'un contrat conclu hors établissement comportant un vice

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 janvier 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 19 FS-D
Pourvoi n° X 22-16.116
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 JANVIER 2024

La société Eco environnement, société par actions simplifiée (SAS), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 22-16.116 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [W] [M], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société Cofidis, société anonyme (SA), dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La société Cofidis a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Eco environnement et de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Cofidis, de Me Occhipinti, avocat de M. [M], et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, Ancel, Mme Peyregne-Wable, conseillers, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 décembre 2021), par contrat conclu hors établissement le 7 avril 2017, M. [M] (l'acquéreur) a commandé auprès de la société Eco environnement (le vendeur) la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques, financés par un crédit souscrit le 28 mars 2017 auprès de la société Cofidis (la banque).

2. Invoquant des irrégularités du bon de commande, l'acquéreur a assigné le vendeur et la banque en annulation du contrat principal et du crédit affecté.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, pris en leur première branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, pris en leurs deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. Par son moyen pris en ses deuxième et troisième branches, le vendeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat de vente, de lui ordonner de procéder à la désinstallation du matériel et à la remise en état des lieux, ainsi que de le condamner à rembourser son prix de 19 900 euros à l'acquéreur, et de rejeter ses demandes, alors :

« 2°/ que l'exécution volontaire d'un contrat de vente conclu lors d'un démarchage, en connaissance des vices affectant le bon de commande, vaut confirmation du contrat et prive l'acquéreur de la possibilité de se prévaloir des nullités formelles invoquées, et que la reproduction intégrale des articles du code de la consommation, dès lors qu'ils figurent en caractères parfaitement lisibles dans les conditions générales de vente, suffit à permettre à l'acquéreur d'avoir connaissance des irrégularités formelles affectant les mentions du bon de commande ; qu'en retenant que la mention des dispositions du code de la consommation était en l'espèce insuffisante à l'information de de M. [M] dès lors que celui-ci ne serait pas un " emprunteur averti ", la cour d'appel a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; »

« 3°/ au surplus, qu'en statuant de la sorte quand la notion d'emprunteur averti, propre au cautionnement, est inopérante à déterminer la connaissance que pouvait avoir M. [M] à connaître les irrégularités formelles affectant le bon de commande, la cour d'appel a derechef violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

5. Par son premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, la banque fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat de vente conclu le 7 avril 2017 entre l'acquéreur et le vendeur, alors :

« 2°/ que la confirmation d'un acte nul procède de son exécution volontaire en connaissance du vice qui l'affecte et que la reproduction lisible dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat, permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions ; qu'après avoir constaté que " les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande reprennent les dispositions des articles L. 111-1, L. 111-2, L. 121-17, L. 121-18-1,L. 121-18-2, L. 121-19-2, L. 121-21, L. 121-21-2 et L. 121-21-5 du code de la consommation " étaient " parfaitement lisibles ", la cour d'appel retient que ce seul fait " est insuffisant en lui-même à révéler à l'emprunteur non averti les vices affectant ce bien ", l'acquéreur (sic) ne pouvant en l'espèce être " qualifié(s) de consommateur(s) averti(s) " (sic), en quoi elle ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations et statue par des motifs manifestement inopérants, en violation de l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ en toute hypothèse, que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en se déterminant sur la base d'une qualification de " consommateur averti " qu'aucune disposition légale ne reconnaît pour l'application de l'article L. 121-18-1 du code de la consommation, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen pose la question des conditions de la confirmation tacite d'un contrat conclu hors établissement comportant un vice et plus précisément celle de savoir si la reproduction des articles du code de la consommation relatifs aux mentions obligatoires d'un tel contrat, dès lors que ces textes figurent en caractères lisibles dans les conditions générales de vente, suffit à permettre à l'acquéreur d'avoir connaissance des irrégularités formelles affectant ce contrat.

7. Il résulte de l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que la confirmation d'une obligation contre laquelle la loi admet l'action en nullité peut résulter de l'exécution volontaire de l'obligation après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée et que cette exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers.

8. Pour caractériser la connaissance du vice qui affecte l'acte, la première chambre civile juge, depuis 2020, que la reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions. Une telle connaissance, jointe à l'exécution volontaire du contrat par l'intéressé, emporte la confirmation de l'acte nul (1re Civ., 9 décembre 2020, pourvoi n° 18-25.686, publié ; 1re Civ., 31 août 2022, pourvoi n° 21-12.968, publié).

9. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter que les acquéreurs échappent à leurs obligations, notamment celles résultant du contrat de crédit affecté en invoquant une irrégularité formelle du contrat de vente, cependant que celui-ci a fait l'objet d'une exécution normale, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec l'objectif de protection du consommateur.

10. Ces considérations ont conduit la première chambre civile à renforcer son contrôle quant à la reproduction effective des textes légaux (1re Civ., 1er mars 2023, pourvoi n° 22-10.361, publié) et l'examen des décisions des juridictions du fond révèle que le contentieux se porte désormais sur cette question (Douai, 6 octobre 2022, n° 19/04414 ; Riom, 4 octobre 2022, n° 21/00146 ; Agen, 12 octobre 2022, n° 21/00478 ; Metz, 13 octobre 2022, n° 21/00721 ; Lyon, 13 octobre 2022, n° 21/04477, Douai, 5 octobre 2023, n° 21/01507 ; Nancy, 28/09/2023, n° 23/00102 ; Paris, 14/06/2023, n° 20/03044). Plusieurs juridictions du fond s'appuient sur une approche in concreto (Paris, 22 septembre 2022, n° 20/07564 ; Riom, 21 septembre 2022 n° 21/00093 ; Bordeaux, 6 octobre 2022, n° 19/05772), tandis que d'autres excluent que la seule reproduction, même lisible, de textes du code de la consommation soit suffisante pour caractériser une connaissance du vice (Dijon, 22 septembre 2022, n° 19/01598 ; Douai, 15 septembre 2022, n° 20/03080 ; Rouen, 8 septembre 2022, n° 21/01822, Toulouse, 3 octobre 2023, n° 21/04428, Douai, 14 septembre 2023 n° 22/03279, Versailles, 19 septembre 2023, n° 21/03905).

11. En outre, il convient de relever que pour les contrats conclus postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 1182, alinéa 3 du code civil dispose que l'exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation.

12. L'article 1183 du même code énonce qu'une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion.

13. L'ensemble de ces éléments conduit la première chambre civile à juger désormais que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat, en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance et pouvant résulter, en particulier, de l'envoi par le professionnel d'une demande de confirmation, conformément aux dispositions de l'article 1183 du code civil, dans sa rédaction issue l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable, en vertu de l'article 9 de cette ordonnance, aux contrats conclus dès son entrée en vigueur.

14. Enfin, il apparaît justifié, afin que soit prise en considération une telle connaissance du vice, d'uniformiser le régime de la confirmation tacite et de juger ainsi dans les contrats souscrits antérieurement comme postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

15. Ayant relevé que le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande reprenaient les dispositions des articles L. 111-1, L. 111-2, L. 221-5, L. 221-8, L. 221-9, L. 221-10, L. 221-13, L. 221-18, L. 221-21, L. 221-22, L. 221-23, L. 221-24, L. 221-25 du code de la consommation, était insuffisant en lui même à révéler à l'acquéreur les vices affectant ce bon, et constaté souverainement qu'il ne ressortait d'aucun des éléments aux débats qu'il ait eu conscience des vices affectant le contrat au moment de la souscription ou de l'exécution de celui-ci, la cour d'appel, abstraction faite de la référence erronée à l'emprunteur non averti, a pu en déduire, que la confirmation de l'acte entaché de nullité n'était pas caractérisée.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

17. La banque fait grief à l'arrêt attaqué de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la nullité du contrat de crédit affecté conclu le 28 mars 2017, alors « que la cassation qui interviendra du chef de dispositif attaqué par le premier moyen de cassation, ou le moyen de cassation du pourvoi principal, entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif visé par le second moyen de cassation qui en dépend. »


Réponse de la Cour

18. Le moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident étant rejetés, le second moyen du pourvoi incident, qui invoque une cassation par voie de conséquence, n'a plus d'objet.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Eco environnement aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Eco environnement et la société Cofidis et condamne la société Eco environnement à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100019