Note Strickler, Procédures 2018-5, p. 14
Voir aussi cass. n° 16-27.823.
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du
jeudi 15 mars 2018
N° de pourvoi:
17-21.991
Publié au bulletin
Rejet
Mme Flise, président
SCP Foussard et Froger, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 juillet 2017),
qu'exerçant une activité salariée en Suisse depuis 2006 et domicilié
[...] , affilié à l'assurance maladie suisse et à la caisse primaire
d'assurance maladie de Haute-Savoie (la caisse), M. Y... (l'assuré) a
présenté à cette dernière, le 9 octobre 2015, une demande de radiation
qui a été rejetée ; qu'il a saisi d'un recours une juridiction de
sécurité sociale ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt d'accueillir ce recours, alors, selon le moyen :
1°/ qu'à raison du principe suivant lequel nul ne peut se contredire
au détriment d'autrui, une partie ne peut contester la légalité d'une
demande qu'elle formule ou d'un choix qu'elle opère ; qu'en décidant le
contraire, pour dire irrégulière la demande d'affiliation formée par
l'assuré auprès de l'assurance maladie française et en conséquence
l'affiliation qui en résulte, les juges du fond ont violé le principe
suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ;
2°/ que l'impossibilité pour une partie de contester la légalité des
demandes qu'elle a formulées ou d'un choix qu'elle a opéré s'impose
sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle a été éclairée au moment où
elle a formulé la demande ou effectué le choix ; qu'à cet égard
également, les juges du fond ont violé le principe suivant lequel nul ne
peut se contredire au détriment d'autrui ;
3°/ que l'impossibilité pour une partie de contester la demande
qu'elle a formulée ou le choix qu'elle opéré s'impose sans qu'il soit
besoin de relever à son endroit l'existence d'une fraude ; que de ce
point de vue également, les juges du fond ont violé le principe suivant
lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ;
Mais attendu que la fin de non-recevoir tirée du principe selon
lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne
l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même
instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre
elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses
intentions ;
Et attendu qu'il ressort des constatations de la cour d'appel que
les positions contraires de l'assuré alléguées par la caisse n'ont pas
été adoptées au cours de l'instance ;
Que, par ce motif de pur droit, substitué aux motifs critiqués par
le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015
du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée
en ce qu'elle a admis la recevabilité de la demande ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la caisse fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le
moyen, qu'à supposer par impossible que l'affiliation au régime français
ait été illégale et qu'au regard du principe de l'unicité de
l'affiliation, l'assuré devait être affilié au régime suisse, les juges
du fond se devaient de constater cette situation, depuis l'origine et en
tirer toutes les conséquences ; qu'à ce titre, il était exclu qu'ils
puissent décider que l'assuré pouvait être affilié pour une certaine
période au régime français, puis être autorisé à faire volte-face pour
être assuré, pendant la période suivante, au régime suisse ; qu'en
décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 3, sous «
Suisse », de l'annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004, dans sa
rédaction issue de l'accord entre la Confédération suisse et la
Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des
personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable au litige,
ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a pas décidé ni que l'assuré
pouvait être affilié pour une certaine période au régime français, puis
être autorisé à faire volte-face pour être assuré, pendant la période
suivante, au régime suisse, ni le contraire ;
D'où il suit que le moyen manque en fait ;
Et sur les deuxième et troisième moyens réunis :
Attendu que la caisse fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que, s'agissant de la demande de l'assuré, en application des
dispositions de l'Accord de libre circulation du 21 juin 1999 et des
objectifs qu'il poursuit, la demande tendant à l'affiliation du
travailleur frontalier dans son Etat de résidence constitue une demande
au sens de l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE)
n° 883/2004 ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé
l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE) n°
883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la Confédération
suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre
circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable
au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale
;
2°/ que, à tout le moins, en application des dispositions de
l'Accord de libre circulation du 21 juin 1999 et des objectifs qu'il
poursuit, la demande d'exemption peut être tacite et résulter d'une
manifestation de volonté de l'assuré en faveur d'une affiliation dans
son Etat de résidence ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond
ont violé l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE)
n° 883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la Confédération
suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre
circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable
au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale
;
3°/ que, également à propos de la demande de l'assuré, celle-ci
résulte sans équivoque de ce qu'évoluant dans le système juridique
français en faveur duquel il avait opté, l'assuré a choisi, non pas
l'affiliation au régime général, mais la souscription d'une assurance
auprès d'un assureur privé, ce qui était exclu dans l'ordre juridique
suisse ; qu'en décidant que l'affiliation était irrégulière quand
l'assuré, ayant opté pour le système français, avait choisi de souscrire
une assurance privée, les juges du fond ont violé l'article 3, sous
"Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004, dans sa
rédaction issue de l'accord entre la Confédération suisse et la
Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des
personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable au litige,
ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale ;
4°/ que, également à propos de la demande, celle-ci produit ses
effets juridiques, sans qu'il soit besoin que l'assuré fasse l'objet
d'une information quelconque et notamment de la part de l'employeur
suisse ; que de ce point de vue également, l'arrêt a été rendu en
violation de l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement
(CE) n° 883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la
Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres
sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa
rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de
la sécurité sociale ;
5°/ que, toujours à propos de la demande, les juges du fond ne se
sont pas expliqués sur le point de savoir si, compte tenu de la clarté
des dispositions légales et au vu de la note conjointe des autorités
suisses et françaises et du formulaire de choix rédigé par ces
autorités, il n'était pas exclu que l'assuré puisse prétendre n'avoir
pas été informé ou éclairé ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué encourt la
censure pour défaut de base légale au regard de l'article 3, sous
"Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004, dans sa
rédaction issue de l'accord entre la Confédération suisse et la
Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des
personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable au litige,
ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale ;
6°/ que, s'agissant de la décision d'exemption, en application de
l'accord de libre circulation du 21 juin 1999, dans sa rédaction
applicable à l'espèce, les travailleurs frontaliers exerçant leur
activité en Suisse et résidants en France sont exemptés de l'obligation
de s'assurer en Suisse, à leur demande, s'ils bénéficient d'une
couverture en cas de maladie en France ; que l'exemption résulte de
plein droit des dispositions de l'accord de libre circulation du 21 juin
1999 ; qu'elle n'est qu'un effet légal attaché à une situation
juridique ; qu'elle n'est pas subordonnée à l'intervention d'une
décision administrative de la part des autorités suisses ; qu'en
décidant le contraire, les juges d'appel ont violé l'article 3, sous
"Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004, dans sa
rédaction issue de l'accord entre la Confédération suisse et la
Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des
personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable au litige,
ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale ;
7°/ que, s'agissant encore de la décision d'exemption, à supposer
que l'exemption soit subordonnée à l'intervention d'une décision
administrative des autorités suisses, cette décision peut elle-même être
implicite et résulter de l'absence de réaction de la part des autorités
suisses en vue de procéder à l'affiliation de l'assuré ; qu'en
s'abstenant de rechercher, comme il le leur était demandé, si l'inaction
des autorités suisses ne révélait pas l'existence d'une décision
d'exemption, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au
regard de l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement (CE)
n° 883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la Confédération
suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre
circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa rédaction applicable
au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale
;
8°/ que, dès lors que la décision d'affiliation prise par l'autorité
française est chronologiquement et logiquement antérieure à la décision
que peut prendre l'autorité suisse et dès lors qu'elle est devenu
définitive, faute d'être contestée, la décision telle que prise par
l'autorité s'impose au juge français ; qu'en décidant le contraire pour
considérer que la décision française d'affiliation était illégale, les
juges du fond ont violé l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du
règlement (CE) n° 883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la
Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres
sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa
rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de
la sécurité sociale ;
9°/ que, s'il est vrai que l'accord prévoit un principe d'unicité
d'affiliation, l'assuré ne peut revendiquer le bénéfice de ce principe
que pour autant qu'il ait respecté, sur le fond et sur la forme, les
règles de l'accord ; qu'ayant opté pour le droit français avant toute
intervention des autorités suisses, l'assuré ne peut contester la
légalité d'affiliation au régime français pour pouvoir invoquer
l'unicité de régime et se prévaloir, à la faveur de ce principe, de
l'affiliation au régime suisse ; qu'à cet égard également, les juges du
fond ont violé l'article 3, sous "Suisse", de l'annexe XI du règlement
(CE) n° 883/2004, dans sa rédaction issue de l'accord entre la
Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres
sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999, dans sa
rédaction applicable au litige, ensemble l'article L. 380-3-1 du code de
la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'annexe II à l'accord entre la Confédération
suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres,
d'autre part, sur la libre circulation des personnes, du 21 juin 1999,
dans sa rédaction applicable au litige, rend applicable, entre les
parties, l'article 11 du règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen
et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de
sécurité sociale, qui édicte les principes d'unicité d'affiliation et de
rattachement du travailleur à la législation de l'Etat membre dans
lequel il exerce son activité ; qu'il ressort de l'annexe XI audit
règlement que la personne travaillant en Suisse peut, sur sa demande, y
être exemptée de l'assurance obligatoire tant qu'elle réside en France
et y bénéficie d'une couverture en cas de maladie ; qu'il résulte de ces
dispositions que la personne résidant en France qui est affiliée à
l'assurance maladie obligatoire en Suisse au titre de l'activité qu'elle
exerce dans cet Etat, ne peut être affiliée au régime français de
sécurité sociale ou, en tout cas, doit en être radiée dès qu'elle le
demande, peu important l'antériorité de son affiliation au régime
français ;
Et attendu que l'arrêt constate qu'à la date à laquelle il a demandé
à la caisse de procéder à sa radiation, l'assuré était affilié à
l'assurance maladie suisse ;
Que par ce motif de pur droit, substitué aux motifs critiqués par le
moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du
code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de
la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie et la condamne à
payer à M. Y...la somme de 1 000 euros ;