samedi 5 août 2023

Obligation d'affectation de l'indemnité "dommages ouvrage"

 Etude, JF Zedda, D. 2023, p. 1428.

Responsabilité décennale : qualité pour agir

 Etude JF Zedda, D. 2023, p. 1427.

L'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du code civil

  Note M.  Mignot; SJ G 2023, p. 1650, sur cass. , ch. mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10.763, 21-19.936, 21-17.189 et 21-15.809.

Note T. Genicon, D. 2023, p. 1728.

Note G. Leroy, GP 2023-33, p. 18 et 2023-34, p. 23.


Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR DE CASSATION BD


CHAMBRE MIXTE


Audience publique du 21 juillet 2023

Rejet

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 292 B+R

Pourvoi n° D 21-19.936



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, DU 21 JUILLET 2023


La société Hyundai Motor France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° D 21-19.936, contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cerdan occasion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société d'assurances Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité d'assureur de la société Cerdan occasion,

3°/ à Mme [K] [R], domiciliée [Adresse 2], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Cerdan occasion,

défenderesses à la cassation.
L'affaire initialement orientée à la première chambre civile, a été renvoyée, par une ordonnance du 4 janvier 2023 du premier président, devant une chambre mixte composée de la première chambre civile, de la troisième chambre civile et de la chambre commerciale.

La demanderesse au pourvoi invoque, devant la chambre mixte, un moyen de cassation.

Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Zribi et Téxier, avocat de la société Hyundai Motor France.

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SARL Didier et Pinet, avocat de la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne.

Le rapport de Mme Bacache, conseiller rapporteur, et l'avis écrit de Mme Guéguen, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Bacache, conseiller, assistée de Mme Konopka, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Zribi et Téxier, de la SARL Didier et Pinet, et l'avis de Mme Guéguen, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 16 juin 2023 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Chauvin, Mme Teiller, M. Vigneau, présidents, Mme Bacache, conseiller rapporteur, M. Echappé, Mmes Duval-Arnould, Darbois, doyens de chambre, Mme Fontaine, MM. Boyer, Fulchiron, Mmes Abgrall, Ducloz, conseillers, Mme Guéguen, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 5 mai 2021), le 27 octobre 2010, M. [I] et Mme [P] (les acquéreurs) ont acheté un véhicule d'occasion de la société Cerdan occasion (le vendeur) qui l'avait elle-même acheté, le 23 mars 2007, de la société Hyundai Motor France (le fabricant).

2. Le 23 décembre 2014, invoquant des dysfonctionnements, les acquéreurs ont assigné en référé, pour obtenir la désignation d'un expert, leur assureur et le vendeur, lequel a, le 29 juin 2015, assigné le fabricant afin de lui voir déclarer communes et opposables les opérations d'expertise.

3. Les 19 avril et 3 mai 2016, les acquéreurs ont assigné en indemnisation, sur le fondement de la garantie des vices cachés, l'assureur, le vendeur et le fabricant. Le vendeur a sollicité la garantie du fabricant qui a opposé la prescription des actions à son encontre.

4. Le vendeur a été condamné à indemniser les acquéreurs au titre de la garantie des vices cachés. La société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, son assureur, est intervenue volontairement à l'instance d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Hyundai Motor France fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action récursoire de la société Cerdan Occasion dirigée à son encontre et de la condamner à garantir celle-ci de toutes les condamnations prononcées contre elle alors « que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être formée par l'acquéreur, non seulement dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, mais encore dans le délai de la prescription extinctive de droit commun ; que la prescription de cette action fait obstacle à ce que le vendeur intermédiaire, qui ne dispose pas de plus de droits que l'acquéreur final, puisse exercer son action récursoire contre le constructeur ; qu'en jugeant que la prescription de l'action récursoire de la société Cerdan Occasion a commencé à courir à compter de son assignation par les consorts [I]-[P], le 23 décembre 2014, quand il résultait de ses propres constatations qu'à cette date, la prescription de l'action contre le constructeur était d'ores et déjà acquise pour avoir couru à compter de la vente initiale intervenue le 23 mars 2007, la cour d'appel a violé les articles 1648 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 1648, alinéa 1, du code civil, l'action en garantie des vices cachés doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

7. Avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la Cour de cassation jugeait que l'action en garantie légale des vices cachés, qui devait être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, devait également être mise en oeuvre dans le délai de prescription extinctive de droit commun, dont le point de départ n'était pas légalement fixé et qu'elle a fixé au jour de la vente (Com., 27 novembre 2001, pourvoi n° 99-13.428, Bull. 2001, IV, n° 187 ; 3e Civ., 16 novembre 2005, pourvoi n° 04-10.824, Bull. 2005, III, n° 222).

8. Dans les contrats de vente conclus entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, cette prescription était celle résultant de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, qui prévoyait une prescription de dix ans. Dans les contrats de vente civile, cette prescription était celle prévue à l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008 précitée, d'une durée de trente ans.

9. Cependant, la loi du 17 juin 2008, qui a réduit à cinq ans le délai de prescription extinctive de droit commun des actions personnelles ou mobilières désormais prévu à l'article 2224 du code civil, a fixé le point de départ de ce délai au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

10. Elle a de même réduit à cinq ans le délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce afin de l'harmoniser avec celui de l'article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ.

11. Elle a également introduit à l'article 2232, alinéa 1, du code civil une disposition nouvelle selon laquelle le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

12. Ce délai constitue le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées (Ass. plén., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-20.559, publié).

13. Par ailleurs, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459, publié ; 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.031, publié ; 2e Civ., 10 mars 2022, pourvoi n° 20-16.237, publié ; Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, publié).

14. Il s'ensuit que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil, à savoir la découverte du vice.

15. Dès lors, les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l'action en garantie des vices cachés.

16. Il en résulte que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

17. L'article 2232 du code civil ayant pour effet, dans les ventes commerciales ou mixtes, d'allonger de dix à vingt ans le délai pendant lequel la garantie des vices cachés peut être mise en oeuvre, le délai-butoir prévu par ce texte relève, pour son application dans le temps, des dispositions transitoires énoncées à l'article 26, I, de la loi du 17 juin 2008, selon lequel les dispositions qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

18. Il en résulte que ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de cette loi, si le délai de prescription décennal antérieur n'était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie.

19. En ce qui concerne les ventes civiles, le même dispositif ayant pour effet de réduire de trente à vingt ans le délai de mise en oeuvre de l'action en garantie des vices cachés, le délai-butoir de l'article 2232 du code civil relève, pour son application dans le temps, des dispositions de l'article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, et est dès lors applicable à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

20. La cour d'appel a constaté que la vente à l'origine de la garantie invoquée au soutien de l'action récursoire avait été conclue par le fabricant le 23 mars 2007.

21. Il en résulte que l'action récursoire intentée le 29 juin 2015 par le vendeur contre le fabricant, moins de vingt ans après, est recevable.

22. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a déclaré recevable l'action récursoire du vendeur contre le fabricant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Hyundai Motor France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt et un juillet deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:MI00292

Le délai de l'article 1648, alinéa 1, du code civil en garantie des vices cachés est de prescription susceptible de suspension en application de l'article 2239 de ce code

 Note T. Genicon, D. 2023, p. 1728.

Note G. Leroy, GP 2023-33, p. 18.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR DE CASSATION LM


CHAMBRE MIXTE


Audience publique du 21 juillet 2023

Cassation partielle

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 290 B+R

Pourvoi n° T 21-15.809



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, DU 21JUILLET 2023


1°/ la compagnie d'assurances Zurich Insurance PLC, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ la société DS Smith France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° T 21-15.809, contre l'arrêt rendu le 17 février 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Gaifin SRL, dont le siège est [Adresse 3] (Italie), défenderesse à la cassation.

L'affaire initialement orientée à la chambre commerciale a été renvoyée, par une ordonnance du 22 septembre 2022 du premier président, devant une chambre mixte composée de la première chambre civile, de la troisième chambre civile et de la chambre commerciale.

Les demanderesses au pourvoi invoquent, devant la chambre mixte, des moyens de cassation.

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la compagnie d'assurances Zurich Insurance PLC et de la société DS Smith France SAS.

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de la société Gaifin SRL.

Des observations en réplique ont été déposées par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la compagnie d'assurances Zurich Insurance PLC et de la société DS Smith France SAS.

Le rapport de Mme Fontaine, conseiller rapporteur, et l'avis écrit de Mme Guéguen, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, assistée de Mme Konopka, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier et l'avis de Mme Guéguen, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 16 juin 2023 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Chauvin, Mme Teiller, M. Vigneau, présidents, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, M. Echappé, Mmes Duval-Arnould, Darbois, doyens de chambre, MM. Boyer, Fulchiron, Mmes Abgrall, Bacache, Ducloz, conseillers, Mme Guéguen, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 février 2021), la société Greci Agro-Industriale SRL (la société Greci), producteur de produits alimentaires longue conservation à destination des professionnels, se fournissait en poches de conditionnement stériles et hermétiques auprès de la société Rapak.

2. Des clients ayant soutenu qu'un gonflement anormal des poches avait entraîné la détérioration de leurs produits, la société Greci a déclaré le sinistre à son assureur, la société Zurich Insurance PLC (la société Zurich), qui a diligenté une expertise amiable.

3. Le 16 mai 2013, la société Greci a saisi une juridiction italienne qui a désigné un expert le 24 septembre 2013.

4. Le 25 novembre 2015, la société italienne Gaifin, cessionnaire de la créance de la société Greci, a assigné les sociétés DS Smith France, venant aux droits de la société Rapak, et Zurich en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Les sociétés DS Smith France et Zurich font grief à l'arrêt de rejeter leur fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action en garantie des vices cachés engagée par la société Gaifin et de dire cette dernière recevable en ses demandes, alors « que la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie des vices cachés ; qu'en énonçant que "le délai de 2 ans [de l'article 1648, alinéa 1, du code civil] est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du code civil, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée" (arrêt p. 5, dernier §), pour en déduire qu'était recevable l'action en garantie des vices cachés intentée par la société Gaifin par assignation au fond du 25 novembre 2015, soit moins de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire le 19 décembre 2013 (arrêt p. 6, § 3), la cour d'appel a violé les articles 1648 et 2239 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

8. En application de l'article 1648 de ce code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l'action résultant de tels vices rédhibitoires devait être intentée par l'acquéreur dans un bref délai, suivant la nature de ces vices et l'usage du lieu où la vente avait été faite.

9. L'article 3 de l'ordonnance précitée a substitué à ce bref délai un délai biennal.

10. Dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 mars 2009, issue de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, l'article 1648 du code civil prévoit, en son premier alinéa, que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, en son second alinéa, que, dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.

11. Dans ce second alinéa, le législateur a pris le soin de préciser qu'il s'agissait d'un délai de forclusion.

12. En revanche, il n'a pas spécialement qualifié le délai imparti par le premier alinéa à l'acheteur pour agir en garantie contre le vendeur en application de l'article 1641 du code civil.

13. La Cour de cassation l'a parfois qualifié de délai de forclusion (3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289 ; 3e Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-22.670, publié), parfois de délai de prescription (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 18-24.365 ; 1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.824 ; 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.070 ; Com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-29.013).

14. Les exigences de la sécurité juridique imposent de retenir une solution unique.

15. Dans le silence du texte, il convient de rechercher la volonté du législateur.

16. D'une part, tant le rapport au président de la République accompagnant l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 que le rapport n° 2836 du 1er février 2006 fait au nom de la commission des affaires économiques de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de ratification de cette ordonnance ainsi que le rapport n° 277 du 23 mars 2006 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat sur ce même projet de loi de ratification mentionnent un délai de prescription pour l'action en garantie des vices cachés du code civil.

17. D'autre part, l'objectif poursuivi par le législateur étant de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d'une réparation en nature, d'une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d'un vice caché, l'acheteur doit être en mesure d'agir contre le vendeur dans un délai susceptible d'interruption et de suspension.

18. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger que le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil est un délai de prescription.

19. La cour d'appel a énoncé, en premier lieu, que le délai de deux ans prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil pour intenter l'action en garantie des vices rédhibitoires est interrompu par une assignation en référé conformément à l'article 2241 de ce code, en second lieu, que ce délai est en outre suspendu lorsque le juge a fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès en application de l'article 2239 du même code, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.

20. Après avoir retenu que la saisine de la juridiction italienne, le 16 mai 2013, avait interrompu la prescription jusqu'au 24 septembre 2013, date de l'ordonnance ayant désigné l'expert, elle a relevé que celui-ci avait déposé son rapport le 19 décembre 2013 et que l'assignation au fond avait été signifiée le 25 novembre 2015.

21. Ayant ainsi retenu à bon droit que le délai prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil pour exercer l'action en garantie des vices cachés est un délai de prescription susceptible de suspension en application de l'article 2239 de ce code, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action n'était pas prescrite.

22. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

23. Les sociétés DS Smith France et Zurich font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société Gaifin la somme de 377 343,78 euros en réparation de son préjudice économique, avec intérêts légaux et capitalisation, alors « que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties ; qu'en se fondant exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de la société Gaifin, à savoir un rapport de son expert-comptable (sa pièce 56 en appel), pour retenir que celle-ci démontrait, qu'au préjudice résultant des poches (prétendument) défectueuses livrées aux clients, évalué par le jugement à la somme de 13 795,04 euros, s'ajoutait un préjudice lié aux pulpes de tomates détectées par la société Greci avant commercialisation s'élevant à la somme de 363 548,74 euros, soit la somme totale de 377 343,78 euros (arrêt p. 8, §§ 3 à 6), la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

24. En application de ce texte, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.

25. Pour condamner les sociétés DS Smith France et Zurich au paiement d'une certaine somme en réparation du préjudice économique subi par la société Gaifin, l'arrêt constate qu'au vu du rejet partiel de ses prétentions en première instance, la société Gaifin produit une nouvelle pièce, le rapport de M. [I], expert-comptable.

26. Après avoir analysé ce seul rapport, il retient qu'il est ainsi démontré qu'au préjudice résultant des poches défectueuses livrées aux clients, justement évalué par le jugement, s'ajoute un préjudice lié aux poches défectueuses détectées par la société Greci avant leur commercialisation.

27. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui, pour apprécier l'existence du second chef de préjudice, s'est fondée exclusivement sur le rapport d'expertise amiable établi non contradictoirement à la demande de la société Gaifin et produit par elle en appel, sans relever l'existence d'autres éléments de preuve le corroborant, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

28. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant in solidum les sociétés DS Smith et Zurich à payer à la société Gaifin une certaine somme en réparation de son préjudice économique entraîne la cassation des chefs de dispositif portant sur la capitalisation des intérêts, les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit la société Gaifin recevable en ses demandes et constate que la société DS Smith France vient aux droits de la société Rapak, l'arrêt rendu le 17 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Gaifin SRL aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt et un juillet deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:MI00290