mercredi 15 janvier 2025

Quand la cour d'appel, fait preuve d'un formalisme excessif...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 décembre 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1202 F-B

Pourvoi n° Y 22-11.816





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024


M. [B] [M], domicilié [Adresse 1] (Vietnam) a formé le pourvoi n° 22-11.816 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société TQN Solar, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société JMB Solar,

2°/ à M. [R], domicilié [Adresse 3] (Chine),

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. [M], de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société TQN Solar, anciennement dénommée JMB Solar, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [M] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [R].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 novembre 2021), la société JMB Solar (la société) a attrait M. [M] et M. [R], tant en leur qualité personnelle qu'en leur qualité de président et directeur général de la société Upsolar Europe, devant un tribunal de commerce à l'occasion d'un litige relatif à la fourniture de modules photovoltaïques.

3. Par déclaration du 28 avril 2021, M. [M] a interjeté appel du jugement de ce tribunal ayant rejeté son exception d'incompétence et, sur autorisation donnée par ordonnance du 7 mai 2021 d'une présidente de chambre, sur délégation du premier président de la cour d'appel, il a assigné la société et M. [R] pour le jour fixé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son appel, alors « que les juges ne peuvent porter une atteinte excessive au droit à l'exercice d'un recours ; qu'en considérant que l'appel de M. [M] était irrecevable au seul motif que la copie de l'ordonnance l'autorisant à assigner à jour fixe annexée à l'assignation à jour fixe signifiée aux parties était dépourvue de la signature, sans constater aucune autre différence quant au contenu de cette décision, sa motivation et sa date, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionnée au droit des exposants à l'exercice d'un recours, et violant l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société TQN Solar conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.

6. Cependant, le moyen invoque une atteinte à la substance même du droit d'accès au juge et n'appelle la prise en considération d'aucun élément de fait qui ne résulterait pas des constatations de l'arrêt.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85, alinéa 2, et 920, alinéas 1er et 2, du code de procédure civile :

8. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

9. Il résulte du deuxième que l'appel dirigé contre la décision d'une juridiction de premier degré, statuant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat et que l'ordonnance du premier président n'a alors pour objet que de fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité.

10. Aux termes du troisième, l'appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé. Copies de la requête, de l'ordonnance du premier président, et un exemplaire de la déclaration d'appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d'appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l'article 919, sont joints à l'assignation.

11. Il en résulte que, saisie d'une fin de non-recevoir soulevée par l'intimé tirée de ce que la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation n'est pas signée, la cour d'appel est tenue de vérifier sa concordance par rapport à l'exemplaire de cette ordonnance signée et datée qui doit figurer au dossier de la procédure en vertu de l'article 918 du code de procédure civile. C'est seulement à défaut d'intégrité de la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation, que la sanction de l'irrecevabilité est encourue et toute autre interprétation relèverait d'un formalisme excessif.

12. Ainsi, retenant qu'en matière d'appel d'un jugement d'orientation qui doit être formé selon la procédure à jour fixe, il incombe à l'appelant , représenté par un avocat, de joindre à l'assignation à jour fixe une copie intègre de l'ordonnance du premier président, par rapport à l'ordonnance figurant aux pièces de la procédure, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt ayant vérifié et constaté que les deux copies de l'ordonnance n'étaient pas les mêmes (2e Civ., 20 mai 2021, n° 19-19.259, publié).

13. Pour déclarer irrecevable l'appel de M. [M] , l'arrêt retient que la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation à jour fixe signifiée le 3 juin 2021 est dépourvue de toute signature, ce qui ne permet pas de vérifier la régularité de la procédure par comparaison avec l¿ordonnance signée figurant au dossier de la cour.

14. En statuant ainsi, en prononçant l'irrecevabilité de l'appel au seul vu de la copie de l'ordonnance non signée, alors qu'elle devait vérifier sa concordance par rapport à l'exemplaire figurant au dossier de la procédure, notamment quant à son contenu et à la mention de la date de l'audience, la cour d'appel, faisant preuve d'un formalisme excessif, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Condamne la société TQN Solar aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société TQN Solar et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. ECLI:FR:CCASS:2024:C201202

Le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 décembre 2024




Cassation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1186 F-D

Pourvoi n° G 22-13.205

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [S].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 6 janvier 2022.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024

Mme [T] [S], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 22-13.205 contre le jugement rendu le 28 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, dans le litige l'opposant à l'établissement public Paris Habitat OPH, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat de Mme [S], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 28 juin 2021), rendu en dernier ressort, l'établissement public Paris Habitat OPH (le bailleur) a donné en location un appartement à Mme [S] (la locataire).

2. Invoquant divers désordres affectant les lieux loués ainsi que les parties communes de l'immeuble, la locataire a saisi, par une requête, un tribunal judiciaire en réparation des préjudices en résultant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La locataire fait grief au jugement de la déclarer irrecevable en sa requête et en ses demandes contre le bailleur, alors :

« 1°/ que le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause ; que pour prononcer la nullité de la requête de l'exposante, le tribunal a retenu que cet acte était dépourvu des mentions prescrites par la loi, soit un objet déterminé, un exposé sommaire des motifs et l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée, dès lors que le montant réclamé à titre principal par la demanderesse, soit 2 000 euros, n'est pas déterminé dans son objet en ce qu'il ne correspond à aucun poste identifié ; qu'en statuant ainsi quand, dans sa requête, Mme [S] réclamait en outre le paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts aux motifs du non-respect, par le bailleur, de ses obligations, tenant à l'absence de gardien, à des problèmes de sécurité, à des cambriolages, à la présence de squatteurs, à des pannes d'ascenseur, à la présence de cafards, de punaises, de souris et de rats, ainsi qu'à des fissures et des infiltrations d'eau dans son appartement, de sorte que cet acte comportait un objet déterminé et motivé, et était donc conforme aux prescriptions des articles 54, 57 et 1137 du code de procédure civile, le tribunal a dénaturé le sens et la portée de la requête qui le saisissait et violé l'article 1192 du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause ; que pour prononcer la nullité de la requête, le tribunal a retenu que les demandes de Mme [S] s'analysaient en des demandes « de faire » adressées au bailleur Paris Habitat OPH, à savoir effectuer toutes réparations en vue de la cessation des nuisances subies, et qu'ainsi, s'agissant de demandes indéterminées, Mme [S] aurait dû procéder par voie d'assignation, et non par requête ; qu'en statuant ainsi quand, dans sa requête, Mme [S], qui invoquait le non-respect par le bailleur de ses obligations, tenant à l'absence de gardien, à des problèmes de sécurité, à des cambriolages, à la présence de squatteurs, à des pannes d'ascenseur, à la présence de cafards, de punaises, de souris et de rats, ainsi qu'à des fissures et des infiltrations d'eau dans son appartement, réclamait le paiement d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts et présentait ainsi une demande indemnitaire et non une demande « de faire », le tribunal a dénaturé le sens et la portée de la requête et violé l'article 1192 du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 54 du code de procédure civile et l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

5. Selon ce texte, la demande initiale formée par requête doit mentionner, à peine de nullité, notamment l'objet de la demande.

6. Pour déclarer la locataire irrecevable en sa requête et en ses demandes, le jugement retient que le montant réclamé à titre principal par la demanderesse, soit 2 000 euros, n'est pas déterminé dans son objet en ce qu'il ne correspond à aucun poste identifié et que les demandes de la locataire s'analysent en des demandes « de faire », par nature indéterminées, nécessitant de procéder par voie d'assignation.

7. En statuant ainsi, alors, d'une part, que dans sa requête, la locataire demandait la condamnation du bailleur à lui verser une somme 2 000 euros à titre principal et une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation des troubles subis du fait des désordres affectant l'immeuble, l'objet de sa demande étant bien déterminé, et, d'autre part, qu'elle ne formait qu'une demande en paiement et non une demande « de faire », le tribunal a dénaturé la requête et violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 28 juin 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;

Condamne l'établissement public Paris Habitat OPH aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'établissement public Paris Habitat OPH à payer à Me [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.ECLI:FR:CCASS:2024:C201186

Le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 décembre 2024




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1192 F-D

Pourvoi n° H 22-15.964



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024


La société Sivas, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 1], a formé le pourvoi n° H 22-15.964 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2021 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société L'Immobilière européenne des mousquetaires, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Sivas, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société L'Immobilière européenne des mousquetaires, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 décembre 2021), le 29 septembre 2009, la société Norminter lyonnais, aux droits de laquelle vient la société L'Immobilière européenne des mousquetaires (le créancier) a fait pratiquer, sur le fondement d'un titre exécutoire judiciaire, une saisie-attribution à l'encontre de la société Sivas (la société) entre les mains du notaire chargé de la réitération d'une promesse synallagmatique de vente souscrite par le créancier au profit de la société Sivas.

2. La société a assigné le créancier en mainlevée de cette saisie devant un juge de l'exécution qui l'a déboutée de sa demande par un jugement du 3 juin 2010, confirmé en appel.

3. Statuant sur renvoi après cassation (3e Civ., 10 juillet 2012, pourvoi n° 11-19.320 et 11-19.316), une cour d'appel a, par arrêt du 15 décembre 2015, infirmé, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 3 juin 2010 par le juge de l'exécution et ordonné, en conséquence, la mainlevée de cette saisie.

4. Par actes des 26 novembre et 15 décembre 2020, la société a saisi un juge de l'exécution en nullité de nouveaux actes d'exécution pratiqués à son encontre en vertu du même titre. Elle a également formé une demande de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la saisie-attribution initiale dont la mainlevée a été ordonnée judiciairement.

5. Par un jugement du 17 juin 2021, ce juge a validé pour partie les nouvelles mesures d'exécution et déclaré irrecevable comme prescrite la demande de dommages et intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite sa demande indemnitaire tirée du caractère abusif de la saisie-attribution pratiquée le 29 septembre 2009 entre les mains du notaire, alors « qu'en cas d'abus de saisie, le délai de prescription de l'action tendant à la condamnation du créancier saisissant à des dommages et intérêts ne court qu'à compter de la date à laquelle le caractère abusif de la saisie litigieuse a été reconnu par une décision de justice passée en force de chose jugée ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande indemnitaire formée par la société Sivas tirée du caractère abusif de la saisie-attribution pratiquée le 29 septembre 2009, que le caractère irrégulier de la saisie était incontestablement connu de la société débitrice qui l'a contestée devant le juge de l'exécution en 2009 et qu'il importait peu à cet égard que la mainlevée de la saisie n'ait été définitivement prononcée que le 15 décembre 2015, puisque dès l'origine la société Sivas en connaissait le vice », cependant que le point de départ du délai de la prescription de cette demande indemnitaire ne pouvait être fixé qu'à la date de la décision ayant définitivement annulé la saisie-attribution litigieuse et reconnu son caractère abusif, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

8. La Cour de cassation a notamment jugé (Ch. mixte., 19 juillet 2024, pourvoi n° 20-23.527, publié) qu'il se déduit de l'article 2224 du code civil que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.

9. Ayant exactement retenu que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la manifestation du dommage ou de la date à laquelle la victime en a eu connaissance, et constaté que le dommage, caractérisé par l'immobilisation des fonds saisis ayant fait obstacle au projet de construction de la société, s'est réalisé dès la mise en oeuvre de la saisie-attribution entre les mains du notaire, le caractère irrégulier de la saisie-attribution étant connu de la débitrice qui l'avait contestée devant le juge de l'exécution en 2009, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a décidé que la demande de dommages et intérêts, formée le 26 novembre 2020, soit plus de dix années après la saisie, était prescrite, peu important le fait que la mainlevée de la saisie n'ait été définitivement prononcée que le 15 décembre 2015.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sivas aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sivas et la condamne à payer à la société L'Immobilière européenne des mousquetaires la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.ECLI:FR:CCASS:2024:C201192

Si les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 décembre 2024




Annulation


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1195 F-D

Pourvoi n° D 22-18.353






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024


M. [R] [J], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-18.353 contre l'arrêt n° RG : 21/17450 rendu le 29 avril 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à la société Eiffage énergie système - Clemessy services, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Clemessy services, défenderesse à la cassation.

Partie en intervention volontaire :

Le Conseil national des barreaux (CNB), dont le siège est [Adresse 1].

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bonnet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [J], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Eiffage énergie système - Clemessy services, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du Conseil national des barreaux (CNB), et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bonnet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 avril 2022), par déclaration d'appel du 26 février 2018, M. [J] a relevé appel d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes, dans un litige l'opposant à la société Eiffage énergie système - Clemessy services, anciennement dénommée Clemessy services, venant aux droits de la société Eiffel industrie.

2. Par une ordonnance du 26 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l'instance.

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire accessoire du Conseil national des barreaux contestée en défense

3. Il résulte des articles 327 et 330 du code de procédure civile que les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie, et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt pour la conservation de ses droits à soutenir cette partie.

4. Le Conseil national des barreaux ne justifiant pas d'un tel intérêt, son intervention volontaire n'est pas recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [J] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle avait déclaré l'instance d'appel périmée, alors « que les parties n'ont plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance, une fois leurs conclusions déposées et leurs pièces communiquées dans les délais impartis par les articles 908 et suivants du code de procédure civile, de sorte que le délai de péremption se trouve suspendu ; qu'en retenant, pour juger l'instance périmée, que lorsque, comme en l'espèce, le conseiller de la mise en état n'a pas fixé de date de clôture et de plaidoiries ni établi un calendrier de nouveaux échanges, les parties doivent néanmoins accomplir des diligences pour faire avancer l'affaire ou obtenir la fixation de la date des débats, peu important l'encombrement du rôle, ce que n'avait pas fait M. [J], appelant, dans les deux ans ayant suivi le dépôt des conclusions de la partie intimée, la cour d'appel a violé les articles 2, 3, 386 et 912 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

6. Aux termes du troisième de ces textes, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

7. Aux termes du deuxième, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.

8. Selon le quatrième de ces textes, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe. Selon le cinquième, l'intimé dispose d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

9. Selon le sixième, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

10. Selon le dernier de ces textes, le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l'affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, sans préjudice de l'article 910-4, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l'avis des avocats.

11. Depuis un arrêt du 7 mars 2024, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais qu'il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.475, publié).

12. Pour confirmer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle avait déclaré l'instance d'appel périmée, l'arrêt relève qu'aucune diligence n'a été accomplie par l'une ou l'autre des parties durant deux années à compter des dernières conclusions récapitulatives et responsives en date du 22 novembre 2018 de l'appelant et l'avis de clôture et de fixation des plaidoiries notifié aux parties le 25 janvier 2021.

13. Si c'est conformément à l'état du droit antérieur à l'arrêt du 7 mars 2024 que la cour d'appel en a déduit que la péremption était acquise, il y a lieu à annulation de l'arrêt attaqué en application de ce revirement de jurisprudence.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

DIT irrecevable l'intervention volontaire du Conseil national des barreaux ;

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Eiffage énergie système - Clemessy services aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.ECLI:FR:CCASS:2024:C201195

Toute clause d'un contrat d'assurance réduisant la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à celle de la responsabilité de l'assuré est réputée non écrite

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 décembre 2024




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1204 FS-B

Pourvoi n° N 22-17.119




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024

La société Font noire énergie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° N 22-17.119 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2022 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Gable Insurance AG, dont le siège est [Adresse 2] (Liechtenstein), représentée par son liquidateur, la société Batliner Wanger Batliner Rechtsanwälte Ag dont le siège est [Adresse 3] (Liechtenstein),

2°/ à la société Batliner Wanger Batliner Rechtsanwälte Ag, dont le siège est [Adresse 3] (Liechtenstein), prise en qualité de liquidateur de la société Gable Insurance Ag,

3°/ à M. [W] [O], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Clément 84,

4°/ à la société AIG Europe, société anonyme, prise en sa succursale néerlandaise dont le siège est [Adresse 5] (Pays-Bas), venant aux droits de la société AIG Europe Limited,

5°/ à la société Allianz Benelux NV, dont le siège est [Adresse 4] (Pays-Bas), anciennement dénommée la société de droit néerlandais Allianz Nederland Corporate Nv,

défendeurs à la cassation.

La société Aig Europe, venant aux droits de la société Aig Europe Limited a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Font noire énergie, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Allianz Benelux NV, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société AIG Europe, venant aux droits de la société AIG Europe Limited et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola conseiller doyen, Mme Cassignard, M. Martin, Mmes Chauve et Salomon, conseillers, M. Ittah, Mme Philippart, M. Riuné, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Font noire énergie du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Gable insurance AG et Batliner Wanger Batliner Rechtsanwälte AG.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 mars 2022), en 2009, la société Font noire énergie a confié à la société Clément 84, assurée auprès de la société Gable insurance AG, l'installation, sur le bâtiment d'un élevage de chevaux, de panneaux photovoltaïques fabriqués par la société Scheuten Solar (la société Scheuten), assurée auprès de la société AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe (la société AIG), et équipés de boîtiers de jonction fournis par la société Alrack BV, assurée auprès de la société Allianz Benelux NV (la société Allianz).

3. En juillet 2012, un départ de feu s'est produit sur un panneau photovoltaïque et, courant 2013, d'autres dysfonctionnements sont apparus.

4. La société Font noire énergie a obtenu l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire.

5. La société Scheuten et la société Alrack BV ont fait l'objet de procédures de liquidation judiciaire aux Pays-Bas et la société Clément 84 a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire, M. [O] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

6. La société Font noire énergie a assigné en responsabilité et en indemnisation de ses préjudices M. [O], ès qualités, la société Gable insurance AG et la société AIG. Cette dernière a appelé en intervention forcée la société Allianz.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches et le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième branches, du pourvoi principal de la société Font noire énergie

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

8. La société Font noire énergie fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de garantie et d'indemnisation formées à l'encontre de la société AIG, alors :

« 3°/ que les dispositions d'ordre public de l'article L. 112-4 du code des assurances imposent qu'une clause d'exclusion de garantie soit mentionnée en caractères très apparents ; qu'en l'espèce, pour écarter la garantie de l'assureur, la cour d'appel a constaté que, si la « clause C.9.1 des conditions particulières (...) permet de prendre en charge, d'une part, les frais afférents à l'élimination des produits livrés défectueux et, d'autre part, les frais afférents à la fourniture et l'installation des produits destinés à remplacer ceux qui étaient défectueux », selon le paragraphe 5 « Limitation dans le temps » de la clause C.9, « la demande d'indemnisation devra se rapporter à des produits fabriqués et livrés après la date d'entrée en vigueur de la couverture et pour lesquels les frais correspondant ont été exposés dans un délai de deux ans après que ces produits ont été livrés » et que ce paragraphe qui « se trouve rédigé en caractères apparents (...) ne contrevient donc pas aux dispositions d'ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances » ; qu'en statuant ainsi quand la clause litigieuse d'exclusion de garantie devait être rédigée en caractères « très apparents » afin d'attirer spécialement l'attention de l'assuré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 et L. 181-3, du code des assurances ;

5°/ que les dispositions d'ordre public de l'article L. 112-4 du code des assurances impose qu'une clause d'exclusion de garantie soit mentionnée en caractères très apparents ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « l'application de la clause C.24 combinée avec celle de la clause C.15 conduit (...) à exclure du préjudice financier indemnisable par l'assureur les dommages causés aux tiers et correspondant à la perte d'argent consécutive aux pertes de production d'électricité liées à la défectuosité des panneaux solaires livrés par l'assuré » et que « les termes clairs de ces clauses dont le rapprochement est exclusif de toute ambiguïté, amène (...) à considérer que la garantie de la société AIG ne peut être mobilisée relativement aux conséquences financières des pertes de production d'électricité, qu'a subi la société Font noire énergie de 2012 à 2016 » ; qu'en statuant ainsi sans constater que ces clauses d'exclusion de garantie étaient rédigées en caractères « très apparents », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-4 et L. 181-3, du code des assurances. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article L. 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

10. Seules les parties au contrat d'assurance pouvant invoquer le non-respect du formalisme prévu par ce texte, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche qui était inopérante, la société Font noire énergie n'étant pas partie au contrat d'assurance souscrit auprès de la société AIG.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

12. La société Font noire énergie fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'est inapplicable comme contraire à l'ordre public, la clause qui limite la durée de la garantie responsabilité civile de l'assureur à un délai inférieur à celui au cours duquel la responsabilité de l'assuré peut être recherchée ce qui prive la victime de l'action directe d'ordre public dont elle est titulaire contre l'assureur ; qu'en retenant en l'espèce que « le paragraphe 5 de la clause C.9 limitant à deux ans à compter de la livraison des produits fabriqués et livrés l'indemnisation par l'assureur des frais de remplacement de ces produits reconnus défectueux, (...) n'a pas pour objet, ni pour effet de vider la garantie souscrite de sa substance, le délai de deux ans à compter de la livraison, durant lequel sont couverts les frais de remplacement des produits défectueux, devant être regardé comme un délai suffisant à garantir les tiers du bon fonctionnement des produits livrés » et en jugeant en conséquence applicable au litige ces dispositions quand il ressort des circonstances mêmes de la cause qu'elles limitaient la durée de garantie de l'assureur à un délai inférieur à celui au cours duquel la responsabilité, que la contrat était censé garantir, pouvait être recherchée et privaient en conséquence la société Font noire énergie, tiers lésé, de son droit d'action directe contre l'assureur, la société AIG, garantissant la responsabilité civile de la société Scheuten déclarée responsable, la cour d'appel a violé ensemble les article L. 124-3 et L. 181-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

13. L'arrêt constate que le paragraphe 5 de la clause C.9 du contrat souscrit par la société Scheuten auprès de la société AIG limite à deux ans à compter de la livraison des produits fabriqués et livrés l'indemnisation par l'assureur des frais de remplacement de ces produits reconnus défectueux.

14. Il résulte de l'article L. 124-3, alinéa 1er, du code des assurances que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

15. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation que toute clause, même d'un contrat d'assurance facultative, ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré est génératrice d'une obligation sans cause et doit être réputée non écrite (notamment, 3e Civ., 26 novembre 2015, pourvoi n° 14-25.761, publié au Bulletin ; Com., 14 décembre 2010, pourvoi n° 08-21.606 et n° 10-10.738, publié au Bulletin ; 1re Civ., 19 décembre 1990, pourvoi n° 88-12.863, publié au Bulletin).

16. Cependant, le contrat liant la société AIG à la société Scheuten est soumis à la loi néerlandaise.

17. Il convient dès lors de vérifier si le fait que le contrat d'assurance conclu entre la société Allianz et la société Alrack BV limite à deux ans la garantie des produits défectueux, alors que la responsabilité de l'assurée peut être engagée pendant une durée supérieure, est contraire à une loi de police au sens de l'article L. 181-3 du code des assurances, texte ayant transposé la deuxième directive 88/357/CEE du Conseil du 22 juin 1988, qui est applicable au présent litige au regard de la date de conclusion du contrat.

18. La Cour de justice de l'Union européenne considère, à propos de la Convention de Rome, que la qualification de dispositions nationales de lois de police et de sûreté par un État membre vise les dispositions dont l'observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'État membre concerné, au point d'en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national dudit État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci (CJUE, arrêt du 17 octobre 2013, C-184/12, United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV, point 47).

19. Elle juge que cette interprétation est également conforme au libellé de l'article 9, paragraphe 1, du règlement Rome I selon lequel une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit la loi applicable au contrat en vertu du règlement (CJUE, arrêt du 17 octobre 2013, C-184/12, United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV, point 48 ; CJUE, arrêt du 18 octobre 2016, Nikiforidis, C-135/15, point 41).

20. Elle décide qu'il revient au juge national, dans son appréciation quant au caractère de « loi de police » de la loi nationale, de tenir compte non seulement des termes précis de cette loi, mais aussi de l'économie générale de celle-ci et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles ladite loi a été adoptée pour pouvoir en déduire qu'elle revêt un caractère impératif, dans la mesure où il apparaît que le législateur national a adopté celle-ci en vue de protéger un intérêt jugé essentiel par l'État membre concerné (CJUE, arrêt du 31 janvier 2019, Da Silva Martins, C-149/18, point 30).

21. Elle précise, à propos du règlement Rome II, que l'application d'une telle disposition exige donc que la juridiction nationale vérifie, outre les termes et l'économie générale de la disposition nationale supposément impérative, les motifs et les objectifs qui ont mené à son adoption, en vue de déterminer si le législateur national avait l'intention de conférer à celle-ci un caractère impératif. Ainsi, cette juridiction doit examiner si cette disposition a été adoptée en vue de protéger un ou plusieurs intérêts que l'État membre du for considère comme essentiels et si le respect de ladite disposition est jugé crucial par ledit État membre pour la sauvegarde de ces intérêts. Il doit résulter de l'appréciation, par la juridiction nationale, de la situation juridique dont elle est saisie que l'application de la même disposition s'avère absolument nécessaire pour protéger l'intérêt essentiel concerné dans le contexte du cas d'espèce (CJUE, arrêt du 5 septembre 2024, Huk Coburg, C-86/23, points 41 à 43).

22. La CJUE rappelle encore qu'eu égard à la définition de la notion de « loi de police », des dispositions nationales qui viseraient à protéger des intérêts individuels ne sauraient être appliquées, par une juridiction nationale, au titre de « dispositions impératives dérogatoires » que pour autant que l'analyse circonstanciée à laquelle elle est tenue de procéder fasse clairement apparaître que la protection des intérêts individuels d'une catégorie de personnes, à laquelle tendent ces dispositions nationales, correspond à un intérêt public essentiel dont elles assurent la sauvegarde (même arrêt, point 46).

23. Par analogie, la loi de police au sens de l'article L. 181-3 du code des assurances doit répondre aux mêmes exigences.

24. L'article L. 124-3 du code des assurances, tel qu'interprété par la Cour de cassation, en ce qu'il ne permet pas de prévoir un délai de garantie inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré, n'est pas une loi dont l'observation, en matière d'assurance facultative, est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable, et, par conséquent, ne constitue pas une loi de police.

25. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen, pris en sa septième branche

26. La société Font noire énergie fait grief à l'arrêt de juger que la garantie de la société Allianz était mobilisable mais relativement aux seuls dommages subis par les panneaux photovoltaïques et les éléments de la couverture du bâtiment qui ont été détériorés à la suite des échauffements internes aux boîtiers, de fixer à la somme de 50 422,86 euros le montant de son préjudice indemnisable et de surseoir à statuer sur le montant précis de la condamnation devant être prononcée à son bénéfice, jusqu'à ce que soit connu le montant global du sinistre sériel en rapport avec les boîtiers fabriqués par la société Alrack BV, alors « que les dispositions d'ordre public de l'article L. 124-3 du code des assurances, qui ouvrent au tiers victime une action directe en paiement contre l'assureur du responsable de son dommage, sont applicables même si le contrat d'assurance n'est pas soumis au droit français ; que l'action directe du tiers lésé relève du droit d'accès au juge ; qu'en l'espèce la société Font noire énergie s'opposait à la suspension de garantie en cas de sinistres sériels prévue par le droit néerlandais en faisant notamment valoir qu'« un tel système conduit assurément à vider de sa substance l'action directe du tiers lésé admise par la loi française et s'avère donc contraire à l'ordre public français » et « ne peut être imposé à une victime qui a droit (...) à la réparation intégrale des dommages subis (...) qui plus est dans un délai raisonnable » ; qu'en retenant que « la règle néerlandaise de suspension des paiements, impliquant une répartition de l'indemnité d'assurance au marc l'euro entre les divers tiers lésés, une fois connu le montant global du sinistre sériel, ne peut être considérée comme contraire aux principes fondamentaux du droit français et à l'ordre public international », tout en constatant que, selon cette règle, « le droit de suspendre le paiement jusqu'à ce que la part proportionnelle de chaque demandeur soit clairement connue revient exclusivement à l'assureur dans la mesure où il existe des doutes raisonnables quant au montant devant être réglé aux personnes lésées », ce qui conduit à vider de sa substance l'action directe du tiers lésé en le privant notamment de son droit d'accès au juge, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 124-3 et L. 181-3 du code des assurances ainsi que l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

27. Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

28. L'arrêt retient qu'il est justifié, eu égard aux procédures en cours en rapport avec les boîtiers fabriqués par la société Alrack BV, de faire application des dispositions de l'article 7 : 954 du code civil néerlandais prévoyant, compte tenu du caractère sériel du sinistre et de l'existence d'un plafond de garantie, que les sommes revenant aux personnes lésées leur soient versées, une fois connu le montant global du sinistre, proportionnellement à leurs préjudices respectifs et dans la limite de ce plafond.

29. Il ajoute qu'il y a lieu de fixer à la somme de 50 422,86 euros le montant du préjudice indemnisable de la société Font noire énergie, mais de surseoir à statuer sur le montant précis de la condamnation susceptible d'être prononcée à son bénéfice, jusqu'à ce que soit connu le montant global du sinistre sériel en rapport avec les boîtiers fabriqués par la société Alrack BV.

30. Cependant, le sursis à statuer prononcé ne prive pas le tiers lésé de son droit d'accès au juge. En effet, la cour d'appel qui a fixé le montant du préjudice statuera sur le montant de la condamnation lorsque l'affaire sera remise au rôle.

31. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Condamne la société Font noire énergie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C201204

Délai de prescription de la créance de l'avocat concernant ses honoraires

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 décembre 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1212 F-B

Pourvoi n° B 23-11.754






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024



1°/ Mme [V] [J], domiciliée [Adresse 3],

2°/ Mme [U] [J], domiciliée [Adresse 1],

3°/ Mme [K] [J], domiciliée [Adresse 6] (Arabie Saoudite),

ont formé le pourvoi n° B 23-11.754 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [I] [C], domicilié [Adresse 5],

2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général Palais de justice, [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mmes [V], [U] et [K] [J], et de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 décembre 2022), M. [C], avocat, a défendu jusqu'au mois d'octobre 1996 les intérêts de [T] [J] et des sociétés Azul résidence et Baticos que celui-ci dirigeait.

2. Par décision du 1er août 2002, le bâtonnier de son ordre a fixé à une certaine somme le montant des honoraires que [T] [J] et les deux sociétés restaient lui devoir.

3. Par ordonnance du 3 décembre 2003, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré irrecevable le recours formé contre la décision ordinale.

4. A la suite du décès de [T] [J], le [Date décès 2] 2012, l'avocat poursuivant le recouvrement de sa créance à l'encontre de Mmes [V], [U] et [K] [J], ayants droit du défunt (les consorts [J]), a fait signifier une opposition à partage auprès du notaire chargé du règlement de la succession et a fait inscrire une hypothèque judiciaire sur divers immeubles appartenant aux intéressées ou dépendant de la succession.

5. Le 21 mai 2015, les consorts [J], soutenant que l'avocat ne disposait pas d'un titre exécutoire, ont assigné l'avocat devant un tribunal de grande instance en vue d'obtenir la mainlevée des inscriptions d'hypothèques et l'annulation de l'opposition à partage.

6. Parallèlement à cette procédure, l'avocat a saisi le président d'un tribunal judiciaire afin qu'il appose la formule exécutoire sur l'ordonnance rendue par le bâtonnier le 1er août 2002. Cette requête a été rejetée par une ordonnance du 19 décembre 2017.

7. L'avocat a interjeté appel de cette ordonnance, et par un arrêt non contradictoire du 5 avril 2022, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé l'ordonnance et a rendu exécutoire la décision du bâtonnier du 1er août 2002.

8. Les consorts [J] ont demandé la rétractation de cet arrêt.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Les consorts [J] font grief à l'arrêt de rejeter leur requête en rétractation de l'arrêt du 5 avril 2022 qui, statuant sur requête non contradictoire a infirmé l'ordonnance du 19 décembre 2017, et a rendu exécutoire la décision rendue par le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Nice le 1er août 2002 au profit de l'avocat, tant à l'encontre des sociétés Azul résidence et Baticos, qu'à l'encontre de [T] [J], aux droits et obligations duquel viennent les consorts [J], redevables ès qualités de la somme principale de 500 000 euros HT soit 598 000 euros HT (lire TTC), alors :

« 1°) que la demande en apposition de la formule exécutoire sur une ordonnance de taxe du bâtonnier doit être regardée comme une action tendant au recouvrement de la créance constatée par l'ordonnance ; que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance ; que le recouvrement d'une créance d'honoraires d'avocats est soumis à la prescription biennale de l'article L. 137-2 ancien devenu L. 218-2 du code de la consommation, laquelle était acquise deux ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 soit le 19 juin 2010 ; qu'en jugeant que la demande en apposition de la formule exécutoire sur une ordonnance de taxe du bâtonnier n'était soumise à aucun délai de prescription et que l'avocat bénéficiaire d'une décision de taxe du bâtonnier de Nice du 1er août 2002 avait valablement pu saisir le 1er décembre 2017 le président du tribunal de grande instance de Nice aux fins d'apposition de la formule exécutoire, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique, les articles 2219 et 2224 du code civil et l'article L. 137-2 ancien devenu L. 218-2 du code de la consommation ;

2°) qu'en admettant même que l'action tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier en date du 1er août 2002 relève de la prescription de droit commun de cinq ans de l'article 2224 du code civil, cette prescription était acquise cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 soit le 19 juin 2013 ; qu'en jugeant que la demande en apposition de la formule exécutoire sur une ordonnance de taxe du bâtonnier n'était soumise à aucun délai de prescription et que M. [C] bénéficiaire d'une décision de taxe du bâtonnier de Nice du 1er août 2002 avait valablement pu saisir le 1er décembre 2017 le président du tribunal de grande instance de Nice aux fins d'apposition de la formule exécutoire, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique et les articles 2219 et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2219 et 2224 du code civil, l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation et l'article 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :

10. Aux termes du premier de ces textes, la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

11. Aux termes du deuxième, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Aux termes du troisième, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans.

13. Le quatrième, qui prévoit que la décision du bâtonnier, rendue en matière de contestation des honoraires, peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, à la requête, soit de l'avocat, soit de la partie, ne fixe aucun délai pour saisir le président du tribunal judiciaire.

14. La Cour de cassation juge que le droit de créance de l'avocat qui, ayant accompli sa mission, n'a pas été payé spontanément par son client se prescrit selon un délai dont la durée dépend de la nature de la relation existant entre eux. Ainsi, la demande est soumise au délai biennal prévu par l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation lorsque la demande est dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n'entrant pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale (2e Civ., 26 mars 2015, pourvoi n° 14-11.599, publié au Bulletin) et, dans les autres cas, au délai de droit commun prévu par l'article 2224 du code civil (2e Civ., 7 février 2019, pourvoi n° 18-11.372, publié au Bulletin).

15. Elle juge également que la décision du bâtonnier, qui ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, fût-elle devenue irrévocable par suite de l'irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d'appel, ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée qu'après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet (2e Civ., 27 mai 2021, pourvoi n° 17-11.220, publié au Bulletin).

16. Ainsi, la décision du bâtonnier ne constitue pas, tant qu'elle n'a pas été rendue exécutoire, un titre exécutoire au sens de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. Elle n'est par conséquent pas soumise au délai de 10 ans prévu pour l'exécution des titres exécutoires à l'article L. 111-4 du même code.

17. Il s'en déduit que la demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit être présentée dans le délai de prescription de la créance.

18. Pour rejeter la requête en rétractation de l'arrêt du 5 avril 2022 qui avait rendu exécutoire la décision du bâtonnier du 1er août 2002, l'arrêt retient que l'apposition de la formule exécutoire n'est pas une action personnelle, immobilière soumise à la prescription prévue par l'article 2224 du code civil et qu'elle ne se confond pas avec une demande en justice au sens de l'article 30 du code de procédure civile.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception de litispendance, les demandes de nullité, d'irrecevabilité, et les fins de non-recevoir soulevées, l'arrêt rendu le 6 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

Condamne M. [C] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C201212