mercredi 28 octobre 2020

Prescription et preuves à la charge de l'assureur s'agissant du contenu de la police

 

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 octobre 2020, 19-18.181, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 octobre 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1029 F-D

Pourvoi n° E 19-18.181


Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de M. E....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 7 mai 2019.






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 OCTOBRE 2020


M. H... E..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° E 19-18.181 contre l'arrêt rendu le 6 novembre 2018 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société GFA Caraïbes, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. E..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société GFA Caraïbes, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 septembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 6 novembre 2018), le 3 décembre 2008, M. E... a déclaré le vol de son véhicule automobile.

2. La société GFA Caraïbes, auprès de laquelle le bien était assuré, (l'assureur) ayant refusé de prendre en charge le sinistre, M. E..., par acte du 19 juin 2012, l'a assignée en garantie.

3. L'assureur lui a opposé la prescription de son action.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. E... fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action contre la société GFA Caraïbes, alors « qu'il appartient à l'assureur de rapporter la preuve de la remise à l'assuré des conditions générales ou d'une notice l'informant des délais de prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, faute de quoi ces délais sont inopposables à l'assuré ; qu'en déclarant prescrite l'action de l'assuré, sous prétexte qu'il n'apportait pas la preuve que les éléments remis par l'assureur ne comportaient pas les informations sur les délais de prescription, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé, ensemble, les articles L. 114-1 et R. 112-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil et les articles L. 114-1 et R. 112-1 du code des assurances :

5. Selon le dernier de ces textes, les polices d'assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance. Il incombe à l'assureur de prouver qu'il a satisfait à ces dispositions, dont l'inobservation est sanctionnée par l'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par le deuxième texte.

6. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action de M. E..., l'arrêt énonce, notamment, que si celui-ci entend se prévaloir de l'inopposabilité du délai biennal de prescription dans le cas où la police d'assurance ne rappelle pas les dispositions concernant la prescription des actions dérivant du contrat, il lui appartient d'apporter la preuve des faits sur lesquels repose son argumentation.

7. L'arrêt retient à cet égard que l'intéressé ne démontre pas que l'exemplaire, qui lui a été remis, des conditions générales du contrat d'assurance ne mentionne pas le délai de prescription des actions en découlant et les modes d'interruption de ce délai, et qu'il contreviendrait ainsi aux prescriptions de l'article R. 112-1 du code des assurances.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;

Condamne la société GFA Caraïbes aux dépens ;

lundi 26 octobre 2020

Nouveau piège de la procédure d'appel...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

MY1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 septembre 2020




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 827 FS-P+B+I

Pourvoi n° C 18-23.626



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 SEPTEMBRE 2020

La société Müflis T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi, dont le siège est Büyükdere Cad. n° 143 Esentepe, 34394 Istanbul (Turquie), agissant en qualité de liquidateur de la banque T. Imar Bankasi T.A.S. représenté par T... O... , domicilé [...] (Turquie), a formé le pourvoi n° C 18-23.626 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. Y... L... N... , domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Müflis. T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. N..., et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Maunand, Leroy-Gissinger, M. Fulchiron, conseillers, M. de Leiris, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mme Dumas, conseillers référendaires, M. Girard, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 septembre 2018), la société T. Imar Bankasi T.A.S.(la banque) ayant fait faillite, la société Müflis T. Imar bankasi T.A.S Iflas idaresi (le liquidateur), a engagé des procédures judiciaires à l'encontre de ses dirigeants, dont M. N.... Ce dernier ayant été condamné par des jugements du tribunal de première d'instance d'Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur de la banque a fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d'associé et valeurs mobilières, ainsi qu'à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée au domicile de M. N.... Ce dernier a saisi un juge de l'exécution à fin de contester ces mesures.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur de la banque fait grief à l'arrêt d'annuler la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017, alors « que l'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès leurs conclusions mentionnées à l'article 905-2, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que l'article 954 ajoute que les prétentions sont récapitulées dans un dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'en prononçant l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté la contestation de M. N... portant sur la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017 et en ce qu'il avait condamné M. N... aux dépens, après avoir constaté que dans le dispositif de ses premières conclusions du 13 mars 2018, signifiées dans le délai d'un mois de l'article 905-2 du code de procédure civile, il n'était pas demandé l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 905-2, 910-4 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

5. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d' appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

6. Ayant constaté que dans le dispositif de ses conclusions, signifiées le 13 mars 2018, l'appelant ne demandait pas l'infirmation du jugement attaqué mais l'annulation des saisies, leur mainlevée ou leur cantonnement, la cour d'appel ne pouvait que confirmer ce jugement.

7. Toutefois, la déclaration d'appel étant antérieure au présent arrêt, il n'y a pas lieu d'appliquer la règle énoncée au paragraphe 4 au présent litige.

8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

9. Le liquidateur de la banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, qui dispose qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est applicable qu'aux mesures d'exécution forcée et non aux mesures conservatoires ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte étant inapplicable aux saisies conservatoires, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que la référence, par l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, en ce qu'elle laisse penser que le texte se rapporte à la seule saisie vente, ainsi d'ailleurs qu'il ressort des travaux parlementaires, puisque l'exigence d'un commandement de payer pour une saisie conservatoire retirerait tout effet utile à la saisie, en affecte la cohérence et la clarté quant à son champ d'application ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'à supposer l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution applicable aux mesures conservatoires, le non-respect de cette disposition, qui prévoit qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte, à le supposer applicable aux saisies conservatoires, n'étant pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et des meubles.

11. Nonobstant l'emplacement de ce texte dans le Livre 1 du code des procédures civiles d'exécution, intitulé « dispositions générales », sa lettre même, qui exige que l'entrée dans un lieu servant à l'habitation et l'ouverture éventuelle des portes et des meubles soient précédées d'un commandement et que l'huissier de justice justifie d'un titre exécutoire, exclut son application à une mesure conservatoire, qui, en application de l'article L. 511-1 du même code, ne nécessite pas la délivrance préalable d'un commandement et peut être accomplie sans titre exécutoire.

12. Toutefois, s'il résulte de l'article L. 521-1 du même code, selon lequel la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l'ouverture des portes et des meubles, le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile, également consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, exclut qu'une telle mesure puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.

13. Une mesure conservatoire ne peut, par conséquent, être pratiquée dans un lieu affecté à l'habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l'exécution l' y ait autorisé en application de l'article R. 121-24 du code des procédures civiles d'exécution, et ce même dans l'hypothèse prévue à l'article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. A défaut, la mesure doit être annulée.

14. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, l'arrêt, qui a constaté que l'huissier de justice n'était pas muni de l'autorisation d'un juge pour pénétrer dans le lieu servant à l'habitation de M. N..., se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Müflis T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi agissant en qualité de liquidateur de la banque T. Imar Bankasi T.A.S., représenté par T... O... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Müflis T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi agissant en qualité de liquidateur de la banque T. Imar Bankasi T.A.S., représenté par T... O... et la condamne à payer à M. N... la somme de 3 000 euros ;

mardi 13 octobre 2020

Office du juge, perte de chance et principe de contradiction...

 

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 25 juin 2020, 18-24.402, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 juin 2020




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 573 F-D

Pourvoi n° W 18-24.402




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JUIN 2020

M. W... R..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° W 18-24.402 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (10e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MACIF Provence-Méditerranée, dont le siège est [...] ,

2°/ à M. C... F..., domicilié [...] ,

3°/ à la société Areas Dommages, dont le siège est [...] ,

4°/ à la caisse du RSI Provence-Alpes, dont le siège est [...] ,

5°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. R..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MACIF Provence-Méditerranée, de Me Le Prado, avocat de la société Areas Dommages, après débats en l'audience publique du 13 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 septembre 2018), M. R..., assuré auprès de la société Areas Dommages (la société Areas), et M. F..., assuré auprès de la société MACIF (la MACIF), ont été victimes, le 10 décembre 2009, d'un accident de la circulation dans lequel étaient impliqués leurs véhicules respectifs.

2. M. R... et M. F... ont saisi un tribunal de grande instance aux fins d'être indemnisés de leurs préjudices corporels en présence de la caisse du régime sociale des indépendants Provence-Alpes et de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. R... fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif de fixer son préjudice corporel global à la somme de 681 462,51 euros, de juger que, après imputation des débours exposés par le RSI à hauteur de 343 704,73 euros, l'indemnité lui revenant s'établissait à 337 757,78 euros, de condamner ainsi la MACIF à lui payer une somme réduite à 337 757,78 euros sous déduction des provisions déjà versées par l'assureur et de limiter son droit à réparation au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 113 705,60 euros alors que « les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que le préjudice subi par M. R... au titre de la perte de gains professionnels futurs s'analysait pour partie en une perte de chance, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La MACIF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que M. R... n'aurait pas intérêt à contester l'arrêt qui lui a alloué une certaine somme au titre de sa perte de gains professionnels futurs en réparation d'une perte de chance au motif que la cour d'appel, qui relevait que la capacité de M. R... d'exercer une activité professionnelle n'était pas réduite à néant, aurait dû le débouter purement et simplement de sa demande d'indemnisation.

6. Cependant, M. R... justifie d'un intérêt à contester l'arrêt dès lors que ce dernier lui a alloué une somme inférieure à celle qu'il sollicitait.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de contradiction.

6. Pour fixer le préjudice corporel global de M. R... à la somme de 681 462,51 euros, dire que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 337 757,78 euros et condamner la MACIF à lui payer cette dernière somme, l'arrêt énonce, d'abord, que dans le cas d'une victime considérée comme apte à exercer un autre emploi que celui qu'elle exerçait avant le fait dommageable et qui n'a pas retrouvé d'activité à la date à laquelle la cour statue, il convient de déterminer si la victime n'a pas subi de perte de revenus entre la date de la consolidation et celle de l'arrêt et d'indemniser, pour l'avenir, le préjudice correspondant à la perte de chance de retrouver un emploi, puis retient que, pour la période future à compter de l'arrêt, compte tenu des conclusions de l'expert médical qui a retenu que la capacité de M. R... à exercer une activité professionnelle n'est pas réduite à néant, son préjudice s'analyse en une perte de chance, dont le pourcentage, tenant compte de son âge à la liquidation, soit 49 ans, et des séquelles générant des restrictions médicales, est évalué à 50 %.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de ce que le préjudice indemnisable s'analysait en une perte de chance sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé le texte sus-visé.

Sur la demande de mise hors de cause

8. La cassation n'atteignant aucun chef de dispositif concernant la société Aeras, cette dernière, sur sa demande, sera mise hors de cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen, la Cour :

Met hors de cause la société Areas Dommages ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a infirmé le jugement sur le montant de l'indemnisation de M. R... et les sommes lui revenant et, statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant, a fixé le préjudice corporel global de M. R... à la somme de 681 462,51 euros, dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 337 757,78 euros et condamné la MACIF à payer à M. R... la somme 337 757,78 euros, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 24 janvier 2017, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société MACIF aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MACIF et la condamne à payer à la société Areas Dommages la somme de 1 500 euros et à M. R... la somme de 3 000 euros ;

Regards croisés sur le produit incorporé dans le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux

Etude D. Bakouche et N. Morel, RCA oct. 2020, p. 5. 

Responsabilité des contractants vis-à-vis des tiers : fin d'un débat, début d'un nouveau !

 Alerte C. Coulon, RCA oct. 2020, p. 3

L'entreprise a le devoir de refuser d'exécuter les travaux qu'elle savait inefficaces

 Note Dessuet, RGDA oct. 2020, p. 25.

Note Pagès-de-Varenne, Constr.-urb. oct. 2020, p. 35

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 10 septembre 2020, 19-11.218, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 septembre 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 538 F-D

Pourvoi n° M 19-11.218




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 SEPTEMBRE 2020

La Société européenne de gestion hôtelière (SEGH), société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 19-11.218 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2018 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bloem, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , exerçant sous l'enseigne Hôtel royal Picardie,

2°/ à la société LCIE, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.


Sur le rapport de Mme Dagneaux, conseiller, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la Société européenne de gestion hôtelière, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société LCIE, de Me Laurent Goldman, avocat de la société Bloem, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dagneaux, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 27 novembre 2018), le 1er juillet 2008, la Société européenne de gestion hôtelière (SEGH) a donné à bail commercial un immeuble à usage d'hôtel restaurant bar et salon de thé à une société aux droits de laquelle se trouve la société Bloem.

2. En 2009, à la suite d'infiltrations et d'humidité sur le faux plafond de la zone bar située en rez-de-chaussée et en dessous de la terrasse, une expertise a été ordonnée à la demande de la locataire. La société SEGH a alors confié à la société LCIE des travaux de réfection de l'étanchéité de la terrasse. En 2014, une nouvelle expertise portant sur des désordres dus à des infiltrations d'eau et à des traces d'humidité dans plusieurs zones de l'immeuble a été ordonnée.

3. Après dépôt du rapport d'expertise, la société Bloem a assigné la société SEGH en exécution des travaux préconisés par l'expert et en indemnisation de ses préjudices financiers et de jouissance. La société SEGH a assigné la société LCIE en garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième et le troisième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche




Enoncé du moyen

5 La société SEGH fait grief à l'arrêt de la condamner à procéder à divers travaux au sein de l'immeuble loué, alors « que les obligations du bailleur, prévues aux articles 1719 et 1720 du code civil d'entretenir la chose louée et de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives n'étant pas de l'essence du contrat de louage, les parties sont libres de les restreindre ; qu'il leur est loisible d'insérer dans un contrat de bail des clauses dispensant le bailleur de certaines des obligations qui seraient normalement à sa charge en vertu des articles 1719 et 1720 du code civil ; qu'en l'espèce, le contrat de bail notarié, conclu le 1er juillet 2008, prévoyait que le preneur prenait les lieux dans l'état où ils se trouvaient, sans pouvoir exiger aucune réfection, même en cas de vétusté ou de vice caché et qu'il avait la charge de l'entretien des lieux loués en bon état de réparation, quelle qu'en soit la nature, en ce compris les grosses réparations prévues à l'article 606 du code civil ; qu'en cet état, la cour d'appel qui a retenu néanmoins que la bailleresse était tenue de procéder à des travaux d'installation de ventilation et d'isolant, à des travaux de réfection de l'étanchéité des terrasses, des acrotères et des revêtements intérieures, cependant que la preneuse avait expressément renoncé à pouvoir exiger une quelconque réfection, remise en état, adjonction d'équipements supplémentaires ou travaux quelconques et s'était engagée à prendre à sa charge l'exécution de tous travaux, tant intérieurs qu'extérieurs, y compris ceux portant sur les gros murs, l'entretien et la réparation des terrasses en shingle, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1720 du code civil, par refus d'application. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a retenu qu'il avait été constaté, dès la première expertise, que le couvert de l'immeuble et son étanchéité étaient affectés par des désordres qui n'avaient pas pour origine un manque d'entretien du locataire, mais un défaut d'étanchéité de la couverture affectant la structure de l'immeuble et, lors de la seconde expertise, qu'une réparation inadaptée n'avait pas permis d'y mettre fin.

7. Elle en a exactement déduit que le bailleur, qui ne pouvait s'exonérer de l'obligation lui incombant de délivrer un local conforme à la destination contractuelle, était tenu de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche


Enoncé du moyen

9. La société SEGH fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre la société LCIE, constructeur, alors « que l'acceptation des risques est écartée lorsque le constructeur a accepté de réaliser des travaux qu'il aurait dû refuser d'accomplir en raison de leur inefficacité ; qu'en l'espèce, la société SEGH faisait valoir qu'elle s'était limitée à accepter un devis établi par une entreprise hautement spécialisée et que celle-ci devait refuser d'exécuter des travaux non conformes aux règles de l'art même s'ils lui étaient demandés par son client ; qu'en se bornant, pour exonérer la société LCIE de sa responsabilité, à retenir que la société SEGH avait pris le risque de privilégier la solution insuffisante préconisée par la société LCIE pour des raisons économiques, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il appartenait à la société LCIE, en sa qualité de professionnelle, de faire des travaux conformes aux règles de l'art et d'accomplir son travail avec sérieux - ce qui n'avait pas été le cas, ainsi que cela résultait du rapport d'expertise - et de refuser d'exécuter des travaux inefficaces, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

10. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

11. Pour rejeter la demande de la société SEGH en condamnation de la société LCIE à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, l'arrêt retient que la société SEGH, maître de l'ouvrage, avait été mise en garde par l'expert judiciaire sur le devis présenté par la société LCIE et parfaitement informée que l'ajout d'une étanchéité présentait des risques importants, comme de l'importance de traiter l'étanchéité des acrotères et plus généralement de l'importance de privilégier une reprise totale de l'étanchéité, qu'elle a néanmoins opté pour cette solution plus intéressante économiquement en prenant le risque de manière délibérée et consciente de privilégier la solution insuffisante préconisée par la société LCIE.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s'il n'incombait pas à la société LCIE, en sa qualité de professionnelle, de réaliser des travaux conformes aux règles de l'art et d'accomplir son travail avec sérieux, ce qui ne ressortait pas du rapport d'expertise, et de refuser d'exécuter les travaux qu'elle savait inefficaces, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Demande de mise hors de cause

13. Il y a lieu de mettre hors de cause la société Bloem, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Met hors de cause la société Bloem ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement rejetant la demande de la SEGH en condamnation de la société LCIE à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, l'arrêt rendu le27 novembre 2018 entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur le point cassé, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;

Condamne la société LCIE aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société LCIE à payer à la société SEGH la somme de 3 000 euros, condamne la société SEGH à payer à la société Bloem la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Assurance et défaut d'entretien du bien assuré

 Note Pélisier, RGDA oct. 2020, p. 18.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 juillet 2020, 19-12.836, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JT



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juillet 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 426 F-D

Pourvoi n° V 19-12.836




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020

La société Dupuy Delebecque, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° V 19-12.836 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2018 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Vaesken, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Swisslife assurances de biens, société anonyme, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La société Vaesken a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dagneaux, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Dupuy Delebecque, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société Swisslife assurances de biens, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Vaesken, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dagneaux, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 13 décembre 2018), la société Dupuy-Delebecque est propriétaire de locaux à usage de stockage de produits agricoles donnés à bail en 2003 à la société Vaesken.

2. Le 28 janvier 2013, l'un des bâtiments loués s'est effondré à la suite d'une chute de neige.

3. La société Dupuy-Delebecque a assigné son assureur, la société Swisslife assurances de biens (la société Swisslife), en indemnisation du sinistre. La société Vaesken et la société Allianz Iard, son assureur, sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et cinquième branches, et sur le premier moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société Dupuy-Delebecque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est responsable pour moitié du sinistre et de la condamner à payer diverses sommes à la société Vaesken, alors :

« 1°/ que les parties peuvent aménager conventionnellement les modalités d'exécution des obligations de délivrance et d'entretien qui pèsent sur le bailleur dès lors qu'elles ne déchargent pas le bailleur de son obligation de délivrance ; qu'il était prévu dans le contrat de bail, dont la cour d'appel a relevé que les parties reconnaissaient qu'il était opposable à la société Vaesken, que le locataire devait informer le bailleur de « toute atteinte qui sera[it] portée à la propriété et de toutes dégradations et détériorations qui viendraient à se produire dans les locaux loués et qui rendraient nécessaires des travaux incombant au bailleur » ; qu'en écartant la clause au motif que le bailleur ne peut par une clause relative à l'exécution de travaux dans les lieux loués s'affranchir de son obligation de délivrance et qu' « il appartient [
] au propriétaire, en exécution de son obligation de délivrance, de veiller de façon constante, et sans même à être informé par son locataire de la nécessité de travaux, à l'entretien de son immeuble » quand ladite clause obligeait uniquement le locataire à informer le bailleur des dégradations et détériorations afin qu'il effectue les travaux nécessaires sans décharger ce dernier de son obligation de délivrance, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et les articles 1719, 1720 et 1735 du même code ;

2°/ que la faute de la victime est une cause exonératoire de responsabilité et est exclusive de toute responsabilité lorsqu'elle constitue la cause exclusive du dommage ; que les parties peuvent aménager conventionnellement les modalités d'exécution des obligations de délivrance et d'entretien qui pèsent sur le bailleur dès lors qu'elles ne déchargent pas le bailleur de son obligation de délivrance ; qu'il était prévu dans le contrat de bail, dont la cour d'appel a relevé que les parties reconnaissaient qu'il était opposable à la société Vaesken, que le locataire devait prendre les lieux loués dans l'état où ils se trouvaient au jour de l'entrée en jouissance et informer le bailleur de « toute atteinte qui sera[it] portée à la propriété et de toutes dégradations et détériorations qui viendraient à se produire dans les locaux loués et qui rendraient nécessaires des travaux incombant au bailleur » ; qu'en retenant qu' « il appartient [
] au propriétaire, en exécution de son obligation de délivrance, de veiller de façon constante, et sans même à être informé par son locataire de la nécessité de travaux, à l'entretien de son immeuble » et que la société Dupuy-Delebecque était en partie à l'origine du sinistre en raison de son manquement à l'obligation de délivrance de la chose louée en bon état et de son absence d'entretien de la structure du bâtiment sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ces manquements ne trouvaient pas leur cause dans le fait que la société Vaesken n'avait pas, conformément aux stipulations du contrat de bail, informé la société Dupuy-Delebecque des dégradations et détériorations qui rendaient nécessaires des travaux incombant à cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et des articles 1719, 1720 et 1735 du même code. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'il appartient au propriétaire, en exécution de son obligation de délivrance, de veiller de façon constante, et sans avoir même à être informé par son locataire de la nécessité de travaux à effectuer, à l'entretien de son immeuble.

7. Elle a relevé que la corrosion physique de la structure métallique du bâtiment, due à l'atmosphère marine et à l'humidité, était bien antérieure à la prise de possession des lieux par la locataire, ce dont il se déduisait que ce phénomène était connu de la bailleresse.

8. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que la société Vaesken n'avait pas à aviser la société Dupuy-Delebecque de l'état d'usure de l'immeuble.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis

Enoncé du moyen

10. La société Dupuy-Delebecque et la société Vaesken font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de prise en charge du sinistre par la société Swisslife, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, la société Dupuy-Delebecque avait souscrit une assurance auprès de la société Swisslife prévoyant qu'étaient garantis les dommages matériels directs résultant de l'action directe du poids de la neige ; que pour retenir que le sinistre n'était pas couvert par la garantie souscrite, la cour d'appel a retenu que le sinistre avait son origine dans la corrosion des poteaux structurant le hangar ; qu'en statuant ainsi alors qu'elle constatait que l'effondrement du bâtiment avait bien été déclenché par le poids de la neige, peu important qu'il ait aussi trouvé son origine dans la corrosion des poteaux, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

11. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à eux qui les ont faites.

12. Pour rejeter les demandes de prise en charge du sinistre par la société Swisslife, l'arrêt retient que le poids de la neige sur la toiture n'a été que le fait déclenchant de la ruine du bâtiment causée elle-même par la corrosion des aciers de la structure.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la présence de neige sur le toit du bâtiment avait contribué à son effondrement et qu'il n'était pas contesté que le contrat d'assurance souscrit par la société Dupuy-Delebecque auprès de la société Swisslife garantissait les dommages résultant du poids de la neige accumulée sur les toitures, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de prise en charge du sinistre dirigées par la société Dupuy-Delebecque et par la société Vaesken contre la société Swisslife, l'arrêt rendu le 13 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Coronavrus et droit des contrats

 Editorial, L Mayaux, RGDA oct. 2020, p. 1.

Le gestionnaire du compte prorata, créancier de l’obligation à paiement souscrite par l’entreprise signataire de la convention, dispose, à défaut de clause contraire, de l’ensemble des droits attachés à sa créance et n’est pas tenu, en cours de chantier, de mettre en oeuvre la procédure facultative de délégation de paiement

 

Arrêt n°645 du 23 septembre 2020 (19-18.266) - Cour de cassation - Troisième chambre civile
-ECLI:FR:CCAS:2020:C300645

CONTRAT D’ENTREPRISE

Cassation

Sommaire

Le gestionnaire du compte prorata des dépenses communes d’un chantier, créancier de l’obligation à paiement souscrite par une entreprise signataire de la convention de compte prorata, dispose, à défaut de clause contraire, de l’ensemble des droits attachés à sa créance.

En conséquence, il est recevable à agir en justice, en cours de chantier, en paiement des sommes dues par un entrepreneur au titre du compte prorata, sans être tenu de mettre en œuvre la procédure conventionnelle facultative de délégation de paiement.


Demandeur(s) : Génie civil du bâtiment du Centre (GBC), société à responsabilité limitée
Défendeur(s) : Ateliers bois & compagnie, société par actions simplifiée


Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Dijon,19 février 2019), la société Génie civil du bâtiment Centre (la société GBC), désignée gestionnaire du compte prorata des dépenses communes d’un chantier, réalisé sous la maîtrise d’ouvrage d’une communauté de communes, a obtenu une ordonnance d’injonction de payer contre la société Ateliers bois et compagnie, au titre de deux appels de fonds émis en application de la convention de gestion du compte prorata à laquelle celle-ci avait adhéré.

2. La société Ateliers bois et compagnie a formé opposition.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société GBC fait grief à l’arrêt de déclarer sa demande irrecevable, alors «  que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; que, pour déclarer la société GBC irrecevable en sa demande, la cour d’appel a retenu qu’aux termes de convention de gestion du compte prorata, le gestionnaire du compte prorata établit les factures et reçoit paiement de leurs montants (article C.4), mais que les sommes dont un entrepreneur est redevable au titre de ce compte sont déduites (article 2) du solde (après réception) ou des acomptes (en cours de chantier) qui lui sont dus par le maître de l’ouvrage, et que n’ayant pas usé de la possibilité conventionnelle qu’elle avait de demander à ce dernier le versement de l’impayé, la société GBC n’est pas recevable pour agir en justice contre Ateliers bois aux mêmes fins ; qu’en statuant par ces motifs, tandis qu’il résulte de ses énonciations que le versement par le maître de l’ouvrage n’était qu’une possibilité conventionnelle pour le gestionnaire du compte prorata, la cour d’appel a violé l’article 1134, devenu 1103, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :

4. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

5. Pour déclarer irrecevable la demande en paiement formée par la société GBC, l’arrêt retient qu’aux termes de la convention de compte prorata les sommes dont un entrepreneur est redevable au titre de ce compte sont déduites, après réception, du solde du marché ou, en cours de chantier, des acomptes qui lui sont dus par le maître de l’ouvrage et que, n’ayant pas usé de la possibilité conventionnelle de demander au maître de l’ouvrage le versement de l’impayé pour le compte de la société défaillante, le gestionnaire du compte prorata n’était pas recevable à agir en justice aux mêmes fins.

6. En statuant ainsi, alors que le gestionnaire du compte prorata, créancier de l’obligation à paiement souscrite par l’entreprise signataire de la convention, disposait, à défaut de clause contraire, de l’ensemble des droits attachés à sa créance et n’était pas tenu, en cours de chantier, de mettre en oeuvre la procédure facultative de délégation de paiement, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 février 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Besançon ;


Président : M. Chauvin
Rapporteur : M. Boyer
Avocat général : Mme Vassallo, premier avocat général
Avocat(s) : Me Le Prado - SCP L. Poulet-Odent

lundi 12 octobre 2020

Lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel n'aurait pas été sollicitée par l'intimé

Note Fertier, GP 2020, n° 34, p. 24. 

Note Amrani-Mekki, Procédures, oct. 2020, p. 13.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 2 juillet 2020, 19-16.954, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 juillet 2020




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 629 F-P+B+I

Pourvoi n° W 19-16.954






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUILLET 2020

La société Normafi, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° W 19-16.954 contre l'arrêt rendu le 20 mars 2019 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la Société immobilière du logement de l'Eure, société anonyme, dont le siège est [...] ,

2°/ à M. X... I..., domicilié [...] , pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Normafi,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Leroy-Gissinger, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Normafi, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Société immobilière du logement de l'Eure, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Leroy-Gissinger, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mars 2019), un jugement du 21 septembre 2017 a condamné la société Siloge à payer une certaine somme à la société Normafi et a débouté ces deux sociétés de leurs autres demandes.

2. La société Normafi ayant interjeté appel de cette décision, la société Siloge a soutenu que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande, faute pour l'appelante d'avoir indiqué dans la déclaration d'appel les chefs du jugement critiqués.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Normafi fait grief à l'arrêt de « constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour n'étant saisie d'aucune demande de la société Normafi tendant à voir réformer ou infirmer telle ou telle disposition du jugement entrepris », et dire en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur son appel principal, alors :

« 1° / que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément ; que la déclaration d'appel de la société Normafi indiquait expressément que ce dernier tendait à la « réformation et/ou annulation de la décision sur les chefs » relatifs aux demandes qu'elle énumérait, de sorte que l'appel avait déféré à la cour la connaissance de ces chefs du jugement ; qu'en retenant qu'elle n'aurait été saisie d'aucune demande de la société Normafi tendant à voir réformer « telle ou telle disposition du jugement entrepris », la cour d'appel a violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que la déclaration d'appel définissait expressément l'objet de l'appel dans les termes suivants : « réformation et/ou annulation de la décision sur les chefs suivants : appel aux fins de voir : - prononcer le sursis à statuer - débouter la SA Siloge de toutes ses demandes - constater que les PV de réception ont été établis le 2 mars 2012 - prononcer la réception judiciaire du chantier au 2 mars 2012 - condamner la SA Siloge à transmettre les PV datés du 2 mars 2012, sous astreinte - constater que la SA Siloge reconnaît devoir 95 452,08 euros - écarter toute compensation - ordonner la consignation sous astreinte de 132 000 euros », soit les demandes de la société Normafi rejetées par le jugement et donc, les chefs du jugement par lesquels la société Normafi avait été déboutée de ces demandes ; qu'en retenant que la déclaration d'appel se serait bornée à énumérer certaines demandes de l'appelante, sans qu'il soit « aucunement fait référence » aux chefs du jugement critiqués, la cour d'appel a dénaturé cet acte et violé le principe susvisé ;

3°/ qu'en tout état de cause, la seule sanction attachée à l'absence de mention, dans la déclaration d'appel, des chefs du jugement critiqués, consiste dans la nullité de l'acte pour vice de forme, l'article 562 du code de procédure civile n'édictant aucune fin de non-recevoir ; qu'en déniant à l'appel tout effet dévolutif, sans avoir caractérisé la nullité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé les articles 562 et 901 4° du code de procédure civile ;

4°/ qu'en toute hypothèse, les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en retenant, pour dire qu'elle n'était saisie d'aucune demande tendant à voir réformer le jugement, que la déclaration d'appel se bornait à énumérer des demandes de l'appelante, sans qu'il soit fait référence aux chefs du jugement critiqués, quand le visa, au titre des chefs critiqués, des demandes dont l'appelante avait été déboutée par le tribunal de commerce, ne laissait subsister aucun doute sur l'objet de l'appel, qui critiquait ainsi sans ambiguïté le chef par lequel le jugement avait débouté la société Normafi de ces demandes, la cour d'appel, procédant à une application excessivement formaliste de l'article 562 du code de procédure civile, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, au point de l'atteindre dans sa substance même, et a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

6. En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

7. Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel n'aurait pas été sollicitée par l'intimé.

8. Par ailleurs, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond conformément à l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.

9. Ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit, sont dépourvues d'ambiguïté et concourent à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure. Elles ne portent donc pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d'accès au juge d'appel.

10. Dès lors, la cour d'appel, ayant constaté que la déclaration d'appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l'annulation de la décision sur les chefs qu'elle énumérait et que l'énumération ne comportait que l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge, en a déduit à bon droit, sans dénaturer la déclaration d'appel et sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle n'était saisie d'aucun chef du dispositif du jugement.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Normafi aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Normafi et la condamne à payer à la société Siloge la somme de 3 000 euros ;