mardi 7 mai 2024

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 Etat des travaux législatifs :

  1. Dépôt à l'Assemblée nationale

    Dossier législatif sur le site de l'Assemblée nationale

    • Texte n° 2033 de MM. Jean TERLIER, Jean-Pierre PONT, Laurent MARCANGELI, Florent BOUDIÉ, Sylvain MAILLARD, Didier PARIS, Éric POULLIAT, Daniel LABARONNE, Mmes Caroline ABADIE, Laëtitia SAINT-PAUL, MM. Ludovic MENDES, Jean-Paul MATTEI, Philippe DUNOYER, Guillaume VUILLETET, Guillaume GOUFFIER VALENTE, Gilles LE GENDRE, Mmes Marie LEBEC, Marie GUÉVENOUX, MM. Sacha HOULIÉ, Thomas RUDIGOZ, Rémy REBEYROTTE, Philippe PRADAL, Mmes Sarah TANZILLI, Caroline YADAN, Clara CHASSANIOL, M. Christopher WEISSBERG, Mme Émilie CHANDLER, MM. Marc FERRACCI, Benjamin HADDAD et Mme Laure MILLER, déposé à l'Assemblée Nationale le 21 décembre 2023
  2. Première lecture à l'Assemblée nationale

    Dossier législatif sur le site de l'Assemblée nationale

    1. Travaux de commission

      • Rapport n° 2469 de M. Jean TERLIER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 11 avril 2024
      • Texte de la commission n° 2469 déposé le 11 avril 2024
    2. Séance publique

      • Texte n° 293 adopté par l'Assemblée nationale le 30 avril 2024
  3. Première lecture au Sénat

      • Texte n° 569 (2023-2024) transmis au Sénat le 2 mai 2024

Conditions de récusation d'un juge ayant déjà connu de l'affaire

 Note G. Deharo, SJ G 2024, p. 763.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 mars 2024




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 292 F-B

Pourvoi n° V 22-20.599


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [D].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 5 juillet 2022.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MARS 2024


Mme [Y] [D], domiciliée chez M. [Z] [L], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 22-20.599 contre l'ordonnance rendue le 23 juin 2022 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, 20 place de Verdun, 13616 Aix-en-Provence cedex 1, défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de Mme [D], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 23 juin 2022), Mme [D] a été admise, le 26 mai 2022, en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète.

2. Par ordonnance du 3 juin 2022, confirmée par un arrêt du 17 juin 2022, la poursuite de la mesure a été autorisée par Mme Gaillet, juge des libertés et de la détention.

3. Ayant formé une demande de mainlevée de la mesure fixée à une audience tenue par Mme Gaillet, Mme [D] a sollicité sa récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime au motif que celle-ci avait déjà connu de l'affaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [D] fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime devant une juridiction de même nature et de récusation de Mme Gaillet, juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Grasse, et en conséquence de la condamner au paiement d'une amende civile de 500 euros, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'un même juge ne peut successivement connaître du maintien d'une mesure de soins sans consentement puis de la demande de mainlevée de cette même mesure ; que pour débouter Mme [D] de sa demande de récusation de la magistrate appelée à statuer sur la mainlevée des soins psychiatriques sans consentement dont elle fait l'objet, le Premier Président se borne à affirmer que la requérante ne justifie d'aucun motif sérieux permettant de remettre en cause l'impartialité de ce juge ; qu'en statuant ainsi, le Premier Président n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que le même juge des libertés et de la détention, après avoir rendu une ordonnance de maintien en hospitalisation complète de Mme [D] le 3 juin 2022, était appelé à statuer ensuite sur la demande de mainlevée de cette même mesure, violant ainsi le principe d'impartialité tel qu'il résulte des articles 341 du code de procédure civile et 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que Mme [D] avait sollicité le renvoi pour cause de suspicion légitime et la récusation de Mme Gaillet en application de l'article 341 du code de procédure civile, au motif que celle-ci avait déjà connu de son affaire le 3 juin 2022 ; qu'en rejetant pourtant la demande de Mme [D], au motif qu'elle ne justifiait d'aucun motif sérieux permettant de remettre en cause l'impartialité de Mme Gaillet, sans rechercher s'il existait effectivement un motif sérieux rendant absolument nécessaire sa participation à la formation de jugement de la demande de mainlevée des soins psychiatriques sans consentement présentée par Mme [D] et dont l'audience était fixée au 22 juin, quand cette même magistrat avait ordonné le maintien de ces mesures de soins le 3 juin 2022, de sorte qu'elle avait à l'évidence eu l'occasion de porter un jugement sur le comportement de Mme [D], le Premier Président a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, la récusation d'un juge peut être demandée, notamment, s'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties.

6. L'admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète étant une mesure provisoire qui peut faire l'objet à tout moment, indépendamment de son réexamen obligatoire tous les six mois, d'une demande de mainlevée, le défaut d'impartialité du juge des libertés et de la détention ne saurait se déduire du seul fait que celui-ci a précédemment statué, en application de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, sur la poursuite de la mesure.

7. Il en résulte que c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et sans encourir les griefs du pourvoi, que le premier président de la cour d'appel a rejeté les demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime et de récusation.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [D] fait grief à l'ordonnance de la condamner au paiement d'une amende civile de 500 euros, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ; que pour condamner Mme [D] à une amende civile de 500 euros, le Premier Président se borne à énoncer qu'elle aurait présenté sa requête avec légèreté, malgré les conseils de son avocat qui lui a expliqué à l'audience que les critères de la suspicion légitime n'étaient pas remplis ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, le Premier Président a porté une atteinte disproportionnée au droit du justiciable à soumettre sa cause à une juridiction, en violation des articles 6, § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

10. L'amende civile à laquelle peut être condamné celui dont la requête en récusation est rejetée ou déclarée irrecevable constitue une mesure de procédure civile qui peut être prononcée d'office par le juge, usant du pouvoir qu'il tient de l'article 353, devenu 348, du code de procédure civile.

11. En outre, l'amende civile, qui n'emporte pas détermination d'un droit ou d'une obligation de caractère civil, ne saurait soulever une question d'accès à la justice civile au sens l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la procédure de récusation à l'issue de laquelle elle a été infligée, qui ne porte pas elle-même sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale et ne concerne pas une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil, n'entre pas dans le champ d'application de ce texte.

12. Le moyen est, dès lors, inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C200292

Interruption du délai de péremption d'instance en appel

 Etude, M. Plissonnier, D. 2024, p. 860, sur cass. n° 21-23.230, 21-19.475, 21-19.761 et 21-20.719.

Le contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation

 Etude, V. Fourment, D. 2024, p. 840.

L'effet interruptif attaché à une assignation ne vaut que pour les désordres qui y sont expressément désignés

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mai 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 218 FS-B

Pourvoi n° J 22-23.004





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MAI 2024

La société Imefa 33, société civile, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 22-23.004 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [K] [S], domicilié [Adresse 5],

2°/ à M. [G] [O], domicilié [Adresse 1],

3°/ à la société Pinchinats, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Eiffage construction grands projets, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à la Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Imefa 33, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat des sociétés Pinchinats et Eiffage construction grands projets, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, MM. Pety, Brillet, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 septembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 18 mars 2021, pourvoi n° 20-13.993) et les productions, la société Pinchinats a fait édifier un groupe d'immeubles sous la maîtrise d'oeuvre de MM. [S] et [O], assurés auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).

2. Les travaux de construction ont été confiés à la société SUPAE Ile-de-France (la société SUPAE), aux droits de laquelle vient la société Eiffage construction grands projets (la société Eiffage).

3. La réception est intervenue le 12 juillet 1995.

4. Se plaignant de désordres, la société Imefa 33, à laquelle la société Pinchinats avait vendu des lots, a assigné celle-ci et la société SUPAE en référé aux fins d'expertise.

5. L'expertise, ordonnée le 25 juin 1997, portant notamment sur des désordres se manifestant par des décollements généralisés des peintures, a été ultérieurement rendue commune à MM. [S] et [O] ainsi qu'à la MAF.

6. Sur assignation de la société SUPAE, par arrêt du 5 mai 2000, la mission de l'expert a été étendue à l'examen de dommages ayant affecté les « nourrices » installées par le titulaire du lot plomberie.

7. Les 22, 23, 26, 30 septembre et 1er octobre 2005, la société Imefa 33 a assigné l'ensemble des intervenants aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

8. Ces assignations ayant été annulées, elle a à nouveau assigné les intervenants en réparation par acte du 18 mai 2009.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. La société Imefa 33 fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables, pour prescription, ses demandes contre les sociétés Pinchinats, Eiffage, MAF et MM. [S] et [O] relativement aux désordres tenant aux décollements généralisés des peintures intérieures, alors « que les demandes en justice formées par voie de conclusions, dans le cadre d'une instance ayant pour objet l'extension d'une mesure d'expertise judiciaire à de nouveaux désordres, interrompent la prescription et la forclusion, à l'égard des parties à l'instance auxquelles ces conclusions sont notifiées, pour les droits concernés, c'est-à-dire aussi bien ceux ayant trait aux désordres auxquels l'extension de la mesure d'expertise judiciaire est demandée que ceux ayant trait aux désordres sur laquelle porte la mesure d'expertise judiciaire initiale ; qu'en retenant le contraire, pour, relativement aux désordres tenant aux décollements généralisés des peintures intérieures, dire que la société Pinchinats, la société Eiffage construction grands projets, M. [K] [S], M. [G] [O] et la société Mutuelle des architectes français étaient fondés à se prévaloir de la prescription et déclarer irrecevable l'action de la société Imefa 33 à l'encontre de la société Pinchinats, de la société Eiffage construction grands projets, de M. [K] [S], de M. [G] [O] et de la société Mutuelle des architectes français, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 2244 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, qui sont applicables à la cause. »

Réponse de la Cour

10. L'effet interruptif attaché à une assignation ne vaut que pour les désordres qui y sont expressément désignés (3e Civ., 31 mai 1989, pourvoi n° 87-16.389, Bull. 1989, III, n° 122 ; 3e Civ., 20 mai 1998, pourvoi n° 95-20.870, Bull. 1998, III, n° 104).

11. Cette exigence d'identification des désordres, qui détermine le cours de la prescription de l'acte dirigé contre celui que l'on veut empêcher de prescrire, est destinée à assurer la sécurité juridique des parties en litige.

12. Il en résulte que la demande en justice aux fins d'extension d'une mesure d'expertise à d'autres désordres est dépourvue d'effet interruptif de prescription ou de forclusion sur l'action en réparation des désordres visés par la mesure d'expertise initiale.

13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Imefa 33 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C300218

QPC : démolition d'une construction édifiée dans certaines zones conformément à un permis de construire, ultérieurement annulé

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

COUR DE CASSATION



JL


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 25 avril 2024




NON-LIEU A RENVOI


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 279 FS-B

Pourvoi n° U 24-10.256







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024

Par mémoire spécial présenté le 8 février 2024, la société Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Energie renouvelable du Languedoc, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité (n° 1152) à l'occasion du pourvoi n° U 24-10.256 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2023 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans une instance l'opposant :

1°/ à l'Association protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodévois (APPREL), dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à l'association Vigilance patrimoine paysager et naturel (VPPN), dont le siège est [Adresse 1],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Meier- Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Energie renouvelable du Languedoc, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de l'Association protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodévois, de l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et de l'association Vigilance patrimoine paysager et naturel, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, MM. Pety, Brillet, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Rat, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Par arrêté du 24 avril 2013, le préfet de l'Hérault a délivré à la société Energie renouvelable du Languedoc (la société ERL) un permis de construire pour édifier sept aérogénérateurs et un poste de distribution au lieu-dit « [Localité 4] », sur le territoire de la commune de [Localité 6].

2. Le 10 juillet 2015, la société ERL a déposé en mairie la déclaration d'ouverture du chantier, datée du 30 juin 2015.

3. Le 26 février 2016, elle a déposé sa déclaration, datée du 23 février précédent, attestant de l'achèvement des travaux et de leur conformité avec le permis de construire.

4. Le 19 juillet 2016, le préfet de l'Hérault a délivré le certificat de conformité.

5. Par arrêt du 26 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le permis en raison de l'insuffisance de l'étude d'impact.

6. Par décision du 8 novembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté le pourvoi formé contre cette décision.

7. Le 27 juillet 2018, l'association Vigilance patrimoine paysager et naturel (VPPN) et l'Association protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodévois (APPREL) ont assigné la société ERL en démolition du parc éolien sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et en dommages-intérêts. L'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) est intervenue volontairement à l'instance.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

8. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt, rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-19.778, publié) le 7 décembre 2023 par la cour d'appel de Nîmes, la société ERL a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme, en ce qu'il permet la démolition d'une construction édifiée dans certaines zones conformément à un permis de construire, ultérieurement annulé, ne porte-t-il pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, en méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'une atteinte à la sécurité juridique, en méconnaissance de l'article 16 de cette même Déclaration, faute de réserver toute démolition lorsque le propriétaire dispose d'une autorisation administrative d'exploitation ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

9. La disposition contestée est applicable au litige, qui se rapporte aux conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut ordonner la démolition d'une construction du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, lorsque celle-ci a été édifiée conformément à un permis de construire qui a fait l'objet d'une annulation pour excès de pouvoir.

10. Si, dans sa décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017, le Conseil constitutionnel, en jugeant conformes à la Constitution les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° et les a) à o) du même 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, s'est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de ce texte interdisant l'action en démolition en dehors des zones qu'il vise limitativement, cette décision ne s'est pas prononcée, dans les motifs et le dispositif, sur la possibilité ainsi ouverte au juge judiciaire d'ordonner la démolition lorsque le propriétaire des constructions litigieuses, situées dans une de ces zones, dispose, par ailleurs, d'une autorisation administrative d'exploiter délivrée en application d'une autre législation.

11. Ainsi, l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, en ce que celui-ci ne réserve pas, pour exclure la démolition, le cas des ouvrages dont le propriétaire dispose d'une autorisation administrative d'exploiter, n'a pas été déclaré conforme à la Constitution.

12. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

13. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

14. En effet, en premier lieu, l'autorisation de construire, qui se rapporte aux règles d'implantation et de construction d'un ouvrage, et l'autorisation d'exploiter, qui se rapporte aux conditions d'exploitation d'une activité, n'ont pas le même objet et relèvent de deux législations différentes.

15. Ainsi, alors que l'autorisation unique prévue, à titre expérimental, par l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014, valait, par application de l'article 2 de celle-ci, permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, il résulte des dispositions de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017, que l'autorisation environnementale, contrairement à l'autorisation unique, ne tient pas lieu de permis de construire le cas échéant requis, les rédacteurs de cette ordonnance ayant souligné dans leur rapport au président de la République : « L'autorisation environnementale ne vaut pas autorisation d'urbanisme, celle-ci relevant d'une approche très différente dans ses objectifs, son contenu, ses délais et l'autorité administrative compétente ».

16. Il en résulte, de manière générale, que l'annulation d'une autorisation délivrée au titre d'une législation est, en tant que telle, sans incidence directe, sur l'autorisation délivrée au titre d'une législation distincte (CE, 22 septembre 2014, n° 367889, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

17. En deuxième lieu, la condamnation à démolir susceptible d'être prononcée par le juge judiciaire sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme n'est pas subordonnée à la seule condition que le permis de construire délivré ait été annulé, mais exige du demandeur à l'action qu'il démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe, non pas avec la seule présence des constructions environnantes ne respectant pas les règles d'urbanisme ou les servitudes d'utilité publique, mais avec la violation de la règle d'urbanisme méconnue (3e Civ., 23 novembre 1982, pourvoi n° 81-14.817, publié ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-19.778, publié).

18. En troisième lieu et enfin, il relève de l'office du juge judiciaire, saisi d'une demande de démolition sur le fondement de ce texte, de vérifier si, à la date à laquelle il statue, la règle d'urbanisme dont la méconnaissance a justifié l'annulation du permis de construire est toujours opposable au pétitionnaire, et, le cas échéant, si celui-ci n'a pas régularisé la situation au regard de celles qui lui sont désormais applicables.

19. Il en résulte que la disposition contestée, qui ne méconnaît pas la sécurité juridique, ne porte pas non plus une atteinte excessive au droit de propriété de l'exploitant.

20. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Le conseiller rapporteur le president

Le greffier de chambre ECLI:FR:CCASS:2024:C300279

Le litige était né de l'exécution d'un marché de travaux publics et ne concernait pas l'exécution d'un contrat de droit privé unissant les parties,

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 avril 2024




Cassation sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 217 FS-B

Pourvoi n° J 22-22.912




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024

La société Nexity Property Management, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-22.912 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Concept TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Nexity Property Management, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Concept TP, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 septembre 2022) et les productions, la société SNCF réseau a délégué à la société Nexity Property Management (la société Nexity) la maîtrise d'ouvrage d'un marché de travaux publics ayant pour objet la réalisation d'un péage rail-route.

2. La société Mannucci, titulaire du lot « 01 VRD ¿ gros oeuvre ¿ charpente métallique », a sous-traité à la société Concept TP la réalisation de ces travaux. Son intervention, en cette qualité, a été agréée par la société Nexity.

3. Après la liquidation judiciaire de la société Mannucci, la société Concept TP a assigné la société Nexity en paiement des travaux exécutés.

4. Cette dernière a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La société Nexity fait grief à l'arrêt de déclarer le juge judiciaire compétent, alors « que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics qui oppose des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé, sans qu'il y ait lieu de rechercher si les parties sont liées au maître de l'ouvrage par un contrat de droit public ; qu'en l'espèce, pour retenir la compétence du juge judiciaire, la cour a retenu que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales et que si le maître d'ouvrage est la société SNCF Réseau, il n'existe pas de lien entre elle et la société Concept TP, et que le fait que la société Nexity soit le maître d'ouvrage délégué de cette entité publique ne peut conditionner la compétence des juridictions administratives pour connaître de l'action directe du sous-traitant (la société Concept) du titulaire du marché (la société Mannucci) contre le maître d'ouvrage délégué qui est une personne privée (la société Nexity) ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que le litige résultait de l'exécution d'un marché public, de sorte qu'en l'absence de contrat de droit privé unissant la société Concept TP et la société Nexity, le litige relevait de la compétence du juge administratif, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 2193-3, L. 2193-11, alinéa 1er, et L. 2422-6 du code de la commande publique :

6. Selon le troisième de ces textes, le titulaire d'un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l'exécution d'une partie des prestations de son marché.

7. Aux termes du quatrième, le sous-traitant direct du titulaire du marché, qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution.

8. Selon le cinquième, le maître d'ouvrage peut confier par contrat de mandat de maîtrise d'ouvrage à un mandataire l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions mentionnées à l'article L. 2422-6, notamment celle tenant au paiement des marchés publics de travaux.

9. Faisant application des deux premiers, le tribunal des conflits a jugé, par une décision du 10 janvier 2022 (TC, 10 janvier 2022, n° C4231) que le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit son fondement juridique, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et que le litige concerne l'exécution de ce contrat.

10. Il en résulte que les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître d'ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d'un marché de travaux publics, qui, ne concernant pas l'exécution d'une convention de droit privé unissant les parties, impliquent que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relèvent de la compétence du juge administratif, peu important que tant le sous-traitant que le maître d'ouvrage délégué soient deux sociétés de droit privé.

11. Pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt énonce, d'abord, que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales.

12. Après avoir relevé, ensuite, que les travaux avaient été exécutés dans le cadre d'un marché public de travaux, et qu'aucune référence n'était faite dans le contrat de sous-traitance à un marché conclu avec une personne publique, il retient que la convention de sous-traitance conclue entre la société Concept TP et la société Mannucci, toutes deux sociétés de droit privé, est un contrat de droit privé, sur lequel le juge judiciaire est seul compétent pour statuer.

13. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que le litige était né de l'exécution d'un marché de travaux publics et ne concernait pas l'exécution d'un contrat de droit privé unissant les parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. L'action en paiement direct formée par la société Concept TP, qui concerne l'exécution d'un marché public de travaux, relevant de la compétence de la juridiction administrative, il y a lieu de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour en connaître.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande en paiement formée par la société Concept TP à l'encontre de la société Nexity Property Management ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef ;

Dit n'y avoir lieu de modifier les indemnités de procédure allouées par les juges du fond et les condamnations aux dépens prononcées par eux ;

Condamne la société Concept TP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Concept TP et la condamne à payer à la société Nexity Property Management une somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C300217