mercredi 30 novembre 2022

La réception de l'ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter cet ouvrage est établie

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 776 F-D

Pourvoi n° N 21-21.577




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

La société Le Joint français, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-21.577 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société STMO-CTMP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de la société Le Joint français, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société STMO-CTMP, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,


la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2021), la société Le Joint français (la société LJF) a chargé la société Suppléance technique méthode organisation (la société STMO-CTMP) de la conception et de la fabrication d'un sommier destiné à supporter une presse à vulcaniser.

2. L'assemblage et la pose du sommier ayant été terminés le 19 juin 2018, une facture d'un montant de 46 158,36 euros a été émise le 20 juin 2018. Elle n'a pas été payée et la société STMO-CTMP a assigné la société LJF en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. La société LJF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à la société STMO-CTMP et de rejeter ses demandes, alors « que la qualification d'une réception tacite nécessite la caractérisation de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux ; que la contestation des travaux exclut une quelconque réception tacite ; que la cour d'appel constatait que la société STMO-CTMP était intervenue à la demande de la société Le Joint français à la suite de difficultés rencontrées par cette dernière dans l'installation de la presse à vulcaniser sur le sommier en béton livré par la société STMO-CTMP, que la société Le Joint français avait refusé le devis relatif à cette intervention ; que la cour d'appel constatait encore que la société Le Joint français avait fait établir un constat par un huissier de justice établissant les malfaçons ; que la cour d'appel constatait enfin que société Le Joint français avait formellement contesté le paiement de la facture établie par la société STMO-CTMP ; que de ces éléments il ressortait que la société Le Joint français contestait les travaux ce qui excluait qu'elle puisse les avoir, même tacitement, réceptionnés ; qu'en jugeant pourtant que la société Le Joint français avait accepté tacitement l'ouvrage, sans relever aucun élément de nature à caractériser une réception de cette nature à la date du 19 juin 2018, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatation et, ce faisant, a violé l'article 1792-6 du code civil. »



Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

4. Il résulte de ce texte que la réception de l'ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter cet ouvrage est établie.

5. Pour constater la réception tacite à la date du 19 juin 2018 et condamner la société LJF à payer diverses sommes à la société STMO-CTMP, l'arrêt retient que, nonobstant sa contestation tardive du 10 octobre 2018, la société LJF est entrée en possession de l'ouvrage le 19 juin 2018, qu'elle l'a accepté sans réserve à cette date et ne peut pas arguer du non-paiement du prix pour justifier l'absence de réception puisque celui-ci n'est devenu exigible que le 20 août 2018.

6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société LJF n'avait pas payé le prix des travaux, qu'elle avait refusé de payer le prix de l'intervention complémentaire de la société STMO-CTMP du 11 juillet 2018 et qu'elle avait fait constater par un huissier de justice, le 16 juillet suivant, les désordres affectant le sommier, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société STMO-CTMP aux dépens ;

L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 777 F-D

Pourvoi n° A 21-21.244



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

1°/ M. [U] [T], domicilié [Adresse 4],

2°/ la société Mutuelle des architectes français, (MAF) dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° A 21-21.244 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [N] [J], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société Thébaïde, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez Boulouris immobilier, l'Oiseau d'Or, [Adresse 5], représentée par son mandataire ad hoc la société Boulouris Immobilier,

3°/ à M. [X] [W], domicilié [Adresse 3] (Danemark), pris en sa qualité de syndic de faillite de la société Alpha Insurance,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [T], de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Gaschignard, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller dyen rapporteur, M. Jacques, conseiller, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [T] et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Thébaïde et M. [W], pris en sa qualité de syndic de faillite de la société Alpha Insurance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 mai 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 14 mai 2020, pourvoi n° 19-10.921), M. [J] a acquis de la société Thébaïde, en l'état futur d'achèvement, un appartement de trois pièces et une cave dans un immeuble réalisé sous la maîtrise d'oeuvre de M. [T], assuré auprès de la MAF.

3. Se plaignant de désordres d'infiltrations d'eau dans une pièce de son appartement et d'inondations récurrentes, à la suite d'épisodes pluvieux, de la cave en rez-de-jardin qu'il avait aménagée en pièce d'habitation, M. [J] a, après expertise, assigné en réparation son vendeur, le maître d'oeuvre et l'assureur de celui-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [T] et la MAF font grief à l'arrêt de condamner le premier à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros en réparation du préjudice locatif et celle de 10 000 euros en réparation des préjudices moral et de jouissance, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour condamner M. [T] à payer à M. [J] les sommes de 106 515,50 euros et de 10 000 euros en réparation de ses préjudices, qu'il était irrecevable à soutenir que les désordres ne relevaient pas de l'article 1792 du code civil, comme à contester toute responsabilité de sa part dans la survenance des désordres, dès lors que le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] avaient été retenus par le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan du 14 février 2017, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 novembre 2018, et que ces points n'avaient pas été contestés dans le cadre du pourvoi formé par M. [J], la cassation ne portant que sur le rejet de ses demandes en réparation ; que pourtant, dans le dispositif de ce jugement et de cet arrêt, les juges avaient débouté M. [J] de ses demandes en paiement et l'avaient condamné à payer une indemnité de procédure et les dépens, sans évoquer le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T] ; qu'il en résulte que ni le jugement ni l'arrêt confirmatif ne pouvaient avoir autorité de la chose jugée sur ces points, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 1355, anciennement 1351, du code civil, et l'article 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile :

5. Aux termes du premier de ces textes, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

6. Selon le second, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

7. Il en résulte que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif (Ass. plén., 13 mars 2009, pourvoi n° 08-16.033, Bull. 2009, Ass. Plén., n° 3),

8. Pour condamner M. [T] et la MAF à payer diverses sommes à M. [J] au titre des préjudices locatif, moral et de jouissance, l'arrêt retient que leurs demandes tendant à voir juger que les désordres ne relèvent pas des dispositions de l'article 1792 du code civil et à contester toute responsabilité de M. [T] dans la survenance des désordres sont irrecevables, au motif que ces points ont été définitivement jugés par le jugement du 14 février 2017, confirmé par l'arrêt du 29 novembre 2018, et que la nature des désordres et la responsabilité du maître d'oeuvre n'ont pas été contestées par le pourvoi.

9. En statuant ainsi, alors que les dispositifs de ce jugement et de cet arrêt ne comportaient aucune disposition sur le caractère décennal des désordres et la responsabilité de M. [T], la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne M. [T] à payer à M. [J] la somme de 106 515,50 euros en réparation du préjudice locatif et celle de 10 000 euros en réparation des préjudices moral et de jouissance, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une indemnité de procédure au titre des frais exposés en première instance et en appel, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. [J] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Mutuelle des architectes français ;

Agent immobilier -violation de clause d'exclusivité - application de la clause pénale (oui)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 781 F-D

Pourvoi n° H 21-22.400




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

La société Monréseau-immo.com, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-22.400 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-7), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [G] [E],

2°/ à M. [K] [E],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de la société Monréseau-immo.com, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [E], après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 septembre 2021), par acte sous seing privé du 1er juin 2017, M. et Mme [E] ont donné mandat exclusif à la société Monréseau-immo.com (l'agent immobilier) de vendre un bien immobilier.

2. Le 2 octobre 2017, ils ont mis en ligne une annonce, sur un site internet, pour la vente de leur bien.

3. Par lettre du 20 novembre 2017, ils ont résilié le mandat, qui a pris fin le 8 décembre 2017.

4. Faisant grief à M. et Mme [E] d'avoir violé leur obligation d'exclusivité, l'agent immobilier les a assignés en paiement de la clause pénale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'agent immobilier fait grief à l'arrêt de rejeter leur demande de paiement de la clause pénale, alors « que doit être appliquée la clause pénale stipulée au profit d'un agent immobilier en cas de violation par son mandant de son obligation d'exclusivité, même si le bien visé par le mandat n'a pas été vendu, dès lors qu'elle sanctionne une inexécution contractuelle et ne constitue pas une indemnité compensatrice de rémunération ; que la cour d'appel a constaté que M. et Mme [E] avaient fautivement violé la clause d'exclusivité les liant à la société Monréseau-Immo.com ; qu'elle a également constaté que le montant de la clause pénale était égal à la rémunération prévue au mandat, mais non pas qu'elle compensait la perte de cette rémunération ; qu'en refusant de mettre en oeuvre cette clause, la cour d'appel a violé l'article 1231-5 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1231-5 du code civil :

6. Selon ce texte, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, le juge pourra, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

7. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que la violation par M. et Mme [E] de la clause d'exclusivité ne permet pas l'application de la clause pénale puisqu'il n'est pas démontré que le mandant aurait conclu la vente de leur bien, ce qui aurait eu pour effet de priver le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que M. et Mme [E] avaient violé la clause d'exclusivité les liant à l'agent immobilier, la cour d'appel, qui a refusé de mettre en oeuvre la clause pénale qui, sanction du manquement d'une partie à ses obligations, s'applique du seul fait de cette inexécution, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. et Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [E] et les condamne à payer à la société Monréseau-immo.com la somme de 3 000 euros ;

L'action en démolition de constructions empiétant sur la propriété voisine peut être exercée contre le propriétaire actuel de ces constructions et aussi contre le maître de l'ouvrage

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 785 F-D

Pourvoi n° F 21-11.589




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

La société Anse à l'Ane, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 9], a formé le pourvoi n° F 21-11.589 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [D], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Mme [F] [C], épouse [D], domiciliée [Adresse 2],

3°/ à M. [O] [E], domicilié [Adresse 8],

4°/ à la société BR associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 6], prise en qualité de mandataire judiciaire de M. [O] [I] [E],

5°/ à la société Bauland Carboni Martinez et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7], prise en qualité d'administrateur judiciaire de M. [O] [I] [E],

6°/ à la société Mutuelle des architectes de France (MAF), dont le siège est [Adresse 3],

7°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 1],

8°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de AGS Outremer,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Anse à l'Ane, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [E], de la société BR associés, ès qualités, de la société Bauland Carboni Martinez et associés, ès qualités, et de la société Mutuelle des architectes de France, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [D], après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société civile immobilière Anse à l'Ane (la SCI) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la SMABTP.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 10 novembre 2020, rectifié le 23 février 2021), la SCI, assurée auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), a confié, sous la maîtrise d'oeuvre de M. [E], ensuite placé en redressement judiciaire, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), des travaux de construction de logements collectifs et de villas à la société GTOM, assurée en responsabilité décennale auprès de la SMABTP.

3. Se plaignant d'un empiétement et de dégradations sur leur fonds résultant des travaux, M. et Mme [D], propriétaires d'une parcelle limitrophe située au-dessus d'un talus, ont, après expertise, assigné en réparation la SCI, M. [E], la société Allianz et la SMABTP.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, et sur le quatrième moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La SCI fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable de l'empiétement et des désordres liés à l'absence de réalisation d'un mur de soutènement, de la condamner à réaliser des travaux confortatifs et de la condamner à payer à M. et Mme [D] une certaine somme à titre de dommages-intérêts de ces chefs, alors « que le maître de l'ouvrage qui fait réaliser des travaux par des professionnels qui agissent en dehors de tout lien de subordination, ne peut répondre des désordres que ceux-ci peuvent causer à des tiers que s'il a délibérément accepté ou voulu que ne soient pas prises les précautions qui s'imposaient ; qu'en se bornant à relever, pour retenir la responsabilité pour faute de la SCI Anse à l'Ane, dans les désordres causés au fonds des époux [D], que « maître de l'ouvrage, [elle] a fait réaliser le terrassement tel que décrit de manière à bénéficier d'une surface plane la plus étendue possible », « qu'en premier lieu, il avait été prévu l'édification par la société GTOM d'un mur de soutènement, dont la réalisation a[vait] été abandonnée par la suite » et « la volonté du promoteur de maximiser le terrain utile et de minimiser le coût de l'opération a[avait] eu ainsi des conséquences sur la manière dont le terrassement a été décidé », quand ces motifs ces impropres à établir que le maître de l'ouvrage aurait, en connaissance de cause, ordonné la réalisation de travaux risqués pour le terrain voisin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a retenu que l'empiétement sur le fonds de M. et Mme [D] et les désordres affectant leur terrain résultaient des travaux d'affouillement et de terrassement entrepris par la SCI, en sa qualité de maître de l'ouvrage, sur le fonds inférieur dont elle était propriétaire, et, en particulier, de l'absence de réalisation, préconisée par la société de gros oeuvre, d'un mur de soutènement destiné à conforter le talus au-dessus duquel se situait la parcelle voisine, la SCI ayant entendu maximiser le terrain utile de l'assiette des constructions en minimisant le coût de l'opération.

7. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à réaliser des travaux, alors « que seul le propriétaire d'un fonds peut être condamné, même à titre de réparation, à y édifier un ouvrage ; qu'en confirmant le jugement en ce qu'il avait condamné la SCI Anse à l'Ane « à faire édifier un ouvrage en béton armé conformément au devis de la société Somatras du 10 avril 2017 » sur le fonds dont il était constant qu'elle n'était plus propriétaire, parce qu'il lui appartiendrait « de prendre les mesures qui s'imposent vis-à-vis de l'éventuelle copropriété constituée entre les propriétaires des constructions aujourd'hui réalisées de manière à assurer l'édification du mur de soutènement » et qu'elle ne pouvait « à juste titre se réfugier derrière cette copropriété pour prétendre que la demande des époux [D] de voir réparer les désordres dus au terrassement réalisé serait irrecevable », quand la SCI Anse à l'Ane, qui n'était plus propriétaire des parcelles, était dans l'impossibilité juridique de procéder aux travaux visés, la cour d'appel a méconnu l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Il est jugé que l'action en démolition de constructions empiétant sur la propriété voisine peut être exercée non seulement contre le propriétaire actuel de ces constructions, mais aussi contre le maître de l'ouvrage (3e Civ., 28 juin 2006, pourvoi n° 02-15.640, Bull. 2006, III, n° 163).

10. Dès lors, le maître de l'ouvrage ne peut pas soutenir être dans l'impossibilité juridique de procéder aux travaux ordonnés au motif qu'il n'est plus propriétaire des parcelles.

11. La cour d'appel, qui a retenu la responsabilité de la SCI en sa qualité de maître de l'ouvrage lors de la réalisation des travaux qui avaient empiété sur le fonds voisin et endommagé celui-ci, a, appréciant souverainement les modalités de réparation lui incombant, pu en déduire qu'il lui appartenait de prendre les mesures qui s'imposaient à l'égard de la copropriété constituée entre les propriétaires des constructions, aujourd'hui réalisées, de manière à assurer l'édification du mur de soutènement et qu'elle ne saurait se réfugier derrière cette copropriété pour prétendre que la demande de voir réparer les désordres dus au terrassement réalisé serait irrecevable.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

13. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter partiellement son appel en garantie contre M. [E] et de fixer sa créance à la procédure collective de celui-ci à la seule somme de 40 628,17 euros, alors « que sauf immixtion fautive ou prise de risque délibérée du maître de l'ouvrage, l'architecte, chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, doit intégralement répondre de son manquement au devoir de conseil ; qu'en n'admettant le recours en garantie formé par la SCI Anse à l'Ane à l'encontre de M. [O] [E], qu'à hauteur d'un tiers du coût de réalisation de l'ouvrage de soutènement qu'elle avait été condamnée à réaliser pour réparer les dommages causés aux époux [D], quand elle relevait que l'architecte, « titulaire d'une maîtrise d'oeuvre complète », n'était pas « intervenu pour s'opposer à ce terrassement vertical d'ampleur compte tenu de la configuration des lieux » et qu'il lui « appartenait en sa qualité de maître d'oeuvre de s'opposer à la réalisation des ouvrages tels que commandés par le maître de l'ouvrage s'ils lui apparaissaient non conformes à la configuration des lieux, voire dangereux par rapport à la topographie ou la consistance des terrains », de sorte qu'en l'absence de toute immixtion fautive de la part de l'exposante ou de choix délibéré de s'exposer à un risque effectué en dépit des conseils donnés, M. [E] devait la garantir intégralement des conséquences de ses manquements, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé qu'il avait été prévu par la société de gros oeuvre l'édification d'un mur de soutènement dont la réalisation avait été abandonnée et souverainement retenu que la SCI n'avait pas hésité, au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité, à faire décaisser le terrain d'assiette des constructions sur une hauteur de cinq à six mètres en limite de propriété, pour maximiser le terrain utile à moindre coût.

15. Ayant pu retenir que la faute de la SCI avait contribué, avec celles du maître d'oeuvre et de l'entreprise de gros oeuvre, à l'empiétement sur la parcelle voisine et à la fragilisation du talus occasionnant différents dégâts sur le terrain de M. et Mme [D], elle a réparti la charge définitive du coût des travaux confortatifs entre intervenants, en fonction de leur part de faute respective, qu'elle a souverainement appréciée.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

17. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à M. et Mme [D] une certaine somme au titre de la résistance abusive, alors :

« 1°/ que la cassation qui interviendra sur l'un des deux premiers moyens entraînera, par voie de conséquence, l'annulation du chef de l'arrêt ayant condamné la SCI Anse à l'Ane à verser aux époux [D] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que le droit de défendre à une prétention ne peut dégénérer en abus que si le plaideur a commis un acte de malice, de mauvaise foi, ou une erreur grossière équivalente au dol ; qu'en se bornant à retenir, pour condamner la SCI Anse à l'Ane sur le fondement de la résistance abusive, qu'« en dépit des désordres parfaitement visibles, [elle] n'avait pas fait procéder à ses frais et dans les meilleurs délais à des travaux de confortement du talus. Les délais de cette procédure se sont encore allongés du fait de l'appel et il n'est pas démontré par l'appelante qu'elle [aurait] effectué entre temps des travaux de consolidation », statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit de l'exposante de défendre à la prétention qui lui était opposée, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

18. En premier lieu, la cassation n'étant pas prononcée sur les premier et deuxième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

19. En second lieu, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que la SCI, en dépit de dommages indéniables et parfaitement visibles subis par le fonds voisin résultant des travaux réalisés sous sa maîtrise d'ouvrage, n'avait pas fait procéder à ses frais, au besoin pour le compte de qui il appartiendrait, et dans les meilleurs délais à compter du rapport d'expertise, à des travaux de confortement du talus et que les délais de procédure se sont encore allongés du fait de l'appel sans que ceux-ci ne fussent entre temps réalisés.

20. Ayant ainsi fait ressortir que le refus persistant de la SCI, tenue de plein droit à réparer les troubles anormaux de voisinage provoqués par les travaux réalisés sous sa maîtrise d'ouvrage, était fautif ensuite du dépôt du rapport de l'expert dont les conclusions sur l'existence d'un empiétement et de désordres provoqués par ces travaux n'étaient pas discutées, elle a pu accueillir la demande en réparation formée par M. et Mme [D] au titre de la résistance abusive.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en troisième branche

Enoncé du moyen

22. La SCI fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Allianz, alors « que outre la police « constructeurs non réalisateurs » (CNR), la SCI Anse à l'Ane invoquait une police tous risques chantiers (TRC), souscrite le 11 septembre 2007 jusqu'au 31 août 2008, et couvrant le maître de l'ouvrage au titre de sa « responsabilité civile », relativement au chantier litigieux ([Adresse 10], à [Localité 4], [Adresse 2] à [Localité 11]), dont la société Allianz n'avait d'ailleurs pas contesté l'application, précisant, dans ses dernières conclusions, que cette police TRC devait « faire l'objet d'une vérification par la compagnie » ; qu'en prononçant la mise hors de cause de la société Allianz, sans répondre aux conclusions susvisées de la SCI Anse à l'Ane, la cour d'appel a violé l'article 455 du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

23. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

24. Pour rejeter l'appel en garantie de la SCI à l'encontre de la société Allianz, son assureur, et mettre celui-ci hors de cause, l'arrêt retient que le contrat de responsabilité professionnelle des constructeurs non réalisateurs, qui garantit les désordres à l'ouvrage, ne couvre pas les dommages que la SCI pourrait causer à des tiers.

25. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la SCI qui invoquait également une police « Tous risques chantier » couvrant sa responsabilité civile, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Mise hors de cause

26. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. et Mme [D], M. [E], la société civile professionnelle BR associés, en sa qualité de mandataire judiciaire de celui-ci, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Bauland Carboni Martinez et associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire de M. [E], et la MAF, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause la société Allianz IARD et rejette la demande en garantie formée par la société civile immobilière Anse à l'Ane à son encontre, l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 rectifié le 23 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;

Met hors de cause M. et Mme [D], M. [E], la société civile professionnelle BR associés, en sa qualité de mandataire judiciaire de celui-ci, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Bauland Carboni Martinez et associés, en sa qualité d'administrateur judiciaire de M. [E], et la Mutuelle des architectes français ;

Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

mardi 29 novembre 2022

Le maître de l'ouvrage jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose contre le fournisseur et le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée

 Note A. Caston, GP 2023-17, p. 70.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 786 F-D

Pourvoi n° R 21-22.178





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________





ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

1°/ M. [G] [H],

2°/ Mme [Z] [T], épouse [H],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° R 21-22.178 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2021 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige les opposant :

1°/ à la société P.M Gomes, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Rector Lesage, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], ayant un établissement [Adresse 3],

3°/ à la société La Méridionale des bois et matériaux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], exerçant sous l'enseigne Point P,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme [H], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Méridionale des bois et matériaux, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société P.M Gomes, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Rector Lesage, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 5 juillet 2021), M. et Mme [H] ont confié des travaux de construction de deux maisons à la société P.M Gomes.

2. Celle-ci a posé un plancher chauffant, fabriqué par la société Rector Lesage et fourni par la société La Méridionale des bois et matériaux (la société MBM).

3. Estimant que les travaux étaient affectés de malfaçons et le plancher non conforme, M. et Mme [H] ont exigé l'arrêt du chantier, lequel est intervenu au mois de janvier 2013, et ont, après expertise, assigné en réparation les sociétés P.M Gomes, MBM et Rector Lesage.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [H] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts au titre de l'augmentation du coût de la construction, alors :

« 1°/ que tout préjudice en lien avec un manquement contractuel doit être réparé par l'auteur du manquement ; qu'en l'espèce, il était constant que M. et Mme [H] avaient confié à la SARL PM Gomes la réalisation des travaux litigieux ; que la cour d'appel a retenu que l'arrêt du chantier à la demande de M. et Mme [H] était justifié compte tenu des malfaçons ; qu'en déboutant néanmoins M. et Mme [H] de leur demande d'indemnisation au titre de l'augmentation du coût de la construction, aux motifs que les devis produits ne suffisaient pas à montrer une telle augmentation, et que les demandeurs seraient en grande partie responsables du retard pris par la construction, leurs demandes de démolition-reconstruction étant en définitive rejetées, quand elle avait pourtant préalablement retenu que l'arrêt du chantier, et donc le retard pris, était justifié compte tenu des malfaçons imputables à la SARL PM Gomes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.

2°/ que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et ne peut être exonéré qu'en cas de faute de la victime, qui n'est quant à elle pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en l'espèce, il était constant que M. et Mme [H] avaient confié à la SARL PM Gomes la réalisation des travaux litigieux ; que la cour d'appel a retenu que l'arrêt du chantier à la demande de M. et Mme [H] était justifié compte tenu des malfaçons ; qu'en déboutant néanmoins M. et Mme [H] de leur demande d'indemnisation au titre de l'augmentation du coût de la construction, au motif qu'ils seraient en grande partie responsables du retard pris par la construction, leurs demandes de démolition-reconstruction étant en définitive rejetées, quand elle avait pourtant préalablement retenu que la décision d'arrêt du chantier prise par M. et Mme [H] était justifiée, donc non fautive, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

3°/ que la faute de la victime n'est exonératoire que lorsqu'elle présente les caractéristiques de la force majeure ou constitue la cause exclusive du dommage ; qu'en exonérant la SARL PM Gomes de toute responsabilité au titre de l'augmentation du coût de la construction, au motif que M. et Mme [H] seraient « en grande partie » responsables du retard pris par la construction, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

4°/ qu'il incombe au juge de se prononcer lui-même sur les préjudices invoqués devant lui, nonobstant qu'ils aient été discutés ou non durant une expertise ; qu'en déboutant M. et Mme [H] de leur demande d'indemnisation au titre de l'augmentation du coût de la construction, au motif impropre que cette question n'avait pas été soumise à l'expert, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 246 du code de procédure civile, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, qui a retenu que les deux devis, produits par M. et Mme [H], émanant d'une société concurrente, mentionnaient des prix pouvant être totalement différents sans pour autant être en lien avec une augmentation du coût de la construction, en a souverainement déduit, abstraction faite des motifs critiqués par le moyen, que, la demande en réparation au titre d'une augmentation du prix de la construction n'étant pas justifiée, celle-ci ne pouvait être accueillie.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen, en ce qu'il porte sur le rejet des demandes formées contre les sociétés MBM et Rector Lesage au titre des préjudices matériels

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [H] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre des sociétés Rector Lesage et MBM, alors « que le maître de l'ouvrage dispose contre le fabricant et contre le revendeur intermédiaire d'une action contractuelle fondée sur la non-conformité du produit que ceux-ci ont fabriqué et vendu à l'entreprise qui a exécuté les travaux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la SA Rector Lesage était le fournisseur et concepteur du plancher litigieux et que la SAS La méridionale des bois et matériaux était l'intermédiaire qui avait revendu le plancher à la SARL PM Gomes ; que la cour d'appel a retenu la non-conformité du plancher qui avait été posé ; qu'en écartant néanmoins l'action en responsabilité contractuelle formée par M. et Mme [H] à l'encontre de la SA Rector Lesage et de la SAS La Méridionale des bois et matériaux, au motif que les maîtres d'ouvrage n'avaient pas de relation contractuelle directe avec ces deux sociétés, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil, par refus d'application. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel ayant rejeté les demandes indemnitaires de M. et Mme [H] au titre de la reprise du plancher, fourni par la société MBM et fabriqué par la société Rector Lesage, et les autres désordres affectant les travaux réalisés par la société P.M Gomes étant étrangers à la sphère d'intervention de celles-ci, le moyen, en ce qu'il se rapporte aux demandes formées au titre des travaux réparatoires, est inopérant.

10. Il n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. et Mme [H] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande au titre d'un préjudice moral, alors « que tout préjudice en lien avec un manquement contractuel doit être réparé par l'auteur du manquement ; qu'en l'espèce, il était constant que M. et Mme [H] avaient confié à la SARL PM Gomes la réalisation des travaux litigieux ; que la cour d'appel a retenu que l'arrêt du chantier à la demande de M. et Mme [H] était justifié compte tenu des malfaçons ; qu'en déboutant néanmoins M. et Mme [H] de leur demande d'indemnisation du préjudice moral subi, au motif que les désagréments et tracas engendrés par les malfaçons trouvaient pour l'essentiel leur origine dans leurs demandes initiales injustifiées, quand elle avait pourtant préalablement retenu que l'arrêt du chantier, et donc les désagréments en découlant, était justifié compte tenu des malfaçons imputables à la SARL PM Gomes, de sorte que les demandes de M. et Mme [H] s'étaient avérées justifiées, ne serait-ce que partiellement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

13. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que M. et Mme [H] ne justifient d'aucun préjudice moral indemnisable, dès lors que les désagréments et tracas engendrés par les malfaçons trouvent pour l'essentiel leur origine dans leurs demandes initiales injustifiées.

14. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'un retard de vingt-neuf mois résultant des désordres et de la non-conformité du plancher était imputable au constructeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Et sur le cinquième moyen, en ce qu'il porte sur le rejet des demandes formées par M. et Mme [H] à l'encontre des sociétés MBM et Rector Lesage au titre de l'augmentation du coût de la construction, du préjudice de jouissance et du préjudice moral

Enoncé du moyen

15. M. et Mme [H] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre des sociétés Rector Lesage et MBM, alors « que le maître de l'ouvrage dispose contre le fabricant et contre le revendeur intermédiaire d'une action contractuelle fondée sur la non-conformité du produit que ceux-ci ont fabriqué et vendu à l'entreprise qui a exécuté les travaux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la SA Rector Lesage était le fournisseur et concepteur du plancher litigieux et que la SAS La Méridionale des bois et matériaux était l'intermédiaire qui avait revendu le plancher à la SARL P.M Gomes ; que la cour d'appel a retenu la non-conformité du plancher qui avait été posé ; qu'en écartant néanmoins l'action en responsabilité contractuelle formée par M. et Mme [H] à l'encontre de la SA Rector Lesage et de la SAS La Méridionale des bois et matériaux, au motif que les maitres d'ouvrage n'avaient pas de relation contractuelle directe avec ces deux sociétés, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil, par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. La société MBM conteste la recevabilité du moyen, aux motifs qu'il est contraire à la position prise devant les juges du fond et qu'il est, en tout état de cause, nouveau.

17. Cependant, M. et Mme [H] ayant expressément invoqué, dans leurs conclusions d'appel, la responsabilité des sociétés MBM et Rector Lesage et sollicité, dans le dispositif de celles-ci, à titre subsidiaire, la condamnation in solidum des sociétés P.M Gomes, Rector Lesage et Point P., enseigne commerciale de la société MBM, à réparer leurs différents préjudices, le moyen n'est ni contraire à la thèse défendue devant les juges du fond ni nouveau.

18. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

19. En application de ce texte, le maître de l'ouvrage, qui jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, dispose contre le fournisseur et le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée.

20. Pour rejeter les demandes en réparation de M. et Mme [H] formées contre les sociétés MBM et Rector Lesage, respectivement, fournisseur et fabricant du plancher livré, non conforme aux stipulations contractuelles, l'arrêt retient qu'en l'absence de relation contractuelle directe entre M. et Mme [H] et les deux sociétés en cause, seul le locateur d'ouvrage doit être condamné à réparation.

21. En statuant ainsi, après avoir constaté que la non-conformité du plancher posé par la société P.M Gomes, fourni par la société MBM et fabriqué par la société Rector Lesage était plus particulièrement à l'origine de l'arrêt du chantier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du quatrième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. et Mme [H] au titre de leur préjudice moral et en ce qu'il rejette leur demande de condamnation, in solidum avec la société P.M Gomes, des sociétés Rector Lesage et La Méridionale des bois et matériaux de ces chefs ainsi qu'au titre de leur préjudice de jouissance, l'arrêt rendu le 5 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne les sociétés P.M Gomes, Rector Lesage et La Méridionale des bois et matériaux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés P.M Gomes, Rector Lesage et La Méridionale des bois et matériaux à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme [H] et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Formulation de prétentions assimilables à une citation en justice interruptive de forclusion

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 790 F-D

Pourvoi n° F 21-16.603




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

La société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 14], a formé le pourvoi n° F 21-16.603 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [X] & [B] [Z], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la société Etablissements [Z] [X], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

3°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à M. [K] [L], domicilié [Adresse 19],

5°/ à Mme [A] [H], épouse [F],

6°/ à M. [I] [F],

domiciliés tous deux [Adresse 18],

7°/ à Mme [O] [C], domiciliée chez M. [R], [Adresse 16],

8°/ à M. [T] [W], domicilié [Adresse 2],

9°/ à M. [M] [W], domicilié [Adresse 20],

10°/ à Mme [E] [G], domiciliée [Adresse 12],

11°/ à M. [U] [G], domicilié [Adresse 5],

12°/ à Mme [P] [N], domiciliée chez Mme [V] [N], [Adresse 17],

13°/ à M. [U] [Y],

14°/ à M. [U] [Y] [J],

domiciliés tous deux [Adresse 7],

15°/ à M. [S] [D], domicilié [Adresse 13],

16°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence du [Adresse 8], dont le siège est[Adresse 1], représenté par son syndic la société Ilea immobilier, dont le siège [Adresse 3],

17°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 15],

18°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 11],

défendeurs à la cassation.

La société MAAF Assurances a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Gan assurances, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société MAAF assurances, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société MMA IARD, de la SCP Zribi et Texier, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence du [Adresse 8], après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Gan assurances du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société [X] et [B] [Z], M. et Mme [F], Mme [C], MM. [T] et [M] [W], M. [G], Mme [G], Mme [N], M. [D] et la société Axa France IARD (la société Axa).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 28 janvier 2021), M. [Y] [J] a entrepris des travaux en vue de la division d'un immeuble en logements et locaux commerciaux. Il en a confié la maîtrise d'oeuvre à la société Créa, assurée au titre de sa responsabilité décennale auprès de la société Gan assurances. La société Créa a souscrit un contrat d'assurance auprès de la société Axa après l'ouverture du chantier.

3. Le lot « menuiseries extérieures et intérieures » a été confié à la société Établissements [Z], assurée auprès de la société MMA IARD. Le lot « carrelage sols-revêtements » a été confié à M. [L], assuré auprès de la société MAAF assurances. Le lot « plâtrerie, isolation, peinture » a été confié à M. [D].

4. Les travaux ont été réceptionnés le 20 novembre 2000. Les lots ont ensuite été vendus et l'immeuble a été soumis au régime de la copropriété.

5. A l'occasion de travaux entrepris par l'acquéreur du local commercial, des désordres sont apparus qui ont justifié un arrêté de péril.

6. Une expertise a été ordonnée le 4 mars 2010, à la demande, notamment, du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 8] (le syndicat des copropriétaires).

7. Par actes des 14 juin et 3 août 2010, des copropriétaires ont assigné la société Gan assurances et d'autres constructeurs et leurs assureurs pour leur voir déclarer l'expertise commune et opposable. Le syndicat des copropriétaires est intervenu volontairement à cette instance.

8. Par ordonnance du 21 octobre 2010, rectifiée et complétée par ordonnance du 16 décembre 2010, le juge des référés a déclaré l'expertise commune et opposable notamment à la société Gan assurances et il a étendu la mission de l'expert aux parties privatives de l'immeuble.

9. Le syndicat des copropriétaires, certains copropriétaires et une occupante ont assigné les constructeurs et leurs assureurs aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. La société MAAF assurances fait grief à l'arrêt de prononcer la mise hors de cause de la société Axa concernant l'action en garantie diligentée par le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires à son égard, de rejeter les demandes présentées contre la société Axa et en conséquence de rejeter sa demande tendant à ce que la société Axa soit tenue de garantir tous les dommages immatériels consécutifs aux désordres, s'agissant tant des indemnités allouées au syndicat des copropriétaires que celles allouées aux copropriétaires, alors :

« 1°/ que, tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à retenir que la société Axa ne saurait couvrir les dommages matériels et immatériels occasionnés par la société CREA tant sur le fondement de la responsabilité décennale que la responsabilité civile, sans motiver sa décision, la cour d'appel, qui a statué par voie d'affirmation générale, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la société MAAF faisait valoir que la société CREA avait souscrit auprès de la compagnie Axa une police multigaranties technicien de la construction qui prévoyait un volet responsabilité civile aux termes duquel la compagnie Axa garantissait les dommages immatériels consécutifset que partant, elle devait être condamnée à répondre des dommages immatériels commis par son assurée ; qu'en se bornant à retenir que la garantie de la compagnie Axa ne saurait couvrir les dommages immatériels, sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé derechef l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en se fondant, pour rejeter la garantie due au titre des dommages immatériels par la société Axa, sur la décision des premiers juges qui auraient rejeté les demandes présentées à l'encontre de la société Axa sur le fondement de la responsabilité civile, cependant que le rejet de la garantie de la société Axa par les premiers juges ne concernait que les dommages matériels et la garantie décennale, la cour d'appel a dénaturé le jugement du tribunal de grande instance de Périgueux du 4 juillet 2017 en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

4°/ que plus subsidiairement encore, les dommages immatériels, consécutifs aux désordres de l'ouvrage, peuvent être couverts par une assurance de responsabilité civile qui diffère dans ses conditions de mise en oeuvre de l'assurance de responsabilité décennale qui garantit les travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué ; qu'en se fondant, pour écarter la garantie de la société Axa au titre des dommages immatériels, sur l'absence de garantie de la société Axa au titre de la responsabilité décennale, la cour d'appel a violé les articles L. 241-1 et A 243-1 du code des assurances et ses annexes, ensemble les articles 1792 et suivants du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La société Axa conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que seul le tiers lésé a qualité pour exercer l'action directe, que la société MAAF assurances ne peut reprocher à la cour d'appel d'avoir rejeté les demandes présentées par le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires contre la société Axa et ce d'autant que la situation de la société MAAF assurances n'est pas modifiée par cette décision.

Vu l'article 609 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, toute partie qui y a intérêt est recevable à se pourvoir en cassation, même si la disposition qui lui est défavorable ne profite pas à son adversaire.

13. Le pourvoi en cassation ne pouvant profiter qu'à celui qui l'a formé, la société MAAF assurances n'a pas qualité pour critiquer les chefs de dispositif concernant le rejet des demandes d'indemnisation formées par le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires contre la société Axa, y compris par l'intermédiaire d'une demande tendant à voir juger que cet assureur doit garantir les dommages immatériels.

14. En conséquence, le moyen n'est pas recevable.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. La société Gan assurances fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action en garantie décennale formée par le syndicat des copropriétaires à son encontre, de dire qu'en sa qualité d'assureur de responsabilité décennale de la société Créa, elle était tenue de garantir les désordres décennaux afférents à l'immeuble en tant qu'ils concernent les parties communes et de la condamner à garantir M. [Y] [J], condamné in solidum avec la société Établissements [Z], sous la garantie de la société MMA IARD, dans la limite de son plafond de garantie en appliquant la règle du marc le franc, et M. [K] [L], sous la garantie de la société MAAF assurances, à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 870 871,16 euros TTC au titre des travaux de reconstruction, alors « que l'intervention volontaire d'un syndicat de copropriétaires à des opérations d'expertise ne constitue pas une cause d'interruption du délai de prescription décennale à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs de responsabilité parties à l'expertise ; que l'action introduite par des copropriétaires, agissant à titre personnel pour déterminer les causes des désordres causés à leurs parties privatives, n'interrompt le délai de prescription, pour le compte du syndicat, qu'à la condition que les désordres constatés dans les parties privatives et les parties communes soient indivisibles et tendent à la réparation des mêmes vices ; qu'en l'espèce, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 10] s'est borné à intervenir volontairement à l'instance initiée par les copropriétaires de l'immeuble tendant à voir ordonner une expertise judiciaire destinée à déterminer les causes des désordres constatés dans leurs parties privatives, ce qui n'a pas interrompu le délai de prescription décennale qui était en cours à l'encontre de la société Créa, maître d'oeuvre d'un projet de construction réalisé au sein de l'immeuble, et de son assureur de responsabilité, la société Gan Assurances, dans la mesure où les désordres constatés dans les parties privatives et dans les parties communes de l'immeuble n'étaient pas indivisibles ; qu'en jugeant toutefois le contraire, tandis que l'intervention volontaire aux opérations d'expertise n'est pas une cause interruptive de prescription, et que les demandes des copropriétaires et du syndicat ne tendaient pas aux mêmes fins, de sorte qu'elles n'étaient pas indivisibles, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270 du code civil dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2270 et 2244 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

16. Aux termes du premier de ces textes, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article.

17. Aux termes du second, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.

18. Pour rejeter la fin de non recevoir opposée par la société Gan assurances aux demandes du syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient que l'ordonnance de référé ayant déclaré les opérations d'expertise opposables à la société Gan assurances était interruptive de prescription au profit du syndicat des copropriétaires qui était intervenu volontairement à l'instance.

19. En se déterminant ainsi, après avoir exclu que l'action des copropriétaires, qui ne tendait pas aux même fins, ait pu avoir un effet interruptif et sans rechercher si, en intervenant volontairement, le syndicat des copropriétaires avait élevé des prétentions contre la société Gan assurances qui pouvaient être assimilées à une citation en justice interruptive de forclusion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

20. La société MAAF fait grief à l'arrêt de condamner in solidum M. [L], sous sa garantie, à payer avec M. [U] [Y] [J], sous la garantie de la société Gan assurances, la société [Z], sous la garantie de la société MMA IARD, dans la limite de son plafond de garantie en appliquant la règle du marc le franc, au syndicat des copropriétaires la somme de 870 871,16 euros TTC, indexée au titre des travaux de reconstruction et de condamner in solidum M. [L], sous sa garantie, à payer avec M. [Y] [J], la société [Z], sous la garantie de la société MMA IARD, dans la limite de son plafond de garantie en appliquant la règle du marc le franc, au syndicat des copropriétaires la somme de 26 376 euros au titre des honoraires de syndic, alors « qu'en condamnant in solidum la société MAAF à indemniser le syndicat des copropriétaires au titre des dommages matériels et immatériels et des frais de syndic après avoir pourtant relevé que le syndicat des copropriétaires ne réclamait pas dans ses dernières écritures la condamnation de la société MAAF in solidum avec d'autres parties, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

21. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Une contradiction entre les motifs et le dispositif constitue un défaut de motifs.

22. L'arrêt condamne M. [L] à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires sous la garantie de la société MAAF assurances, alors qu'il avait relevé que le syndicat ne réclamait pas la condamnation de cet assureur.

23. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- rejette la fin de non-recevoir présentée par la société Gan assurances tendant à voir constater de la prescription de l'action en garantie décennale formée par le syndicat des copropriétaires de la résidence du [Adresse 8] à son encontre,
- déclare l'action directe en garantie décennale du syndicat des copropriétaires de la résidence du [Adresse 9] à l'égard de la société Gan assurances recevable,
- Condamne la société Gan assurances à garantir la condamnation de M. [Y] [J] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 8] la somme de 870 871,16 euros TTC, indexée sur la base de l'indice BT 01 à la date de son règlement sur la base de septembre 2013, au titre des travaux de reconstruction,
- Condamne la société MAAF assurances à garantir la condamnation de M. [L] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 8] la somme de 870 871,16 euros TTC, indexée sur la base de l'indice BT 01 à la date de son règlement sur la base de septembre 2013, au titre des travaux de reconstruction,
- Condamne la société MAAF assurances à garantir la condamnation de M. [L] à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 8] la somme de 26 376 euros au titre des honoraires de syndic,

l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 8] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;