mercredi 9 novembre 2022

Devoir d'information et de conseil de l'assureur

 Note A. Pimbert, RGDA 2023, n° 1-2, p. 17.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 octobre 2022




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1112 F-D

Pourvoi n° U 21-14.476





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022

1°/ M. [O] [N],

2°/ Mme [X] [L] [H], épouse [N],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° U 21-14.476 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2021 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [W] [B], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société Alma services assurances, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société Axa France Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. et Mme [N], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France Iard, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [B] et la société Alma services assurances, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 5 janvier 2021) et les productions, M. et Mme [N], propriétaires d'un château classé monument historique, ont souscrit le 6 octobre 2011 un contrat d'assurance avec la société Axa France Iard (l'assureur), par l'intermédiaire de M. [B], agent général d'assurances, puis de la société Alma services assurances, courtier d'assurance.

2. Le 30 juillet 2013, un incendie s'est déclaré et la charpente du château a été endommagée.

3. Après avoir refusé la proposition d'indemnisation faite par l'assureur, M. et Mme [N], invoquant l'inadéquation de leur contrat d'assurance et la violation de l'obligation d'information et de conseil de l'assureur et des intermédiaires en assurance, les ont assignés devant un tribunal de grande instance en réparation de leur préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ qu'il incombe à l'assureur d'apporter la preuve qu'il a fourni à son assuré, avant la conclusion du contrat, directement ou par la voie de son agent, tous les éléments d'information pertinents dont il disposait et qui étaient de nature à influer sur la détermination du risque devant être garanti ; qu'en l'espèce, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le rapport de visite du 14 avril 2011 de l'agent d'assurance [B] avait été communiqué aux exposants lors du processus contractuel, la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer, pour considérer que l'assureur avait fourni aux assurés tous les éléments leur permettant de connaître l'évaluation des bâtiments assurés ,« que les devis joints à l'étude personnalisée établie en mai 2011, de même qu'une nouvelle tarification établie à la suite de la réduction de la surface développée étaient de nature à éclairer très directement sur les évaluations du bâtiment (pour le bâtiment principal entre 720 000 et 7 740 000 euros, pour les autres bâtiments d'habitation à 468 000 euros, pour les dépendances à 992 000 euros) et sur l'écart, de 27 % à 35 %, entre la limite contractuelle d'indemnisation proposée et in fine retenue (3 000 000 euros) et lesdites évaluations », sans vérifier ni constater que l'assureur apportait la preuve que ces éléments avaient été effectivement portés à la connaissance de M. et Mme [N], ce qui était contesté, qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il incombe à l'assureur d'apporter la preuve qu'il a fourni à son assuré, avant la conclusion du contrat, tous les éléments d'information pertinents dont il disposait et qui étaient de nature à influer sur la détermination du risque devant être garanti ; que dès lors, en retenant, pour considérer que les assurés avaient eu connaissance, à la date de souscription du contrat, du coût de reconstruction du château et de l'inadéquation de la police d'assurance, que M. [N] avait indiqué à la presse le lendemain du sinistre que « les primes étaient si élevées que le château était assuré à seulement 30 % de sa valeur totale », la cour d'appel s'est fondée sur des propos tenus postérieurement, non seulement à la conclusion du contrat, mais également postérieurement à la visite des experts de l'assureur le lendemain du sinistre, au cours de laquelle ils avaient indiqué aux assurés que le montant des travaux dépasserait la somme de 7 millions d'euros, propos qui étaient donc parfaitement inopérants à établir que les assurés avaient eu connaissance de la valeur de reconstruction des bâtiments à la date de conclusion du contrat, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ qu'en outre, le seul fait que l'assuré ait mené une négociation afin de réduire le montant de la prime annuelle, au besoin en diminuant légèrement la garantie, et ait une certaine connaissance des mécanismes de l'assurance, n'est pas une circonstance de nature à établir qu'il avait connaissance de l'ensemble des éléments pertinents pour prendre une décision éclairée et, notamment, du fait que le coût de reconstruction du bâtiment assuré excédait largement le plafond de la garantie ; que dès lors, en déduisant du fait que M. [N] avait personnellement mené une négociation avec l'assureur afin de faire baisser autant que possible le montant de la prime annuelle, et qu'il avait connaissance des mécanismes de l'assurance, qu'il aurait nécessairement eu connaissance de la valeur de son bien et de son coût de reconstruction évalué par l'assureur a minima à 7 millions d'euros, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance inopérante, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'au demeurant, le juge ne peut se borner à procéder par voie de simple affirmation sans analyser, même sommairement, ni viser les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour considérer que la société Axa n'avait pas manqué à son obligation d'information à l'égard de M. [N] , que, « sauf à supposer, ce qui n'est pas vraisemblable, que le candidat à l'assurance ignorait totalement la valeur de son bien et n'avait aucune idée du coût de reconstruction d'un bâtiment aussi ancien considérable, il y a lieu de retenir qu'en réalité sa principale préoccupation était de réduire autant que possible montant de la prime annuelle, y compris en diminuant la garantie immobilière », la cour d'appel, qui s'est bornée à affirmer que M. [N] aurait eu connaissance du coût de reconstruction de son château sans s'expliquer sur les éléments de preuve de nature à établir cette connaissance, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en tout état de cause, manque à son devoir de conseil l'assureur qui n'avertit pas l'assuré que la police qu'il lui propose ne couvre pas une partie des risques auxquels celui-ci est exposé, alors même que l'assureur en a pleinement conscience ; que dès lors, en se bornant à retenir que les modalités de l'assurance avaient été contractuellement élaborées de manière claire, sur la base notamment de la volonté de M. [N] dont rien ne démontrait qu'il n'était pas capable d'apprécier ses propres intérêts ni la pertinence de ses choix, sans constater que l'assureur avait effectivement rempli son devoir de conseil et l'avait préalablement mis en garde contre le risque d'insuffisance de la garantie en cas de destruction du château, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

6°/ qu'en tout état de cause, le seul fait que l'assuré ait mené une négociation afin de réduire le montant de la prime annuelle, au besoin en diminuant légèrement la garantie, n'est pas une circonstance de nature à établir qu'il n'aurait pas accepté de payer une prime plus élevée s'il avait eu connaissance du fait que le coût de reconstruction du bâtiment excédait très largement le plafond de la garantie proposée ; que dès lors en retenant, pour considérer qu'en tout état de cause le défaut d'information de l'assureur quant au coût de reconstruction de l'immeuble n'aurait causé aux assurés aucun préjudice, la cour d'appel, qui a retenu qu'au regard des échanges des parties, rien ne prouvait que M. et Mme [N] auraient accepté de payer une prime plus élevée pour bénéficier d'une meilleure assurance, s'est fondée sur une circonstance inopérante et a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

7°/ qu'en tout état de cause, dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [N] faisaient valoir que le manquement de la société Axa et de son agent à leuross obligations d'information et de conseil leur avait fait perdre une chance de contracter un contrat d'assurance leur permettant une indemnisation juste de leur préjudice ; que dès lors, en se bornant à énoncer qu'au regard des échanges des parties, rien ne prouvait que M. [N] aurait accepté de payer une prime plus élevée pour bénéficier d'une meilleure assurance, sans rechercher s'ils n'avaient pas néanmoins été privés de la possibilité de le faire, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Pour rejeter les demandes de M. et Mme [N], l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les modalités de l'assurance ont été contractuellement élaborées de manière claire, sur la base notamment de la volonté de l'assuré, M. [N] , dont rien ne démontre qu'il n'était pas capable d'apprécier ses propres intérêts ni la pertinence de ses choix.

6. Il énonce que les assurés étaient en mesure de connaître les conditions précises du contrat souscrit, qu'ils ont pu négocier, sans méconnaissance démontrée des limites de garantie, de l'incidence directe des éléments de surface, de la nature de la garantie, de la valeur globale du mobilier et des ordres de grandeur des valeurs de reconstruction immobilière.

7. L'arrêt ajoute qu'un manquement d'information de l'assureur ou de l'agent général à son obligation d'information ou à son devoir de conseil est d'autant moins établi que la limite contractuelle d'indemnisation de 3 000 000 euros était un choix économiquement raisonnable au regard de la valeur vénale immobilière du bien, estimée par l'expert judiciaire, très inférieure au coût de remise en état, qu'un niveau de prime très supérieur à celui convenu contractuellement aurait permis de couvrir le coût de reconstruction et que tout démontre qu'en toute connaissance de cause M. et Mme [N] avaient souhaité contenir le niveau de prime retenu.

8. En l'état de ses constatations, dont il résulte que M. et Mme [N] ont souscrit, en parfaite connaissance de cause, une garantie adaptée à leurs exigences et limitée en son montant, notamment pour le risque d'incendie, la cour d'appel, qui n'était pas tenue, dès lors, de procéder à la recherche prétendument omise sur la perte de chance invoquée, a pu décider qu'aucun manquement à l'obligation d'information et de conseil ne pouvait être reproché à l'assureur ou à son agent général.

9. Le moyen, dont la première branche manque en fait et dont les troisième, quatrième et sixième branches critiquent des motifs surabondants, n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [N], les condamne in solidum à payer à la société Axa France Iard la somme de 1 500 euros, et les condamne à payer à M. [B] et à la société Alma services assurances la somme globale de 1 500 euros ;

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