mardi 17 septembre 2024

Le vendeur n'est pas fondé, en raison de l'effet rétroactif de l'annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l'immeuble

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CC



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 460 F-D

Pourvoi n° W 23-16.602




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

1°/ M. [Z] [E],

2°/ Mme [T] [J], épouse [E],

tous deux domiciliés, [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° W 23-16.602 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2023 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [V] [R], domicilié [Adresse 3],

2°/ à M. [O] [C], domicilié [Adresse 2],

tous deux pris en leur qualité d'héritiers de [F] [I] épouse [C], elle-même héritière de sa mère, [L] [W] veuve [I],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pety, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. et Mme [E], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de MM. [R] et de M. [C], après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pety, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 mars 2023), par acte authentique du 11 août 2006, [L] [W] a vendu à M. et Mme [E] (les acquéreurs) un immeuble au prix de 184 500 euros en se réservant un droit d'usage et d'habitation pour sa vie durant.

2. Par jugement du 17 mars 2011, [L] [W] a été placée sous tutelle.

3. Le 19 mai 2011, représentée par son tuteur, elle a assigné les acquéreurs
en annulation de la vente.

4. [L] [W] est décédée le 15 février 2015, laissant, pour lui succéder, sa fille, [F] [I], elle-même décédée le 8 juillet 2019, laissant, pour lui succéder, M. [R], son fils, ainsi que M. [C], son époux, (les vendeurs) lesquels ont déclaré reprendre l'instance en leur qualité d'héritiers.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer aux vendeurs la somme de 92 150 euros à titre d'indemnité d'occupation, alors « que la nullité emporte l'effacement rétroactif du contrat et a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale ; qu'il s'ensuit que la remise des parties dans leur état antérieur à la conclusion de la vente exclut que le vendeur puisse obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l'immeuble par l'acquéreur pendant la période séparant la conclusion de la vente de son annulation ; qu'en considérant que M. et Mme [E] étaient redevables d'une indemnité de 92 150 euros pour avoir occupé indûment l'immeuble qu'ils avaient acquis de Mme [W] à compter de son décès intervenu le 15 février 2015, après avoir annulé la vente de l'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Les vendeurs contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que celui-ci est incompatible avec la position adoptée par les acquéreurs, qui se bornaient, dans leurs écritures d'appel, à contester toute prise de possession de l'immeuble, faute de remise des clefs.

7. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, n'est pas contraire à la position soutenue par les acquéreurs dans leurs écritures d'appel.

8. Il est, par conséquent, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Il résulte de ce texte que le vendeur n'est pas fondé, en raison de l'effet rétroactif de l'annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l'immeuble (Ch. mixte, 9 juillet 2004, pourvoi n° 02-16.302, publié).

10. Pour accueillir la demande d'indemnité d'occupation présentée par les vendeurs, l'arrêt, après avoir fait droit à la demande d'annulation de la vente et précisé que les parties devaient être remises dans l'état antérieur où elles se trouvaient avant l'acte anéanti, retient que, depuis le décès d'[L] [W] survenu le 15 février 2015, les acquéreurs occupent indûment l'immeuble en cause, de sorte qu'il y a lieu de les condamner solidairement à payer à ses héritiers une indemnité d'occupation de 950 euros par mois à compter du décès, soit la somme de 92 150 euros arrêtée au 16 mars 2023.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation de la disposition de l'arrêt ayant condamné les acquéreurs au paiement d'une indemnité d'occupation n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt les condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur encontre et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. et Mme [E] à payer à MM. [R] et [C], ayants droit d'[L] [W], la somme de 92 150 euros à titre d'indemnité d'occupation pour la période du 15 février 2015 au 16 mars 2023, l'arrêt rendu le 16 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar, autrement composée ;

Condamne MM. [R] et [C] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300460 

Norme NF P 03-001 et clause pénale du marché

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 455 F-D

Pourvoi n° N 23-19.492




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

La société Entreprise Eymery, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 23-19.492 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2023 par la cour d'appel de Douai (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [O] [G], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société [G]-Cortier, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Griel, avocat de la société Entreprise Eymery, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [G] et de la société [G]-Cortier, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 8 juin 2023), suivant marché de travaux du 6 novembre 1998, la société La Royale a confié la construction d'un immeuble à un groupement de dix-sept entreprises, dont la société Entreprise Eymery (la société Eymery), titulaire du lot « cloison, isolation, plafond suspendu ».

2. Par acte du 16 mai 2012, la société Eymery, représentée par M. [G], avocat, a engagé une action en paiement du solde de ses travaux, laquelle a été irrévocablement déclarée prescrite.

3. La société Eymery a assigné M. [G] et la société civile professionnelle [G]-Cortier (la SCP) en responsabilité et indemnisation de l'ensemble des préjudices résultant de l'acquisition de la prescription de son action.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Eymery fait grief à l'arrêt d'assortir la condamnation solidaire de M. [G] et de la SCP à lui payer 90 % de la somme de 34 087,94 euros des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001, alors « qu'en se bornant, pour décider que l'article 18-7 de la norme Afnor NF P 03-001 qui majore le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance du débiteur s'analyse en une clause pénale que le juge peut réduire en application de l'article 1152 du code civil, devenu l'article 1231-5 du même code, à énoncer lapidairement que ces intérêts moratoires ont pour objet non seulement d'indemniser de manière forfaitaire et anticipée le préjudice causé à la société Eymery par le non-respect du délai de paiement convenu mais aussi de contraindre le maître d'ouvrage à exécuter ponctuellement ses obligations, sans indiquer en quoi l'article 18-7 susvisé avait, outre la finalité d'inciter le débiteur à exécuter son obligation dans le délai convenu, celle d'indemniser forfaitairement le créancier de l'obligation, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a relevé que l'article 18-7 de la norme NF P03-001 de septembre 1991, rendue applicable au contrat par les parties, prévoyait que les retards de paiement ouvraient droit pour l'entrepreneur, après mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au paiement d'intérêts moratoires à un taux qui, à défaut d'être fixé au cahier des clauses administratives particulières, serait celui des obligations cautionnées augmenté de 2,5 points et que le taux contractuel s'élevait ainsi à 17 % l'an, de sorte que ces intérêts avaient pour objet, non seulement d'indemniser de manière forfaitaire et anticipée le préjudice causé à la société Eymery par le non-respect du délai de paiement convenu, mais aussi de contraindre le maître d'ouvrage à exécuter ponctuellement ses obligations, de sorte qu'elle constituait une clause pénale.

6. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. La société Eymery fait le même grief à l'arrêt, alors « que dans son rapport d'expertise judiciaire, M. [U] a énoncé que restait à régler à la société Eymery la somme de 223 602,26 francs HT correspondant à 34 087,94 ¿ HT, de sorte que la créance résiduelle s'élevait à 269 664,31 francs TTC soit 41 110,06 euros TTC, somme réclamée, à titre subsidiaire, par la société dans ses conclusions d'appel ; que, dès lors, en se déterminant par la circonstance que, dans son rapport d'expertise judiciaire du 30 décembre 2011, M. [U] avait fixé la créance résiduelle de la société Eymery à la somme de 223 602,26 francs soit 34 087,94 euros TTC, quand cette somme et sa conversion en euros correspondaient, selon le rapport d'expertise, au montant hors taxe restant dû à cette société, la cour d'appel a dénaturé ce rapport d'expertise, violant par là l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1192 du même code, ensemble le principe selon lequel il est fait défense au juge de dénaturer un écrit. »

Réponse de la Cour

8. Le moyen attaque le chef de dispositif en ce que la condamnation prononcée n'est assortie que des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001, tandis que les motifs critiqués par le grief n'ont pas trait à la détermination de ce taux et de son point de départ.

9. Les motifs critiqués ne fondant pas le chef de dispositif attaqué, le moyen est donc inopérant.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La société Eymery fait grief à l'arrêt d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 15 avril 2021 dans les conditions de l'article 1154 du code civil, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif d'une décision équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en ordonnant, dans le dispositif de sa décision, la capitalisation des intérêts des sommes dues à l'exposante à compter du 15 avril 2021, après avoir énoncé dans ses motifs que cette capitalisation serait ordonnée à compter du 14 mai 2012, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. Le vice allégué par le moyen procède d'une erreur matérielle dont la rectification sera ci-après ordonnée en application de l'article 462 du code de procédure civile.

12. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. La société Eymery fait grief à l'arrêt d'assortir la condamnation solidaire de M. [G] et de la SCP à lui payer 90 % de la somme de 34 087,94 euros des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001, alors « qu'en se bornant à énoncer, pour réduire le taux d'intérêt contractuel de 17 % litigieux à celui de l'intérêt légal non majoré, que ce taux contractuel apparaît manifestement excessif compte tenu des circonstances du présent litige en cours depuis 2001, présentant un caractère complexe avec de nombreux intervenants dans le cadre de l'instruction particulièrement longue du litige opposant le groupement d'entreprises ainsi que ses membres au maître d'ouvrage, l'expert judiciaire désigné le 4 avril 2000 ayant déposé son rapport le 30 décembre 2011, et qu'alors que la clause pénale a vocation à indemniser forfaitairement le préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, il résulte de ces circonstances que le préjudice résultant de l'absence de paiement du solde est largement imputable à des facteurs étrangers au comportement du débiteur, de sorte qu'il convient de modérer la pénalité manifestement excessive, eu égard aux conditions du marché et aux circonstances du présent litige, en réduisant le taux d'intérêt à celui de l'intérêt légal non majoré, sans rechercher en quoi le taux d'intérêt litigieux était manifestement excessif en considération du préjudice effectivement subi par le créancier et constater la disproportion manifeste entre l'importance du préjudice effectivement subi et le montant conventionnellement fixé, la cour d'appel, qui s'est déterminée par une motivation inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1152 du code civil, devenu l'article 1231-5 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1152, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

14. Selon ce texte, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

15. Pour réduire le montant de la clause pénale stipulée au contrat, l'arrêt retient que le taux contractuel de 17 % apparaît manifestement excessif, compte tenu des circonstances du litige en cours depuis 2001, présentant un caractère complexe avec de nombreux intervenants dans le cadre de l'instruction particulièrement longue opposant le groupement d'entreprises ainsi que ses membres au maître d'ouvrage, l'expert judiciaire désigné le 4 avril 2000 ayant déposé son rapport le 30 décembre 2011, de sorte que le préjudice résultant de l'absence de paiement du solde est largement imputable à des facteurs étrangers au comportement du débiteur.

16. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés du comportement du débiteur de la pénalité, impropres à justifier le caractère manifestement excessif du montant de la clause, lequel doit être apprécié au regard de la disproportion manifeste entre l'importance du préjudice effectivement subi et le montant conventionnellement fixé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il assortit la condamnation solidaire de M. [G] et la société civile professionnelle [G]-Cortier à payer à la société Entreprise Eymery 85 % de la somme de 34 087,94 euros des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2001, l'arrêt rendu le 8 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt attaqué, remplace dans son dispositif, en page n° 21 :

« Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 15 avril 2021 dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; »

par

« Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 14 mai 2012 dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; »

Condamne M. [G] et la société civile professionnelle [G]-Cortier aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et la société civile professionnelle [G]-Cortier ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300455

Notion de réception tacite des travaux

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 454 F-D

Pourvoi n° H 23-18.751




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

La société Abeille IARD et santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 23-18.751 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2023 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [E] [O], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Mme [C] [I], domiciliée [Adresse 3],

3°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique Vendée, société coopérative de crédit à capital variable, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Abeille IARD et santé, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [O] et de Mme [I], après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 30 mars 2023), Mme [I] et M. [O] ont confié à la société Niquel-Legrand, assurée auprès de la société Aviva assurances, devenue Abeille IARD et santé (la société Abeille), des travaux de construction d'une maison.

2. Pour financer ces travaux, les maîtres de l'ouvrage ont souscrit un emprunt auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique Vendée (le Crédit agricole).

3. La société Niquel-Legrand a été placée en liquidation judiciaire avant l'achèvement des travaux.

4. Les maîtres de l'ouvrage ont assigné, notamment, la société Abeille et le Crédit agricole en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La société Abeille fait grief à l'arrêt de constater la réception tacite des travaux de l'infrastructure réalisés par la société Niquel-Legrand le 5 mars 2014 et de la condamner en qualité d'assureur décennal de cette société à payer à M. [O] et Mme [I] diverses sommes, alors « que tout jugement doit être motivé ; que pour retenir l'existence d'une présomption de réception tacite des travaux formant l'infrastructure de l'ouvrage et fixer la date de réception tacite au 5 mars 2014, la cour d'appel retient que ces travaux ont été réglés et « qu'il en a été pris possession par les maîtres de l'ouvrage sans critiques du travail réalisé » ; qu'en statuant par voie de simple affirmation sans préciser les éléments dont elle déduisait l'existence prétendue de cette prise de possession, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'elle a violé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

7. Pour constater la réception tacite des travaux de l'infrastructure, l'arrêt retient qu'ils ont été réglés à l'entrepreneur et que les maîtres de l'ouvrage en ont pris possession sans critiquer le travail réalisé.

8. En statuant ainsi, par une affirmation ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'examen des éléments de preuve qui lui étaient proposés, alors que la société Abeille contestait la prise de possession de l'ouvrage, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt constatant la réception tacite de l'ouvrage entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la société Abeille à payer diverses sommes aux maîtres de l'ouvrage, notamment au titre des soucis de la procédure, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

10. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de M. [O] et Mme [I] de paiement des sommes de 3 054 euros au titre de la taxe d'aménagement, de 682 euros au titre de la taxe foncière et de 1 245 euros au titre des travaux de remblaiements, sauf en ce qu'il déclare l'arrêt à intervenir commun et opposable à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique Vendée et sauf en ce qu'il rejette la demande de M. [O] et Mme [I] d'application des dispositions de l'article R. 631-4 du code de la consommation, l'arrêt rendu le 30 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne Mme [I] et M. [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300454

Responsabilité décennale et ampleur du désordre révélée avant réception

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 452 F-D

Pourvoi n° R 23-11.077




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

1°/ M. [B] [C],

2°/ Mme [D] [E], épouse [C],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° R 23-11.077 contre l'arrêt rendu le 24 août 2022 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Abeille IARD et santé, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Aviva assurances,

2°/ à la société BDR et associés, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de Mme [V] [F] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Maisons d'aujourd'hui ,

3°/ à la société Les Maisons d'aujourd'hui, dont le siège est [Adresse 2], en liquidation judiciaire,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. et Mme [C], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Abeille IARD et santé, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 août 2022), M. et Mme [C] ont conclu avec la société Les Maisons d'aujourd'hui (la société), désormais en liquidation judiciaire, assurée par la société Aviva assurances, devenue la société Abeille IARD et santé (l'assureur), un contrat de construction d'une maison individuelle avec sous-sol.

2. Les travaux ont été réceptionnés le 29 juillet 2009, avec des réserves étrangères au litige.

3. Se plaignant de désordres affectant notamment le sous-sol de leur habitation, M. et Mme [C] ont, après expertise, assigné la société en indemnisation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, puis ont appelé l'assureur en intervention.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [C] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande indemnitaire au titre des travaux de reprise des désordres, et de prononcer la mise hors de cause de l'assureur, alors :

« 1°/ que le maître de l'ouvrage peut demander à l'entrepreneur, sur le fondement de la garantie décennale, la réparation des défauts dont il a pris connaissance, avant la réception mais qui ne se sont révélés qu'ensuite dans leur ampleur et leurs conséquences ; qu'en énonçant, pour dire que la garantie décennale ne pouvait pas être invoquée par les maîtres de l'ouvrage, que le désordre à l'origine d'inondations avait été porté à leur connaissance dès la conclusion du protocole d'accord signé avec la société Les Maisons d'aujourd'hui le 1er juillet 2009, soit avant la réception des travaux datant du 29 juillet 2009, quand il résultait de ses constatations que ce phénomène d'infiltrations signalé avant la réception ne s'était révélé qu'ensuite dans son ampleur et ses conséquences par la révélation d'inondations dans la cave, et, partant, ne s'était pas révélé avant la date de réception dans toutes ses conséquences, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1792 et 1792-2 du code civil ;

2°/ que seul un désordre connu du maître de l'ouvrage dans toute son ampleur et, partant, dans ses conséquences, avant la réception est couvert par une réception sans réserve ; qu'en considérant, pour dire que la mise en jeu de la garantie décennale était exclue et prononcer la mise hors de cause de la société Aviva assurance en l'absence de garantie mobilisable, que le désordre à l'origine des inondations et dont ils avaient connaissance dès la conclusion du protocole d'accord avec la société Les Maisons d'aujourd'hui le 1er juillet 2009 n'avait pas été réservé lors de la réception le 29 juillet 2009, quand le protocole n'abordait qu'implicitement la question d'infiltrations sans jamais viser des inondations, ce dont il résultait que les maîtres de l'ouvrage, qui n'avaient pu avoir connaissance du désordre dans toute son ampleur et ses conséquences avant la réception de l'ouvrage, et ne pouvaient avoir purgé, par une telle réception, l'ouvrage de ses défauts et exclure, par conséquent, la mise en jeu de la responsabilité décennale, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 1792-2 du code civil ;

3°/ que le juge ne peut pas dénaturer les documents de la cause qui lui sont soumis ; qu'en considérant que les maîtres de l'ouvrage avaient connaissance des désordres dont ils se plaignaient consistant en des inondations dès la réunion du 15 juin 2009, qui avait donné lieu à la signature d'un protocole d'accord daté du 1er juillet 2009 qui prévoyait « 1°) la pose de quatre ventilations dans le sous-sol actuellement réalisé qui va se transformer en cave lors du prochain dépôt de permis de construire modificatif, 2°) l'exécution d'un garage sur terre-plein, 3°) la déviation des eaux pluviales du puisard vers des tranchées drainantes à réaliser sur la partie arrière du terrain, 4°) la vérification de l'imperméabilisation des parois enterrées du sous-sol et la réalisation si nécessaire du terrassement du sous-sol en périphérie, 5°) l'exécution du dallage en béton armé dans le sous-sol actuel, 6°) la livraison du pavillon pour fin juillet 2009 et la réalisation du garage accolé dans un délai de deux mois à compter de l'accord du permis de construire modificatif, 7°) la remise en conformité électrique avant la livraison prévue pour fin juillet 2009, 8°) le rehaussement du puisard situé actuellement devant la porte de garage du sous- sol avec les buses nécessaires pour le mettre au niveau du terrain fini et la réalisation du remblaiement de la descente du sous-sol », cependant que ce protocole ne faisait nullement état de l'existence d'inondations dans le sous-sol, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du protocole d'accord du 1er juillet 2009 en violation de l'article 1192 du code civil et du principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents qui lui sont soumis. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a constaté qu'à la suite d'infiltrations d'eau dans le sous-sol de la construction, connues dès une réunion de chantier du 15 juin 2009, un protocole transactionnel avait été conclu le 1er juillet 2009 entre M. et Mme [C] et le constructeur.

6. Elle a retenu, hors toute dénaturation, que cet acte prévoyait la mise en oeuvre de divers travaux pour y mettre fin et que, selon l'expert judiciaire, avait notamment été entrepris, en exécution de cette transaction, le bétonnage du sol avec la mise en place d'un regard équipé d'une pompe de relevage afin d'évacuer l'eau vers un puisard.

7. Elle a, en outre, relevé que M. [C], dont l'audition avait été ordonnée par le tribunal, avait affirmé que cette pompe avait été installée pour faire face aux entrées d'eau par les drains et les murs, dont le niveau avait pu atteindre 70 cm.

8. Ayant souverainement retenu que M. et Mme [C] avaient connaissance dans toute son ampleur du désordre d'infiltrations à l'origine d'inondations du sous-sol dès la conclusion du protocole, elle a retenu, à bon droit, que, ce désordre n'ayant pas été réservé lors de la réception le 29 juillet 2009, les conditions de mise en oeuvre de la garantie décennale n'étaient pas réunies.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. M. et Mme [C] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande au titre de leur préjudice de jouissance, alors « que le juge ne peut, sans méconnaître son office, s'abstenir de statuer sur une demande dont il est saisi, quand bien même celle-ci ne serait pas chiffrée précisément ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté la demande des maîtres de l'ouvrage au titre de leur trouble de jouissance au motif que cette demande n'était pas chiffrée, la cour d'appel a violé les articles 4 et 12 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour

11. La cour d'appel ayant exactement retenu que les conditions de mise en oeuvre de la garantie décennale n'étaient pas réunies, elle a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision rejetant la demande en réparation du préjudice de jouissance formée par M. et Mme [C] sur ce seul fondement.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [C] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300452

Travaux dits supplémentaires : l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 451 F-D

Pourvoi n° G 21-22.010




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

La société Clos des mûriers, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-22.010 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Go services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société BC ingénierie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La société BC ingénierie a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société civile immobilière Clos des mûriers, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Go services, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société BC ingénierie, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juin 2021) et les productions, la société civile immobilière Clos des mûriers (la SCI) a entrepris de créer un lotissement de douze villas individuelles.

2. Sont notamment intervenues à l'opération de construction la société BC ingénierie, en charge des missions d'économiste, ainsi que de maîtrise d'oeuvre d'exécution et d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC), et, selon marché du 18 février 2015, la société Go services, en charge du lot VRD.

3. La société Go services a établi un devis complémentaire le 9 avril 2015, portant sur des travaux de VRD des parties privatives, pour un montant total de 190 181,86 euros TTC, sur lequel a été portée la mention « bon pour exécution », signée par le représentant de la société BC ingénierie.

4. La SCI ayant refusé de payer ces travaux complémentaires, la société Go services a assigné en paiement la société BC ingénierie devant un tribunal de commerce, laquelle a appelé en garantie la SCI.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

5.La société BC ingénierie fait grief à l'arrêt de la condamner à verser une certaine somme à la société Go services, alors :

« 1°/ qu'il y a novation par changement de l'objet lorsque le créancier accepte l'engagement du débiteur de lui fournir une prestation différente de celle initialement stipulée ; qu'en décidant que le marché de travaux du 18 février 2015 n'inclurait pas les parties privatives dès lors que « le devis émis par Go services le 24 septembre 2014 sur 4 pages à l'attention de la SCI mentionne expressément en tête du document « travaux ne comprenant pas l'aménagement des, parties privatives », que « le marché de travaux du 18 février 2015 conclu entre Go services et la SCI qui vise expressément un coût de 107 145 euros HT et 128 454 euros TTC se réfère nécessairement aux travaux mentionnés sur le devis du 24 septembre 2014 portant sur le même objet et le même montant » et que, « si le CCTP produit par BC ingéniérie confirme la nature et le détail des travaux du lot 01 « terrassement VRD » en visant l'ensemble des travaux concernant les parties communes et privatives, le devis accepté par la SCI a exclu les parties privatives », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le marché de travaux conclu le 18 février 2015, soit postérieurement au devis de la société Go services du 24 septembre 2014, n'emportait pas novation du premier engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble les articles 1271 et 1273 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que, la cour d'appel a elle-même relevé que « le CCTP produit par BC ingénierie confirme la nature et le détail des travaux du lot 01 « terrassement VRD » en visant l'ensemble des travaux concernant les parties communes et privatives », que « le devis [du 24 septembre 2014] accepté par la SCI a exclu les parties privatives » et qu' « il n'est pas discutable que Go services a procédé à des travaux supplémentaires sur les parties privatives, en urgence dit-elle, suivant devis ultérieur du 9 avril 2015 »; qu'en décidant pourtant que les travaux sur les parties privatives ne seraient pas des « « travaux supplémentaires » au sens du marché de travaux précité » et que « rien n'établit qu'ils soient compris dans le CCTP du lot 01 », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que le contrat d'entreprise, relatif à de simples actes matériels, ne confère à l'entrepreneur aucun pouvoir de représentation ; que la cour d'appel, après avoir relevé que « Go services a procédé à des travaux supplémentaires [?] suivant devis ultérieur du 9 avril 2015, toujours établi au profit de la SCI », a estimé qu' « il ne peut pas être considéré que BC ingénierie a la qualité de mandataire de la SCI, ce qui ne résulte pas des contrats d'économiste, de maîtrise d'oeuvre d'exécution & OPC signés entre elles », mais que « BC ingénierie a au moins reçu mission de « gérer les travaux supplémentaires souhaités « en application de l'article 1.20 du contrat de maîtrise d'oeuvre » et qu' « en conséquence, BC ingénierie, qui a commandé les travaux litigieux en usant de sa qualité de maître d'oeuvre, doit être condamnée au paiement de la somme réclamée par Go services soit 190 181,86 euros TTC » ; qu'en statuant de la sorte, lorsque le contrat d'entreprise, relatif à de simples actes matériels, ne conférait aucun pouvoir à la société BC Ingénierie pour conclure des actes juridiques au nom de la société Clos des mûriers, fut-ce en sa qualité de maître d'oeuvre, la cour d'appel a violé l'article 1787 du code civil ensemble les articles 1984 et 1985 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, la cour d'appel a retenu que, si le cahier des clauses techniques particulières du lot terrassement et VRD visait l'ensemble des travaux sur les parties communes et privatives, le marché régularisé le 18 février 2015 entre la SCI et la société Go services portait nécessairement sur les seules parties communes, dès lors qu'il se référait uniquement aux travaux mentionnés sur le devis de cette société du 24 septembre 2014, accepté par la SCI, qui avait exclu les parties privatives.

7. Elle en a, dès lors, déduit que les travaux litigieux portant sur les parties privatives, ayant fait l'objet du devis de la société Go services du 9 avril 2015, qui relevaient d'un marché distinct, ne constituaient pas des « travaux supplémentaires » au sens du marché des travaux du 18 février 2015.

8. En second lieu, elle a relevé que les travaux litigieux faisant l'objet de ce devis n'avaient été expressément commandés que par la société BC ingénierie, laquelle n'avait pas la qualité de mandataire de la SCI, et que celle-ci ne les avait pas acceptés.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la première branche, qui ne lui était pas demandée, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la société BC ingénierie de la condamnation prononcée contre elle, alors « que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri ; que la SCI faisait valoir que la société BC ingénierie était seule à l'origine de son appauvrissement qui trouvait sa cause dans ses manquements à sa mission d'économiste et à sa mission de maîtrise d'oeuvre et d'OPC ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que la SCI ne concluait qu'au débouté des prétentions de la société BC ingénierie ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si les manquements de la société BC ingénierie à ses obligations constituaient une faute susceptible de priver cette dernière société de l'action de in rem verso, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil dans sa rédaction applicable antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble les principes régissant l'enrichissement sans cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les principes de l'enrichissement sans cause :

11. Il résulte de l'application de ces texte et principes que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri.

12. Pour condamner la SCI à garantir la société BC ingénierie de la condamnation prononcée contre celle-ci au bénéfice de la société Go services au titre des travaux réalisés sur les parties privatives, l'arrêt retient que les travaux litigieux ont été réalisés à son seul profit et que, si elle conteste devoir en acquitter le prix, elle ne conclut qu'au rejet des prétentions de la société BC ingénierie sans engager la responsabilité de celle-ci ni demander à son encontre des dommages-intérêts.

13. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur une éventuelle faute de la société BC ingénierie, après avoir constaté que les travaux réalisés sur les parties privatives avaient été « oubliés » par celle-ci, que les rapports d'expertise amiable avaient souligné cette omission et que la SCI n'avait pas accepté, au regard du manquement contractuel de la société BC ingénierie, les travaux complémentaires, qu'elle n'avait pas commandés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

REJETTE le pourvoi incident de la société BC ingénierie ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile immobilière Clos des mûriers à garantir la société BC ingénierie de la condamnation de celle-ci à payer à la société Go services la somme de 190 181,86 euros TTC, outre les intérêts moratoires au taux légal à compter du 1er mars 2017, l'arrêt rendu le 10 juin 2021 entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société BC ingénierie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300451

Handicap et accessibilité : la nécessité de reconstruire l'immeuble résultait uniquement de l'absence d'ascenseur

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 450 F-D

Pourvoi n° Q 21-21.970




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024


La Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-21.970 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2021 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SD Gambetta, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société [O] [B], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée société Tirmant [B], en la personne de M. [O] [B], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sacoreno Sapone construction rénovation,

3°/ à la société Sacorano Sapone construction rénovation, dont le siège est [Adresse 7], prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la société [O] [B],

4°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à la société Les Artisans de la toiture, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

7°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

8°/ à M. [D] [A],

9°/ à Mme [S] [I], épouse [A],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français, de Me Descorps-Declère, avocat de la société civile immobilière SD Gambetta et de M. et Mme [A], après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile professionnelle [O] [B], prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Sacorano Sapone construction rénovation, et les sociétés Sacorano Sapone construction rénovation, Axa France IARD, Les Artisans de la toiture, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.



Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 1er juin 2021), par contrat du 18 septembre 2006, la société civile immobilière SD Gambetta (la SCI), gérée par M. et Mme [A], a confié à la société d'architecture [C] [X] (l'architecte), assurée par la MAF, la maîtrise d'oeuvre complète des travaux de construction d'un immeuble, composé d'un local professionnel au rez-de-chaussée et de deux logements d'habitation à l'étage.

3. Au cours de la réalisation des travaux débutés en 2008, M. et Mme [A] ont sollicité l'intervention d'un bureau de contrôle, dont les rapports ont mis en évidence diverses malfaçons affectant l'immeuble en lien avec une erreur d'implantation et une absence de conformité avec certaines normes de sécurité incendie et d'accessibilité.

4. La SCI a refusé de recevoir l'ouvrage et, après expertise, a assigné la MAF devant un tribunal de grande instance en réparation de son préjudice, laquelle a appelé en garantie certains constructeurs et leurs assureurs.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La MAF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SCI une certaine somme au titre du coût de démolition et de reconstruction de l'immeuble, alors :

« 1°/ qu'un bâtiment d'habitation collectif est celui dans lequel sont superposés plus de deux logements distincts desservis par des parties communes bâties ; que dans ses conclusions d'appel, la MAF a invoqué l'applicabilité de l'article R. 111-5 du code de la construction et de l'habitation, prévoyant que « l'installation d'un ascenseur est obligatoire dans les parties des bâtiments d'habitation collectifs comportant plus de deux étages accueillant des logements au-dessus ou au-dessous du rez-de-chaussée », et a fait valoir que le bâtiment litigieux ne comportant pas plus de deux étages, l'installation d'un ascenseur n'était pas obligatoire ; que pour écarter cette argumentation, la cour a jugé applicables les dispositions des articles R. 111-18-4 et suivants du code relatives aux maisons individuelles ; qu'en statuant ainsi, sans justifier que les différents logements du bâtiment litigieux n'étaient pas desservis par des parties communes bâties, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles R. 111-5 et R. 111-18 du code de la construction et de l'habitation dans leur rédaction antérieure au décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 ;


2°/ que, subsidiairement, à supposer même applicable la législation relative aux maisons individuelles, l'installation d'un ascenseur n'est pas obligatoire, selon l'article R. 111-18-5 du code dans sa rédaction applicable au jour où la cour statuait, quand sont superposés deux logements ou un logement et un local distinct à usage autre que l'habitation ; qu'elle n'est pas davantage obligatoire quand sont superposés deux logements au-dessus d'un logement ou d'un local distinct à usage autre que l'habitation ; qu'en décidant que ces dispositions n'imposaient plus la présence d'un ascenseur uniquement dans l'hypothèse où sont superposés "soit deux logements, soit un logement et un local distinct à usage autre que d'habitation", ce qui n'est pas le cas de l'immeuble litigieux qui dispose de deux logements à usage d'habitation à l'étage et non d'un seul et qui ne dispose pas de logement au rez-de-chaussée, la cour d'appel a violé l'article R. 111-18-5 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction antérieure au décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 ;

3°/ qu'en toute hypothèse, un manquement à l'obligation de conseil relative à l'applicabilité de normes en vigueur se résout en dommages-intérêts évalués par référence au préjudice réellement subi et non en condamnation à une mise en conformité de l'immeuble avec ces normes, notamment par une démolition-reconstruction si cette solution est la seule permettant d'assurer le respect desdites normes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reproché à l'architecte d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne s'assurant pas des normes en vigueur au moment de la construction de l'immeuble et en ne mettant pas en mesure d'informer la SCI du fait que l'installation d'un ascenseur était obligatoire ; qu'elle a condamné l'assureur de l'architecte à payer à la SCI une certaine somme correspondant au coût de démolition et de reconstruction de l'immeuble, seule solution permettant d'installer un ascenseur ; que pourtant, dans ses conclusions d'appel, la MAF a invoqué l'absence de préjudice en soutenant notamment que les désordres n'empêchaient pas l'exploitation de l'immeuble depuis le 20 septembre 2009 ; qu'en fixant ainsi les dommages-intérêts par référence à l'obligation d'installation d'un ascenseur, la cour n'a pas réparé le préjudice réellement subi par la SCI mais a en réalité ordonné la mise en conformité de l'immeuble avec les normes jugées applicables, violant ainsi les articles 1143, 1147 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en l'absence de désordre, la méconnaissance d'une norme relative à l'installation d'un ascenseur qui n'était pas contractuellement prévue ne peut caractériser un défaut de conformité au contrat et permettre de condamner le constructeur à mettre l'immeuble en conformité avec ces normes ; qu'en retenant, pour ordonner la démolition et la reconstruction de l'immeuble afin de pouvoir l'équiper d'un ascenseur, non contractuellement prévu, que du fait des manquements de l'architecte, le bâtiment construit n'était pas aux normes, la cour d'appel a violé l'article 1134 dans sa rédaction alors applicable ;

5°/ qu'en tout état de cause, la démolition et la reconstruction d'un ouvrage non conforme à une norme ne peut être ordonnée si elle est disproportionnée à la gravité de la non-conformité ; qu'en l'espèce, il est établi qu'aucun préjudice n'est résulté de l'absence de mise en place d'un ascenseur qui n'avait pas été prévu par les parties ; que dans ses conclusions d'appel, la MAF a fait valoir que la demande de démolition-reconstruction était disproportionnée par rapport aux désordres affectant le bâtiment qui n'empêchaient pas son exploitation depuis le 20 septembre 2009 ; qu'en décidant cependant que la construction d'un ascenseur nécessitait la démolition et la reconstruction de l'immeuble, et que cette sanction n'était pas disproportionnée au désordre affectant le bâtiment, la cour d'appel a violé les articles 1143 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

6°/ qu'enfin, des non-conformités et désordres ne peuvent justifier une mesure de démolition-reconstruction que s'il est établi que cette sanction est la seule qui permette de remédier à ces non-conformités et désordres ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rappelé qu'en sus des désordres tenant à l'insuffisance de largeur des passages dans le local professionnel et à l'absence d'un ascenseur, l'expert a relevé d'autres non-conformités et malfaçons engageant la responsabilité de l'architecte, en particulier une erreur d'implantation de l'immeuble empêchant la construction d'un parking adapté pour les personnes handicapées ; qu'en évoquant ces non-conformités et désordres, sans justifier que la mesure de démolition reconstruction ordonnée permettait d'y mettre un terme, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, il résulte de l'article R. 111-18 du code de la construction et de l¿habitation, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-555 du 17 mai 2006, applicable au litige, qu'est considéré comme un bâtiment d'habitation collectif, au sens des dispositions applicables en matière d'accessibilité pour les personnes handicapées, tout bâtiment dans lequel sont superposés, même partiellement, plus de deux logements distincts desservis par des parties communes bâties.

7. Au sens de ces mêmes règles d'accessibilité, tout bâtiment d'habitation qui n'est pas collectif est considéré comme maison individuelle ou ensemble de maisons individuelles.

8. Ayant constaté que l'immeuble était composé d'un local professionnel au rez-de-chaussée, destiné à l'implantation d'un cabinet dentaire, et de deux logements à usage d'habitation à l'étage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'il ne pouvait s'agir d'un bâtiment d'habitation collectif au sens des règles d'accessibilité.

9. Elle a relevé que l'article R. 111-18-5 du code de la construction et de l'habitation prévoyait que les maisons individuelles devaient être construites et aménagées de façon à être accessibles aux personnes handicapées, ce dont elle a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que seule cette disposition, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-555 du 17 mai 2006, en vigueur à la date du dépôt du permis de construire, avait vocation à s'appliquer au litige, de sorte que, dans la configuration de l'immeuble, l'ascenseur était obligatoire.

10. En second lieu, l'architecte étant contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de concevoir un bâtiment d'habitation satisfaisant aux normes applicables en matière d'accessibilité aux personnes handicapées, la cour d'appel a retenu, à bon droit, par motifs adoptés, que le défaut de conception, résultant du non-respect des prescriptions réglementaires en matière d'accessibilité des bâtiments d'habitation aux personnes handicapées, en vigueur au moment de la construction de l'immeuble, engageait sa responsabilité contractuelle et, par motifs propres, l'obligeait à réparer le préjudice en résultant selon les principes généraux de la responsabilité civile.

11. Ayant retenu que l'immeuble ne répondait pas aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées, elle a fait siennes les conclusions de l'expert qui considérait dans son rapport que le bâtiment était « insauvable », que la construction d'un ascenseur n'était pas envisageable à partir des plans tels qu'ils avaient été conçus, que pour inclure un ascenseur dans le volume existant, tout en respectant la réglementation sur les circulations à l'intérieur du bâtiment, il serait nécessaire de pousser les murs vers l'extérieur, ce qui revenait à le démolir en totalité, alors que le bâtiment occupait déjà le maximum de la surface, le PLU interdisant toute extension de l'immeuble.

12. Ayant ainsi caractérisé l'absence de toute autre solution technique susceptible, en rendant l'immeuble conforme à la réglementation, de réparer le dommage subi par la SCI, elle a pu en déduire, peu important les autres désordres ou malfaçons constatés, dès lors que la nécessité de reconstruire l'immeuble résultait uniquement de l'absence d'ascenseur, que le paiement d'une indemnité correspondant au coût de la démolition-reconstruction n'était pas disproportionné au regard de la non-conformité réglementaire constatée.

13. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Mutuelle des architectes français aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300450