mardi 27 septembre 2022

Vente d'un terrain pollué - garantie

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 650 FS-B

Pourvoi n° Z 21-21.933




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

L'établissement [Localité 5] Métropole, établissement public, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Z 21-21.933 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de [Localité 5] (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Etablissements A Gré et Cie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'établissement [Localité 5] Métropole, établissement public, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Etablissements A Gré et Cie, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 5], 15 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 septembre 2020, pourvoi n° 19-18.031) et les productions, les 27 et 29 novembre 2012, la communauté urbaine de [Localité 5] (la CUB) a, pour la construction de l'extension de la ligne C du tramway, acquis de la société Etablissements A. Gré et Cie (le vendeur) un terrain de 1997 m², composé des parcelles cadastrées AZ [Cadastre 2], AZ [Cadastre 3] et AZ [Cadastre 4], sur lequel se trouvaient d'anciennes constructions.

2. Ayant découvert dans le sol différents métaux et produits chimiques en quantités anormales, révélateurs d'une pollution d'origine industrielle et devant être traités en tant que déchets dangereux, elle a obtenu la désignation en référé d'un expert qui a déposé son rapport le 23 novembre 2013.

3. L'établissement public [Localité 5] métropole (l'acquéreur), venant aux droits de la CUB, a saisi le tribunal d'une action en indemnisation contre le vendeur, sur le fondement des articles L. 125-7 et L. 514-20 du code de l'environnement et des articles 1116, 1603 et 1641 du code civil.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur le dol du vendeur, alors :

« 1°/ que le dol est caractérisé par des déclarations mensongères sans lesquelles l'autre partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes ; qu'en écartant le dol, au cas d'espèce, quand il résultait de ses constatations que les déclarations de la société établissements A. Gré et cie dans la clause de pollution insérée au contrat de vente étaient mensongères, le vendeur n'ignorant ni l'exploitation passée ou la proximité d'une installation soumise à autorisation, ni l'exercice sur les lieux vendus ou les lieux voisins d'activités entrainant des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, ni, à compter de la destruction de la maison de gardien, le dépôt ou l'enfouissement de substances pouvant entraîner des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;

2°/ que dès lors qu'étaient invoquées les déclarations mensongères du vendeur portant sur la pollution des terrains vendus et des terrains situés à proximité, et non une réticence dolosive, la circonstance que l'acquéreur aurait pu ou dû avoir connaissance de la pollution du terrain vendu était impropre à exclure le dol ; que dès lors, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour exclure le dol, que la société Etablissements A. Gré et cie n'avait pas connaissance de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, quand il résultait de ses constatations que la destruction de la maison de gardien, antérieure à la conclusion de la vente, a révélé que des produits avaient été enfouis sur les terrains vendus et que la gérante de la société Etablissements A. Gré et cie a constaté cette pollution, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;

4°/ qu'en se fondant sur les circonstances, impropres à exclure la connaissance par le vendeur de la pollution du site au jour de la vente, que celui-ci a consenti à la destruction de la maison de gardien et que, postérieurement à la vente, il a transmis à l'expert les photographies des opérations de destruction révélant la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;

5°/ qu'en se fondant, pour écarter le dol, sur la circonstance impropre que l'établissement public [Localité 5] Métropole aurait eu connaissance, au jour de la vente, de ce qu'un site voisin était pollué, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;

6°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie , les salariés de cette société ont témoigné de ce qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;

7°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'en ont nécessairement informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] Métropole a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols en octobre 2012 et qu'elles l'auraient nécessairement informé, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises chargées de ceux-ci portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée, la cour d'appel a retenu, sans dénaturation des attestations, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols avant la vente.

7. Ayant constaté que, malgré cette information, l'acquéreur avait confirmé son souhait de devenir propriétaire des parcelles par la signature, les 27 et 29 novembre 2012, de l'acte notarié sans réclamer une diminution du prix, elle en a exactement déduit, abstraction faite de motifs surabondants relatifs aux déclarations du vendeur, à sa connaissance de la pollution et à la connaissance, par l'acquéreur, de la pollution d'un site voisin, que le dol n'était pas établi.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième à sixième branches

Enoncé du moyen

9. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur la garantie des vices cachés, alors :

« 1°/ que constitue un vice caché donnant lieu à garantie de la part du vendeur le défaut inhérent à la chose vendue rendant celle-ci impropre à l'usage auquel on la destine ; qu'en écartant toute garantie, sur la base de la connaissance que l'acquéreur aurait eu de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, au motif impropre celui-ci aurait eu connaissance de la pollution d'un site voisin, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;

3°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;

4°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à exclure la volonté de la société Etablissements A. Gré et cie de dissimuler le vice caché, notamment dans la période postérieure à la destruction de la maison, que cette société n'aurait pas consenti à cette destruction si elle avait souhaité dissimuler la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;

6°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à exclure la volonté de la société Etablissements A. Gré et cie de dissimuler le vice caché, notamment dans la période postérieure à la destruction de la maison, que cette société n'aurait pas consenti à cette destruction si elle avait souhaité dissimuler la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises chargées de ceux-ci portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée.

11. Elle a retenu, sans dénaturer les attestations versées aux débats, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé, dès octobre 2012, par les entreprises qu'il avait chargées des travaux de voirie et réseaux divers, de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols.

12. Elle a exactement déduit de ces seuls motifs que l'acquéreur n'était pas fondé à invoquer la garantie du vendeur au titre du vice de pollution qui lui était connu avant la vente.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

14. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur le manquement à l'obligation de délivrance conforme, alors :

« 1°/ que le vendeur est tenu de fournir à l'acquéreur une marchandise conforme à ce que la convention a spécifié ; qu'en se fondant, pour dire que l'établissement public [Localité 5] Métropole a eu connaissance de la pollution du terrain vendu avant la vente, sur la circonstance impropre qu'il aurait eu connaissance de ce qu'un site voisin était pollué, la cour d'appel a violé l'article 1604 du code civil ;

2°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;

3°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] Métropole a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'auraient nécessairement informée, la cour d'appel a violé l'article 1604 du code civil. »

Réponse de la Cour

15. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises qu'il avait chargées de ces travaux portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée.

16. Elle a retenu, sans dénaturer les attestations versées aux débats, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé, dès octobre 2012, par les entreprises qu'il avait chargées des travaux de voirie et réseaux divers, de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols.

17. Elle a exactement déduit de ces seuls motifs que la signature par l'acquéreur, sans réserves, du contrat de vente intervenue les 27 et 29 novembre 2012, en connaissance de l'origine industrielle de la pollution et de sa localisation, lui interdisait de se prévaloir du défaut de conformité invoqué.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

19. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur l'article L. 514-20 du code de l'environnement, alors « que, lorsqu'une installation classées soumise à autorisation ou enregistrement a été exploitée sur tout ou partie d'un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; que tout terrain issu de la division d'une installation ou inclus fonctionnellement dans son périmètre entre dans le domaine de l'article L.514-20 du code de l'environnement , si même il n'a pas été directement le siège de l'activité ayant donné lieu à l'exigence d'autorisation ; qu'en retenant, pour écarter l'obligation d'information de la société Etablissements A Gré et cie, qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée a été exercée sur les parcelles cédées, la cour d'appel a violé l'article L. 514-20 du code de l'environnement. » Réponse de la Cour

Vu l'article L. 514-20 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable en la cause :

20. Aux termes du premier alinéa de ce texte, lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation.

21. Aux termes du troisième alinéa, à défaut, l'acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la remise en état du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente.

22. Pour écarter l'application de l'article L. 514-20 précité, la cour d'appel retient qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée ait été exercée sur les parcelles cédées à l'acquéreur qui abritent depuis 1926 une maison à usage de logement.

23. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la parcelle constituait l'entrée de l'usine exploitée de 1893 à 1961 pour une activité de traitement des déchets d'usines à gaz de manière à en extraire le soufre noir et que l'habitation était une maison de gardien, ce dont il résultait que le terrain vendu était inclus dans le périmètre de l'installation classée soumise à autorisation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de l'établissement public [Localité 5] métropole fondées sur l'article L. 514-20 du code de l'environnement, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de [Localité 5] ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de [Localité 5], autrement composée ;

Condamne les établissements A. Gré et Cie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Responsabilité décennale et éléments d'équipement à usage professionnel

 Note P. Dessuet, RGDA 2022-10, p. 25.

Note S. Bertolaso, RCA 2022-11, p. 4.

Note C. Charbonneau, RDI 2022, p. 667.

 Note D. 2022, p. 2318.

 Note A. Caston, GP 2023-2, p. 64.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 652 FS-B

Pourvoi n° U 21-20.433




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

La société BN Solaire, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-20.433 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], assureur de la société TCE Solar en liquidation,

2°/ à la société Santerne Méditérranée, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société SMA, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la soiété Sagena assureur de la société Santerne Méditerranée,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société BN Solaire, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 23 mars 2021, rectifié le 19 octobre 2021), la société BN solaire a confié à la société TCE Solar, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), l'installation, en toiture d'un bâtiment dont la couverture existante avait été préalablement déposée, d'une unité de production d'énergie solaire comportant des panneaux photovoltaïques fabriqués par la société Scheuten Holding, assurée auprès de la société AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe, équipés de boîtiers de connexion, fournis par une entreprise assurée auprès de la société Allianz Benelux NV (la société Allianz) et certifiés par la société Tüv Rheinland LGA Products GMBH (la société Tüv Rheinland), assurée auprès de la société HDI Global SE.

2. La société TCE Solar a sous-traité à la société Santerne Méditerranée, assurée auprès de la société Sagena, aux droits de laquelle vient la société SMA, le câblage de l'installation.

3. La réception des travaux est intervenue le 19 janvier 2011.

4. Divers incidents de production étant survenus avant la mise en arrêt total de l'installation, le 27 janvier 2012, provoqués par un défaut sériel affectant les boîtiers de connexion, la société BN solaire a, après expertise, assigné la société TCE Solar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et la société Axa en réparation.

5. La société Axa a assigné en garantie les sociétés Santerne Méditerranée, Sagena, la société Allianz France IARD, recherchée en sa qualité d'assureur de l'entreprise ayant fourni les boîtiers, et AIG Europe Limited, laquelle a appelé en garantie les sociétés Allianz,Tüv Rheinland et HDI Global SE.

6. Les assignations ont été jointes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société BN solaire fait grief à l'arrêt de dire que, par application de l'article 1792-7 du code civil, le dommage n'engage pas la responsabilité civile de la société TCE Solar sur le fondement des garanties légales des articles 1792 et 1792-3 du code civil et de rejeter, en conséquence, ses demandes à l'encontre de la société Axa, assureur décennal de l'entreprise, alors « qu'une installation photovoltaïque intégrée en toiture d'un immeuble constituant, dans son ensemble, un ouvrage de construction ayant pour fonction le clos et le couvert ainsi que la production d'électricité, la cour d'appel, en faisant application de l'article 1792-7 du code civil qui exclut de la garantie décennale les éléments d'équipement d'un ouvrage dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, a violé ce texte par fausse application et l'article 1792 du même code par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792 et 1792-7 du code civil :

8. Aux termes du premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

9. Selon le second, ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage.

10. Pour faire application de l'article 1792-7 du code civil à l'installation de production électrique formant la toiture d'un bâtiment et rejeter, en conséquence, les demandes à l'encontre de l'assureur décennal du locateur d'ouvrage, l'arrêt retient que, si la mise en place d'une nouvelle couverture de l'immeuble composée de modules photovoltaïques fixés sur des bacs-aciers supportés par les pannes de la charpente participe de la réalisation de l'ouvrage global, dès lors que la nouvelle couverture supporte l'unité de production, les modules photovoltaïques constituent un élément d'équipement dont le vice n'a affecté que la production industrielle d'énergie, sans porter atteinte à la solidité et à la destination de l'ouvrage immobilier.

11. En statuant ainsi, après avoir constaté que les panneaux photovoltaïques participaient de la réalisation de l'ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d'étanchéité du bâtiment, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

12. La société BN solaire fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, dissociables ou non, le rendent impropre à sa destination ; que, pour dire n'y avoir lieu d'engager la responsabilité décennale de la société TCE Solar, la cour d'appel a retenu que la combustion interne des boîtiers de connexion des modules photovoltaïques n'avait été suivie d'aucun début d'incendie portant atteinte à la couverture de l'ouvrage, mais que la réalisation d'un tel risque avait existé ; qu'en statuant ainsi, cependant que constitue un dommage couvert par la garantie décennale non seulement l'incendie mais également le risque d'incendie dans le délai décennal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1792 et 1792-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

13. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

14. Pour rejeter les demandes formées sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt retient que la couverture remplit son office sans qu'il y ait la moindre atteinte à sa destination, dès lors que la combustion interne des boîtiers de connexion des panneaux photovoltaïques n'avait en l'espèce été suivie d'aucun début d'incendie portant atteinte à la toiture, même si la réalisation d'un tel risque a pu exister.

15. En statuant ainsi, alors qu'en lui-même le risque avéré d'incendie de la couverture d'un bâtiment le rend impropre à sa destination, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt selon lesquelles les dommages litigieux n'engagent pas la responsabilité de TCE Solar sur le fondement des garanties légales des articles 1792 et 1792-3 du code civil, et qui rejettent les demandes de la société BN solaire à l'encontre de la société Axa, entraînent la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa deuxième branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare les écritures recevables, met hors de cause la société AIG Europe, prise en la personne de ses succursales française et néerlandaise, et la société Allianz France IARD, déclare l'arrêt commun à la société SMA, assureur de la société Santerne Méditerranée, confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité de l'assignation introductive d'instance et le rapport d'expertise, et déclare irrecevables les demandes formées contre la société TCE Solar, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa France IARD et la condamne à payer à la société BN Solar la somme de 3 000 euros ;

L'arrêté de péril est exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'a point d'effet suspensif

 

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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 654 FS-B

Pourvoi n° W 21-21.102




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

La société MO.PI.TY., société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 1], a formé le pourvoi n° W 21-21.102 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à la commune d'[Localité 2], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Adresse 9], [Localité 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de la société MO.PI.TY., de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la commune d'[Localité 2], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 mars 2021), par un arrêté de péril du 14 juin 2019, pris sur le fondement des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction alors applicables, le maire d'[Localité 2] a prescrit à la société civile immobilière MO.PI.TY (la SCI) de procéder à la démolition d'un immeuble lui appartenant, qui menaçait ruine.

2. A défaut d'exécution dans le délai imparti, le maire a saisi le président du tribunal judiciaire, statuant en la forme des référés, pour être autorisé à procéder d'office à la démolition de l'immeuble.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt d'ordonner la démolition de l'immeuble, alors :

« 1°/ que le juge administratif est seul compétent pour apprécier le point de savoir si le recours gracieux adressé par le propriétaire d'un immeuble à l'encontre d'un arrêté de péril pris par l'administration a la nature d'un véritable « recours gracieux » préservant le délai de recours contentieux ; qu'en considérant en l'espèce que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (?) un recours », ce qui en outre est inexact, la cour d'appel a empiété sur les compétences du juge administratif, par ailleurs saisi d'une requête dirigée contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, et a ainsi commis un excès de pouvoir en violation de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer le sens d'une pièce régulièrement versée aux débats par une partie ; que saisi d'une requête en ce sens par le propriétaire de l'immeuble visé par l'arrêté de péril qui lui est notifié, le juge administratif peut ordonner la suspension de cet acte pour une durée déterminée, d'où il suit que le recours préalable adressé à l'administration concernée en vue de la suspension de l'arrêté litigieux constitue nécessairement un recours gracieux ; qu'en l'espèce, la SCI versait aux débats son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2], expressément intitulé « recours gracieux », et tendant à la suspension de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 ; qu'en considérant que le courrier de la SCI du 24 juillet 2019 n'était pas un recours gracieux, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette pièce, en méconnaissance du principe susvisé ;

3°/ qu'un recours adressé à l'administration qui a pris la décision contestée constitue un recours gracieux et que toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ; qu'en considérant que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (?) un recours », ce qui là encore est inexact, la cour d'appel a violé les articles L. 410-1 et L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la commune d'[Localité 2] ne contestait pas l'existence du recours formé par la SCI devant le tribunal administratif de Bordeaux à l'encontre de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 et en admettait même à l'inverse l'existence ; qu'en retenant alors que l'exercice de ce recours devant le juge administratif n'était pas justifié par la SCI sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêté de péril étant exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'ayant point d'effet suspensif, le juge judiciaire, saisi par le maire sur le fondement de l'article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation, peut ordonner la démolition, nonobstant l'existence d'un recours.

5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière MO.PI.TY aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière MO.PI.TY et la condamne à payer à la commune d'[Localité 2] la somme de 3 000 euros ;

Imprévision et conditions de modification des contrats publics

 Note, M.-C. de Montecler, AJDA 2022, p. 1756.

Le risque de perte de l'ouvrage avant réception - art. 1788 C. civ.

Note N. Bonnardel, RDI 2022, p.465, sur cass.  21-18.098 et 21-15.883. 

Note A. Caston, GP 2022-31, p. 66.

 Note D. 2022, p. 2316.

Note N. Boullez, GP 2023-2, p. 58.

LE « DESORDRE APPARENT COUVERT PAR LA RECEPTION SANS RESERVE »

 

LE  « DESORDRE APPARENT

COUVERT PAR LA RECEPTION SANS RESERVE »

 

Cass. civ. 3ème, 25 mai 2022, n° 21-13.441, SMABTP, c/AXA France IARD, MM. E, L et Y, SCI GESLODIS, sociétés FINAMUR, BERTRAND LEROY MARTIN, ALLIANZ IARD, GIE CETEN APAVE INTERNATIONAL, société LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD’S DE LONDRES,  CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DE PARIS VAL-DE-LOIRE, (cass. partielle CA Amiens, 14 janvier 2021), Mme Teiller, prés. ; SARL Delvolvé et Trichet, SARL Le Prado – Gilbert, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, SAS Buk Lament-Robillot, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Le Bret-Desaché, av.

 

L’essentiel :

 

La Cour de cassation rappelle fermement qu’un désordre, connu du maître d'ouvrage dans toute son ampleur et, partant, dans ses conséquences, avant la réception est couvert par une réception sans réserve. Encore faut-il que cela ait été recherché par le juge du fait, qui en avait été prié et ne s’est pas plus préoccupé de vérifier si un préjudice immatériel  était effectivement garanti par une stipulation de la police « dommages-ouvrage ».

 

Faits et procédure

 

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 janvier 2021, rectifié le 4 mars 2021), le 25 juillet 2000, la société Ucabail immobilier, aux droits de laquelle vient la société Finamur, crédit-bailleur, a conclu avec la société civile immobilière Geslodis (la SCI), crédit-preneur, un contrat de crédit-bail immobilier portant sur la construction d'un bâtiment à usage de stockage.


2. La société Ucabail immobilier a souscrit, en sa qualité de maître de l'ouvrage, une assurance dommages-ouvrage auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).


3. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à M. [Y], assuré auprès de la société AGF, devenue Allianz IARD.


4. Sont notamment intervenus à l'opération de construction, au titre du lot bardage et couverture, la société Ser, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, puis, à la suite de l'abandon de chantier par celle-ci, la société Bertrand Leroy Martin (la société BLM), assurée auprès de la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Paris Val-de-Loire (la société Groupama) et, en qualité de contrôleur technique, le groupement d'intérêt économique Ceten Apave international (l'Apave), assuré auprès de la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres (la Lloyd's).


5. Le procès-verbal de réception des travaux de couverture et de bardage a été signé le 6 novembre 2001 sans réserve.


6. Le 26 septembre 2016, la SCI est devenue propriétaire de l'ouvrage.


7. Se plaignant de désordres de condensation et d'infiltrations, la société Finamur et la SCI ont, après expertise, assigné en indemnisation la société Axa, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, laquelle a appelé en garantie les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

 

La SMABTP fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec M. [Y], à payer une certaine somme à la société Axa, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, au titre des travaux réparatoires, alors « que le désordre, connu du maître de l'ouvrage, est couvert par une réception sans réserves, de sorte que la responsabilité décennale de l'entreprise de travaux n'est pas engagée à l'égard du maître d'ouvrage, et la garantie de l'assureur de responsabilité décennale n'est pas mobilisable. Cet assureur avait expressément invité le juge du fait à rechercher si le maître d'ouvrage connaissait l’existence de ces désordres bien avant la réception sans réserve.

 

La Cour Suprême, pour déclarer justifié ce reproche va – au visa des articles 1792 du code civil et L. 241-1 du code des assurances, rappeler de manière didactique : « 10. Il résulte de ces textes qu'un désordre ne peut engager la responsabilité décennale du locateur d'ouvrage et déterminer la mise en oeuvre de la garantie obligatoire de son assureur que s'il est apparu après réception.
11. Il est jugé qu'un désordre connu du maître de l'ouvrage dans toute son ampleur et, partant dans ses conséquences, avant la réception, est couvert par une réception sans réserve (3e Civ., 27 mars 2012, pourvoi n° 11-15.468). ».

 

Elle reproche ensuite au juge du fait de s’être déterminé « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le maître de l'ouvrage n'avait pas eu connaissance de tout ou partie de ces désordres avant la réception prononcée sans réserve » et aussi de n'avoir pas recherché si le préjudice immatériel était couvert par la police, dont les conditions particulières et générales étaient produites.

 

- Sens, valeur et portée de l’arrêt

 

a) L’apparence du désordre

Le principe de l’effet exonératoire de la réception au titre des vices et des non-conformités contractuelles apparents et non réservés est constamment affirmé par la jurisprudence[1]. Suivant la formule d’un arrêt, « l’acceptation des travaux […] dégage la responsabilité du locateur d’ouvrage […] en ce qui concerne les vices apparents »[2].

Ce principe prend sa source dans les travaux préparatoires du code civil :

On peut facilement vérifier si un meuble est conditionné comme il doit l’être ; aussi, dès qu’il est reçu, il est juste que l’ouvrier soit déchargé de toute responsabilité. Mais il n’en est pas de même d’un édifice ; il peut avoir toutes les apparences de la solidité, et cependant, être affecté de vices cachés, qui le fassent tomber après un laps de temps. L’architecte doit donc en répondre pendant un délai suffisant pour qu’il devienne certain que la construction est solide.[3]

La jurisprudence distingue, cependant, entre l’apparence du vice et celle de ses conséquences. Elle estime qu’il importe peu qu’un vice soit apparent si ses conséquences graves pour la tenue des ouvrages ne peuvent être déterminées lors de la réception[4].  La Cour suprême mêle aussi l’ignorance de la cause du dommage et l’incertitude de l’effet. Elle estime que la demande de la victime doit être accueillie si l’origine des dommages (c’est-à-dire le vice) ne peut être révélée qu’après réception, dans le cadre d’une expertise[5].

Cette question est très fréquemment débattue, car elle fait toujours l’objet d’une vigilance particulière des assureurs. C’est ainsi qu’outre l’arrêt ici commenté, l’année 2022 en montre quatre autres analogues, entre mars et juin 2022[6].

 

En 2019, la 3ème chambre civile a précisé que cette apparence s’apprécie en la personne du « vendeur constructeur après achèvement »[7] et a rappelé que cette apparence devait, pour être exonératoire, être connue « dans toute son ampleur »[8].

 

B) La non-garantie des dommages immatériels par la police « dommages ouvrage »

Depuis un arrêt du 25 février 1992[9], ces dommages sont clairement exclus de la garantie « dommages ouvrage » obligatoire. Mais cette garantie peut être spécialement accordée. Enfin, comme pour la question de l’apparence du désordre, le juge du fait se voit reprocher de ne pas avoir procédé à la recherche qui lui était spécialement demandée. Il s’agit donc, outre le rappel de cette non-garantie, aussi d’une cassation dite « disciplinaire », classique en matière d’assurance[10].



[1] 3e civ., 22 novembre 1977, n° 76-11.699, P.

[2] 3e civ., 8 juillet 1975, n° 73-14.260 ; 3e civ., 9 mai 2012, n° 11-17.053 ; 3e civ., 8 décembre 2016, n° 15-17.022; 3e civ., 4 février 2016, 14-12.370 ; 3e civ., 7 avril 2016, 15-11.256; 3e civ., 13 juillet 2016, 15-18.801; 3e civ., 6 mai 2014, 13-14.300.

[3] Bérenger, séance du Conseil d’État du 14 nivôse an XII, 5 janvier 1804.

[4] 1re civ., 17 mai 1965, n° 63-11.774, P ; 3e civ., 12 octobre 1994, n° 92-16.533, P.

[5] 3e civ., 18 décembre 1996, n° 95-13.048, I, Ph. Malinvaud, B. Boubli, « Portée des réserves inscrites au procès-verbal de réception », RDI 1997, p. 237 ; 3e civ., 3 décembre 2002, n° 00-22.579, I, Ph. Malinvaud, « Est caché à la réception le défaut qui n’est apparu que plus tard dans son ampleur et ses conséquences », RDI 2003, p. 184 ; 3e civ., 2 octobre 1980, n° 79-12.247, P ; 3e civ., 10 janvier 1990, n° 88-14.656, P ; 3e civ., 28 février 1996, n° 94-14.220, I, Ph. Malinvaud, B. Boubli, « Notion de vice caché et aggravation de désordres réservés lors de la réception », RDI 1996, p. 217 ; 3e civ., 11 février 1998, n° 95-18.401, P, Ph. Malinvaud, B. Boubli, « Le locateur d’ouvrage n’est tenu que des vices ou désordres cachés », RDI 1998, p. 260 ; 3e civ., 18 décembre 2001, n° 00-18.211, I, Ph. Malinvaud, « Est caché à la réception le défaut qui n’est apparu que plus tard dans son ampleur et ses conséquences », RDI 2002, p. 150.

[6] Cass. civ. 3ème, 29 juin 2022, n° 21-17.997 ; 25 mai 2022, n° 21-13.441 ; 11 mai 2022, n° 21-15.217 ; 2 mars 2022, n° 20-22.636 et 21-14.912.

[7] Cass. civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-19.918.

[8] Cass. civ. 3ème, 7 mars 2019, n° 18-10.577.

[9] Cass. civ. 1ère, n° 82-12.138

[10] Voir ainsi : Cass. civ. 1ère 6 juillet 2022, n° 21-17.610.

jeudi 22 septembre 2022

L'acte de l'huissier de justice ne comportait pas d'autres mentions que celle relative au nom figurant sur la boîte aux lettres

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 septembre 2022




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 840 F-B


Pourvois n°
K 21-12.352
Z 21-16.183 Jonction




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022

Mme [T] [X], épouse [P], domiciliée [Adresse 1], [Localité 4] (République démocratique du Congo), a formé les pourvois n° K 21-12.352 et Z 21-16.183 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2021 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est 5[Adresse 2] [Localité 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme [X], épouse [P], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit logement, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-12.352 et 21-16.183 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 janvier 2021) et les productions, M. et Mme [P] ont conclu deux prêts immobiliers garantis par le cautionnement de la société Crédit logement.

3. Par acte d'huissier de justice du 4 avril 2016, délivré selon les modalités des articles 656 et 658 du code de procédure civile, la société Crédit logement a assigné Mme [P] en paiement de différentes sommes.

4. Mme [P], non comparante ni représentée en première instance, a relevé appel du jugement ayant accueilli les demandes de la société Crédit logement.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement, alors « que la signification à domicile est irrégulière si la seule diligence accomplie par l'huissier instrumentaire, mentionnée à l'acte, pour s'assurer de la réalité du domicile, est celle de la vérification du fait que le nom d'épouse de la destinataire de l'acte figurait sur la boîte aux lettres ; qu'en ayant jugé que l'huissier instrumentaire s'était suffisamment assuré de la réalité du domicile de Mme [U], dès lors que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, la cour d'appel a violé les articles 655 et 656 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 656 et 658 du code de procédure civile :

6. Il résulte du premier de ces textes que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. La seule mention, dans l'acte de l'huissier de justice, que le nom du destinataire de l'acte figure sur la boîte aux lettres, n'est pas de nature à établir, en l'absence de mention d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte.

7. Pour rejeter la demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement formée par Mme [P], l'arrêt retient que l'acte a été délivré au seul domicile connu du créancier sans que Mme [P] signale un changement d'adresse, les divers courriers recommandés adressés à la débitrice par la banque puis par la caution étant de surcroît revenus avec la mention "pli avisé non réclamé", ce qui corroborait que cette adresse était toujours valable, et que dans ces circonstances, et alors que les prêts avaient été consentis aux deux époux [P] demeurant à la même adresse, que ceux-ci n'étaient ni divorcés, ni même judiciairement autorisés à résider séparément, et que le créancier n'avait jamais été avisé de leur prétendue séparation de fait, l'huissier de justice a régulièrement délivré l'assignation conformément aux dispositions de l'article 656 du code de procédure civile en se rendant à cette adresse et en vérifiant que le nom de Mme [P] figurait bien sur la boîte aux lettres, peu important que son prénom n'y fût pas précisé.

8. En statuant ainsi, sans constater que l'acte de l'huissier de justice comportait d'autres mentions que celle relative au nom figurant sur la boîte aux lettres, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement et de la condamner à payer à la société Crédit logement la somme de 109 921,04 euros en principal, outre 1 963,71 euros au titre des intérêts légaux arrêtés au 28 juin 2020, et les intérêts au taux légal sur le principal de 109 921,04 euros à compter du 29 juin 2020, alors « que la cassation à intervenir sur un chef d'arrêt entraînera l'annulation par voie de conséquence des chefs d'arrêt qui lui sont liés ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen ayant rejeté la demande d'annulation, présentée par l'exposante, de l'assignation introductive d'instance et du jugement subséquent, entraînera l'annulation par voie de conséquence sur le second, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

10. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

11. La cassation du chef de l'arrêt rejetant la demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des chefs critiqués de l'arrêt ayant condamné Mme [P] à régler diverses sommes à la société Crédit logement, ainsi que le chef non critiqué autorisant la capitalisation des intérêts, qui est dans leur dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne la société Crédit logement aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit logement et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;