Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 21-15.381
- ECLI:FR:CCASS:2022:CO00501
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 14 septembre 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 02 février 2021Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 501 F-D
Pourvoi n° C 21-15.381
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
La société [G] MJO, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [C] [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Nantaise des eaux, a formé le pourvoi n° C 21-15.381 contre l'arrêt rendu le 2 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [I] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [L] [H], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société [G] MJO, ès qualités, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société [G] MJO du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [H].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 février 2021), la société Nantaise des eaux ingénierie (NDEI), ayant pour directeur général M. [N] du 1er janvier 2010 au 10 juillet 2017, a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 20 septembre 2017. Elle a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 27 mars 2018 et 16 mai 2018, la société [G] MJO étant désignée liquidateur.
3. Le liquidateur a assigné le 30 juillet 2018 M. [N] en responsabilité pour insuffisance d'actif. Il a été débouté de ses demandes par un jugement du 9 juillet 2020, dont il a relevé appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société [G] MJO, ès qualités, fait grief à l'arrêt, après avoir confirmé le jugement du 9 juillet 2020, de le condamner à payer à M. [N] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que seule la faute, dûment caractérisée, ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice justifie la condamnation à des dommages-intérêts ; que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que le liquidateur peut alors demander au dirigeant la condamnation pour l'entière insuffisance d'actif sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute ; qu'en considérant que la demande du liquidateur était abusive dès lors que "outre le fait que les demandes ne sont pas fondées, il apparaît qu'elles ont été formulées sans aucun ménagement ni aucune prudence, M. [G] demandant ainsi la condamnation de M. [N] à payer la totalité du passif, sans prendre la peine d'adapter sa demande aux conséquences des manquements qu'il lui imputait", la cour d'appel qui n'a pas caractérisé la faute du liquidateur a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ensemble l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
6. L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'agir, lequel suppose la démonstration d'une faute.
7. Pour condamner la société [G] MJO, ès qualités, à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient qu'outre le fait que les demandes ne sont pas fondées, elles ont été formulées sans ménagement ni prudence, le liquidateur demandant la condamnation de M. [N] à payer la totalité du passif (en réalité de l'insuffisance d'actif), sans prendre la peine d'adapter sa demande aux conséquences des manquements qu'il lui imputait, tandis que lorsqu'elle consiste à demander une somme de dix millions d'euros à une personne physique en raison de fautes que cette personne aurait commises, elle doit être envisagée avec une prudence particulière et s'appuyer sur des éléments de droit et fait incontestables ou à tout le moins raisonnables.
8. En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser l'abus qu'elle retenait, alors que la faute de gestion reprochée devait simplement avoir contribué à l'insuffisance d'actif sans que le liquidateur n'ait à établir dans quelle proportion ni à limiter sa demande et que l'exercice de l'action ne pouvait dégénérer en abus du seul fait que les demandes n'étaient pas fondées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [G] MJO, en qualité de liquidateur de la société Nantaise des eaux, à payer à M. [N] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 2 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 501 F-D
Pourvoi n° C 21-15.381
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
La société [G] MJO, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [C] [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Nantaise des eaux, a formé le pourvoi n° C 21-15.381 contre l'arrêt rendu le 2 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [I] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [L] [H], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société [G] MJO, ès qualités, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société [G] MJO du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [H].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 février 2021), la société Nantaise des eaux ingénierie (NDEI), ayant pour directeur général M. [N] du 1er janvier 2010 au 10 juillet 2017, a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 20 septembre 2017. Elle a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 27 mars 2018 et 16 mai 2018, la société [G] MJO étant désignée liquidateur.
3. Le liquidateur a assigné le 30 juillet 2018 M. [N] en responsabilité pour insuffisance d'actif. Il a été débouté de ses demandes par un jugement du 9 juillet 2020, dont il a relevé appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société [G] MJO, ès qualités, fait grief à l'arrêt, après avoir confirmé le jugement du 9 juillet 2020, de le condamner à payer à M. [N] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que seule la faute, dûment caractérisée, ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice justifie la condamnation à des dommages-intérêts ; que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ; que le liquidateur peut alors demander au dirigeant la condamnation pour l'entière insuffisance d'actif sans qu'il soit nécessaire de déterminer quelle part de l'insuffisance est imputable à cette faute ; qu'en considérant que la demande du liquidateur était abusive dès lors que "outre le fait que les demandes ne sont pas fondées, il apparaît qu'elles ont été formulées sans aucun ménagement ni aucune prudence, M. [G] demandant ainsi la condamnation de M. [N] à payer la totalité du passif, sans prendre la peine d'adapter sa demande aux conséquences des manquements qu'il lui imputait", la cour d'appel qui n'a pas caractérisé la faute du liquidateur a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil ensemble l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
6. L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'agir, lequel suppose la démonstration d'une faute.
7. Pour condamner la société [G] MJO, ès qualités, à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient qu'outre le fait que les demandes ne sont pas fondées, elles ont été formulées sans ménagement ni prudence, le liquidateur demandant la condamnation de M. [N] à payer la totalité du passif (en réalité de l'insuffisance d'actif), sans prendre la peine d'adapter sa demande aux conséquences des manquements qu'il lui imputait, tandis que lorsqu'elle consiste à demander une somme de dix millions d'euros à une personne physique en raison de fautes que cette personne aurait commises, elle doit être envisagée avec une prudence particulière et s'appuyer sur des éléments de droit et fait incontestables ou à tout le moins raisonnables.
8. En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser l'abus qu'elle retenait, alors que la faute de gestion reprochée devait simplement avoir contribué à l'insuffisance d'actif sans que le liquidateur n'ait à établir dans quelle proportion ni à limiter sa demande et que l'exercice de l'action ne pouvait dégénérer en abus du seul fait que les demandes n'étaient pas fondées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [G] MJO, en qualité de liquidateur de la société Nantaise des eaux, à payer à M. [N] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 2 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.