Note JP Karila, RGDA 2022-10, p. 32.
Commentaire de la Cour de cassation :
Portée de la mise en demeure du constructeur de réparer les ouvrages nécessaire à la mise en œuvre de la garantie dommages-ouvrage
Le contrat d'assurance dommages-ouvrage couvre en principe les dommages de nature décennale à compter de l'expiration du délai de parfait achèvement (un an après la réception). L'article L. 242-1 (alinéas 8 et 9) du code des assurances dispose, toutefois, qu'avant la réception, cette assurance garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
Avant l'expiration du délai de parfait achèvement, l'intervention de la garantie dommages-ouvrage est subsidiaire. La garantie est subordonnée au constat de la défaillance du constructeur : l'existence de dommages de gravité décennale ne suffit pas, il faut que le constructeur ait été mis en demeure de les réparer.
Pour maintenir l'équilibre recherché par le législateur entre protection du maître de l'ouvrage et limitation du champ de la garantie obligatoire de dommages, la Cour de cassation veille à ce que les conditions de la garantie tenant à l'existence d'une mise en demeure suivie d'une résiliation du contrat pour inexécution, par le constructeur, de ses obligations, soient respectées par les juges du fond : si le maître de l'ouvrage résilie le marché sans mettre le constructeur en demeure de reprendre son ouvrage, la garantie de l'assureur dommages-ouvrage n'est pas due.
Ni l'article L. 242-1 ni les clauses type du contrat d'assurance dommages-ouvrage n'exigent de formalisme particulier pour la mise en demeure avant réception. La Cour de cassation en déduit qu'une demande adressée au constructeur pour qu'il remédie aux défauts de l'ouvrage peut valoir mise en demeure, pour peu qu'il en ressorte une interpellation suffisante, même si les mots « mise en demeure » ne sont pas prononcés.
Le présent arrêt apporte une précision quant à l'auteur de l'interpellation : la mise en demeure s'entendant de l'acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu'il exécute ses obligations, la mise en demeure visée à l'article L. 242-1 du code des assurances doit émaner du maître de l'ouvrage ou de son mandataire pour que la résiliation du contrat qui la suit puisse mobiliser la garantie dommages-ouvrage. En effet, l'entrepreneur doit comprendre que le maintien du contrat est en jeu par l'interpellation qu'il reçoit de la seule personne qui peut le résilier.
Dans l'affaire à l'origine du pourvoi, le maître de l'ouvrage avait résilié le contrat en visant les mises en demeure adressées précédemment par le maître d'oeuvre. Celui-ci pouvait-il être considéré comme le mandataire du maître de l'ouvrage ? Le contrat de maîtrise d'oeuvre est essentiellement un contrat de louage d'ouvrage : le maître d'oeuvre exécute ses prestations de manière indépendante et n'est ni le préposé ni le représentant du maître de l'ouvrage. Le contrat peut, néanmoins, prévoir des missions accessoires de représentation, qui relèveront des règles du mandat. Dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'interprétation des conventions, les juges du fond n'ont pas retenu l'existence d'un tel mandat donné par le maître de l'ouvrage au maître d'oeuvre pour mettre en demeure les constructeurs en son nom, avant une éventuelle résiliation du marché de travaux. Dans ces conditions, les mises en demeure qu'avait pu adresser l'architecte en exécution de sa mission de direction des travaux ne constituaient pas les actes exigés par l'article L. 242-1 du code des assurances.
Il importe ainsi que les maîtres de l'ouvrage, qui voudraient mobiliser la garantie de l'assureur dommages-ouvrage à raison de la défaillance du constructeur, mandatent le maître d'oeuvre pour mettre en demeure ce locateur d'ouvrage s'ils n'entendent pas le faire eux-mêmes.
L'arrêt ici commenté précise, par ailleurs, les conditions dans lesquelles la liquidation judiciaire du constructeur peut dispenser le maître de l'ouvrage d'une mise en demeure. On sait que le maître de l'ouvrage n'est pas tenu de mettre le constructeur en demeure lorsque cette formalité est impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage. Il est vain, dans ce cas, de mettre le constructeur en demeure de parachever l'ouvrage puisqu'il ne pourra déférer à cette injonction. Pour tenir compte de ces circonstances particulières, rendant sans objet la formalité requise, la jurisprudence admet ainsi que l'assurance dommages-ouvrage puisse être mobilisée sans mise en demeure préalable.
Mais si la résiliation est prononcée par le maître de l'ouvrage avant même la liquidation, la formalité de la mise en demeure ne pourra être considérée comme impossible ou inutile du seul fait de cette liquidation. Pour mobiliser l'assurance dommages-ouvrage, la résiliation prononcée, alors que le constructeur est encore en activité, doit être précédée d'une mise en demeure adressée au constructeur pour qu'il remédie aux défauts de l'ouvrage. Dans l'affaire à l'origine du pourvoi, le constructeur avait été mis en liquidation plusieurs mois après que le maître de l'ouvrage avait prononcé la résiliation du marché. On ne se trouvait pas, dès lors, dans un cas d'une mise en demeure inutile ou impossible.
Là encore, la Cour de cassation veille à préserver l'équilibre du système conçu par le législateur en n'écartant les formalités à la charge du maître de l'ouvrage que dans le cas où elles ne peuvent produire d'effet.
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 21-21.382
- ECLI:FR:CCASS:2022:C300606
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 606 FS-B
Pourvoi n° A 21-21.382
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Primo Levi, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° A 21-21.382 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2021 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [K] [O], domiciliée [Adresse 4], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Merat Workshop sise [Adresse 1],
3°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Primo Levi, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société civile de construction-vente Résidence Primo Lévi (la SCCV) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [O], prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Merat Workshop ;
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 juin 2021), la SCCV a confié à la société Merat Workshop, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la construction de logements.
3. Les lots gros oeuvre et chauffage-plomberie ont été confiés à la société Bati Ten.
4. Un contrat d'assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).
5. Le maître de l'ouvrage a notifié à la société Bati Ten la résiliation du marché pour manquement à ses obligations contractuelles et cette société a ensuite été mise en liquidation judiciaire.
6. Se plaignant de désordres et de trop-versés, la SCCV a assigné les sociétés Merat Workshop, MAF et Axa en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La SCCV fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande dirigée contre la société Axa au titre des travaux de reprise des désordres affectant la solidité de l'ouvrage, alors « que le contrat de maîtrise d'oeuvre conclu entre la SCCV et la société Merat Workshop stipule que le maître d'ouvrage « s'interdit de donner directement quelque ordre que ce soit aux entreprises », et que le maître d'oeuvre a notamment pour mission « l'établissement et l'envoi des courriers de toutes natures nécessités par [sa] mission afin d'assurer une qualité parfaite et le respect de son planning » et « le contrôle de l'avancement des travaux et des situations d'entreprise » ; qu'en affirmant néanmoins qu'aucun mandat n'avait été donné par la SCCV à la société Merat Workshop pour mettre en demeure les entreprises défaillantes de remédier aux manquements constatés, la cour d'appel a dénaturé le contrat susvisé, en violation de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du contrat de maîtrise d'oeuvre, que son ambigüité rendait nécessaire, que si ce contrat autorisait le maître d'oeuvre à adresser tous courriers utiles aux entreprises pour l'exécution de sa mission de direction des travaux, il ne contenait aucun mandat exprès à l'effet d'adresser aux entreprises défaillantes une mise en demeure avant résiliation du contrat.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La SCCV fait le même grief à l'arrêt, alors « que si l'article L. 242-1 du code des assurances dispose que la garantie dommage-ouvrages prend effet lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, il n'exige pas pour autant que l'entrepreneur ait été mis en demeure par le maître d'ouvrage personnellement, la mise en demeure notifiée par le maître d'oeuvre chargé de suivre les travaux produisant les mêmes effets ; qu'en décidant que la garantie ne pouvait être due au seul motif qu'il n'était pas justifié d'une mise en demeure émanant du maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
12. La mise en demeure s'entendant de l'acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu'il exécute ses obligations, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la mise en demeure qui, en application de l'article L. 242-1 du code des assurances, devait être adressée à l'entrepreneur avant la résiliation de son contrat, devait émaner du maître de l'ouvrage ou de son mandataire.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. La SCCV fait le même grief à l'arrêt, alors « que la formalité de la mise en demeure n'est pas requise lorsqu'elle est inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage ; qu'en jugeant que la société Axa, assureur dommages-ouvrage, ne devait pas sa garantie à défaut de mise en demeure adressée par la SCCV à la société Bati Ten avant la résiliation des marchés de travaux signifiée par courrier du 26 janvier 2010, après avoir relevé que l'entrepreneur avait été placé en liquidation judiciaire par jugement du 25 mai 2010, ce dont il résultait que le contrat avait été régulièrement résilié à cette date et que la mise en demeure n'était pas requise, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
15. En application de l'article L. 242-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur dommages-ouvrages n'est due, pour les dommages apparus avant la réception de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du code civil, que si, après une mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
16. Le maître de l'ouvrage ne peut se dispenser de cette formalité que quand elle s'avère impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage.
17. La cour d'appel, qui a retenu que la SCCV avait, plusieurs mois avant la mise en liquidation judiciaire de l'entrepreneur, notifié à la société Bati Ten, sans mise en demeure préalable, la résiliation du contrat de louage d'ouvrage, en a exactement déduit que les conditions d'application de la garantie de l'assureur dommages-ouvrage avant réception n'étaient pas réunies.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile de construction-vente Résidence Primo Lévi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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