lundi 30 novembre 2020

Responsabilité extracontractuelle : Point de départ du délai de prescription (CE)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... B... et Mme C... B... ainsi que leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la communauté de communes de la Plaine de France et la société Lyonnaise des eaux à leur verser la somme totale de 520 187,16 euros en réparation des préjudices causés par la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression d'une borne d'incendie. Par un jugement n° 0908107/10 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Melun a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF celle de 26 124,42 euros, et a mis à sa charge les frais des expertises.

Par un arrêt n°s 17PA00862, 17PA00865 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, contre ce jugement ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B..., mis les frais des expertises à la charge de cette société et prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de sursis à exécution du même jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 janvier et 23 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Suez Eau France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme B..., de la société Filia-MAIF, de la SNTPP, de la commune de Mauregard et de la communauté de communes des Plaines et Monts de France, venant aux droits de la communauté de communes de la Plaine de France, la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Suez Eau France, à Me Le Prado, avocat de M. et Mme B... et de la société Filia-MAIF et à la SARL Didier, Pinet, avocat de la commune de Mauregard ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B... ont constaté, à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, située sur le territoire de la commune de Mauregard (Seine-et-Marne), l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété. Après avoir obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Melun la désignation d'un expert et après le dépôt du rapport de cet expert, M. et Mme B... et leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé, le 17 novembre 2009, au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de la commune de Mauregard et de la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Dans le cadre de cette instance, la présidente du tribunal a désigné, par une ordonnance du 11 mai 2012, un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune de Mauregard ainsi que de la communauté de communes de la Plaine de France et de la société Lyonnaise des eaux. M. et Mme B... ont alors demandé au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert à réparer leurs préjudices. Par un jugement du 30 décembre 2016, le tribunal a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF celle de 26 124,42 euros. Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B... et mis les frais des deux expertises à la charge de la société. La société Suez Eau France se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Selon l'article 2224 du même code résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes du II de l'article 26 de cette loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l'article 2270-1 du code civil. Après l'entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil. Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.

4. Il résulte en outre de ces dispositions que la prescription qu'elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les désordres affectant la propriété de M. et Mme B... ont été constatés en juin 2002 et que leurs conclusions indemnitaires dirigées contre la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, ont été présentées pour la première fois dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Melun le 12 juillet 2016. Pour juger que l'action ainsi engagée par M. et Mme B... n'était pas prescrite, la cour administrative d'appel a considéré que la prescription décennale résultant des dispositions de l'article 2270-1 du code civil ne courait qu'à compter de la date à laquelle l'identité de tous les responsables potentiels des désordres subis par les victimes avait été révélée à ces dernières et a retenu à cet effet, en l'espèce, la date du dépôt du second rapport d'expertise le 21 juillet 2015. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des dispositions de l'article 2270-1 du code civil, ainsi qu'il a été dit au point 4, que la prescription court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, la cour a commis une erreur de droit. Dès lors et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'article 1er, en tant qu'il rejette l'appel de la société Suez Eau France, et les articles 3 à 5 de son arrêt doivent être annulés.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Suez Eau France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, par ailleurs, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette société qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 1er, en tant qu'il rejette l'appel de la société Suez Eau France, et les articles 3 à 5 de l'arrêt du 20 novembre 2018 la cour administrative d'appel de Paris sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B... et de la société Filia-MAIF ainsi que celles de la commune de Mauregard présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Suez Eau France est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Suez Eau France, à M. A... B... et Mme C... B..., à la société Filia-MAIF et à la commune de Mauregard.
Copie en sera adressée à la société nouvelle des travaux publics et particuliers (SNTPP) et à la communauté de communes des Plaines et Monts de France.

ECLI:FR:CECHR:2020:427250.20201120

La demande d'expertise n'interrompt la prescription qu'à l'égard du demandeur (CE)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement les sociétés Artelia Ville et Transport et Bauland Travaux publics à lui payer une indemnité de 428 428,57 euros. Par un jugement n° 1400269 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné solidairement les sociétés Artelia Ville et Transport et Bauland Travaux publics à payer à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux une indemnité totale de 111 576,82 euros et a condamné la société Bauland Travaux publics à garantir la société Artelia Ville et Transport à hauteur de 25 % des condamnations prononcées à son encontre par le jugement et a condamné la société Artelia Ville et Transport à garantir la société Bauland Travaux publics à hauteur de 75 % des condamnations prononcées à son encontre par le jugement.

Par un arrêt n° 17LY01270 du 16 mai 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux contre ce jugement et, sur appel incident des sociétés Artelia Ville et Transport et Bauland Travaux publics, annulé ce jugement et rejeté la demande de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 16 juillet et 16 octobre 2019 et les 15 avril et 20 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées en appel ;

3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Artelia Ville et Transport et Bauland Travaux publics la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Artelia Ville et Transport et au Cabinet Colin-Stoclet, avocat de Me A..., liquidateur de la société Bauland Travaux publics ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 31 août 1999, la commune de Bourg de Péage a conclu avec la société Sogreah, devenue la société Artelia Ville et Transport, puis la société Artelia, un marché public de maîtrise d'oeuvre pour la réalisation d'un collecteur d'eaux usées comportant notamment la traversée sous fluviale de l'Isère. Par un marché public conclu en février 2000, la commune de Bourg-de-Péage a confié les travaux de construction de ce collecteur à un groupement d'entreprises comprenant notamment la société Bauland Travaux publics, chargée de la réalisation de la traversée sous-fluviale. La réception de ces travaux est intervenue sans réserve le 15 octobre 2002. La commune de Bourg de Péage a, par contrat conclu en décembre 2003, affermé à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux la gestion et l'exploitation du service public communal de collecte, de transport et de traitement des eaux usées et pluviales. A la suite de la rupture de la canalisation sous-fluviale survenue le 14 septembre 2008, le tribunal administratif de Grenoble a, par jugement du 24 juillet 2014 devenu définitif et rendu sur demande de la commune de Bourg de Péage, condamné solidairement la société Artelia Ville et Transport et la société Bauland Travaux publics à verser à cette commune, au titre de leur responsabilité décennale, une indemnité de 186 772,80 euros en réparation des conséquences dommageables de cette rupture pour la commune. La société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux a elle aussi recherché la responsabilité des sociétés Artelia Ville et Transport et Bauland Travaux publics pour obtenir réparation des conséquences dommageables pour elle de la rupture du collecteur. Par un arrêt du 16 mai 2019 contre lequel la société Veolia Eau se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du 30 décembre 2016 du tribunal administratif de Grenoble condamnant ces sociétés à lui verser une indemnité totale de 111 576,82 euros et rejeté la demande de la société Veolia Eau, au motif que l'action de cette dernière, engagée le 10 janvier 2014, était prescrite en application de l'article 2224 du code civil.

2. Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".

3. Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ", l'article 2242 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, prévoyant que " l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". En outre, aux termes de l'article 2239 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Il résulte de ce qui précède que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.

4. Aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ". Alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait ainsi un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.


5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble par la commune de Bourg-de-Péage, postérieurement au 14 septembre 2008, date à laquelle la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux a eu connaissance de la rupture du collecteur, aux fins de voir ordonner une expertise relative à la rupture du collecteur, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 6 février 2009, n'a pu ni interrompre ni suspendre la prescription à l'égard de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, dès lors que cette saisine n'émanait pas de cette société elle-même, et alors que cette société n'a pas demandé expressément à être associée à cette demande d'expertise, la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit.

6. Par suite, la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux le versement de la somme de 1 500 euros respectivement à la société Artelia et à Me A..., liquidateur de la société Bauland Travaux publics, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Artelia et de Me A... qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux est rejeté.
Article 2 : La société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux versera respectivement à la société Artelia et à Me A..., liquidateur de la société Bauland Travaux publics, une somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, à la société Artelia et à Me A..., liquidateur de la société Bauland Travaux publics.
Copie en sera adressée à la commune de Bourg-de-Péage.

ECLI:FR:CECHR:2020:432678.20201120

mardi 24 novembre 2020

La société X... avait manqué à ses obligations, ce qui justifiait la résiliation du contrat à ses torts

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 novembre 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 794 F-D

Pourvoi n° W 19-21.416




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020

La société Construction Isik, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° W 19-21.416 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2019 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à la société Bissessur immobilier, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Construction Isik, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Bissessur immobilier, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 15 mai 2019), à l'occasion d'une opération de promotion immobilière, la société Bissessur immobilier (la société Bissessur) a confié à la société Construction Isik (la société Isik) l'exécution des travaux relevant du lot « gros oeuvre ».

2. La société Bissessur ayant résilié le contrat avant la fin des travaux, la société Isik l'a assignée en paiement de factures et en indemnisation pour la perte subie à la suite de la résiliation du marché.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Isik fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire et de la condamner à payer à la société Bissessur une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise ; qu'en résiliant le marché aux torts exclusifs de la société Construction Isik à l'unique motif qu'il résultait d'un courrier de la DIRECCTE en date du 3 décembre 2014 que la base-vie faisait défaut à cette date sans rechercher, comme elle y était dûment invitée, s'il n'avait pas été remédié à cette défaillance ultérieurement et au plus tard au moment de la résiliation unilatérale du marché dès lors que la société Bissessur Immobilier ne produisait aux débats aucune injonction émanant de la DIRECCTE, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1794 du code civil ;

2°/ que nul peut se constituer de preuve à soi-même ; qu'en considérant que la preuve de l'absence d'installation de la base-vie était rapportée en se fondant sur un courriel que le cabinet d'architecte avait adressé à la demande du conseil de la société Bissessur Immobilier en date du 27 novembre 2015 pour les besoins exclusifs de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Colmar, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel ne peut se constituer de preuve à soi-même. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a relevé que la Direccte avait attiré l'attention de la société Bissessur sur l'absence de mise en place, par l'entreprise de gros oeuvre, d'une base de vie sur le chantier et que cette défaillance était confirmée par l'architecte, lequel avait précisé, dans un message électronique, que cette situation avait subsisté tout le temps des travaux réalisés par l'entreprise sur le site. Elle a pu retenir que la société Isik avait manqué à ses obligations, ce qui justifiait la résiliation du contrat à ses torts.

5. La cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu en déduire, sans violer le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même, inapplicable à la preuve des faits juridiques, que la demande en indemnisation de la société Isik devait être rejetée et que celle-ci devait être condamnée à réparer le préjudice subi par la société Bissessur.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société Isik fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de factures, alors « qu'il appartient aux juges du fond de préciser le fondement juridique de leur décision ; qu'en écartant les demandes en paiement des factures n° 16/2015 et n° 99/2015 au motifs que ces factures ne sont pas visées par le maître d'oeuvre, conformément aux stipulations contractuelles, tout en laissant incertain le fondement contractuel invoqué, la cour d'appel a méconnu les exigences de motivation qui s'évincent de l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Ayant relevé que les parties étaient liées par un acte d'engagement du 3 février 2014 et un marché du 30 octobre 2014 et que les factures dont la société Isik demandait le règlement n'avaient pas été visées par le maître d'oeuvre contrairement aux exigences des stipulations contractuelles, la cour d'appel, qui a ainsi précisé le fondement juridique de sa décision, a pu en déduire que la demande en paiement dont les factures étaient l'objet devait être rejetée.

9. Le moyen n'est donc pas fondé. PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Construction Isik aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Construction Isik et la condamne à payer à la société Bissessur immobilier la somme de 3 000 euros ;

Notion de motif légitime à l'appui d'une demande d'expertise

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 novembre 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 795 F-D

Pourvoi n° G 19-20.162




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020

La société PCA Maisons, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° G 19-20.162 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. W... O...,

2°/ à Mme R... X... , épouse O...,

tous deux domiciliés [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société PCA Maisons, et après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2019), rendu en référé, M. et Mme O... ont conclu avec la société PCA maisons un contrat de construction de maison individuelle.

2. Se plaignant, en cours de chantier, de la qualité et de la lenteur des travaux, M. et Mme O... ont assigné en référé-expertise la société PCA maisons, laquelle a conclu au rejet de la demande et sollicité, subsidiairement, que soit ordonnée la suspension du délai contractuel d'exécution des travaux pendant la durée de l'expertise.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société PCA Maison fait grief à l'arrêt d'ordonner l'expertise demandée par M. et Mme O..., alors :

« 1°/ qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur le fondement de l'article 145 que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; qu'une telle mesure est donc inutile si la partie, qui sollicite l'expertise, dispose déjà d'éléments de preuve suffisants, une telle circonstance étant de nature à exclure l'existence d'un motif légitime ; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de l'arrêt que les époux O... avaient déjà en leur possession des photographies "illustrant leurs griefs", la lettre adressée par leur avocat au constructeur et décrivant les prétendues malfaçons ainsi que des constats d'huissier révélant "bien l'existence de problèmes constructifs susceptibles de constituer des malfaçons" ; qu'en s'abstenant de rechercher si tous ces éléments de preuve ne suffisaient pas à établir les faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et, partant, l'absence de motif légitime pour ordonner une mesure d'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

2°/ que le motif légitime s'apprécie à la date où le juge a ordonné la mesure d'instruction ; qu'en l'espèce, pour confirmer l'ordonnance ayant ordonné la mesure d'expertise litigieuse, la cour d'appel a retenu l'existence d'un motif légitime en se fondant sur un constat d'huissier du 30 novembre 2018 et sur "les premières recherches expertales", à savoir un compte-rendu de 1er accédit du 15 février 2019 ; qu'en se déterminant ainsi en considération d'éléments de preuve postérieurs à la date à laquelle l'expertise a été ordonnée, soit le 28 septembre 2018, et a fortiori, sur l'expertise faisant l'objet du litige, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que la légitimité du motif invoqué ne peut être appréciée sans prendre en considération les intérêts de la partie adverse ; qu'en l'espèce, la société PCA Maisons avait soutenu que le contrat prévoyant la réalisation des travaux dans un délai de 12 mois à compter du 30 octobre 2017, que le constructeur pouvant reprendre les travaux à ses frais, la notion de malfaçons n'existait pas en cours de réalisation de travaux de sorte qu'admettre l'interférence du maître d'ouvrage dans la réalisation des travaux en ordonnant une expertise revient à interdire au constructeur de s'exécuter tout en maintenant les pénalités de retard applicables en cas de non-respect du délai d'exécution ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a relevé que les maîtres de l'ouvrage avaient invoqué, en cours de chantier, diverses malfaçons affectant les travaux réalisés, attestées par des photographies et deux constats d'huissier de justice, et avaient demandé, par lettre, au constructeur de suspendre les travaux jusqu'à ce qu'il soit justifié d'une exécution conforme aux règles de l'art, laquelle était restée sans réponse.

5. Ayant ainsi souverainement retenu l'existence d'un motif légitime de nature à justifier la mesure d'expertise sollicitée et n'étant pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, elle a, abstraction faite d'un motif surabondant relatif aux premières investigations de l'expert judiciaire, légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La société PCA Maison fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle de suspension des délais d'exécution des travaux pendant la durée de l'expertise, alors :
« 1°/ que l'application de l'article 809 du code de procédure civile n'est pas subordonnée à la condition d'urgence ; qu'en l'espèce, la société PCA Maisons avait, outre l'article 808, invoqué l'article 809 en soulignant que la suspension de l'exécution du contrat « constitue à tout le moins une mesure conservatoire qui s'impose pour prévenir un dommage imminent qui résulte de l'application des pénalités de retard » ; qu'en refusant de suspendre les délais prévus par le contrat de construction, motif pris de ce « qu'il n'est justifié d'aucune urgence », la cour d'appel a ajouté une condition à la loi et, partant, a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

2°/ que les "mesures conservatoires" peuvent être diverses et variées, la seule limite tenant à son caractère provisoire destiné à préserver les droits de l'autre partie ; que relèvent de telles mesures la poursuite ou la suspension d'un contrat, la suspension d'un préavis de grève ou des effets d'une résolution d'assemblée générale ; qu'en l'espèce, la suspension de l'exécution du contrat pendant la durée de la mesure d'instruction constituait une mesure conservatoire destiné à prévenir le dommage imminent résultant des pénalités de retard inévitablement encourues par la société PCA Maisons dans l'impossibilité d'exécuter le contrat durant la mesure d'expertise ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé l'article 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain du juge des référés quant à l'appréciation de l'existence d'un dommage imminent.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société PCA maisons aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société PCA maisons ;

Le débiteur n'est tenu à réparation que des préjudices en lien de causalité avec sa faute contractuelle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 novembre 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 807 F-D

Pourvoi n° J 19-14.804






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020

1°/ Mme P... H..., domiciliée [...],

2°/ Mme V... H..., domiciliée [...] ,

toutes deux venant aux droits de U... H..., décédé,

3°/ la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [...] ,

ont formé le pourvoi n° J 19-14.804 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (3e chambre A), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme X... W..., épouse H..., domiciliée [...] , prise en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils, O... H...,

2°/ à M. I... Q..., domicilié [...] ,

3°/ à M. S... D...,

4°/ à M. G... D...,

domiciliés tous deux [...],

5°/ à M. Y... L..., pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Le Parc des Oliviers,

6°/ à M. Y... L..., pris en qualité de mandataire liquidateur de la société ATL,

domicilié [...] ,

7°/ à M. B... A..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Plomberie express Riolacci,

8°/ à Mme J... R..., épouse E..., domiciliée [...] ,

9°/ à M. K... N..., domicilié [...] ,

10°/ à la société Le Parc des Oliviers, société civile immobilière, dont le siège est [...] , prise en la personne de son mandataire liquidateur M. Y... L...,

11°/ à la société Socotec, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Socotec industries, elle-même venant aux droits de la société AINF,

12°/ à la société Axa France IARD, dont le siège est [...] ,

13°/ à la société Gan assurances, dont le siège est [...] ,

14°/ à la société CEGC, dont le siège est [...] , venant aux droits de la CEGI,

15°/ à la société Allianz, société anonyme, dont le siège est [...] ,

16°/ à la société SMABTP, dont le siège est [...] ,

17°/ à la société Joseph Alain, dont le siège est [...] ,

18°/ à la société Charpente couverture Méditerranée, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

19°/ à la société Dis maintenance, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

20°/ à la société R2C, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

21°/ à la société Porras société midi terrassements, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

22°/ au syndicat des copropriétaires Le Parc des Oliviers, dont le siège est [...] , représenté par son syndic la société Solafim, domicilié [...] ,

23°/ à la société Albingia, société anonyme, dont le siège est [...] ,

24°/ à la société Belem prestige, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Mme X... W..., épouse H... a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt ;

Les demanderesses au pourvoi principal et la demanderesse au pourvoi provoqué invoquent, à l'appui de leurs recours, les deux moyens de cassation identiques annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de Mmes P... et V... H..., de Mme X... W..., épouse H... et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du syndicat des copropriétaires Le Parc des Oliviers, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mmes P... et V... H... et à la Mutuelle des architectes français (MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. S... D..., M. G... D..., M. L..., pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société civile immobilière Le Parc des Oliviers, et en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ATL, M. A..., pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Plomberie express Riolacci, les sociétés Socotec, Axa France IARD, GAN assurances, Compagnie européenne de garanties et cautions, Allianz, SMABTP, Joseph Alain, Charpente couverture Méditerranée, Dis maintenance, R2C, Porras société Midi terrassements, Albingia.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 septembre 2018), la société civile immobilière Le Parc des oliviers (la SCI), depuis en liquidation judiciaire, qui avait souscrit une garantie financière d'achèvement, a confié la maîtrise d'oeuvre d'exécution d'une opération de construction d'un ensemble de trente-neuf logements à U... H..., assuré auprès de la MAF, M. N... étant chargé de la direction des travaux VRD.

3. Se plaignant d'inachèvements et de désordres, le syndicat des copropriétaires a assigné en réparation, après expertise, le garant d'achèvement, Mmes X... W..., épouse H..., P... H... et V... H... (les consorts H...), en leur qualité d'ayants droit de U... H..., décédé, les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi provoqué, réunis Enoncé du moyen

4. Les consorts H... et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec M. N... et les associés de la SCI, à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 67 597,68 euros au titre des travaux d'achèvement, alors « qu'en dehors des garanties légales, la responsabilité de l'architecte n'est engagée que s'il a commis une faute à l'origine d'un préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la responsabilité de M. H... était engagée au titre des inachèvements dès lors qu'il a commis une faute en attestant, au bas de la déclaration d'achèvement des travaux établie par le maître d'ouvrage et déposée par lui le 4 juin 2004, la conformité des travaux au permis de construire, alors que les aménagements extérieurs dont font partie les espaces verts, le local/poubelle et les clôtures n'étaient pas terminés ; qu'en condamnant les consorts H... et la MAF à payer la somme de 67 597,68 euros sans caractériser de lien de causalité entre la faute retenue et les inachèvements, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts soit à raison de l'inexécution de son obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait eu aucune mauvaise foi de sa part.

6. Il en résulte que le débiteur n'est tenu à réparation que des préjudices en lien de causalité avec sa faute.

7. Pour condamner les consorts H... et la MAF, in solidum avec M. N... et les associés de la SCI, à payer au syndicat des copropriétaires une somme au titre des travaux d'achèvement, l'arrêt retient que U... H..., en attestant, au bas de la déclaration d'achèvement des travaux, la conformité de ces derniers au permis de construire, alors que des aménagements extérieurs n'étaient pas terminés, a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle de droit commun et relève, par motifs adoptés, que la signature prématurée du certificat d'achèvement avait fait perdre au syndicat des copropriétaires le bénéfice de la garantie financière d'achèvement.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle condamnait in solidum M. N... et les associés de la SCI à payer au syndicat des copropriétaires une somme représentant le coût des complets travaux d'achèvement, sans établir le lien de causalité entre la faute retenue à la charge du maître d'oeuvre et le préjudice du syndicat des copropriétaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le second moyen, pris en sa première branche du pourvoi provoqué, réunis

Enoncé du moyen

9. Les consorts H... font grief à l'arrêt de les condamner à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 34 434,80 euros au titre des désordres et malfaçons affectant les travaux, alors « que le juge est tenu de préciser les éléments sur lesquels il se fonde ; qu'en l'espèce, la cour a retenu, pour condamner les consorts H... et la MAF à payer la somme de 37 434,80 euros au syndicat des copropriétaires au titre de désordres relevant de la garantie décennale et de désordres relevant de la responsabilité contractuelle de droit commun, que M. H... avait été défaillant dans sa mission de direction des travaux ; qu'en statuant ainsi, sans préciser les éléments sur lesquels elle s'est fondée pour retenir une défaillance de M. H..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. En application de ce texte, le juge est tenu de motiver sa décision.

11. Pour condamner les consorts H... à payer au syndicat des copropriétaires une somme au titre des désordres et malfaçons, l'arrêt retient que U... H... a été défaillant dans la direction des travaux.

12. En statuant ainsi, par voie de simple affirmation, pour infirmer le jugement qui n'avait retenu aucune faute à l'encontre de U... H... et alors qu'elle avait constaté que certains désordres ne revêtaient pas le caractère de gravité décennale de sorte que seule la responsabilité contractuelle des locateurs d'ouvrage pour faute prouvée pouvait être recherchée, sans préciser, ne fût-ce que succinctement, les éléments sur lesquels elle se fondait pour retenir la défaillance du maître d'oeuvre, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne, in solidum avec M. N... et la société Belem Prestige, M. Q... et Mme E..., ceux-ci en proportion de leurs parts sociales dans la SCI, Mmes P... H..., V... H..., X... W... épouse H..., prise en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils O... H..., et la Mutuelle des architectes français à payer au syndicat des copropriétaires Le Parc des Oliviers, la somme de 67 597,68 euros au titre des travaux d'achèvement et en ce qu'il condamne Mmes P... H..., V... H..., X... W... épouse H..., prise en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils O... H..., la somme de 37 434,80 euros au titre des désordres et malfaçons affectant les travaux, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne le syndicat des copropriétaires Le Parc des Oliviers aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en dépit de la vente de leur maison, M. et Mme XK... n'avaient pas conservé contre l'assureur de l'entreprise, dès lors qu'ils y avaient un intérêt direct et certain, l'exercice de l'action fondée sur la responsabilité décennale, excluant toute action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 novembre 2020




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 843 FS-P+B+I

Pourvoi n° Q 19-22.376



Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. XK....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2019.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 NOVEMBRE 2020

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est 313 Terrasses de l'Arche, 92727 Nanterre, a formé le pourvoi n° Q 19-22.376 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2019 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. E... XK...,

2°/ à Mme Y... G..., épouse XK...,

domiciliés tous deux [...] 82000 Montauban,

défendeurs à la cassation.


La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. et Mme XK..., après débats en l'audience publique du 29 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Pronier, Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, David, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, Mme Aldigé, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 10 janvier 2019), M. E... XK... et son épouse ont vendu à T... A... et Mme J... une maison d'habitation qu'ils avaient fait édifier en confiant la réalisation d'une partie des travaux à M. U... XK..., assuré auprès de la société Axa courtage, maintenant dénommée Axa France IARD (la société Axa).

2. Un jugement a condamné in solidum M. et Mme XK..., d‘une part, et la société Axa, d'autre part, à payer à Mme J... et à P... A..., venue aux droits de T... A... décédé (les consorts A... J...), des sommes au titre de la réparation de désordres atteignant l'immeuble et de l'indemnisation d'un préjudice de jouissance.

3. M. et Mme XK... ont assigné en garantie la société Axa.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir M. et Mme XK... de l'intégralité des condamnations prononcées contre eux, alors « que les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en
réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, la société Axa France IARD, assureur de responsabilité décennale de M. U... XK..., constructeur de la maison des époux XK..., a fait valoir que ces derniers avaient été condamnés envers les consorts J... A..., acquéreurs de leur maison, sur le fondement de la garantie décennale en leur qualité de vendeurs réputés constructeurs, qu'ils pouvaient donc agir contre elle sur le seul fondement de l'article 1792 du code civil et que le délai d'épreuve décennal pendant lequel elle devait sa garantie avait expiré le 3 décembre 2012, faute d'avoir été interrompu par les époux XK... ; que pour écarter la forclusion invoquée, la cour a retenu que le recours en garantie des époux XK... contre la compagnie Axa France IARD, assureur de M. U... XK..., était fondé sur la responsabilité de droit commun dès lors qu'ils avaient la qualité de constructeurs ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, nonobstant la vente de leur maison aux consorts J... A..., ils n'avaient pas conservé contre la société Axa France Iard, prise en tant qu'assureur de M. U... XK..., dès lors qu'ils y avaient un intérêt direct et certain, l'exercice de l'action fondée sur la responsabilité décennale, excluant toute action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

5. Selon ce texte, tout constructeur d'ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

6. D'une part, si l'action en garantie décennale se transmet en principe avec la propriété de l'immeuble aux acquéreurs, le maître de l'ouvrage ne perd pas la faculté de l'exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain. Tel est le cas lorsqu'il a été condamné à réparer les vices de cet immeuble (3e Civ., 20 avril 1982, pourvoi n° 81-10.026, Bull. 1982, III, n° 95 ; 3e Civ., 9 février 2010, pourvoi n° 08-18.970).

7. D'autre part, les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (3e Civ., 13 avril 1988, pourvoi n° 86-17.824, Bull. 1988, III, n° 67).


8. Enfin, le délai de la garantie décennale étant un délai d'épreuve, toute action, même récursoire, fondée sur cette garantie ne peut être exercée plus de dix ans après la réception (3e Civ., 15 février 1989, pourvoi n° 87-14.713, Bull. 1989, III, n° 36).

9. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Axa, l'arrêt retient que M. et Mme XK... ont été condamnés à indemniser leurs acquéreurs sur le fondement de l'article 1792-1 2° du code civil, en qualité de constructeurs et non de maîtres de l'ouvrage, qualité qu'ils ont perdue par la vente de celui-ci, et qu'ils agissent comme constructeurs contre la société Axa, assureur de l'entreprise qui a réalisé la maçonnerie et avec laquelle ils étaient liés contractuellement, de sorte que leur recours en garantie est fondé sur la responsabilité de droit commun.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé,
si, en dépit de la vente de leur maison, M. et Mme XK... n'avaient pas conservé contre l'assureur de l'entreprise, dès lors qu'ils y avaient un intérêt direct et certain, l'exercice de l'action fondée sur la responsabilité décennale, excluant toute action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne M. et Mme XK... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;