mardi 3 novembre 2020

Responsabilité quasi-délictuelle du géomètre ayant entrainé un empiètement

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 octobre 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 765 F-D

Pourvoi n° S 19-10.602




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020

1°/ M. B... A..., domicilié [...] ,

2°/ la société Diogol, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

ont formé le pourvoi n° S 19-10.602 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à M. E... S..., domicilié [...] ,

2°/ à la société Best Area, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,

3°/ à M. U... G..., domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. A... et de la société Diogol, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. S... et de la société Best Area, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. G..., et après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 octobre 2018), M. Q..., divisant son fonds en deux parcelles bâties, a vendu l'une d'elles à la société civile immobilière Best Area, puis l'autre à M. A.... Invoquant un empiétement, sur son fonds, du bâtiment implanté sur la parcelle voisine, la société Best Area et M. S..., son gérant, ont assigné M. A... et la société Diogol en expulsion et en paiement d'une indemnité d'occupation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. A... et la société Diogol font grief à l'arrêt de dire que le bâtiment situé sur la parcelle cadastrée [...] , actuelle propriété de M. A..., empiète sur une surface de 233 m² sur la parcelle cadastrée [...] , actuelle propriété de la SCI Best Area, ainsi que cet empiétement résulte du plan de division dressé par M. G... le 25 juin 2012, mis à jour le 7 juillet 2012, et, en conséquence, de condamner M. A... à payer la somme de 80 000 euros à la société Best Area, à titre de dommages-intérêts, alors « qu'un document d'arpentage erroné ne peut suffire à prouver un empiétement, soit la construction sur le terrain d'autrui, surtout si ce document ne correspond en rien à la configuration des lieux ; qu'en ayant retenu l'existence d'un empiétement du bâtiment industriel appartenant à M. A..., sur le fonds de la SCI Best Area, sur la simple foi d'un document d'arpentage erroné ne correspondant pas à la configuration des lieux, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Ayant retenu qu'il résultait des titres des parties, de trois plans de division réalisés par le géomètre pour le compte du vendeur commun, des attestations de ceux-ci, ainsi que d'un constat d'huissier, d'une part, que la société Best Area avait acquis une parcelle bâtie d'une surface de 22a 99ca, en ignorant que le document d'arpentage, dressé par le géomètre préalablement à la division du fonds du vendeur, n'était pas conforme à la réalité des lieux, d'autre part, que, par suite de la division foncière, une partie du bâtiment situé sur la parcelle acquise par M. A... était implantée sur la parcelle appartenant à la société Best Area, la cour d'appel, qui ne s'est pas uniquement fondée sur le plan d'arpentage, en a souverainement déduit l'existence d'un empiétement.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. A... et la socoété Diogol font grief à l'arrêt de rejeter la demande de garantie dirigée par M. A... contre M. G..., alors « que la faute d'un géomètre-expert qui, en divisant un fonds, a créé un empiétement ne s'analyse pas, lorsque le propriétaire du fonds sur lequel est édifiée une construction empiétant sur le terrain d'autrui est recherché par son voisin en raison de cet empiétement, en une perte de chance d'acquérir son bien à un prix moindre ou de ne pas l'acheter du tout, mais en un préjudice totalement certain, égal au montant des dommages-intérêts qu'il est condamné à régler, ensuite de l'empiétement ; qu'en ayant débouté M. A... de sa demande de garantie dirigée contre M. G..., au prétexte qu'il n'alléguait pas le préjudice perte de chance subie par lui d'acquérir son bien à un prix moindre ou de ne pas l'acheter du tout, quand le préjudice de l'exposant était constitué par la somme de 80 000 euros de dommages-intérêts qu'il a été condamné à régler à la SCI Best Area, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. M. G... conteste la recevabilité du moyen. Il soutient, d'une part, que la société Diogol est sans intérêt à attaquer un chef de dispositif qui ne lui fait pas grief, d'autre part, que M. A... n'a pas allégué avoir subi un préjudice du fait de la faute alléguée, de sorte que le moyen serait nouveau, mélangé de fait et, partant, irrecevable.

8. L'arrêt ayant, par un chef de dispositif non attaqué, rejeté les demandes dirigées contre la société Diogol, celle-ci est sans intérêt à critiquer le rejet de l'appel en garantie formé contre M. G....

9. Le moyen, en ce qu'il est formé par la société Diogol, est donc irrecevable.

10. Cependant, M. A... a demandé la condamnation de M. G..., en raison de sa faute, à le garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre.

11. Le moyen, en ce qu'il est formé par M. A..., est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

12. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

13. Pour rejeter la demande en garantie de M. A... à l'encontre de M. G..., l'arrêt retient qu'il n'invoque pas un préjudice né d'une perte de chance de ne pas acquérir ou d'acquérir à un moindre prix.

14. En statuant ainsi, tout en ayant retenu que M. G... avait commis une faute à l'origine de l'empiétement et condamné M. A... à indemniser la société Best Area du préjudice que lui avait causé l'empiétement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Demandes de mise hors de cause

15. En application de l'article 625, aliéna 3, du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Best Area et M. S..., ainsi que la société Digol, dont la présence devant la cour de renvoi n'est plus nécessaire à la solution du litige.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Met hors de cause la société Best Area, M. S... et la société Diogol ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande en garantie de M. A... contre M. G..., l'arrêt rendu le 26 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. A... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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