lundi 31 mai 2021

Chronique de droit judiciaire privé

 Par E. Jeuland, L. Mayer et L. Veyre, SJ G 2021, p. 1046.

Assistance bénévole et responsabilité délictuelle (ou contractuelle...)

 Note Galbois-Lehalle, D. 2021, p. 1803.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 mai 2021




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 337 F-P

Pourvoi n° M 19-20.579

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 MAI 2021

La société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 19-20.579 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2019 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la Caisse meusienne d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à Mme [R] [O], épouse [R], domiciliée [Adresse 3],

3°/ à M. [K] [G], domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Gan assurances, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Caisse meusienne d'assurances mutuelles, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 11 juin 2019), le 17 septembre 2011, alors qu'il procédait bénévolement à la demande de M. [E], au tri et au rangement d'affaires se trouvant au domicile de ce dernier, avec Mme [O] et M. [G], M. [P] a été gravement blessé par un carton jeté par M. [G] depuis le balcon du deuxième étage alors qu'il se trouvait en dessous.

2. Après avoir alloué une provision à M. [P] et remboursé les prestations fournies par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accident, la société Gan assurances (la société Gan), assureur de M. [E], a assigné en responsabilité M. [G] ainsi que Mme [O], dont la responsabilité a été écartée, et son assureur, la Caisse meusienne d'assurances mutuelles qui a été mis hors de cause.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La société Gan fait grief à l'arrêt, de limiter la condamnation de M. [G] à lui payer les sommes de 4 350 euros et de l'équivalent en euros de 55 807,02 francs suisses, alors :

« 1°/ que, dans le cadre d'une convention d'assistance bénévole, l'assisté ne peut être tenu à réparation en cas de faute commise par l'assistant au préjudice d'un autre assistant ; qu'en condamnant M. [E] en sa qualité d'assisté à la convention d'assistance bénévole le liant à M. [G], à réparer le préjudice subi par M. [P], après avoir constaté que les dommages subis par ce dernier résultaient de la faute de M. [G], lequel avait jeté un carton depuis le balcon sans s'assurer de l'absence de danger pour les personnes se trouvant en dessous, la cour d'appel a violé les articles 1135 et 1147, devenus 1194 et 1231-1, du code civil ;

2°/ que le manquement de l'assisté à ses obligations contractuelles envers l'assistant ne permet pas de le condamner, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à réparer le dommage causé à un autre assistant ; qu'après avoir constaté que les dommages subis par M. [P] résultaient de la faute de M. [G], lequel avait jeté un carton depuis le balcon sans s'assurer de l'absence de danger pour les personnes se trouvant en dessous, la cour d'appel a retenu que M. [E] devait être tenu pour responsable, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, du préjudice subi par M. [P], dès lors que M. [E] avait lui-même commis une faute en donnant à M. [G] un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, sans l'accompagner de consignes de sécurité ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1135 et 1147, devenus 1194 et 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté l'existence d'une convention d'assistance bénévole entre M. [E] et M. [P], l'arrêt retient, d'abord, que M. [G] a commis une faute délictuelle en jetant le carton sans s'assurer qu'il pouvait le faire sans danger pour les personnes se trouvant au rez-de-chaussée, ensuite, que M. [E], en tant qu'assisté et organisateur des travaux entrepris dans son intérêt, a commis une faute contractuelle en donnant à M. [G] un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, sans l'accompagner d'une quelconque consigne de sécurité et, enfin, que ces fautes ont toutes deux concouru à la réalisation du dommage subi par M. [P] à hauteur respectivement de 70 % pour M. [E] et 30 % pour M. [G].

6. La cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la faute commise par M. [G] n'était pas exclusive de la responsabilité contractuelle de M. [E] au titre de ses propres manquements à l'égard de M. [P] et qu'en conséquence la réparation à la charge de M. [G] devait être limitée dans la proportion qu'elle a fixée.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Gan assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Assurance - Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets dépendent d'un événement incertain

 Note A. Pimbert, RGDA 2021-6, p. 7.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mai 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 395 F-P

Pourvoi n° W 19-25.395




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021

La société Swisslife assurance et patrimoine, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-25.395 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [S] [H], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de la société Swisslife assurance et patrimoine, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mars 2021 tenue dans les conditions prévues de l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 par M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 24 octobre 2019), M. [H] a acquis un véhicule au moyen d'un contrat de location avec option d'achat souscrit le 20 septembre 2012.

2. Arguant avoir adhéré le 25 mai 2013 à un contrat d'assurance souscrit auprès de la société Swisslife assurance et patrimoine (l'assureur) et garantissant notamment l'incapacité totale de travail, M. [H] a assigné le vendeur et l'assureur en paiement d'une somme représentant les mensualités du crédit qu'il avait réglées durant sa période d'arrêt de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [H] la somme de 11 642 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2016 et celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que le contrat d'assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l'assuré sait déjà réalisé ; que pour retenir la garantie de la société Swisslife qui la déniait en faisant valoir que M. [H] ne pouvait être indemnisé de l'arrêt de travail qui était en cours et dont il avait connaissance au jour de son adhésion à l'assurance, la cour d'appel a considéré que cet assureur ne pouvait pas invoquer l'absence de garantie d'un risque que l'assuré savait déjà réalisé dès lors qu'il ne sollicitait pas la nullité du contrat d'assurance de ce chef ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a méconnu son office en ne tirant pas les conséquences légales de la situation invoquée, a violé les articles 1964 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, L. 121-15 du code des assurances, ensemble l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1964 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause :

4. Aux termes de ce texte, le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain. Tel est le contrat d'assurance.

5. Pour condamner l'assureur à payer à M. [H] la somme de 11 642 euros majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 2 décembre 2016, l'arrêt, après avoir retenu que M. [H] avait adhéré le 25 mai 2013 au contrat d'assurance affecté au contrat de location avec option d'achat, énonce que ce dernier, souffrant d'une entorse du genou droit, a bénéficié d'un arrêt de travail à compter du 18 février 2013, que cette pathologie a été consolidée le 11 septembre 2014 et que M. [H] a été de nouveau en arrêt de travail à compter du 12 septembre 2014. L'arrêt rappelle que pour s'opposer à la garantie, l'assureur fait valoir que le contrat d'assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l'assuré sait déjà réalisé et ne peut ainsi être indemnisé de l'arrêt de travail qui était en cours et dont il avait connaissance au jour de la souscription de l'assurance litigieuse. L'arrêt ajoute que toutefois, aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, l'assureur ne sollicite pas la nullité du contrat d'assurance de ce chef de sorte que la cour n'est pas saisie de cette demande.

6. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'aléa, au jour de l'adhésion, concernant l'un des risques couverts par le contrat d'assurance, la garantie y afférente ne pouvait être retenue, la cour d'appel, qui relevait que le premier arrêt de travail avait débuté le 18 février 2013, avant la date de l'adhésion, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

Condamne M. [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

samedi 29 mai 2021

s’il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de statuer sur l’action d’une commune tendant, sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, à la démolition d’une construction irrégulièrement édifiée, la juridiction administrative seule statue sur l’existence d’un permis

 

Arrêt n°491 du 27 mai 2021 (20-23.287) - Cour de cassation - Troisième chambre civile
-ECLI:FR:CCAS:2021:C300491

URBANISME

Cassation

Demandeur(s) : M. [Q] [E]
Défendeur(s) : commune de Tresques (Gard)


Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 5 novembre 2020), le 3 septembre 2011, M. [E], propriétaire d’un domaine viticole situé sur le territoire de la commune de Tresques, a déposé une demande de permis de construire en vue de l’édification d’une maison à usage d’habitation.

2. Par un arrêté du 30 mars 2012, le maire de [Localité 1] a refusé de délivrer le permis sollicité.

3. Par un jugement du 21 décembre 2012, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.

4. Le 2 janvier 2013, M. [E] a confirmé sa demande de permis de construire sur le fondement de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme.

5. Par un arrêt du 19 décembre 2014, la cour administrative d’appel a, sur l’appel de la commune de Tresques, annulé le jugement du 21 décembre 2012.

6. M. [E] ayant construit sa maison dans le courant de l’année 2013, la commune de Tresques l’a assigné en démolition sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d’office

7. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l’article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

8. Aux termes du premier de ces textes, lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative.

9. Il résulte des deux derniers que, s’il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de statuer sur l’action d’une commune tendant, sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, à la démolition d’une construction irrégulièrement édifiée sur une propriété privée, il appartient à la juridiction administrative de statuer sur l’existence d’un permis de construire tacite, conformément auquel la construction aurait été édifiée, né du silence gardé par l’administration à l’expiration du délai d’instruction de la confirmation de la demande de permis de construire formée par le pétitionnaire sur le fondement de l’article 600-2 du code de l’urbanisme, avant que le jugement d’annulation de la décision qui a refusé de délivrer le permis de construire ne soit définitif.

10. Pour accueillir la demande en démolition, l’arrêt retient qu’il se déduit de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme que la confirmation de la demande de permis de construire sur le fondement de ces dispositions doit intervenir dans les six mois suivant la notification de la décision qui confère un caractère définitif à l’annulation du refus de permis de construire, que M. [E] était irrecevable en sa demande présentée le 2 janvier 2013 puisque, à cette date, la décision du tribunal administratif n’était pas définitive et que, dès lors, il n’était pas titulaire d’un permis de construire tacite lorsqu’il a procédé aux travaux de construction de sa maison dans le courant de l’année 2013, sa demande irrecevable n’ayant pu faire courir le délai à l’issue duquel, en l’absence de refus de l’administration, le pétitionnaire est de plein droit titulaire d’un permis tacite.

11. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes, autrement composée ;


Président : M. Chauvin
Rapporteur : M. Jacques
Avocat général : Mme Vassallo, premier avocat général
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez - Me Haas

En cas d’anéantissement du contrat, le juge, saisi d’une demande de remise en état du terrain au titre des restitutions réciproques, doit rechercher si la démolition de l’ouvrage réalisé constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectent

 Note Zalewski-Sicard, GP 2021, n° 34, p. 67.

Note B. Bury, GP 2021, n° 36, p. 61.

Arrêt n°464 du 27 mai 2021 (20-13.204 ; 20-14.321) - Cour de cassation - Troisième chambre civile
-ECLI:FR:CCAS:2021:C300464

CONSTRUCTION IMMOBILIÈRE

Cassation partielle

Demandeur(s) : Mme [B] [M], épouse [C] et M. [W] [C]
Défendeur(s) : AST Groupe, société anonyme et Crédit foncier de France, société anonyme


Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 20-13.204 et n° E 20-14.321 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Besançon, 14 janvier 2020), M. et Mme [C] ont conclu avec la société AST groupe un contrat de construction d’une maison individuelle, l’opération immobilière étant financée par un emprunt souscrit auprès de la société Crédit foncier de France (le CFF).

3. M. et Mme [C] ont assigné la société AST groupe et le CFF en annulation et, subsidiairement, en résiliation des contrats de construction et de prêt et en indemnisation de leurs préjudices, avant de modifier leurs prétentions, en cours d’instance, en sollicitant, à titre principal, la constatation de l’anéantissement du contrat de construction par l’exercice de leur droit de rétractation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Énoncé du moyen

5. M. et Mme [C] font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors « que l’exercice par le maître de l’ouvrage de sa faculté de rétractation ne le prive pas de la possibilité d’exercer une action en responsabilité délictuelle fondée sur la faute commise par son cocontractant lors de la conclusion du contrat ; qu’en retenant, pour écarter l’action en responsabilité des époux [C], fondée sur la faute que la société AST groupe avait commise en leur faisant conclure un contrat de construction de maison individuelle qui méconnaissait plusieurs dispositions d’ordre public, que « l’anéantissement du contrat ne résulte pas d’éventuelles irrégularités dans la formation du contrat mais seulement dans la volonté des acquéreurs de rétracter leur consentement », la cour d’appel a violé les articles 1178 et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La cour d’appel a relevé que les deux fautes invoquées par les maîtres de l’ouvrage au soutien de leur demande en réparation d’un préjudice moral et de jouissance étaient, d’une part, l’inachèvement de la maison à la date de livraison prévue par le contrat, d’autre part, les irrégularités ayant affecté la convention et les ayant privés de la possibilité d’exercer la faculté de rétractation prévue par la loi.

7. Elle a retenu à bon droit, en premier lieu, que les maîtres de l’ouvrage ne pouvaient se prévaloir des conséquences dommageables du non-respect du délai prévu par le contrat anéanti par l’exercice de leur droit de rétractation, dont ils n’avaient pas été privés, en second lieu, que l’anéantissement de celui-ci ne résultait pas du fait du constructeur mais du seul exercice de ce droit, de sorte que leurs demandes ne pouvaient être accueillies.

8. Le grief n’est donc pas fondé.

Sur le moyen unique du pourvoi incident

Énoncé du moyen

9. Le CFF fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes à l’encontre du constructeur, alors « que commet une faute engageant sa responsabilité le constructeur de maison individuelle qui, en méconnaissance des règles d’ordre public prévues par l’article L. 271-1 du code de la construction et de la construction, ne notifie pas à chacun des époux maîtres de l’ouvrage le contrat de construction, ce défaut de remise de l’acte à chacun des époux ayant pour conséquence d’empêcher le délai légal de rétractation de courir et ainsi, de proroger indéfiniment le délai de rétractation dont disposent les maîtres de l’ouvrage ; qu’en ce cas, le prêteur qui a financé la construction et qui subit l’anéantissement du contrat de prêt en conséquence de l’exercice différé de cette faculté de rétractation est fondé à engager la responsabilité du constructeur aux fins de le voir condamné à garantir la restitution des fonds prêtés et à l’indemniser du préjudice subi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le contrat de construction de maison individuelle conclu par les époux [C] avec la société AST groupe avait été notifié par cette dernière aux époux [C] par un courrier unique dont l’accusé de réception du 6 juin 2015 portant la signature de l’épouse mais pas celle de M. [C], ce dont elle a déduit que du fait de cette notification irrégulière, le délai de rétractation n’avait pas couru et que les époux [C] avaient valablement pu exercer leur droit de rétractation par voie de conclusions signifiées dans le cadre de l’instance engagée en 2017 devant le tribunal de grande instance de Besançon ; que pour rejeter les demandes du CCF dirigées contre la société AST groupe, la cour d’appel a retenu que l’anéantissement du contrat principal n’était pas le fait du constructeur mais celui des maîtres de l’ouvrage qui avaient choisi de se rétracter, sans qu’il soit établi que cette rétractation avait été causée par la faute du constructeur ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses constatations, desquelles il résultait que la société AST groupe avait commis une faute en ne respectant pas les règles formelles de notification aux maîtres de l’ouvrage du contrat de construction, permettant ainsi à ces derniers d’exercer leur droit de rétractation sans être tenu par un quelconque délai, leur rétractation ayant entraîné l’anéantissement des contrats de prêt accordés par le CCF, violant ainsi l’article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation. »

Réponse de la Cour

10. La cour d’appel, devant laquelle le CFF n’a pas invoqué la faute de la société AST groupe tirée du non-respect des règles de notification du contrat de construction qui l’aurait exposé à l’annulation tardive du contrat de prêt, a relevé que l’anéantissement du contrat principal résultait de la rétractation du consentement des acquéreurs et non d’une faute du constructeur.

11. Elle en a déduit à bon droit que les demandes de la banque à l’encontre de celui-ci ne pouvaient être accueillies.

12. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Énoncé du moyen

13. M. et Mme [C] font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de démolition de l’ouvrage, alors « que la charge de la preuve du caractère disproportionné de la démolition, consécutive à l’annulation du contrat de construction de maison individuelle, pèse sur le constructeur ; qu’en retenant, pour écarter la demande de démolition des époux [C], qu’ils n’"établissent pas que (le défaut d’altimétrie entachant l’ouvrage) rend la maison impropre à sa destination ni qu’il présente autrement la gravité imposant la démolition de celle-ci, ne démontrant nullement l’impossibilité d’y remédier, tant sur le plan administratif (...) que sur le plan technique", cependant qu’il appartenait au constructeur de rapporter la preuve de ce que le défaut d’altimétrie de la maison était techniquement et administrativement régularisable si bien que la demande de démolition était disproportionnée à la gravité de ce désordre, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l’article 1153 du code civil, ensemble l’article 1178 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1315, devenu 1353, du code civil :

14. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

15. En cas d’anéantissement du contrat, le juge, saisi d’une demande de remise en état du terrain au titre des restitutions réciproques, doit rechercher si la démolition de l’ouvrage réalisé constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectent (3e Civ., 15 octobre 2015, pourvoi n°14-23.612, Bull. 2015, III, n° 97).

16. Dans ce cas, il incombe au constructeur de rapporter la preuve des faits de nature à établir le caractère disproportionné de la sanction.

17. Pour rejeter la demande en démolition, l’arrêt retient que les maîtres de l’ouvrage ne démontrent pas que le défaut d’altimétrie affectant la construction rend celle-ci impropre à sa destination ni qu’il serait impossible d’y remédier, tant sur le plan administratif par l’obtention d’un permis de construire modificatif, que sur le plan technique par l’installation d’une pompe de relevage des eaux usées.

18. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de démolition de l’ouvrage, l’arrêt rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;


Président : M. Chauvin
Rapporteur : M. Boyer
Avocat général : M. Brun
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret - SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Célice, Texidor, Périer

jeudi 27 mai 2021

Droit de propriété et action en démolition

 Note H. Périnet-Marquet, SJ G 2021, p. 998, sur cass. n° 19-84.245, 20-13.627 et 20-11.726.

Promenade jurisprudentielle sous le clair-obscur du principe de réparation intégrale en droit de la construction

 Etude A. Caston, GP 2021, n° 19, p. 56.

Quand le maitre d'ouvrage perd, de son fait, son recours décennal contre les constructeurs

 Etude,  J. Mel, GP 2021, n° 19, p. 50.

Marché public - action récursoire du constructeur contre le maitre de l'ouvrage malgré l'absence de réserve sur ce litige lors de la réception ou dans le décompte devenu définitif (CE)

 Note GP 2021, n° 19, p. 39

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Strasbourg Electricité Réseaux a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de condamner conjointement et solidairement la société SADE et l'Eurométropole de Strasbourg à lui verser la somme de 498 527,13 euros, à titre de provision, à raison du dommage survenu le 8 août 2016 dans le cadre des travaux d'extension du réseau de chauffage urbain. Par une ordonnance n° 1703900 du 7 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, condamné la société SADE à verser à Strasbourg Electricité Réseaux une provision de 430 547,66 euros et, d'autre part, condamné l'Eurométropole de Strasbourg à garantir la société SADE de l'intégralité de cette condamnation.

Par un arrêt n° 18NC02291 du 3 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a porté à 497 801,82 euros la provision que la société SADE a été condamnée à verser à la société Strasbourg Electricité Réseaux, condamné l'Eurométropole de Strasbourg à garantir intégralement la société SADE du montant de cette somme et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 décembre 2019 et 2 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Eurométropole de Strasbourg et la société SMACL Assurances demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la société SADE la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yohann Bouquerel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de l'Eurométropole de Strasbourg et de la société SMACL Assurances, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Strasbourg Electricité Réseaux, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société SADE, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Delta Service Location et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la société Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de l'extension du réseau de chauffage urbain, l'Eurométropole de Strasbourg a attribué les travaux relatifs au réseau de chaleur à un groupement d'entreprises solidaires constitué de la société SADE et de la société Nord Est TP Canalisations, dont la société SADE était le mandataire commun, par un acte d'engagement du 6 janvier 2016. La maîtrise d'oeuvre de ce marché a été attribuée à un groupement conjoint constitué du cabinet Lollier Ingénierie, mandataire solidaire, et de la société Energival, aux droits de laquelle vient la société Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace. Compte tenu de la hauteur exceptionnelle des eaux de la nappe phréatique, des pompes ont été installées et surveillées durant toute la durée des travaux par la société Delta Service Location. Le 8 août 2016, lors des opérations d'évacuation d'une importante quantité d'eau constatée en fond de fouille d'une tranchée réalisée dans le cadre des travaux, une artère bétonnée enterrée en sous-sol, abritant une liaison haute tension exploitée par la société Electricité de Strasbourg, s'est effondrée. La société Strasbourg Electricité Réseaux, venant aux droits de la société Electricité de Strasbourg, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la condamnation solidaire de la société SADE et de l'Eurométropole de Strasbourg à lui verser la somme de 498 527,13 euros à titre de provision à raison du dommage subi. Par une ordonnance du 7 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné la société SADE à verser à la société Strasbourg Electricité Réseaux une provision de 430 547,66 euros, a condamné l'Eurométropole de Strasbourg à garantir intégralement la société SADE des provisions mises à sa charge et a rejeté les appels en garantie formés par l'Eurométropole de Strasbourg contre la société SADE, la société Delta Service Location et les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre. Par l'arrêt du 3 décembre 2019 contre lequel se pourvoient en cassation l'Eurométropole de Strasbourg et son assureur, la société SMACL Assurances, la cour administrative d'appel de Nancy a porté le montant de la provision à la somme totale de 497 801,82 euros hors taxes et a condamné l'Eurométropole de Strasbourg à garantir intégralement la société SADE à hauteur de cette somme.

Sur l'existence d'une obligation non sérieusement contestable :

2. L'article R. 541-1 du code de justice administrative dispose : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ".

3. D'une part, le maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, l'architecte et l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

4. D'autre part, lorsqu'il n'est pas sérieusement contestable que des dommages accidentels causés à des tiers sont imputables à l'exécution de travaux publics, ces tiers peuvent se prévaloir d'une obligation non sérieusement contestable pour obtenir une provision, à moins pour le maître d'ouvrage ou, le cas échéant, l'architecte et l'entrepreneur chargé des travaux, d'établir avec un degré suffisant de certitude l'existence d'un cas de force majeure ou d'une faute de la victime.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nancy a, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, retenu, sur la base notamment du procès-verbal de constat du 9 août 2016 et du rapport de la société Saretec du 27 juin 2017, qu'il n'était pas sérieusement contestable que les dommages causés à l'artère bétonnée abritant la ligne haute tension résultaient de la réalisation des travaux effectués à proximité immédiate par la société SADE, lesquels ont le caractère de travaux publics et dont l'Eurométropole de Strasbourg était le maître d'ouvrage. La cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que l'Eurométropole de Strasbourg n'établissait pas avec un degré suffisant de certitude l'existence d'une faute de la société Strasbourg Electricité Réseaux d'une gravité telle qu'elle serait la cause exclusive des dommages. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'Eurométropole de Strasbourg et la société SMACL Assurances ne sont pas fondées à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit et aurait inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que l'obligation de la société SADE à l'égard de la société Strasbourg Electricité Réseaux n'était pas sérieusement contestable.

Sur la condamnation de l'Eurométropole de Strasbourg à garantir la société SADE :

6. En premier lieu, lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d'un dommage dû à l'exécution de travaux publics, le constructeur est fondé, sauf clause contractuelle contraire et sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'aucune réserve de sa part, même non chiffrée, concernant ce litige ne figure au décompte général du marché devenu définitif, à demander à être garanti en totalité par le maître d'ouvrage, dès lors que la réception des travaux à l'origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale. Il n'en irait autrement que dans le cas où la réception n'aurait été acquise au constructeur qu'à la suite de manoeuvres frauduleuses ou dolosives de sa part.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé, d'une part, que la réception définitive des travaux exécutés par la société SADE, dans le cadre du marché de travaux portant sur l'extension du réseau de chaleur urbain, avait été prononcée le 23 septembre 2016 et les réserves levées le 21 novembre 2016, et, d'autre part, qu'il résultait de l'instruction que la société SADE avait accepté, le 9 mars 2017, le décompte général qui lui avait été notifié et qui était ainsi devenu le décompte général et définitif du marché de travaux en litige, la cour administrative d'appel de Nancy a jugé que le caractère intangible de ce décompte ne faisait pas obstacle à la recevabilité des conclusions d'appel en garantie de la société SADE contre l'Eurométropole de Strasbourg, dès lors que ces conclusions avaient été présentées en conséquence de la réclamation formée par un tiers victime de l'exécution de ces travaux publics. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, qui ne peuvent utilement se prévaloir, s'agissant de dommages causés à des tiers, de la possibilité dont dispose un maître d'ouvrage, sous certaines conditions, d'appeler en garantie le titulaire d'un lot du marché, alors même que le décompte de ce lot est devenu définitif, au titre d'une obligation mise à sa charge par le décompte d'un autre lot du même marché, la cour administrative d'appel de Nancy n'a pas commis d'erreur de droit.

8. En deuxième lieu, en retenant que la mention figurant au procès-verbal de réception des travaux, selon laquelle " la décision de réception ne dégage pas la responsabilité de l'entreprise de dommages collatéraux apparus pendant ou après ladite réception et résultant de l'exécution des travaux ", ne visait pas les dommages apparus pendant l'exécution des travaux, pour en déduire que l'Eurométropole de Strasbourg ne pouvait utilement invoquer cette mention pour soutenir que les parties avaient entendu prolonger la responsabilité contractuelle du constructeur au-delà de la réception des travaux pour des dommages qui auraient été causés à des tiers antérieurement à celle-ci, la cour administrative d'appel de Nancy s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2131-10 du code général des collectivités territoriales : " Sont illégales les décisions et délibérations par lesquelles les communes renoncent soit directement, soit par une clause contractuelle, à exercer toute action en responsabilité à l'égard de toute personne physique ou morale qu'elles rémunèrent sous quelque forme que ce soit ".

10. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter les effets qui s'attachent à l'acte de réception par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Par suite, contrairement à ce soutiennent l'Eurométropole de Strasbourg et la société SMACL Assurances, la cour administrative d'appel de Nancy, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique en jugeant que ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que la société SADE soit intégralement garantie par l'Eurométropole de Strasbourg pour les dommages causés à la société Strasbourg Electricité Réseaux compte tenu de la réception définitive des travaux prononcée le 23 septembre 2016.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'Eurométropole de Strasbourg et la société SMACL Assurances ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Eurométropole de Strasbourg, d'une part, et de la société SMACL Assurances, d'autre part, le versement d'une somme de 1 500 euros chacune à chacune des sociétés SADE, Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace et Delta Service Location au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'Eurométropole de Strasbourg versera la somme de 3 000 euros au même titre à la société Strasbourg Electricité Réseaux. Les dispositions de l'article L. 761-1 font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SADE qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'Eurométropole de Strasbourg et de la société SMACL Assurances est rejeté.

Article 2 : L'Eurométropole de Strasbourg, d'une part, et la société SMACL Assurances, d'autre part, verseront chacune à chacune des sociétés SADE, Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace et Delta Service Location une somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'Eurométropole de Strasbourg versera à la société Strasbourg Electricité Réseaux la somme de 3 000 euros au même titre.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Eurométropole de Strasbourg, aux sociétés SMACL Assurances, SADE, Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace, Strasbourg Electricité Réseaux et Delta Service Location.
Copie en sera adressée à la société Samuel Lollier Ingénierie.

ECLI:FR:CECHR:2021:436820.20210427

samedi 15 mai 2021

Devoir de conseil d l'agent immobilier et clause d'exclusion de sa police

 Note A. Pélissier, RGDA 2021-5, p. 33

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 24 mars 2021




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 247 F-D

Pourvoi n° U 19-19.988






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 MARS 2021

1°/ M. X... Q...,

2°/ Mme R... C..., épouse Q...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° U 19-19.988 contre l'arrêt rendu le 21 mai 2019 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Valority France, société par actions simplifiée,

3°/ à la société Optimea crédit, société par actions simplifiée unipersonnelle, anciennement dénommée société Valority crédit,

ayant toutes deux leur siège [...] ,

4°/ à la société Les Terrasses de Montmain, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,

5°/ à la société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [...] , exerçant sous l'enseigne Crédit foncier nation,

6°/ à la société Immobilière patrimoine, dont le siège est [...] ,

7°/ à la société AJ Partenaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société Immobilière patrimoine,

8°/ à la société Alliance MJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Immobilière patrimoine,

9°/ à la société Etra Ingenierie Caraïbes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La société Allianz IARD a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de M. et Mme Q..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Valority France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit foncier de France, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 février 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme Q... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Optimea crédit, anciennement dénommée Valority crédit, la société Immobilière patrimoine, la société AJ Partenaires, prise en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société Immobilière patrimoine, la société Alliance MJ, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Immobilière patrimoine, et la société Etra Ingenierie Caraïbes.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 21 mai 2019), M. et Mme Q... se sont vu proposer par la société Valority France, agent immobilier chargé de le commercialiser, un programme réalisé par la SCI Les Terrasses de Montmain (la SCI), situé à [...] ) et bénéficiant d'un dispositif de défiscalisation. Par deux actes notariés du 7 décembre 2006, ils ont acquis de la SCI un appartement en l'état futur d'achèvement au prix de 169 300 euros, la date d'achèvement et de livraison du bien devant intervenir au plus tard le 31 décembre 2007, et ont souscrit auprès de la société Crédit foncier de France (la banque) un prêt immobilier dit transformable. Par acte du 5 janvier 2008, la SCI a fixé la date d'achèvement des travaux au 31 décembre 2007 mais la livraison de l'appartement n'est intervenue que le 26 mars 2008 avec des réserves qui n'ont été levées que le 18 juillet 2008, après reprise des désordres.

3. A défaut d'avoir pu bénéficier du régime de défiscalisation escompté, en l'absence de régularisation d'un bail dans les six mois de l'achèvement de la construction, M. et Mme Q... ont assigné notamment la société Valority France, la SCI et la banque en responsabilité et indemnisation, et en nullité du contrat de prêt. La société Valority France a attrait en la cause son assureur, la société Allianz qui a contesté sa garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de condamner la SCI à leur payer la somme totale de 50 000 euros en réparation de leurs différents préjudices, de déclarer la société Valority France et la société Allianz tenues in solidum à cette condamnation à concurrence de la somme de 4 443,50 euros et, en conséquence, de les condamner au paiement de cette somme à leur profit, alors :

« 1° / que le vendeur d'un immeuble en l'état futur d'achèvement qu'il commercialise dans le cadre d'un programme de défiscalisation est tenu d'un devoir d'information à l'égard de l'acquéreur ; qu'il doit à ce titre lui délivrer des informations exactes relativement à l'ensemble de ses caractéristiques ; qu'en l'espèce, M. et Mme Q... faisaient valoir que la SCI avait commis une faute en leur communiquant, par l'intermédiaire de la société Valority France chargée par elle de commercialiser le bien vendu en l'état futur d'achèvement, une estimation du loyer annuel à la somme de 8 508 euros, soit un loyer mensuel de 709 euros, alors qu'ils avaient dû très vite se résoudre à le louer au montant mensuel de 640 euros ; qu'en rejetant leur demande d'indemnisation à ce titre au regard, d'une part, de ce qu'ils ne pouvaient ignorer, en leur qualité d'acheteurs, les aléas du marché locatif, et, d'autre part, de ce que la SCI ne s'était pas engagée à garantir un revenu locatif minimum, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la différence entre le montant du loyer estimé et le montant du loyer obtenu n'établissait pas qu'elle leur avait délivré une information erronée, a statué par des motifs impropres à exclure un manquement à son obligation d'information, en violation de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le préjudice tiré de la privation de jouissance du bien résultant du non-respect du délai d'achèvement et de livraison convenu s'étend jusqu'au jour où l'acheteur a pu prendre pleinement possession de ce bien ; qu'en l'espèce, en écartant toute indemnisation du préjudice subi par M. et Mme Q... à raison de la privation de la jouissance du bien vendu, pour la période comprise entre le 31 décembre 2001, date d'achèvement et de livraison convenue, et le 18 juillet 2008, date de la levée des réserves, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Ayant estimé qu'il n'était pas établi que la SCI se soit engagée à garantir un revenu locatif minimal ni une pérennité de location, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que la faute de la SCI ne consistait qu'à avoir livré tardivement le bien et ainsi fait perdre une chance à M. et Mme Q... de bénéficier de l'avantage fiscal.

6. Après avoir relevé que le retard de livraison était estimé à six mois et que le bien n'avait pu être loué qu'après un délai de six mois suivant la levée des réserves, et énoncé que les revenus d'un investissement locatif sont soumis aux aléas du marché de la location, elle a souverainement évalué l'indemnisation du préjudice relevant de la perte de loyers à une somme correspondant à six mois de loyers.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du même pourvoi

Enoncé du moyen

8. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de déclarer la société Valority France et la société Allianz tenues in solidum de la condamnation de la SCI à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, à concurrence de la seule somme de 4 443,50 euros, et en conséquence de les condamner au paiement de cette somme à leur profit, alors :

« 1°/ que le contrat de conseil en gestion de patrimoine est établi en présence d'un professionnel qui s'engage à conseiller une personne, au regard des facultés que lui offre son patrimoine et selon les souhaits qu'elle exprime, dans le choix d'un placement, et qui l'accompagne dans la gestion des modalités du placement choisi ; qu'en l'espèce, M. et Mme Q... faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, que la société Valority France à laquelle ils avaient confié leur souhait de procéder à un investissement immobilier défiscalisant, avait sélectionné pour eux, au regard des facultés que leur offrait leur patrimoine, la proposition de vente en l'état futur d'achèvement émise par la SCI dans le cadre de son programme immobilier relevant de la loi Girardin ; qu'ils faisaient encore valoir que la société Valority France avait défini avec eux les modalités de financement, à savoir un prêt avec adossement d'un contrat d'assurance-vie, qu'elle les avait assistés dans l'établissement de leur déclaration fiscale et qu'elle avait surveillé l'évolution du chantier ; qu'en excluant l'existence d'un contrat de conseil en gestion de patrimoine, sans rechercher si la société Valority France ne s'était pas engagée à conseiller M. et Mme Q..., au regard des facultés que leur offrait leur patrimoine et selon les souhaits qu'ils exprimaient, dans le choix de leur placement, et sans rechercher si, une fois le choix fait par eux de l'achat en l'état futur d'achèvement du logement construit par la SCI dans le cadre de son programme immobilier relevant de la loi Girardin, elle ne les avait pas accompagnés dans la gestion des modalités de ce placement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le contrat de conseil en gestion de patrimoine est établi en présence d'un professionnel qui s'engage à conseiller une personne, au regard des facultés que lui offre son patrimoine et selon les souhaits qu'elle exprime, dans le choix d'un placement, et qui l'accompagne dans la gestion des modalités du placement choisi ; que l'existence d'une contrepartie financière mise à la charge de cette personne n'est pas une condition de validité de ce contrat ; qu'en l'espèce, en excluant l'existence d'un contrat de conseil en gestion de patrimoine conclu entre M. et Mme Q... et la société Valority France en ce qu'ils ne lui avaient pas versé de rémunération, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier son arrêt en violation de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le contrat de conseil en gestion de patrimoine est établi en présence d'un professionnel qui s'engage à conseiller une personne, au regard des facultés que lui offre son patrimoine et selon les souhaits qu'elle exprime, dans le choix d'un placement, et qui l'accompagne dans la gestion des modalités du placement choisi ; que l'existence d'un écrit n'est pas une condition de validité de ce contrat ; qu'en l'espèce, en excluant l'existence d'un contrat de conseil en gestion de patrimoine conclu entre M. et Mme Q... et la société Valority France en ce qu'aucun écrit l'établissant n'était produit, la cour d'appel a violé l'article l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que l'agent immobilier intervenu dans la commercialisation d'un immeuble en l'état futur d'achèvement relevant d'un programme d'investissement immobilier défiscalisant, est tenu à l'égard de l'acheteur d'une obligation d'information qui se prolonge au-delà du terme de son mandat, relative aux évolutions susceptibles de compromettre le bénéfice de l'avantage fiscal dont il viendrait à avoir connaissance ; qu'en l'espèce, en excluant toute faute de la société Valority France à raison de ce qu'elle n'avait pas informé M. et Mme Q... du déroulement du chantier postérieurement à la signature du contrat de réservation, en ce que cette signature avait mis un terme à son mandat de commercialisation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

5°/ qu'en présence d'un manquement du professionnel intervenant dans la commercialisation d'un immeuble en l'état futur d'achèvement relevant d'un programme d'investissement immobilier défiscalisant, à son obligation d'informer l'acheteur des risques présentés par l'opération relativement au bénéfice de l'avantage fiscal, le préjudice subi par cet acheteur ne se réduit pas à une simple perte de chance d'avoir pu renoncer à cette acquisition dès lors que son objectif premier dans l'acquisition consistait dans le bénéfice de cet avantage fiscal et que c'est la certitude de l'obtenir qui l'avait déterminé à s'engager ; qu'en l'espèce, en réparant le préjudice subi par M. et Mme Q... du fait du manquement de la société Valority France à son obligation de les informer de ce que le bénéfice de l'avantage fiscal était subordonné à la location effective, dans un délai de six mois à compter de la date d'achèvement déclarée par le vendeur, du bien acquis, à la mesure d'une simple perte de chance, sans rechercher si l'objectif premier de M. et Mme Q... dans l'acquisition n'avait pas consisté dans le bénéfice de cet avantage fiscal et que c'était la certitude de l'obtenir qui les avait déterminés à s'engager, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir, au vu des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, écarté l'existence d'un contrat de conseil en gestion et patrimoine conclu entre M. et Mme Q... et la société Valority France, la cour d'appel a cependant retenu que celle-ci ne les avait pas alertés sur les risques de l'opération tenant aux aléas de la construction, au délai de mise en location, aux aléas du marché locatif et à l'incidence de l'ensemble de ces éléments sur le bénéfice fiscal attendu et en a justement déduit qu'elle avait engagé sa responsabilité au titre d'un manquement à son devoir d'information et de conseil.

10. Ayant exactement énoncé que ce manquement avait fait perdre à M. et Mme Q... une chance de ne pas contracter ou d'investir dans un autre dispositif de défiscalisation moins risqué, et estimé que cette perte de chance était faible au regard du contexte économique alors favorable et de l'importance du bénéfice fiscal attendu, la cour d'appel l'a souverainement fixée à 10 % du préjudice consécutif à la perte fiscale et à la perte de loyers.

11. Le moyen, inopérant en sa quatrième branche qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen du même pourvoi

Enoncé du moyen

12. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la banque tendant à la nullité du prêt immobilier et à la compensation des sommes dues par la banque avec les sommes mises à leur charge en remboursement de ce prêt, alors « que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motivation ; qu'en l'espèce, M. et Mme Q... faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, au titre de l'existence d'un dol, qu'ils avaient été trompés sur le fait que le taux fixe de 3,35 % applicable la première année, en ce qu'il constituait un taux d'appel, était sans rapport avec le taux calculé sur la base du tibeur un an majoré de l'élément fixe de 1,55, applicable par la suite ; qu'en se bornant à exclure l'existence d'un dol à raison de la dissimulation, par la banque de ce que le prêt était à taux variable, sans se prononcer sur ce moyen, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motivation en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. En retenant que M. et Mme Q... ne pouvaient prétendre avoir été trompés sur le taux d'intérêt du prêt par la remise d'un tableau d'amortissement en ce que la demande de crédit signée de leur main indiquait qu'il était sollicité un prêt in fine à taux variable, que l'encadré des conditions particulières relatives au montant, à la durée et au taux du prêt, comme le tableau d'amortissement précisaient que les indications chiffrées figurant dans ce tableau étaient données à titre indicatif en fonction du taux de départ, et que la clause de calcul du taux pendant la période de taux révisable précisait les modalités d'application du taux TIBEUR un an, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen du même pourvoi

Enoncé du moyen

15. M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant à voir la banque déchue de son droit à percevoir les intérêts du prêt immobilier, à voir constater qu'ils ne seront tenus qu'au paiement du capital dû par échéance mensuelle comme prévu à ce contrat, et à voir condamner in solidum la banque et la société Optimea crédit, anciennement Valority crédit, à leur payer la somme de 60 558,62 euros au titre du remboursement des intérêts versés jusqu'au 31 mars 2019 à parfaire, alors :

« 1°/ que l'offre relative à un prêt dont le taux d'intérêt est variable doit faire ressortir le caractère évolutif du taux effectif global au regard d'exemples significatifs ; qu'en l'espèce, en écartant la demande formée par M. et Mme Q... en déchéance du droit de la banque aux intérêts en ce qu'ils ne prouvaient pas l'existence d'une erreur de plus d'une décimale affectant le taux effectif global mentionné dans l'offre de prêt à taux variable, sans rechercher si cette offre n'était pas irrégulière en ce qu'elle mentionnait un taux effectif global fixe sans fournir d'exemples significatifs propres à en mettre en évidence le caractère évolutif, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 312-8 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 et L. 312-33 du même code dans sa version issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 ;

2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motivation ; qu'en l'espèce, M. et Mme Q... invoquaient, à l'appui de leur demande en déchéance du droit de la banque aux intérêts, l'irrégularité de l'offre de prêt tenant au fait qu'alors que le prêt était à taux variable, elle était assortie d'un tableau d'amortissement ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce moyen, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motivation en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

16. Après avoir constaté que l'offre de prêt précisait les conditions particulières relatives au montant, à la durée et au taux du prêt et que les indications chiffrées figurant dans le tableau d'amortissement étaient expressément données à titre seulement indicatif en fonction du taux de départ, la cour d'appel, qui statuait sur la demande de déchéance du droit aux intérêts et n'était pas tenue de répondre à un moyen que ses constatations rendaient inopérant, a estimé qu'il n'était pas prouvé que le calcul du taux effectif global aurait été erroné de plus d'une décimale et ainsi légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 312-8 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

18. La société Allianz fait grief à l'arrêt de la déclarer, avec la société Valority France, tenues in solidum de la condamnation mise à la charge de la SCI à concurrence de la somme de 4 443,50 euros, de les condamner in solidum à payer cette somme à M. et Mme Q..., et de la condamner à relever et garantir la société Valority France de cette condamnation, ce dans la limite des plafond et franchise contractuels, alors « que toute exclusion de garantie stipulée dans le cadre d'une assurance couvrant la responsabilité civile de l'assuré a vocation à s'appliquer si cette responsabilité est retenue, quel qu'en soit le fondement ; qu'en décidant que l'exclusion légale prévue à l'article L. 113-1 du code des assurances ou l'exclusion contractuelle, stipulée à l'article 5 des conditions générales d'assurances ne pouvaient pas s'appliquer, dès lors qu'était en cause un manquement de la société Valority France à son devoir d'information et de conseil, tandis que la garantie couvrait la responsabilité civile professionnelle de la société Valority France, y compris en cas de manquement à son devoir d'information et de conseil, de sorte que les exclusions invoquées avaient vocation à s'appliquer dans cette dernière hypothèse, dès lors que leurs conditions étaient réunies, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1103 du même code. »

Réponse de la Cour

19. Ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la faute de la société Valority France consistait en un manquement au devoir d'information et de conseil, la cour d'appel en a justement déduit que l'article 5 des conditions particulières du contrat d'assurance, invoqué par la société Allianz, ne pouvait recevoir application en ce qu'il excluait les réclamations provenant de la non-obtention des performances promises en matière de rendement, d'équilibre financier ou économique.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne M. et Mme Q... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;