jeudi 31 janvier 2019

Variations sur la responsabilité de l'assureur pour manquement à son devoir de conseil

Etude Mayaux, RGDA 2019, p. 14, sur cass. n° 17-19.454, 17-27.148 et 17-15.365.

Respect du caractère contradictoire de l'expertise (CE)

Conseil d'État

N° 413937   
ECLI:FR:CECHR:2018:413937.20181015
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; LE PRADO, avocats


lecture du lundi 15 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. B...A...et Mme D...A...ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à leur verser respectivement une somme de 235 000 euros et une somme de 50 000 euros en réparation de leurs préjudices résultant de la prise en charge de M. A...dans cet établissement. Par un jugement n° 1305387 du 1er juillet 2015, le tribunal a rejeté leurs demandes et mis à leur charge définitive les frais d'expertise.

Par un arrêt n° 15DA01416 du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. et Mme A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Lille la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat des consorts A...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire.




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a consulté le Pr Destée au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille en décembre 1998 en raison de troubles neurologiques ; qu'après avoir réalisé plusieurs tests, ce praticien lui a annoncé qu'il souffrait d'un début de maladie de Parkinson ; qu'en 2006, un autre praticien a diagnostiqué la maladie de Lewis et Sumner, une maladie dégénérative qui le contraint depuis lors à des traitements lourds et à des examens réguliers ; que, par une ordonnance du 3 décembre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, à la demande de M.A..., ordonné, en application de l'article R 621-1 du code de justice administrative, une expertise médicale, qui a été confiée au Dr C...; que, par un jugement du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. A...et de son épouse tendant à la condamnation du CHRU de Lille à les indemniser de leurs préjudices ; que, par un arrêt du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par les consorts A...contre ce jugement ; que les consorts A...se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;

2. Considérant que M. et Mme A...faisaient notamment valoir devant la cour que le rapport d'expertise du Dr C...était entaché de nullité, en l'absence de communication aux parties d'un courrier du Pr Destée du 3 février 2012 reconnaissant son erreur de diagnostic ; que, pour écarter ce moyen, la cour a relevé que " pour regrettable qu'il soit ", ce défaut de communication aux parties de cette pièce n'entachait pas d'irrégularité les opérations d'expertise ; qu'en statuant ainsi, alors que le respect du caractère contradictoire de l'expertise impliquait que les parties fussent mises à même de discuter devant l'expert un élément de cette nature, compte tenu de l'influence qu'il pouvait avoir sur la réponse aux questions qui lui étaient posées, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Lille le versement à M. et Mme A...d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 4 juillet 2017 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : Le CHRU de Lille versera à M. et Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et Mme D...A...et au centre hospitalier régional universitaire de Lille.






Analyse

Abstrats : 54-04-02-02-01-04 PROCÉDURE. INSTRUCTION. MOYENS D'INVESTIGATION. EXPERTISE. RECOURS À L'EXPERTISE. CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE L'EXPERTISE. - DÉFAUT DE COMMUNICATION AUX PARTIES D'UN ÉLÉMENT POUVANT AVOIR UNE INFLUENCE SUR LA RÉPONSE DE L'EXPERT (ART. R. 621-1 DU CJA) - MÉCONNAISSANCE DU CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE L'EXPERTISE - EXISTENCE [RJ1].

Résumé : 54-04-02-02-01-04 Commet une erreur de droit une cour qui juge que le défaut de communication aux parties du courrier, reconnaissant une erreur de diagnostic, d'un praticien de l'établissement hospitalier dont la responsabilité est recherchée, n'entache pas d'irrégularité les opérations d'expertise, alors que le respect du caractère contradictoire de l'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert un élément de cette nature, compte tenu de l'influence qu'il peut avoir sur la réponse aux questions qui lui sont posées.



[RJ1] Cf. CE, Section, 7 février 1969,,, n° 67774, p. 87 ; CE, 12 décembre 1975, Commune de Saint-Front-sur-Lémance, n° 95178, T. p. 1202 ; CE, 10 novembre 1989, Ville de Colmar et Union des Assurances de Paris, n° 59470 69565, T. p. 853.  




mercredi 30 janvier 2019

Absence d'enrichissement sans cause du maître de l'ouvrage si les travaux supplémentaires étaient nécessaires

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 17 janvier 2019
N° de pourvoi: 17-11.759
Non publié au bulletin Rejet

M. Chauvin (président), président
Me Bouthors, SCP Boullez, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Foussard et Froger, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)





Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Donne acte à la société Socotec construction de ce qu'elle reprend l'instance aux lieu et place de la société Socotec France ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er décembre 2016), que, désirant aménager deux parcours de golf, la société Golf resort terre blanche (la société GRTB) a fait appel à la société Coreal gestion, assistant du maître d'ouvrage, et à la société Coreal technique, chargée de la maîtrise d'oeuvre paysages, toutes deux assurées par la société Sagena, devenue SMA ; que le projet prévoyait la création de deux ravines permettant une circulation d'eau en circuit fermé, ce qui impliquait leur étanchéité ; que la maîtrise d'oeuvre d'exécution, confiée, dans un premier temps, à une société de droit américain, la société EDSA, a finalement été réalisée par la société Cabinet d'études Patrick Marchal (la société CEPM), assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa) ; que la société Benedetti-Guelpa (la société Benedetti), assurée auprès de la société Aviva, a été chargée de l'exécution du lot comprenant les ravines et que sont également intervenues sur le programme les sociétés Eau et perspectives, Stucky ingénieurs conseils et Socotec, contrôleur technique avec une mission relative à la solidité des ouvrages ; que, d'importantes pertes d'eau ayant été constatées sur les ravines, la société GRTB, après expertise, a assigné en indemnisation les sociétés Benedetti, Socotec, CEPM, Axa et Aviva ; que la société Benedetti a assigné en garantie les sociétés Sagena, Coreal gestion, Coreal technique, EDSA, Eaux et perspectives, Lafarge béton Sud-Est et la société Stucky ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé :

Attendu que la société Benedetti fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du rapport d'expertise ;

Mais attendu qu'ayant retenu que l'expert avait procédé à des visites techniques ainsi que des essais nombreux et approfondis, que, lors de ces essais, il avait isolé chaque élément afin de calculer les fuites d'eau et rechercher l'origine du dommage, qu'après avoir fait procéder à la dépose de certains éléments, il avait effectué des constatations sur site et fait analyser le béton des ravines, que ses conclusions étaient donc fondées sur ces éléments et non sur les constats d'huissier de justice, annexés au rapport de façon superfétatoire même s'il a pu s'en servir pour classifier les désordres, la cour d'appel a pu, sans dénaturation, en déduire que le technicien commis avait procédé lui-même à l'exécution de sa mission ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen, ci-après annexé :

Attendu que la société Benedetti fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de certaines sommes au titre des désordres ;

Mais attendu qu'ayant retenu, d'une part, que les travaux de reprise des ravines, dont le montant avait été vérifié par l'expert, étaient nécessaires pour assurer le fonctionnement de ces ouvrages, tel qu'il était prévu, avec étanchéité et, d'autre part, que, ces travaux ayant été entrepris en janvier 2008, la société GRTB, qui en avait fait l'avance, avait subi un préjudice financier dont elle a souverainement apprécié le montant, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a pu en déduire que ces travaux n'entraînaient pas d'enrichissement sans cause et a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Benedetti-Guelpa aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Benedetti-Guelpa et la condamne à payer une somme de 3 000 euros, à chacun, à la société Axa France IARD, à la société Aviva assurances, à la société Socotec construction, à la société Stucky, à la société Eaux et perspectives, à la société SMA et à la société Golf resort terre blanche (GRTB) ;