jeudi 31 janvier 2019

Respect du caractère contradictoire de l'expertise (CE)

Conseil d'État

N° 413937   
ECLI:FR:CECHR:2018:413937.20181015
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; LE PRADO, avocats


lecture du lundi 15 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. B...A...et Mme D...A...ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à leur verser respectivement une somme de 235 000 euros et une somme de 50 000 euros en réparation de leurs préjudices résultant de la prise en charge de M. A...dans cet établissement. Par un jugement n° 1305387 du 1er juillet 2015, le tribunal a rejeté leurs demandes et mis à leur charge définitive les frais d'expertise.

Par un arrêt n° 15DA01416 du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. et Mme A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Lille la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat des consorts A...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional universitaire.




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a consulté le Pr Destée au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille en décembre 1998 en raison de troubles neurologiques ; qu'après avoir réalisé plusieurs tests, ce praticien lui a annoncé qu'il souffrait d'un début de maladie de Parkinson ; qu'en 2006, un autre praticien a diagnostiqué la maladie de Lewis et Sumner, une maladie dégénérative qui le contraint depuis lors à des traitements lourds et à des examens réguliers ; que, par une ordonnance du 3 décembre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, à la demande de M.A..., ordonné, en application de l'article R 621-1 du code de justice administrative, une expertise médicale, qui a été confiée au Dr C...; que, par un jugement du 1er juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. A...et de son épouse tendant à la condamnation du CHRU de Lille à les indemniser de leurs préjudices ; que, par un arrêt du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par les consorts A...contre ce jugement ; que les consorts A...se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;

2. Considérant que M. et Mme A...faisaient notamment valoir devant la cour que le rapport d'expertise du Dr C...était entaché de nullité, en l'absence de communication aux parties d'un courrier du Pr Destée du 3 février 2012 reconnaissant son erreur de diagnostic ; que, pour écarter ce moyen, la cour a relevé que " pour regrettable qu'il soit ", ce défaut de communication aux parties de cette pièce n'entachait pas d'irrégularité les opérations d'expertise ; qu'en statuant ainsi, alors que le respect du caractère contradictoire de l'expertise impliquait que les parties fussent mises à même de discuter devant l'expert un élément de cette nature, compte tenu de l'influence qu'il pouvait avoir sur la réponse aux questions qui lui étaient posées, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Lille le versement à M. et Mme A...d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 4 juillet 2017 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : Le CHRU de Lille versera à M. et Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et Mme D...A...et au centre hospitalier régional universitaire de Lille.






Analyse

Abstrats : 54-04-02-02-01-04 PROCÉDURE. INSTRUCTION. MOYENS D'INVESTIGATION. EXPERTISE. RECOURS À L'EXPERTISE. CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE L'EXPERTISE. - DÉFAUT DE COMMUNICATION AUX PARTIES D'UN ÉLÉMENT POUVANT AVOIR UNE INFLUENCE SUR LA RÉPONSE DE L'EXPERT (ART. R. 621-1 DU CJA) - MÉCONNAISSANCE DU CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE L'EXPERTISE - EXISTENCE [RJ1].

Résumé : 54-04-02-02-01-04 Commet une erreur de droit une cour qui juge que le défaut de communication aux parties du courrier, reconnaissant une erreur de diagnostic, d'un praticien de l'établissement hospitalier dont la responsabilité est recherchée, n'entache pas d'irrégularité les opérations d'expertise, alors que le respect du caractère contradictoire de l'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert un élément de cette nature, compte tenu de l'influence qu'il peut avoir sur la réponse aux questions qui lui sont posées.



[RJ1] Cf. CE, Section, 7 février 1969,,, n° 67774, p. 87 ; CE, 12 décembre 1975, Commune de Saint-Front-sur-Lémance, n° 95178, T. p. 1202 ; CE, 10 novembre 1989, Ville de Colmar et Union des Assurances de Paris, n° 59470 69565, T. p. 853.  




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