mardi 23 mai 2023

Mise en œuvre du décompte définitif, pénalités

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 311 FS-B


Pourvois n°
H 21-24.884
F 21-25.619 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

La société Niort 94, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé les pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 contre le même arrêt rendu le 1er septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans les litiges l'opposant à :

1°/ la société Art Maniac, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ la société [R], société civile professionnelle, en la personne de M. [Z] [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse aux pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 invoque, à l'appui de ses recours, trois moyens identiques de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Niort 94, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Art Maniac et de la société [R], ès qualités, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mme Abgrall, conseiller, Mme Djikpa, conseiller référendaire, complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L.431-3 du code de l'organisation judiciaire, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-24.884 et 21 25.619 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte à la société civile professionnelle [R], en la personne de M. [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, mise en liquidation judiciaire le 13 juin 2022, de sa reprise d'instance.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er septembre 2021), pour la réalisation de la construction d'un établissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes, la société Niort 94, maître de l'ouvrage, a confié, selon deux marchés à forfait, à la société Art Maniac les lots revêtements souples et peinture.

4. Le délai d'exécution des marchés était prévu, selon le calendrier d'exécution notifié à l'entreprise, du 23 décembre 2013 au 6 juin 2014.

5. La réception a eu lieu le 8 septembre 2015.

6. La société Art Maniac a notifié à la société Niort 94 ses mémoires définitifs pour les deux lots, incluant le coût de certains travaux supplémentaires et des dépenses résultant du prolongement du délai d'exécution.

7. Après rectification des mémoires par le maître d'oeuvre, la société Niort 94 a notifié les décomptes définitifs à l'entreprise.

8. Contestant ces derniers, la société Art Maniac a assigné la société Niort 94 en paiement de diverses sommes. La société Niort 94 a sollicité reconventionnellement le paiement d'une somme au titre des pénalités de retard.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :

« 1°/ qu'en relevant d'office le moyen selon lequel les travaux supplémentaires devaient être considérés comme acceptés sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'ils avaient été retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant, pour condamner la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que "le tribunal de commerce a considéré comme ayant été acceptés sans équivoque par le maître d'ouvrage les seuls travaux supplémentaires retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012", quand le tribunal n'avait abordé ni la question de l'acceptation non équivoque du maître d'ouvrage ni celle de l'application de la norme NF P 03.001, mais avait seulement retenu que le maître d'oeuvre avait "corrigé" les projets de décomptes finaux et que le tribunal tiendrait compte des décomptes corrigés, la cour d'appel a dénaturé le jugement rendu le 3 novembre 2017 par le tribunal de commerce, et a ainsi méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;

3°/ que le contrat de louage d'ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d'oeuvre mandat de représenter le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir que les deux marchés confiés à la société Art Maniac étaient stipulés à forfait et qu'elle n'avait pas accepté les travaux supplémentaires dont cette dernière demandait paiement, seul un ordre de service signé par la maîtrise d'ouvrage pouvant justifier une demande de paiement de travaux supplémentaires ; qu'en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que ceux-ci avaient été "retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins", sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d'oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs aux fins d'approuver des travaux supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 (ancien) et 1793 du code civil ;

4°/ que lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac le prix de travaux supplémentaires retenus par le maître d'oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d'appel a retenu que ces travaux, non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs étaient réputés acceptés sans équivoque "par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012" ; qu'en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales et que la société Niort 94 contestait avoir commandé des travaux supplémentaires, sans relever l'existence d'une autorisation écrite donnée par cette dernière et d'un prix convenu avec elle, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel, abstraction faite d'une référence inopérante mais surabondante au silence gardé par le maître de l'ouvrage durant le délai lui étant imparti, à compter de la réception du mémoire de l'entreprise, pour notifier à celle-ci, après vérification, le décompte définitif, en application de la norme NF P 03.001, a, sans dénaturation du jugement, dont elle s'est bornée à restituer le raisonnement sous-tendant les motifs, ni relever un moyen d'office, retenu, sans être tenue de procéder à une recherche sur un éventuel mandat du maître d'oeuvre que ses constatations rendaient inopérante, que la notification par le maître de l'ouvrage des décomptes définitifs à l'entreprise, incluant le coût de certains travaux supplémentaires, qui était dans le débat, était sans équivoque, faisant ainsi ressortir que celle-ci valait acceptation expresse et non équivoque desdits travaux, réalisés hors forfait.

11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

12. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :

« 1°/ qu'en relevant d'office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, le moyen selon lequel il ressortait des dispositions de l'article 1 du titre VI du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), relatif aux délais, que "si des retards s'accumulent dans l'exécution du chantier, le maître de l'ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu'il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant", sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, qu'il ressortait des dispositions de l'article 1 du titre VI du CCAP, relatif aux délais, que "si des retards s'accumulent dans l'exécution du chantier, le maître de l'ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu'il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant", la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en retenant successivement que le maître d'ouvrage était nécessairement comptable des retards dans l'exécution du chantier puis qu'"il résulte des développements précédents que (...) l'accumulation des retards sur le chantier ne peut être imputée qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination", la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que le titre VI du CCAP, intitulé "délais" définissait, en son article 2, la notion de "retard" comme "tout manquement aux prescriptions relatives à l'engagement de délai des entreprises", la distinguant très nettement de la notion de "prolongation de délais" accordée par le maître d'ouvrage en raison de modifications qu'il aurait demandées, définie à l'article 1 du même titre ; qu'en retenant qu'il résultait de l'article 1 du titre VI du CCAP que tout retard de chantier procéderait nécessairement d'une faute du maître d'ouvrage dès lors que seul celui-ci aurait, en application du CCAP, le pouvoir d'accorder des prolongations de délai, la cour d'appel a méconnu les dispositions du CCAP, violant l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

5°/ que le CCAP stipulait, à l'article 6 de la section VI, que "dans le cas où le maître d'ouvrage ne pourrait, pour une raison quelconque, remettre à l'entrepreneur la disposition du chantier à la date précise, le délai imparti à l'entrepreneur sera simplement allongé d'autant de jours qu'il y aurait eu de retard, sans que l'entrepreneur puisse arguer de ce fait pour émettre une réclamation", excluant, de fait, toute indemnisation de l'entrepreneur du fait du retard dans la mise à disposition du site ; qu'en allouant néanmoins à la société Art Maniac une somme de 28 618,44 euros HT au titre des retards dans la mise à disposition du site, la cour d'appel a méconnu les dispositions précitées du CCAP, violant l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

6°/ qu'en relevant d'office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier nonobstant le caractère forfaitaire du marché, le moyen selon lequel le maître d'oeuvre, en validant quatre mois de délais supplémentaires, aurait admis la "responsabilité pour manquement du maître de l'ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d'exécution des travaux", sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

7°/ que le contrat de louage d'ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d'oeuvre mandat de représenter le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir qu'elle n'était en aucun cas responsable de l'allongement de la durée d'exécution du chantier avant l'intervention de la société Art Maniac ; qu'en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, que le maître d'oeuvre, en validant quatre mois de délai supplémentaires, avait admis la "responsabilité pour manquement du maître de l'ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d'exécution des travaux", sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d'oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 (anciens) du code civil ;

8°/ qu'en retenant, pour caractériser l'existence d'un préjudice de la société Art Maniac, "que s'agissant d'une entreprise de taille modeste, elle avait nécessairement refusé d'autres marchés en considération des dates d'intervention contractuellement prévues", la cour d'appel a derechef statué par voie de simple affirmation, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

9°/ qu'en relevant d'office le moyen selon lequel le paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d'oeuvre et que, le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

10°/ que lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier retenue par le maître d'oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d'appel a retenu que le paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d'oeuvre et que, le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 ; qu'en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales, sans relever l'existence d'une autorisation écrite donnée par la société Niort 94 et d'un prix convenu avec elle, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. En premier lieu, les griefs des cinq premières branches sont inopérants pour se rattacher à des motifs surabondants.

14. En second lieu, la cour d'appel, devant laquelle la société Art Maniac sollicitait, à titre subsidiaire, s'agissant des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, qu'elle fît sienne le raisonnement des premiers juges suivant lequel la somme retenue à ce titre dans le décompte définitif qui avait été notifié par le maître de l'ouvrage à l'entreprise, devait être regardée comme étant due, a retenu, sans relever d'office un moyen qui n'aurait pas été dans le débat ni méconnaître le caractère forfaitaire du marché, que dans sa lettre de contrôle des projets de décomptes finaux de la société Art Maniac, le maître d'oeuvre avait indiqué que l'OPC avait validé quatre mois de délai supplémentaire, répartis sur les deux lots, soit un surcoût total à ce titre de 28 618 euros, et que la société Niort 94 avait notifié, sans rectification ni contestation, les décomptes définitifs à l'entreprise.

15. Elle a pu déduire de ce seul motif, sans être tenue de procéder à une recherche sur un éventuel mandat du maître d'oeuvre que ses constatations rendaient inopérante, qu'en notifiant à l'entreprise les décomptes définitifs incluant cette somme, le maître de l'ouvrage avait expressément admis que l'allongement du délai d'exécution du chantier résultait, dans cette limite, de son propre fait et non du fait de celle-ci, de sorte que la somme correspondante était due.

16. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

17. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre des pénalités contractuelles de retard, alors :

« 2°/ qu'en écartant les demandes de la société Niort 94 tendant à l'application à la société Art Maniac de pénalités contractuelles de retard pour avoir exécuté ses lots en douze mois au lieu de cinq mois et demi, que l'accumulation des retards de chantiers n'était imputable "qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination", quand ces motifs, relatifs uniquement au retard dans la mise à disposition du chantier, étaient inopérants à justifier le dépassement de durée intrinsèque de l'intervention de la société Art Maniac, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour débouter la société Niort 94 de ses demandes tendant à l'application à la société Art Maniac de pénalités contractuelles de retard pour avoir exécuté ses lots en douze mois au lieu de cinq mois et demi, que sa responsabilité au titre des retards apportés à l'exécution de ses lots n'était nullement démontrée quand la société Niort 94 n'invoquait pas la responsabilité contractuelle de la société Art Maniac mais la simple exécution du contrat qui prévoyait des pénalités de retard au cas où les travaux ne seraient pas terminés dans les délais impartis à l'entreprise, la cour d'appel statué par des motifs inopérants, la mise-en-oeuvre de la clause pénale ne dépendant que de l'existence du retard prévu au contrat et non de la responsabilité de l'entrepreneur, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1103, anciennement 1134, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

18. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

19. Pour rejeter la demande en paiement de pénalités de retard, l'arrêt retient que la responsabilité de la société Art Maniac ne saurait être engagée au titre des retards apportés à l'exécution de ses lots, alors que sa responsabilité à ce titre n'est pas démontrée et que l'accumulation des retards sur le chantier ne peut être imputée qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination.

20. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier qu'en dépit de l'accumulation des retards imputables à d'autres intervenants, ayant différé d'autant la mise à disposition du chantier, la société Art Maniac aurait exécuté les travaux qui lui étaient confiés dans le délai contractuellement convenu, sanctionné par des pénalités de retard, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Niort 94 au titre des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 1er septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société civile professionnelle [R], en la personne de M. [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant : prescription, computation et interruption

 Note C. Charbonneau, RDI 2023, p. 190

Note A. Caston, GP 2023-17, p. 67

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 318 F-D

Pourvoi n° X 21-24.967




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

1°/ la société Duic Floch architectes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], anciennement dénommée Duic Lemesle architectes,

2°/ la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° X 21-24.967 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur de la société Henri Duic,

2°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur des sociétés Seo, Sarthou et Eiffage travaux publics ouest, devenue Eiffage route ouest,

3°/ à la société SMA, dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur des sociétés [M] [H] et [P] [D],

4°/ à la société Eiffage route Ile-de-France centre ouest, dont le siège est [Adresse 3],

5°/ à la société Eiffage route sud-ouest, dont le siège est [Adresse 5],

6°/ à la société Socotec construction, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Socotec France,

7°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 26], représenté par son syndic la société Foncia Sogiv, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Duic Floch architectes et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Duic Floch architectes et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société SMA, prise en sa qualité d'assureur des sociétés [M] [H] et [P] [D], la société Eiffage route Ile-de-France/centre Ouest, la société Eiffage route Sud-Ouest ainsi que le syndicat de copropriété de la résidence [Adresse 26]. Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes,16 septembre 2021), la société Duic Lemesle, devenue Duic Floch architectes (la société Duic Floch), assurée auprès de la MAF, a été chargée de la maîtrise d'oeuvre complète d'une opération de construction d'un groupe de bâtiments à usage d'habitation, la société Henri Duic, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, s'étant vu confier le lot gros oeuvre, et la société Socotec construction (la société Socotec) une mission de contrôle technique.

3. Se plaignant, après réception, de l'apparition de fissures et d'infiltrations, le syndicat des copropriétaires de la résidence et plusieurs copropriétaires, ont, après expertise, assigné en réparation l'ensemble des intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Duic Floch architectes et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs recours en garantie au titre du désordre n° 2, alors « que constitue le complément des défenses soumises au premier juge le recours en garantie formé pour la première fois en appel par une partie qui a demandé au tribunal de ne pas été condamnée à réparer la totalité du désordre litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable la demande de garantie présentée contre la SMABTP par la société Duic Floch architectes et la MAF, au titre du désordre n° 2, au motif qu'elle était nouvelle en appel ; que pourtant, la société Duic Floch Architectes et la MAF avaient demandé au tribunal de ne pas les condamner à réparer plus de 50 % du désordre en question ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a relevé, s'agissant du désordre n° 2, que si la société Duic Floch architectes et la MAF avaient demandé, dans leurs dernières conclusions de première instance, que la responsabilité de l'architecte fût limitée à 50 % des dommages et formé un appel en garantie contre la Socotec, elles n'avaient pas formulé de demande à l'encontre de la SMABTP.

7. Elle en a exactement déduit que la demande en garantie formée pour la première fois en cause d'appel à l'encontre de la SMABTP, qui ne constituait pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge, était irrecevable.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société Duic Floch architectes et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs recours en garantie dirigés contre la SMABTP et la Socotec, alors « que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a fait l'objet de la demande indemnitaire qui motive ce recours ; que ce délai ne peut courir à compter d'une requête en référé expertise ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable le recours en garantie formé par la société Duic Floch Architectes et la MAF contre la SMABTP et la Socotec dans leurs conclusions du 18 janvier 2018, la cour d'appel a retenu que l'assignation en référé-expertise du 5 janvier 2012 délivrée par le syndicat des copropriétaires et certains copropriétaires avait mis en cause la responsabilité des constructeurs assignés, dont la société Duic Floch Architectes ; qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ du délai de recours de la société Duic Floch Architectes et de la MAF contre la SMABTP et la Socotec était la date à laquelle une demande indemnitaire avait été dirigée contre eux, soit le 9 juin 2017, de sorte que l'action en garantie formée le 18 janvier 2018 n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

10. En application de ce texte, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

11. S'il était jugé par la troisième chambre civile (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié) que le point de départ du délai de recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant était la date à laquelle l'entrepreneur principal avait été assigné en référé-expertise par le maître de l'ouvrage, celle-ci a, par un arrêt ultérieur (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié) modifié cette règle en décidant qu'une assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.

12. Il en résulte qu'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à un entrepreneur, non assortie d'une demande de reconnaissance d'un droit, fût- ce par provision, ne fait pas courir le délai de prescription de l'action en garantie de ce constructeur contre d'autres intervenants à l'acte de construire.

13. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société Duic Floch architectes et de la MAF à l'encontre de la SMABTP et de la Socotec, l'arrêt retient que la première a été assignée en référé-expertise par le syndicat des copropriétaires le 5 janvier 2012, de sorte qu'elles disposaient d'un délai de cinq ans courant à compter de cette date, expirant le 5 janvier 2017, pour former leurs appels en garantie, ce qu'elles n'avaient fait que par conclusions du 18 janvier 2018.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, à quelle date le syndicat des copropriétaires avait formé une demande tendant à la reconnaissance d'un droit, fût-ce par provision, à l'égard des demandeurs en garantie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare irrecevables les demandes en garantie de la société Duic Floch architectes et de la Mutuelle des architectes français au titre des désordres n°34 et 52,

- déclare irrecevables les demandes en garantie de la société Duic Floch architectes et de la Mutuelle des architectes français contre la SMABTP, en qualité d'assureur des sociétés Henri Duic, SEO, Sarthou et Eiffage Travaux Publics Ouest au titre des désordres [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 17], [Cadastre 16] et [Cadastre 22],

- infirme le jugement en ce que celui-ci a condamné la SMABTP, en qualité d'assureur des sociétés Henri Duic, SEO, Sarthou et Eiffage Travaux Publics Ouest, à garantir la société Duic Floch Architectes et la Mutuelle des architectes français au titre des désordres [Cadastre 8], [Cadastre 17], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25],

l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la SMABTP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Vente immobilière : vice caché et notion d'atteinte à la destination

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2023




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 319 F-D

Pourvoi n° E 21-25.480




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

M. [E] [M], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 21-25.480 contre l'arrêt rendu le 26 août 2021 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Delano 3, société civile immobilière,

2°/ à la société Delano 5, société civile immobilière,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [M], de la SCP Spinosi, avocat des sociétés Delano 3 et Delano 5, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 26 août 2021), par acte authentique du 31 août 2011, les sociétés civiles immobilières Delano 3 et Delano 5 ont vendu à M. [M] le lot n° 264, cadastré section AS n° [Cadastre 1] du lotissement [Adresse 3] situé à [Localité 4], au prix de 8 500 000 FCP.

2. Invoquant l'existence de vices cachés sur cette parcelle résultant de la présence de déchets en sous-sol, M. [M] a, par acte du 16 octobre 2013, assigné les sociétés Delano 3 et 5 en désignation d'un expert aux fins d'estimation de la valeur réelle du terrain et paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir condamner solidairement les sociétés Delano 3 et Delano 5 à lui payer diverses sommes au titre de la remise en état du terrain, de la dépréciation du bien, de la perte de jouissance de son terrain, et au titre de la perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses, alors « que le vice caché s'entend du défaut qui rend la chose impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminue tellement cet usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait connu ; qu'en retenant, pour débouter M. [M] de son action estimatoire, que celui-ci n'établissait pas que « cette circonstance (l'impossibilité d'établir un potager) aurait tellement diminué l'usage du terrain que M. [M] ne l'aurait pas acquis », cependant qu'il suffisait, pour accueillir son action, que le vice litigieux diminue tellement l'usage de la chose vendue que l'acheteur n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait connu, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1641 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

6. Pour rejeter les demandes de M. [M], l'arrêt retient que l'usage principal de la parcelle, tenant à la construction d'une maison, n'a été rendu difficile que pour des motifs étrangers à la présence de déchets dans le sous-sol, que l'argument de l'impossibilité d'y établir un potager n'est caractérisé par aucune constatation ou étude sérieuse et qu'il n'est pas établi que cette circonstance aurait tellement diminué l'usage du terrain qu'il ne l'aurait pas acquis.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le vice tenant à la présence de déchets dans le sous-sol du terrain sur toute sa superficie ne diminuait pas tellement son usage que M. [M] n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait su, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 août 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;

Condamne les sociétés civiles immobilières Delano 3 et Delano 5 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés civiles immobilières Delano 3 et Delano 5 et les condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

L'audit énergétique en vigueur depuis le 1er avril...

 Etude J. Mel, GP 2023-17, p. 46.

La SMABTP avait indemnisé le tiers lésé, de sorte qu'elle était légalement subrogée dans les droits de ce tiers

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 322 F-D

Pourvoi n° Z 22-13.634




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

La Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-13.634 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la SMABTP, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Gan assurances, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2022), l'établissement Port autonome de [Localité 3] (le PAP) a confié des travaux de chauffage d'un entrepôt à la société Terriat ingénierie, assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP).

2. La société Terriat ingénierie a sous-traité la rédaction du cahier des clauses techniques particulières à M. [H], assuré auprès de la société Gan assurances.

3. Par jugement du 5 mai 2015, un tribunal administratif a condamné la société Terriat ingénierie à payer une indemnité au PAP au titre du dysfonctionnement de l'installation de chauffage.

4. Le PAP a assigné, ensuite, la SMABTP, qui a appelé la société Gan assurances en garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La SMABTP fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son appel en garantie formé contre la société Gan assurances, alors « que la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt à l'acquitter ; que la cour d'appel rappelle que, dès lors que l'assureur, en indemnisant le tiers lésé, se trouve subrogé dans les droits et actions de ce dernier, il est recevable à exercer l'action directe dont disposait le tiers lésé à l'encontre de l'assureur du sous-traitant ; que, pour déclarer irrecevable l'action directe exercée par la Smabtp contre le Gan, la cour d'appel énonce que la subrogation dans les droits du tiers lésé est « conventionnelle » et suppose que le tiers lésé, en même temps qu'il reçoit le paiement, accepte expressément de subroger l'assureur dans ses droits et actions contre le responsable du dommage, et que la Smabtp, qui n'avait fait qu'exécuter le jugement assorti de l'exécution provisoire en payant le montant de ses condamnations, ne pouvait justifier d'une subrogation conventionnelle ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la Smabtp était recevable à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits et actions du Pap qu'elle avait désintéressé par son paiement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1251, 3° du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société Gan assurances conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la SMABTP n'est pas recevable à invoquer pour la première fois en cassation le fondement de l'article 1251 du code civil, qui implique une qualification différente de son action, pour justifier le fondement de ses demandes.

7. Après avoir énoncé que l'assureur, en indemnisant le tiers lésé, se trouvait subrogé dans les droits et actions de ce dernier et était recevable à exercer l'action directe dont disposait le tiers lésé à l'encontre de l'assureur du sous-traitant, la cour d'appel a retenu que la subrogation dans les droits du tiers lésé était conventionnelle et que la SMABTP ne pouvait justifier d'une telle subrogation.

8. Dès lors, le moyen, qui est né de l'arrêt, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1251, 3°, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, L. 121-12 et L. 124-3 du code des assurances :

9. Il résulte de ces textes que l'assureur de responsabilité qui a indemnisé le tiers lésé est subrogé dans les droits de ce tiers et peut exercer l'action directe contre l'assureur d'un autre responsable.

10. Pour déclarer irrecevables les demandes de la SMABTP contre la société Gan assurances, l'arrêt retient que la subrogation dans les droits du tiers lésé est conventionnelle et suppose donc que ce dernier, en même temps qu'il reçoit le paiement, accepte expressément de subroger l'assureur dans ses droits et actions contre le responsable du dommage.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la SMABTP avait indemnisé le tiers lésé, de sorte qu'elle était légalement subrogée dans les droits de ce tiers, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'appel en garantie formé par la SMABTP en sa qualité d'assureur de la société Terriat ingénierie à l'encontre de la société Gan assurances en qualité d'assureur de M. [H], l'arrêt rendu le 19 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Gan assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Gan assurances et la condamne à payer à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics la somme de 3 000 euros ;

Le maitre d'œuvre avait connaissance du contrat de sous-traitance soumis au maître de l'ouvrage et devait vérifier qu'il avait bien été agréé

 

Texte intégral

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 323 F-D

Pourvoi n° Q 22-11.509




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

La société Babled-Nouvet-Reynaud architectes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-11.509 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2021 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Artemisia 2, société à responsabilité limitée,

2°/ à la société Enki, société par actions simplifiée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

3°/ à la société RB aménagement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Babled-Nouvet-Reynaud architectes, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société RB aménagement, de la SCP Richard, avocat des sociétés Artemisia 2 et Enki, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 21 octobre 2021), la société Artemisia 2, constituée par la société Enki, a fait procéder, en qualité de maître de l'ouvrage, à des travaux de construction d'une école et de logements étudiants.

2. Sont notamment intervenus à cette opération de construction la société Babled-Nouvet-Reynaud architectes (la société BNR) en qualité de maître d'oeuvre et la société HP, chargée des lots « faux plafonds » et « cloisons sèches et doublage », laquelle a sous-traité l'exécution de ces lots à la société RB aménagement.

3. A la suite du placement en liquidation judiciaire de la société HP, la créance de la société RB aménagement a été admise pour un montant de 157 785,67 euros.

4. Estimant ne pas avoir obtenu le règlement de l'intégralité des sommes qu'elle avait facturées, la société RB aménagement a assigné les sociétés Artemisia 2, Enki et BNR, aux fins d'indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La société BNR fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société RB aménagement, de la condamner, in solidum avec la société Artemisia 2, à payer à la société RB aménagement diverses sommes et d'avoir dit qu'elle devra garantir la société Artemisia 2 à hauteur de 50 % des sommes mises à la charge de cette dernière, alors :

« 1°/ qu'en constatant que le maître d'ouvrage avait connaissance de la présence du sous-traitant, la société RB aménagement, et en retenant que l'architecte était tenu de « s'interroger sur le paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage qui était contraire aux dispositions du contrat de sous-traitance prévoyant que le sous-traitant serait payé par l'entrepreneur principal, fournissant au sous-traitant une caution bancaire », ce qui suffisait à établir que le sous-traitant était agréé, tout en retenant qu'il incombait à l'architecte « d'alerter le maître de l'ouvrage sur la présence au chantier d'un sous-traitant non agréé ou de vérifier a minima que le sous-traitant avait bien été agréé », la cour d'appel a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs et, partant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que l'architecte, même chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, n'est pas tenu de s'immiscer dans la gestion administrative du sous-traitant agréé ni de s'interroger sur les modalités de paiement du sous-traitant par le maître d'ouvrage ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que la société BNR avait commis une faute contractuelle qui avait causé un préjudice au sous-traitant pour s'être abstenue de « s'interroger sur le paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage qui était contraire aux dispositions du contrat de sous-traitance prévoyant que le sous-traitant serait payé par l'entrepreneur principal, fournissant au sous-traitant une caution bancaire » ; qu'en statuant par de tels motifs, la cour a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a relevé que la société BNR, maître d'oeuvre investi d'une mission de direction de l'exécution des contrats de travaux, avait connaissance de la présence de la société RB aménagement sur le chantier depuis le début des travaux ainsi que du contrat de sous-traitance soumis au maître de l'ouvrage, de sorte qu'elle devait alerter celui-ci sur la présence de ce sous-traitant sur le chantier et vérifier qu'il avait bien été agréé.

8. Elle a ainsi, sans contradiction et par ce seul motif, pu retenir que le maître d'oeuvre avait manqué à ses obligations et engageait sa responsabilité délictuelle vis à vis du sous-traitant non agréé.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Babled-Nouvet-Reynaud architectes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Notion de désordre apparent

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 324 F-D

Pourvoi n° G 22-13.182




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023


1°/ la société syndicat du Lloyd's 29-87 Brit, société par actions simplifiée,

2°/ la société Lloyd's Insurance Company, société anonyme, venant aux droits du syndicat du Lloyd's 29-87 Brit,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 8],

ont formé le pourvoi n° G 22-13.182 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2021 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Foncière développement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],


4°/ à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],

5°/ à la société Géodis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9],

6°/ à la société Apave Nord-Ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

7°/ à la société Artefact, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

8°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

9°/ à la société MMA assurances mutuelles, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La société Axa France IARD, la société Géodis et les sociétés MMA IARD et MMA assurances mutuelles ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La société Mutuelle des architectes français et la société Artefact ont formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, respectivement, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Les demanderesses au pourvoi provoqué invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des sociétés syndicat du Lloyd's 29-87 Brit et Lloyd's Insurance Company, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat des sociétés Mutuelle des architectes français et Artefact, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société Foncière développement, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Apave Nord-Ouest, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat des sociétés Géodis, MMA IARD et MMA assurances mutuelles, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Gan assurances, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 novembre 2021), la société Foncière développement (le maître de l'ouvrage) a, pour la réalisation d'un groupe d'immeubles composé de onze maisons individuelles et d'un immeuble collectif, confié la maîtrise d'oeuvre de conception à un groupement composé notamment de la société Artefact, architecte mandataire du groupement, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF) et de la société Géodis, bureau d'études techniques pour le lot Vrd, assurée auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés Mutuelles du Mans IARD et Mutuelles du Mans assurances mutuelles (les MMA), la maîtrise d'oeuvre d'exécution et d'ordonnancement, pilotage et coordination à la société Art & Tech, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès du syndicat du Lloyd's 29-87 Brit, aux droits duquel vient la société Lloyd's Insurance Company, le lot Vrd à la société Lorgeril Millour, assurée auprès de la société Axa France IARD, puis, après résiliation de ce marché et mise en liquidation judiciaire de cette société, à la société Sltm, assurée auprès de la société Gan assurances et enfin une mission de contrôle technique à la société Apave Nord-Ouest.

2. La réception des maisons individuelles a été prononcée le 26 novembre 2013, avec des réserves étrangères au litige.

3. Se plaignant de l'inondation de plusieurs jardins des maisons, le maître de l'ouvrage a, après expertise judiciaire, assigné les sociétés Artefact et Géodis, les mandataires liquidateurs des sociétés Lorgeril Millour et Art & Tech et les assureurs de ces sociétés ainsi que la société Apave Nord-Ouest aux fins d'indemnisation.

4. Les constructeurs et leurs assureurs ont formé des recours en garantie entre eux en cas de condamnation prononcée contre eux au profit du maître de l'ouvrage.


Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches et sur le moyen du pourvoi provoqué formé par la société Artefact et la MAF, pris en sa seconde branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, sur le moyen du pourvoi provoqué, pris en sa première branche, formé par la société Artefact et la MAF, sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, formé par la société AXA France IARD et sur le moyen du pourvoi incident formé par les sociétés Géodis et MMA, réunis

Enoncé du moyen

6. Par son moyen, le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit, aux droits duquel vient la société Lloyd's Insurance Company fait grief à l'arrêt de fixer sa part contributive en considération de la faute de son assuré ayant entraîné le dommage et de le condamner, in solidum avec les autres sociétés, à garantir à hauteur de 20 % la condamnation des sociétés Artefact et Géodis à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme, alors « que la réception sans réserve couvre les désordres apparents, lesquels s'entendent des désordres visibles au moment des opérations de réception, peu important que leur cause n'ait pu alors être décelée ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt que la Sarl Foncière développement était « en capacité de relever un volume aussi faible des deux bassins (4 m3, ou 30 m3 selon cette dernière, au lieu de 160 m3) » et que « l'expert judiciaire a expliqué que certains désordres (non-conformités au marché de travaux) étaient visibles » ; qu'en considérant néanmoins que la société Foncière développement était en droit d'invoquer la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale au titre des désordres nonobstant la réception des travaux faite le 26 novembre 2013 sans réserve sur les points en litige au motif « qu'elle ne pouvait pas déceler la conception défectueuse du dispositif de gestion des eaux pluviales, visée comme première cause des désordres par l'expert judiciaire, et alors que la société Artefact attestait le 22 novembre 2013, soit quatre jours avant la réception, que les travaux étaient achevés et qu'ils étaient conformes au permis de construire », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à écarter le caractère apparent du vice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

7. Par son moyen, la société AXA France IARD fait grief à l'arrêt de fixer sa part contributive en considération de la faute de son assuré ayant entraîné le dommage et de la condamner, in solidum avec les autres sociétés, à garantir à hauteur de 20 % la condamnation des sociétés Artefact et Géodis à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme, alors « que la réception sans réserve couvre les désordres apparents, lesquels s'entendent des désordres visibles au moment des opérations de réception, peu important que leur cause n'ait pu alors être décelée ; qu'en retenant que la société Foncière développement était en droit d'invoquer la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale au titre des désordres nonobstant la réception des travaux faite le 26 novembre 2013 sans réserve sur les points en litige pour la raison « qu'elle ne pouvait pas déceler la conception défectueuse du dispositif de gestion des eaux pluviales, visée comme première cause des désordres par l'expert judiciaire, et alors que la société Artefact attestait le 22 novembre 2013, soit quatre jours avant la réception, que les travaux étaient achevés et qu'ils étaient conformes au permis de construire », après avoir pourtant constaté que la sarl Foncière développement était « en capacité de relever un volume aussi faible des deux bassins (4 m3, ou 30 m3 selon cette dernière, au lieu de 160 m3) » et que « l'expert judiciaire a expliqué que certains désordres (non-conformités au marché de travaux) étaient visibles », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à écarter le caractère apparent du vice qu'elle constatait, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1792 du code civil. »

8. Par leur moyen, la société Artefact et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec les sociétés Géodis et MMA à payer une certaine somme au maître de l'ouvrage et de fixer la part contributive au titre des recours en garantie formées entre constructeurs, alors « que la réception sans réserve couvre les désordres apparents, lesquels s'entendent des désordres visibles au moment des opérations de réception, peu important que leur cause n'ait pu alors être décelée ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt que la Sarl Foncière développement était « en capacité de relever un volume aussi faible des deux bassins (4 m3, ou 30 m3 selon cette dernière, au lieu de 160 m3) » et que « l'expert judiciaire a expliqué que certains désordres (non-conformités au marché de travaux) étaient visibles » ; qu'en considérant néanmoins que la société Foncière développement était en droit d'invoquer la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale au titre des désordres nonobstant la réception des travaux faite le 26 novembre 2013 sans réserve sur les points en litige au motif « qu'elle ne pouvait pas déceler la conception défectueuse du dispositif de gestion des eaux pluviales, visée comme première cause des désordres par l'expert judiciaire, et alors que la société Artefact attestait le 22 novembre 2013, soit quatre jours avant la réception, que les travaux étaient achevés et qu'ils étaient conformes au permis de construire », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à écarter le caractère apparent du vice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

9. Par leur moyen, les sociétés Géodis et MMA font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec la société Artefact et la MAF à payer une certaine somme au maître de l'ouvrage alors « que la réception sans réserve couvre les désordres apparents, lesquels s'entendent des désordres visibles au moment des opérations de réception, peu important que leur cause n'ait pu alors être décelée ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt que la Sarl Foncière développement était « en capacité de relever un volume aussi faible des deux bassins (4 m3, ou 30 m3 selon cette dernière, au lieu de 160 m3) » et que « l'expert judiciaire a expliqué que certains désordres (non-conformités au marché de travaux) étaient visibles » ; qu'en considérant néanmoins que la société Foncière développement était en droit d'invoquer la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale au titre des désordres nonobstant la réception des travaux faite le 26 novembre 2013 sans réserve sur les points en litige au motif « qu'elle ne pouvait pas déceler la conception défectueuse du dispositif de gestion des eaux pluviales, visée comme première cause des désordres par l'expert judiciaire, et alors que la société Artefact attestait le 22 novembre 2013, soit quatre jours avant la réception, que les travaux étaient achevés et qu'ils étaient conformes au permis de construire », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à écarter le caractère apparent du vice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a retenu que, si le maître de l'ouvrage était en capacité de relever, lors de la réception, la non-conformité tenant à la faiblesse de volume des deux bassins au regard de celui contractuellement prévu, les désordres, apparus après la réception à l'occasion de fortes précipitations, s'étant manifestés par l'inondation des jardins, avaient pour origine une conception défectueuse du dispositif de gestion des eaux pluviales tenant, non seulement à la non-conformité apparente mais aussi à d'autres vices cachés à savoir des non-façons des drains et canalisation entre les deux bassins.

11. Elle en a souverainement déduit que le désordre était caché lors de la réception pour le maître de l'ouvrage.

12. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. Le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit, aux droits duquel vient la société Lloyd's Insurance Company fait grief à l'arrêt de fixer sa part contributive en considération de la faute de son assuré ayant entraîné le dommage et de le condamner, in solidum avec les autres sociétés, à garantir à hauteur de 20 % la condamnation des sociétés Artefact et Géodis à payer au maître de l'ouvrage une certaine somme, alors « que la garantie d'un assureur n'est due qu'en exécution d'un contrat d'assurance couvrant le dommage allégué, de sorte qu'aucune action en garantie trouvant son origine dans un vice relevant de la garantie décennale ne peut être accueillie contre un assureur ne couvrant pas une telle garantie ; qu'en l'espèce, il ressort des motifs de l'arrêt que la cour d'appel a retenu que la société Foncière développement pouvait agir en réparation des désordres sur le fondement de la garantie décennale ; qu'en accueillant dès lors les recours en garantie dirigés contre le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit au titre de l'assurance responsabilité civile professionnelle après avoir pourtant constaté que le syndicat n'était pas l'assureur décennal de la société Art & Tech, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 124-3, alinéa 1er et L. 124-5 du code des assurances par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-3, alinéa 1er, du code des assurances et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

14. Aux termes du premier de ces textes, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

15. Selon le second, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

16. Pour condamner le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit, aux droits duquel vient la société Lloyd's Insurance Company à garantir, à hauteur de 20 %, les sociétés Artefact, Géodis, MMA et la MAF des condamnations prononcées contre elles au profit du maître de l'ouvrage, l'arrêt retient que ce syndicat couvre la responsabilité civile professionnelle de la société Art & Tech et que la responsabilité délictuelle de son assurée étant engagée pour fautes, il sera condamné à garantir les sociétés condamnées pour la part incombant à son assurée.

17. En statuant ainsi alors qu'elle avait constaté que le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit n'était pas l'assureur couvrant la garantie décennale de la société Art & Tech tandis qu'elle avait retenu que le désordre dont il était demandé réparation relevait de la garantie décennale des constructeurs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Foncière développement et Apave Nord-Ouest, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que qu'il dit que dans leurs rapports entre elles, les sociétés Artefact et Mutuelle des architectes français (20 %), les sociétés Géodis, Mutuelles du Mans IARD et Mutuelles du Mans assurances mutuelles (20 %), la société Axa France Iard (20 %), la société Gan assurances (20 %) et le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit (20 %) supporteront chacune pour leur part l'indemnisation due à la société Foncière Développement à charge de garantir in solidum celle qui se sera acquittée d'une indemnisation supérieure à sa quote-part et en tant que de besoin, condamne in solidum les sociétés Artefact et Maf (20 %), les sociétés Géodis, Mutuelles du Mans IARD et Mutuelles du Mans Assurances mutuelles (20 %), la société Axa France Iard (20 %), la société Gan assurances (20 %) et le syndicat du Lloyd's 29-87 Brit (20 %) à garantir à hauteur de sa quote-part les sociétés tenues à l'obligation d'indemniser, l'arrêt rendu le 24 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Met hors de cause les sociétés Foncière développement et Apave Nord- Ouest ;

Condamne les sociétés Axa France IARD, Mutuelle des architectes français, Gan assurances, Mutuelles du Mans IARD et Mutuelles du Mans assurances mutuelles, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;