mardi 14 mars 2023

Les mentions prévues par l'article 901 du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d'appel, acte de procédure se suffisant à lui seul, son "annexe" ne pouvant en tenir lieu.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2023




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 209 F-D

Pourvoi n° Q 21-17.163

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [C] [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 4 mars 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2023

1°/ M. [K] [W],

2°/ Mme [N] [S], épouse [W],

3°/ M. [C] [W],

tous trois domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Q 21-17.163 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [T] [D], domicilié [Adresse 3],

2°/ à la société CRD Habitat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [K] [W], Mme [N] [S], épouse [W], et M. [C] [W], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [D], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 12 octobre 2020), dans un litige les opposant à M. [D], M. [K] [W], Mme [N] [W] et M. [C] [W] ont relevé appel, par déclaration du 25 juillet 2019, d'un jugement du juge de l'exécution du 8 juillet 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches

Enoncé du moyen

3. M. [K] [W], Mme [N] [W] et M. [C] [W] font grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de leur déclaration d'appel et de dire qu'elle n'était saisie d'aucune demande, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 930-1 du code de procédure civile que la déclaration d'appel est faite par voie électronique ; qu'il résulte de l'article 6 de l'arrêté du ministère de la justice du 30 mars 2011 régissant les modalités techniques de la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel applicable à l'espèce que les parties ont la possibilité d'annexer un document sous forme de fichier informatique à leur déclaration d'appel ; qu'en l'espèce, un fichier au sein duquel les appelants avaient listé les différents chefs du jugement qu'ils critiquaient était annexé à la déclaration d'appel laquelle s'y reportait expressément en précisant que « l'objet de l'appel est précisé dans la déclaration d'appel ci-jointe » ; qu'en retenant que « s'il n'est pas établi que la déclaration d'appel a dépassé sa taille maximale de 4 080 caractères, les chefs de jugement critiqués doivent figurer sur la déclaration d'appel et non sur une annexe qui n'est pas la déclaration d'appel » (arrêt, p. 6, § 9), pour exclure l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel, qui a ainsi, introduisant une limite au champ de l'effet dévolutif de la déclaration d'appel par voie informatique que la loi ne prévoit pas, la cour d'appel a violé les articles 562 et 901, 4° du code de procédure civile ensemble les articles 930-1 et 748-1 et suivants du même code ;

2°/ subsidiairement, que seule la déclaration d'appel qui s'abstient de viser les chefs du jugement critiqué est dépourvue d'effet dévolutif ; que la désignation des chefs du jugement critiqué au sein d'un fichier joint à la déclaration d'appel plutôt que dans le corps même de cette déclaration d'appel n'équivaut pas à une absence de désignation des chefs de jugement critiqué, mais constitue tout au plus un vice de forme susceptible d'être sanctionné par la nullité de la déclaration d'appel ; que pour juger que la déclaration d'appel opérée par les consorts [W], dont la nullité n'avait pas été prononcée, ne produisait aucun effet dévolutif aux motifs que les chefs du jugement critiqués étaient visés dans un fichier annexé, la cour d'appel a violé les articles 562 et 901, 4° du code de procédure civile, ensemble l'article 114 du même code et l'arrêté ministériel du 30 mars 2011 pris en application de l'article 748-6 et 930-1 du code de procédure civile ;

5°/ en toute hypothèse que les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'après avoir constaté que les consorts [W] « ont interjeté appel sur l'ensemble des chefs de cette décision à l'exception de celle rejetant la fin de non-recevoir tirée de leur défaut de qualité à agir » et que les chefs du jugement critiqués étaient listés au sein d'un fichier régulièrement annexé à la déclaration d'appel et auquel la déclaration d'appel faisait un renvoi exprès en retenant, pour néanmoins considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande, motifs pris de ce que « s'il n'est pas établi que la déclaration d'appel a dépassé sa taille maximale de 4 080 caractères, les chefs de jugement critiqués doivent figurer sur la déclaration d'appel et non sur une annexe qui n'est pas la déclaration d'appel », la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, au point de l'atteindre dans sa substance même, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d'appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

5. En application de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du même décret, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

6. En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique. Selon le second de ces textes, en son dernier alinéa, un arrêté du garde des Sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique.

7. L'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique aux procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel qui vise les articles 748-1 à 748-7 et 930-1 et est applicable en la cause, prévoit, notamment en son article 6, que lorsqu'un document doit être joint à un acte, le document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier au format XML contenant l'acte sous forme de message de données. Le fichier contenant le document joint accompagnant l'acte est un fichier au format PDF. Le fichier au format PDF est produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique.

8. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, que les mentions prévues par l'article 901 du code de procédure civile dans sa version alors applicable, doivent figurer dans la déclaration d'appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.

9. Cependant, en cas d'empêchement d'ordre technique, l'appelant peut compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.

10. Après avoir rappelé les dispositions des articles 562 et 901 du code de procédure civile, relevé que les chefs de jugement contestés étaient en réalité exclusivement explicités dans une annexe intitulée « déclaration d'appel devant la cour d'appel » et fait ressortir qu'il n'existait aucun empêchement d'ordre technique, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les exigences de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que ce document ne vaut pas déclaration d'appel, seul l'acte d'appel opérant la dévolution des chefs critiqués du jugement.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [K] [W], Mme [N] [S], épouse [W] et M. [C] [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées

 

Texte intégral

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CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2023




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 210 F-D

Pourvoi n° J 21-17.825




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2023

M. [U] [J], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de gérant de la société Bowlingstar, a formé le pourvoi n° J 21-17.825 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], pris en la personne de M. [N] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bowlingstar, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [J], pris en qualité de gérant de la société Bowlingstar, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 8 avril 2021), à la suite de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Bowlingstar dont il était le gérant, M. [J] a été condamné au paiement d'une somme au titre de l'insuffisance d'actif, par un jugement du tribunal de commerce du 10 décembre 2019 dont il a relevé appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables toutes ses conclusions et de confirmer le jugement ayant dit qu'il avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société et l'ayant en conséquence condamné à payer au liquidateur de la société ès qualités une somme de 119 633 euros alors « que le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; que l'arrêt se prononce au visa des conclusions déposées le 3 septembre 2020 ; qu'en statuant ainsi, sans se référer aux nouvelles conclusions déposées le 17 février 2021 par M. [J] et complétant son argumentation précédente avec de nouvelles productions à l'appui, la cour d'appel, qui ne les a pas prises en considération dans sa motivation, a violé les articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 4, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 455 et 954, alinéa 4, du code de procédure civile :

3. Il résulte de ces textes que le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées.


4. Pour confirmer le jugement déféré, l'arrêt se prononce au visa de conclusions qualifiées par lui de « dernières » déposées le 3 septembre 2020, en exposant succinctement les prétentions de l'appelant.

5. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des productions que M. [J] avait déposé, le 17 février 2021, des conclusions complétant sa précédente argumentation en produisant de nouvelles pièces visées dans le bordereau figurant en annexe, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle les aurait prises en considération, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société BTSG, prise en la personne de M. [Y], en qualité de liquidateur de la société Bowlingstar, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Non rétroactivité de l'exigence de formalisme nouveau dans les conclusions d'appel

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2023




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 217 F-D

Pourvoi n° M 21-20.495




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2023

1°/ Mme [N] [H], épouse [Z], domiciliée [Adresse 3],

2°/ Mme [I] [Z], domiciliée [Adresse 4],

3°/ M. [V] [Z], domicilié [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° M 21-20.495 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-7), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Natal, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Hong Kong buffet, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [N] [H], épouse [Z], de Mme [I] [Z] et de M. [V] [Z], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Natal, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué ( Aix-en-Provence, 27 mai 2021), Mme [N] [H], épouse [Z], Mme [I] [Z] et M. [V] [Z] (les consorts [Z]), estimant que la sous-location, consentie par la société Natal à la société Hong Kong buffet des locaux lui appartenant et de ceux appartenant aux consorts [Z], aurait été conclue en fraude de leurs droits, ont assigné ces sociétés aux fins de résiliation du bail et de paiement de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices.

2. Les consorts [Z] ont interjeté appel le 8 juillet 2019 du jugement d'un tribunal de grande instance du 20 juin 2019 ayant rejeté leurs demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les consorts [Z] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il avait déclaré irrecevable comme prescrite leur action fondée sur l'absence de participation à l'acte de sous-location, déclaré recevable en la forme leur action en résiliation du bail commercial fondé sur la déloyauté et rejeté leurs demandes en résiliation du bail commercial, expulsion et paiement de dommages-intérêts, alors « que si la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ni l'annulation du jugement, cette règle de procédure n'est applicable que dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020 ; qu'en énonçant, pour confirmer le jugement, que les conclusions des appelants, qui comportaient un dispositif ne concluant pas à l'infirmation totale ou partielle du jugement déféré, ne respectaient pas les dispositions de l'article 954 du code de procédure en ne déterminant pas l'objet du litige porté devant les juges d'appel qui, dès lors, ne pouvaient pas réformer la décision déférée, sauf à statuer ultra petita, la cour d'appel, qui a ainsi appliqué une règle de procédure qui n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il avait été relevé appel, soit le 8 juillet 2019, a privé les appelants d'un procès équitable et a, dès lors, violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir relevé que la déclaration d'appel a été remise le 8 juillet 2019, retient que les conclusions des consorts [Z] comportent un dispositif ne concluant pas à l'infirmation totale ou partielle du jugement déféré et que la cour d'appel ne peut donc pas réformer la décision déférée sauf à statuer ultra petita.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 8 juillet 2019, l'application de cette règle de procédure, aboutissant à priver les consorts [Z] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Natal et la société Hong Kong buffet aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Natal et la condamne à payer à Mme [N] [H], épouse [Z], Mme [I] [Z] et M. [V] [Z] la somme globale de 3 000 euros ; 

Vice de forme d'un acte d'huissier : "nullité sans grief n'opère rien"

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2023




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 225 F-D

Pourvoi n° X 21-18.389




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2023

Mme [J] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-18.389 contre l'arrêt rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société RATP Habitat, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Logis transport, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B], de Me Haas, avocat de la société RATP Habitat, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 mars 2021), la société RATP Habitat a poursuivi l'expulsion de Mme [B] en lui faisant délivrer un commandement de quitter les lieux le 9 mars 2018 puis un procès-verbal de nullité d'expulsion le 18 mai 2018 et un procès-verbal d'expulsion le 1er août 2018.

2. Mme [B] a saisi un juge de l'exécution à fin de sursis à statuer, puis en nullité du commandement, enfin en nullité du procès-verbal d'expulsion.

3. Après jonction des différentes procédures, le juge de l'exécution a rejeté la demande de sursis à statuer et a débouté Mme [B] de ses autres demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [B] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de nullité du procès-verbal d'expulsion, de sa demande de réintégration dans les lieux sous astreinte, de sa demande en paiement des frais d'expulsion, et de ses plus amples demandes, alors :

« 1°/ en premier lieu que dans les sociétés titulaires d'un office d'huissier de justice, chaque associé exerce les fonctions d'huissier au nom de la société, de sorte que le défaut de mention, sur un acte d'huissier, de la dénomination sociale de la société précédée ou suivie de la mention « société civile professionnelle » ou des initiales « SCP », ainsi que le défaut d'indication du titulaire de l'office ministériel, constituent des irrégularités de fond ; qu'en jugeant, à propos du procès-verbal d'expulsion, du procès-verbal de tentative d'expulsion et du commandement de quitter les lieux, que « l'absence de précision de ce que la société officie sous forme de SCP, ou de ce qu'il s'agit d'une SCP titulaire d'un office d'huissier de justice, ou d'une SCP d'huissiers de justice dont chaque associé est titulaire de l'office, ne peut conduire à l'annulation de l'acte qu'à la condition que l'irrégularité ait causé un grief au destinataire de l'acte », et que « les actes contestés précisent en outre le numéro de Siret de la société d'huissiers 384 625 612 permettant la levée d'un extrait Kbis, dont la simple consultation confirme qu'il s'agit d'une SCP d'exercice en commun par ses membres de la profession d'huissiers de justice », la cour d'appel a violé les articles 8 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, 45 et 47 du décret n°69-1274 du 31 décembre 1969 pris pour l'application à la profession d'huissier de justice de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles, 114, 117, 648 et 649 du code de procédure civile ;

2°/ en deuxième lieu que, subsidiairement, en jugeant que « l'absence de précision de ce que la société qui l'emploie officie sous forme de SCP, ou de ce qu'il s'agit d'une SCP titulaire d'un office d'huissier de justice, ou d'une SCP d'huissiers de justice dont chaque associé est titulaire de l'office » n'aurait causé aucun grief à Mme [B], et que « les actes contestés précisent en outre le numéro de Siret de la société d'huissiers 384 625 612 permettant la levée d'un extrait Kbis, dont la simple consultation confirme qu'il s'agit d'une SCP d'exercice en commun par ses membres de la profession d'huissier de justice », bien que du fait de l'irrégularité dénoncée Mme [B] n'ait pas pu vérifier si la personne qui leur avait signifié cet acte avait la qualité d'officier ministériel, l'extrait Kbis en question ne précisant pas davantage qui de la SCP ou de ses associés est titulaire de l'office ministériel, la cour d'appel a violé les articles 114 et 648 du code de procédure civile, ensemble l'article 1369 du code civil ;

3°/ en troisième lieu que, subsidiairement, en jugeant qu'en ce qui concerne le commandement de quitter les lieux, « l'absence de précision de ce que la société qui l'emploie officie sous forme de SCP, ou de ce qu'il s'agit d'une SCP titulaire d'un office d'huissier de justice, ou d'une SCP d'huissiers de justice dont chaque associé est titulaire de l'office » n'aurait causé aucun grief à Mme [B], et que « les actes contestés précisent en outre le numéro de Siret de la société d'huissiers 384 625 612 permettant la levée d'un extrait Kbis, dont la simple consultation confirme qu'il s'agit d'une SCP d'exercice en commun par ses membres de la profession d'huissier de justice », bien que du fait de l'irrégularité dénoncée Mme [B] n'ait pas pu vérifier si la personne qui leur avait signifié cet acte avait la qualité d'officier ministériel, l'extrait Kbis en question ne précisant pas davantage qui de la SCP ou de ses associés est titulaire de l'office ministériel, la cour d'appel a violé les articles 114 et 648 du code de procédure civile, ensemble l'article 1369 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 648 du code de procédure civile, tout acte d'huissier de justice indique notamment les noms, prénoms, demeure et signature de l'huissier de justice.

6. Aux termes de l'article 649 du même code, la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.

7. En application du second alinéa de l'article 114 du code de procédure civile, la nullité pour vice de forme ne peut être prononcée qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité.

8. Ayant relevé, d'une part, que le commandement de quitter les lieux du 9 mars 2018, le procès-verbal de tentative d'expulsion du 18 mai 2018 et le procès-verbal d'expulsion du 1er août 2018 ne comportaient pas la mention de ce que la société qui emploie l'huissier de justice officie sous forme de SCP, ou de ce qu'il s'agit d'une SCP titulaire d'un office d'huissier de justice, ou d'une SCP d'huissiers de justice dont chaque associé est titulaire de l'office, et exactement retenu, d'autre part, que ce défaut de mention de la dénomination sociale de la société précédée ou suivie de la mention "société civile professionnelle " ou des initiales " SCP ", ainsi que le défaut d'indication du titulaire de l'office ministériel, qui ne concerne que les modalités d'organisation de l'activité d'huissier de justice, n'a pas d'incidence sur le pouvoir des huissiers de justice, officiers ministériels, ayant instrumenté en l'occurrence, la cour d'appel en a exactement déduit que cette irrégularité constitue un vice de forme qui n'est sanctionné par la nullité de l'acte que s'il en résulte un grief, dont elle a souverainement estimé que Mme [B] ne justifiait pas.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à la société RATP Habitat la somme de 3 000 euros ;

Lorsqu'une société d'assurance est partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, elle peut être représentée par autant d'avocats que de personnes assurées

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Demande d'avis
n°K 22-70.017

Juridiction : le tribunal judiciaire de Pontoise




IT2





Avis du 9 mars 2023



n° 15002 B






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

COUR DE CASSATION
_________________________

Deuxième chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :

Énoncé de la demande d'avis

1. La Cour de cassation a reçu le 1er décembre 2022, une demande d'avis formée le 21 octobre 2022 par le tribunal judiciaire de Pontoise, dans une instance opposant certains copropriétaires d'une résidence située à [Localité 1] aux différentes sociétés intervenues dans sa construction et à leurs assureurs.

2. La demande est ainsi formulée :

« Dans un même litige, la représentation d'une société d'assurance prise en ses qualités d'assureur de plusieurs personnes morales distinctes, par autant d'avocats que de personnes assurées, est-elle conforme aux dispositions de l'article 414 du code de procédure civile? »

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Grignon-Dumoulin, avocat général, entendu en ses observations orales.

Examen de la demande d'avis

3. L'article 414 du code de procédure civile dispose qu'une partie n'est admise à se faire représenter que par une seule des personnes, physiques ou morales, habilitées par la loi.

4. Selon l'article 53 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021, dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, un décret en Conseil d'Etat présente le code de déontologie préparé par le Conseil national des barreaux ainsi que les procédures et les sanctions disciplinaires.

5. L'article 7 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, pris en application du texte précité, énonce que l'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s'il existe un risque sérieux d'un tel conflit. Sauf accord écrit des parties, il s'abstient de s'occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d'intérêt, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

6. La société d'assurance partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, dont les intérêts peuvent être divergents, ne peut pas être représentée par un seul et même avocat sans risque de conflit d'intérêts et de manquement aux obligations déontologiques de ce dernier, plus particulièrement encore lorsqu'en application des dispositions de l'article L113-17 du code des assurances, l'assureur prend la direction du procès intenté à son assuré.

7. Il résulte de ce qui précède que, lorsqu'une société d'assurance est partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, l'article 414 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit représentée par autant d'avocats que de personnes assurées.

PAR CES MOTIFS, la Cour

EMET l'avis suivant :

« Lorsqu'une société d'assurance est partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, l'article 414 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit représentée par autant d'avocats que de personnes assurées. »

Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 9 mars 2023, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 7 mars 2023 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin Karsenty, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Vendryes, M. Waguette, Mme Caillard, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille et Bonnet, conseillers référendaires, M. Grignon-Dumoulin, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre.

Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.

Le conseiller rapporteur Le président



Le greffier de chambreECLI:FR:CCASS:2023:C215002

En appel comme en première instance, le juge doit, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, se placer à la date à laquelle il statue

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 131 FS-B

Pourvoi n° T 22-15.445




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER MARS 2023

La société Doosan Infracore Europe SRO, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (République Tchèque), a formé le pourvoi n° T 22-15.445 contre l'arrêt rendu le 3 février 2022 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Acierinox materiel, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Sofemat, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent , avocat de la société Doosan Infracore Europe SRO, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Acierinox materiel, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 3 février 2022), par un contrat stipulant une clause compromissoire, la société tchèque Doosan Infracore Europe s.r.o. (la société Doosan) a confié à la société française Acierinox matériel (la société Acierinox) la distribution exclusive de ses produits dans la région Normandie jusqu'au 31 décembre 2022.

2. Invoquant des manquements de la société Doosan à ses obligations ainsi qu'une résiliation fautive du contrat, la société Acierinox a assigné sa cocontractante devant le président d'un tribunal de commerce afin qu'il lui fasse défense de collaborer avec une société tierce, qu'il lui ordonne la production de pièces et qu'il la condamne au paiement d'une provision à valoir sur la réparation de son préjudice.

3. La société Doosan a soulevé une exception d'incompétence.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Doosan fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence matérielle, alors :

« 1°/ que seule une mesure destinée à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond, en conservant des preuves menacées de disparition, peut être qualifiée de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que, pour retenir la compétence des juridictions françaises, la cour d'appel a énoncé que la demande de communication de documents doit "s'analyser comme étant une mesure d'instruction fondée sur les dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile [...] et elle est admissible dès que le demandeur justifie d'un intérêt légitime avant tout procès sans que la condition tenant à l'urgence soit exigée" ; qu'en statuant ainsi, par la voie d'une affirmation générale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette mesure, qui visait à obtenir la communication de documents en possession des parties adverses, avait pour objet de prémunir la société Acierinox contre un risque de dépérissement d'éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 et 145 du code de procédure civile ;

2°/ que seule une mesure destinée à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond, en conservant des preuves menacées de disparition, peut être qualifiée de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que, pour retenir la compétence des juridictions françaises, la cour d'appel a énoncé que la demande d'interdiction de collaboration entre la société Doosan et la société Sofemat tant que le contrat litigieux sera en cours de validité et jusqu'au 31 décembre 2021 "constitue une mesure de remise en état qui a toujours été assimilée à une mesure conservatoire" ; qu'en statuant ainsi, par la voie d'une affirmation générale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette mesure était destinée à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits de la société Acierinox dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond, alors même que le contrat avait pris fin le 31 décembre 2021, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ;

3°/ que seule une mesure destinée à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond, en conservant des preuves menacées de disparition, peut être qualifiée de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; qu'en application de ce texte, le paiement à titre de provision d'une contre-prestation contractuelle ne constitue pas une mesure provisoire, à moins que, d'une part, le remboursement au défendeur de la somme allouée soit garanti dans l'hypothèse où le demandeur n'obtiendrait pas gain de cause au fond de l'affaire et, d'autre part, la mesure sollicitée ne porte que sur des avoirs déterminés du défendeur se situant, ou devant se situer, dans la sphère de la compétence territoriale du juge saisi ; que, pour retenir la compétence des juridictions françaises, la cour d'appel a énoncé que la demande de provision "a toujours constitué une mesure provisoire qu'il appartient au juge saisi d'assortir éventuellement de garanties permettant la restitution de sommes accordées en cas d'infirmation" ; qu'en statuant ainsi, par la voie d'une affirmation générale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette mesure pouvait être exécutée en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

5. La société Doosan ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que le juge des référés n'était pas compétent, dès lors que les demandes formées par la société Acierinox ne constituaient pas des mesures provisoires ou conservatoires au sens de l'article 1449 du code de procédure civile, sans invoquer l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la cour d'appel n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, en tant qu'il est dirigé contre le rejet de l'exception d'incompétence à l'égard de la demande de production de pièces

Enoncé du moyen

7. La société Doosan fait le même grief à l'arrêt, alors « que tant en première instance qu'en appel, le juge des référés doit se placer, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, à la date à laquelle il rend sa décision ; que, pour caractériser l'urgence, la cour d'appel a énoncé que "cette urgence doit s'apprécier au moment où le premier juge a statué" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1449 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

8. A peine d'être déclaré d'office irrecevable, un moyen ou un élément de moyen doit préciser : le cas d'ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision, ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.

9. Le grief, qui porte sur les modalités d'appréciation de l'urgence, n'est pas dirigé contre le chef du dispositif de l'arrêt qui rejette l'exception d'incompétence à l'égard de la demande de production de pièce fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, dont la mise en oeuvre n'est pas subordonnée à une telle condition par l'article 1449 du même code auquel renvoie l'article 1506, 1°, en matière d'arbitrage international.

10. Ne satisfaisant pas aux exigences du texte susvisé, le grief est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche, en tant qu'il est dirigé contre le rejet de l'exception d'incompétence à l'égard de la demande de provision et de la demande d'interdiction de collaboration avec une société tierce

Enoncé du moyen

11. La société Doosan fait le même grief à l'arrêt, alors « que tant en première instance qu'en appel, le juge des référés doit se placer, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, à la date à laquelle il rend sa décision ; que, pour caractériser l'urgence, la cour d'appel a énoncé que "cette urgence doit s'apprécier au moment où le premier juge a statué" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1449 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1449 et 1506 du code de procédure civile :

12. Selon le premier de ces textes auquel renvoie le second, applicable en matière d'arbitrage international, l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

13. Il résulte de ces textes qu'en appel comme en première instance, le juge doit, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, se placer à la date à laquelle il statue.

14. Pour dire que le président du tribunal de commerce était matériellement compétent pour connaître des demandes tendant au prononcé de mesures provisoires ou conservatoires, l'arrêt énonce qu'en application de l'article 1449 du code de procédure civile, il appartient à la société Acierinox de démontrer l'existence de l'urgence s'agissant des mesures d'interdiction et de provision et que cette urgence doit s'apprécier au moment où le premier juge a statué.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le président du tribunal de commerce matériellement compétent pour connaître des demandes formées par la société Acierinox matériel tendant à la communication d'une liste certifiée des matériels vendus en Basse Normandie par la société Sofemat et la société Doosan Infracore Europe SRO pour la période du 1er janvier au 1er juin 2021, l'arrêt rendu le 3 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Acierinox matériel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Principe de contradiction, moyen soulevé d'office (perte de chance...)

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 139 F-D

Pourvoi n° U 21-21.951







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER MARS 2023

La société [N] [F], notaire associé, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° U 21-21.951 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [Y],

2°/ à Mme [K] [O], épouse [Y],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à M. [T] [E], domicilié [Adresse 4],

4°/ à la caisse régionale de Crédit agricole Sud Rhône Alpes, dont le siège est [Adresse 1], prise en son établissement situé [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [N] [F], de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. et Mme [Y], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole Sud Rhône Alpes, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 1er juillet 2021), par acte du 22 décembre 2015 reçu par M. [F], notaire au sein de la société [N] [F] (la société notariale), M. et Mme [Y] (les acquéreurs) ont acquis de M. [E] (le vendeur) deux parcelles de terrain sur lesquelles ils ont fait édifier une maison d'habitation.

2. L'acte précisait qu'une ordonnance du 21 août 2015 avait ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire enregistrée le 11 janvier 2013 par le Crédit agricole Sud Rhône Alpes (la banque).

3. Un arrêt du 15 septembre 2016 a dit que cette inscription hypothécaire conservait son rang mais qu'elle devrait être convertie et enregistrée en tant qu'hypothèque judiciaire provisoire.

4. La banque a obtenu un titre exécutoire et converti son inscription en hypothèque judiciaire définitive.

5. Les 28 et 29 août 2017, les acquéreurs ont assigné le vendeur, la banque et la société notariale en responsabilité et indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, les deuxième et troisième moyens

1. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société notariale fait grief à l'arrêt de retenir la responsabilité du notaire rédacteur de l'acte litigieux et de la condamner in solidum avec le vendeur à payer aux acquéreurs 99 % des sommes permettant de désintéresser la banque, dans la limite de la valeur du bien dont ils sont propriétaires fixée à la somme de 370 000 euros, ainsi que de l'indemnité due au titre de leur préjudice moral fixée à 40 000 euros, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en condamnant le notaire, in solidum avec le vendeur, à indemniser les acquéreurs d'une perte de chance de ne pas se porter acquéreur d'un bien hypothéqué, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office, tiré de ce que le préjudice subi par les acquéreurs s'analysait en une telle perte de chance, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

6. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que le préjudice résultant du manquement du notaire à son devoir de conseil et d'information doit être analysé en une perte de chance de ne pas se porter acquéreur d'un bien hypothéqué et qu'il est hautement probablement que, mieux informés, les acquéreurs n'auraient pris aucun risque de voir leur bien saisi.

7. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas soutenu que le préjudice allégué consistait en une perte de chance, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [N] [F] à payer à M. et Mme [Y] en réparation de leurs préjudices 99 % des sommes permettant de désintéresser le Crédit agricole Rhône Alpes, dans la limite de la valeur du bien dont ils sont propriétaire fixé à la somme de 370 000 euros, et de l'indemnité due au titre de leur préjudice moral fixée à 40 000 euros, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes autrement composée ;

Condamne la société [N] [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;