mardi 7 mars 2023

Motivation impropre à écarter le bien-fondé de la demande d'application de pénalités de retard

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 160 F-D

Pourvoi n° Y 21-22.323




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER MARS 2023

La société Blue architecture, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-22.323 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Koma services corporation, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La société Koma services corporation a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Blue architecture, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Koma services corporation, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 juin 2021), la société Koma services corporation (la société Koma) a confié à la société Blue architecture la maîtrise d'oeuvre de la rénovation d'une villa inscrite à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

2. Se plaignant de l'inexécution des missions confiées et de retards, le maître de l'ouvrage a résilié le contrat de maîtrise d'oeuvre.

3. La société Blue architecture a assigné la société Koma en paiement de ses honoraires.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen du pourvoi incident de la société Koma

Enoncé du moyen

4. La société Koma fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande formée contre la société Blue architecture en remboursement d'un trop perçu d'un montant de 52 482,84 euros, alors :

« 1°/ que la preuve de l'exécution de l'obligation pèse sur le débiteur ; qu'en retenant, pour débouter la société Koma Services Corporation de sa demande formée contre la société Blue Architecture en remboursement d'un trop perçu d'un montant de 52 482,84 euros, que la société Koma n'apportait aucun élément probant au soutien du compte entre les parties, quand il incombait à la société Blue Architecture de rapporter la preuve de l'exécution des prestations qu'elle avait facturées à sa cliente, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en se bornant à relever, pour débouter la société Koma Services Corporation de sa demande formée contre la société Blue architecture en remboursement d'un trop perçu d'un montant de 52 482,84 euros, que la société Koma Services Corporation n'apportait aucun élément probant au soutien du compte entre les parties qu'elle produit, sans examiner les conclusions de cette société exposant précisément, phase par phase, les prestations prévues dans le contrat et celles réellement exécutées par la société Blue Architecture, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a constaté que la société Koma n'apportait aucun élément probant au soutien du compte entre les parties qu'elle réclamait.

6. La charge de la preuve de l'indu pesant sur celui qui en demande le remboursement, elle a pu, par ces seuls motifs, rejeter la demande de remboursement du prix des prestations qui n'auraient pas été exécutées.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société Blue architecture

Enoncé du moyen

8. La société Blue architecture fait grief à l'arrêt de condamner la société Koma à lui payer seulement la somme 96 686,40 euros, outre intérêts capitalisés, au titre de ses honoraires, alors « que le juge ne doit pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, la cour a estimé que la société Blue Architecture avait exécuté les missions prévues par le contrat de maîtrise d'oeuvre jusqu'au dépôt du permis de construire et qu'elle avait droit au paiement des prestations réalisées ; qu'à ce titre, la société Blue Architecture demandait le paiement de la somme de 209 414,40 euros TTC correspondant aux factures du 30 septembre 2016, de 112 728 euros TTC, et du 7 février 2017, de 96 686,40 euros TTC ; que pour lui allouer seulement la somme de 96 686,40 euros, la cour a retenu que la facture du 7 février 2017 reprenait strictement les mêmes postes que ceux figurant dans celle du 30 septembre 2016, avec seulement pour certains un taux d'achèvement différent, de sorte qu'il ne pouvait lui être alloué le montant global des deux factures, ce qui reviendrait à faire payer au maître d'ouvrage deux fois une même prestation ; qu'en statuant ainsi, alors que le montant de la facture du 30 septembre 2016 était déduit de celui de la facture du 7 février 2017, de sorte qu'allouer à la société Blue Architecture le total des deux factures ne pouvait revenir à faire payer au maître d'ouvrage deux fois les mêmes prestations, la cour d'appel a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

9. Pour rejeter la demande de la société Blue architecture en paiement de la facture du 30 septembre 2016 d'un montant de 112 728 euros, la cour d'appel retient que la facture du 7 février 2017, d'un montant de 96 686,40 euros, reprend strictement les mêmes postes que ceux figurant dans celle du 30 septembre 2016, avec seulement pour certains un taux d'achèvement différent, soit 100 % sur la facture du 7 février 2017. Elle en conclut qu'il ne peut être alloué le montant global des deux factures car cela reviendrait à faire payer au maître de l'ouvrage deux fois une même prestation, à des stades d'achèvement différents.

10. En statuant ainsi, alors que la facture du 7 février 2017 déduisait du montant appelé pour les prestations achevées les montants précédemment facturés, de sorte que le solde réclamé portait, sans équivoque, sur des prestations qui n'avaient pas été facturées le 30 septembre 2016, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des factures, a violé le principe susvisé.

Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident de la société Koma

Enoncé du moyen

11. La société Koma fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande formée contre la société Blue architecture en paiement d'une somme de 9 499 euros au titre de pénalités de retard, alors :

« 1°/ qu'en retenant que la demande en paiement au titre des pénalités de retard formée par la société Koma Services Corporation de sa demande formée contre la société Blue Architecture n'était pas explicitée, quand il résultait des conclusions d'appel de la société Koma Services Corporation, que cette demande était tout à fait explicitée, la cour d'appel a dénaturé les conclusions susvisées de la société Koma Services Corporation, de sorte qu'elle a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ qu'en retenant, pour écarter la demande en paiement de pénalités de retard, que la résiliation du contrat d'architecte avait été prononcée à la demande de la société Koma Services Corporation, la cour d'appel s'est prononcée par une motivation impropre à écarter le bien-fondé de cette demande au titre de la période antérieure au prononcé de la résiliation, de sorte qu'elle a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

12. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

13. Pour rejeter la demande de paiement de pénalités contractuelles de retard, l'arrêt retient qu'elle n'est pas explicitée par la société Koma et que la résiliation du contrat d'architecte a été prononcée à la demande de cette société.

14. En statuant ainsi, alors que la société Koma expliquait, dans ses conclusions d'appel, le fondement et le mode de calcul des pénalités qu'elle réclamait et alors que la résiliation du contrat à la demande du maître de l'ouvrage n'empêchait pas l'application, au profit de celui-ci, des pénalités de retard jusqu'à la date d'effet de la résiliation, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen du pourvoi principal, compte tenu de la dénaturation des factures, s'étend à la condamnation du maître de l'ouvrage au paiement de la facture du 7 février 2017, qui s'y rattache par un lien d'indivisibilité.

16. Il n'y a pas lieu, dès lors, de statuer sur le premier moyen du pourvoi incident.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société Koma Services Corporation à payer à la société Blue Architecture la somme de 96 686,40 euros avec intérêt légal à compter du 29 août 2017 et anatocisme, en ce qu'il rejette la demande de paiement de la facture du 30 septembre 2016 et en ce qu'il rejette la demande de la société Koma Services Corporation en paiement de pénalités de retard, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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