Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 21-25.724
- ECLI:FR:CCASS:2023:C300205
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 16 mars 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, du 21 octobre 2021Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 205 F-D
Pourvoi n° V 21-25.724
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2023
La société Eiffage énergie système - Clemessy, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-25.724 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Messer France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de la société Eiffage énergie système - Clemessy, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Messer France, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 octobre 2021), par contrat du 25 janvier 2012, la société Messer France (la société Messer) a confié la construction d'une unité de traitement de gaz carbonique à la société Ibetec ingénierie (la société Ibetec).
2. Par contrat du 14 février 2012, la société Ibetec a sous-traité la réalisation du lot électricité et instrumentalisation à la société Eiffage énergie système - Clemessy (la société Clemessy).
3. La société Ibetec a été placée en redressement judiciaire le 14 janvier 2013, puis en liquidation judiciaire le 25 mars 2013.
4. N'ayant pas obtenu le règlement du solde de ses factures auprès de la société Messer, la société Clemessy l'a assignée en paiement de sa créance sur le fondement de l'action directe et, subsidiairement, en indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La société Clemessy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 258 471,35 euros à l'encontre de la société Messer sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ou subsidiairement à la différence entre cette somme et celle allouée au titre de l'action directe, alors « que le maître de l'ouvrage qui a tardivement mis en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations au titre de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 est tenu d'indemniser le sous-traitant de son entier préjudice consistant dans le non-règlement des travaux effectués, à concurrence des sommes dont il était redevable envers l'entrepreneur principal au moment où il a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Messer avait connaissance de l'intervention de la société Clemessy sur le chantier dès l'origine du projet, celle-ci étant mentionnée dans le devis de la société Ibetec, entrepreneur principal, établi en septembre 2011 ; qu'en retenant, pour débouter la société Clemessy de son action indemnitaire, qu'à la date de l'exercice de l'action directe le 17 octobre 2012, la société Messer ne devait plus à la société Ibetec que la somme de 89 466,78 euros à répartir entre les deux sous-traitants, quand la limite de l'action indemnitaire était constituée par la somme dont le maître de l'ouvrage était redevable à la date à laquelle il avait eu connaissance de l'intervention de la société Clemessy en septembre 2011, la cour d'appel a violé les articles 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société Messer conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et qu'il est incompatible avec la thèse soutenue devant la cour d'appel.
7. Cependant, le moyen portant sur l'assiette du préjudice indemnisable était inclus dans le débat devant la cour d'appel et, au surplus, il est né de l'arrêt attaqué.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
9. Selon le premier de ces textes, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations lui incombant que sont l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement.
10. Aux termes du second, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que le maître de l'ouvrage, qui a manqué aux obligations lui incombant en application de l'article 14-1 de la loi précitée, ne peut être tenu de payer, à titre de dommages et intérêts, que des sommes dont il est redevable à l'entrepreneur principal au jour où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
12. Pour rejeter la demande indemnitaire du sous-traitant à l'encontre du maître de l'ouvrage, l'arrêt retient que la mise en demeure adressée par la société Messer plus de douze mois après qu'elle a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant, alors qu'elle avait déjà réglé 95 % du montant du marché, était manifestement tardive et inefficace, de sorte qu'elle n'avait pas respecté l'obligation visée au premier tiret de l'article 14-1.
13. Il ajoute que le préjudice subi par le sous-traitant en lien de causalité avec la faute du maître de l'ouvrage était constitué par la perte de l'action directe qu'elle aurait pu mettre en oeuvre plus rapidement si cette mise en demeure avait été faite en temps utile et que la perte de cette action ne portait pas sur une assiette plus large que celle dont le maître de l'ouvrage était redevable au moment de l'exercice de cette action.
14. Il en déduit que, le sous-traitant ayant déjà été indemnisé au titre de son action directe, il ne justifiait d'aucun préjudice complémentaire pouvant être indemnisé.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Messer avait eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier avant de payer l'entrepreneur principal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande indemnitaire présentée à l'encontre de la société Messer France, l'arrêt rendu le 21 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Messer France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 mars 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 205 F-D
Pourvoi n° V 21-25.724
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2023
La société Eiffage énergie système - Clemessy, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-25.724 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Messer France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de la société Eiffage énergie système - Clemessy, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Messer France, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 octobre 2021), par contrat du 25 janvier 2012, la société Messer France (la société Messer) a confié la construction d'une unité de traitement de gaz carbonique à la société Ibetec ingénierie (la société Ibetec).
2. Par contrat du 14 février 2012, la société Ibetec a sous-traité la réalisation du lot électricité et instrumentalisation à la société Eiffage énergie système - Clemessy (la société Clemessy).
3. La société Ibetec a été placée en redressement judiciaire le 14 janvier 2013, puis en liquidation judiciaire le 25 mars 2013.
4. N'ayant pas obtenu le règlement du solde de ses factures auprès de la société Messer, la société Clemessy l'a assignée en paiement de sa créance sur le fondement de l'action directe et, subsidiairement, en indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La société Clemessy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 258 471,35 euros à l'encontre de la société Messer sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ou subsidiairement à la différence entre cette somme et celle allouée au titre de l'action directe, alors « que le maître de l'ouvrage qui a tardivement mis en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de ses obligations au titre de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 est tenu d'indemniser le sous-traitant de son entier préjudice consistant dans le non-règlement des travaux effectués, à concurrence des sommes dont il était redevable envers l'entrepreneur principal au moment où il a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Messer avait connaissance de l'intervention de la société Clemessy sur le chantier dès l'origine du projet, celle-ci étant mentionnée dans le devis de la société Ibetec, entrepreneur principal, établi en septembre 2011 ; qu'en retenant, pour débouter la société Clemessy de son action indemnitaire, qu'à la date de l'exercice de l'action directe le 17 octobre 2012, la société Messer ne devait plus à la société Ibetec que la somme de 89 466,78 euros à répartir entre les deux sous-traitants, quand la limite de l'action indemnitaire était constituée par la somme dont le maître de l'ouvrage était redevable à la date à laquelle il avait eu connaissance de l'intervention de la société Clemessy en septembre 2011, la cour d'appel a violé les articles 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société Messer conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et qu'il est incompatible avec la thèse soutenue devant la cour d'appel.
7. Cependant, le moyen portant sur l'assiette du préjudice indemnisable était inclus dans le débat devant la cour d'appel et, au surplus, il est né de l'arrêt attaqué.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
9. Selon le premier de ces textes, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter des obligations lui incombant que sont l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement.
10. Aux termes du second, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que le maître de l'ouvrage, qui a manqué aux obligations lui incombant en application de l'article 14-1 de la loi précitée, ne peut être tenu de payer, à titre de dommages et intérêts, que des sommes dont il est redevable à l'entrepreneur principal au jour où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
12. Pour rejeter la demande indemnitaire du sous-traitant à l'encontre du maître de l'ouvrage, l'arrêt retient que la mise en demeure adressée par la société Messer plus de douze mois après qu'elle a eu connaissance de l'intervention du sous-traitant, alors qu'elle avait déjà réglé 95 % du montant du marché, était manifestement tardive et inefficace, de sorte qu'elle n'avait pas respecté l'obligation visée au premier tiret de l'article 14-1.
13. Il ajoute que le préjudice subi par le sous-traitant en lien de causalité avec la faute du maître de l'ouvrage était constitué par la perte de l'action directe qu'elle aurait pu mettre en oeuvre plus rapidement si cette mise en demeure avait été faite en temps utile et que la perte de cette action ne portait pas sur une assiette plus large que celle dont le maître de l'ouvrage était redevable au moment de l'exercice de cette action.
14. Il en déduit que, le sous-traitant ayant déjà été indemnisé au titre de son action directe, il ne justifiait d'aucun préjudice complémentaire pouvant être indemnisé.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Messer avait eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier avant de payer l'entrepreneur principal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande indemnitaire présentée à l'encontre de la société Messer France, l'arrêt rendu le 21 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Messer France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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