mardi 23 mai 2023

Recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant : prescription, computation et interruption

 Note C. Charbonneau, RDI 2023, p. 190

Note A. Caston, GP 2023-17, p. 67

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 318 F-D

Pourvoi n° X 21-24.967




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

1°/ la société Duic Floch architectes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], anciennement dénommée Duic Lemesle architectes,

2°/ la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° X 21-24.967 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur de la société Henri Duic,

2°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur des sociétés Seo, Sarthou et Eiffage travaux publics ouest, devenue Eiffage route ouest,

3°/ à la société SMA, dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité d'assureur des sociétés [M] [H] et [P] [D],

4°/ à la société Eiffage route Ile-de-France centre ouest, dont le siège est [Adresse 3],

5°/ à la société Eiffage route sud-ouest, dont le siège est [Adresse 5],

6°/ à la société Socotec construction, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Socotec France,

7°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 26], représenté par son syndic la société Foncia Sogiv, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Duic Floch architectes et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Duic Floch architectes et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société SMA, prise en sa qualité d'assureur des sociétés [M] [H] et [P] [D], la société Eiffage route Ile-de-France/centre Ouest, la société Eiffage route Sud-Ouest ainsi que le syndicat de copropriété de la résidence [Adresse 26]. Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes,16 septembre 2021), la société Duic Lemesle, devenue Duic Floch architectes (la société Duic Floch), assurée auprès de la MAF, a été chargée de la maîtrise d'oeuvre complète d'une opération de construction d'un groupe de bâtiments à usage d'habitation, la société Henri Duic, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la SMABTP, s'étant vu confier le lot gros oeuvre, et la société Socotec construction (la société Socotec) une mission de contrôle technique.

3. Se plaignant, après réception, de l'apparition de fissures et d'infiltrations, le syndicat des copropriétaires de la résidence et plusieurs copropriétaires, ont, après expertise, assigné en réparation l'ensemble des intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Duic Floch architectes et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs recours en garantie au titre du désordre n° 2, alors « que constitue le complément des défenses soumises au premier juge le recours en garantie formé pour la première fois en appel par une partie qui a demandé au tribunal de ne pas été condamnée à réparer la totalité du désordre litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable la demande de garantie présentée contre la SMABTP par la société Duic Floch architectes et la MAF, au titre du désordre n° 2, au motif qu'elle était nouvelle en appel ; que pourtant, la société Duic Floch Architectes et la MAF avaient demandé au tribunal de ne pas les condamner à réparer plus de 50 % du désordre en question ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a relevé, s'agissant du désordre n° 2, que si la société Duic Floch architectes et la MAF avaient demandé, dans leurs dernières conclusions de première instance, que la responsabilité de l'architecte fût limitée à 50 % des dommages et formé un appel en garantie contre la Socotec, elles n'avaient pas formulé de demande à l'encontre de la SMABTP.

7. Elle en a exactement déduit que la demande en garantie formée pour la première fois en cause d'appel à l'encontre de la SMABTP, qui ne constituait pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge, était irrecevable.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société Duic Floch architectes et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs recours en garantie dirigés contre la SMABTP et la Socotec, alors « que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a fait l'objet de la demande indemnitaire qui motive ce recours ; que ce délai ne peut courir à compter d'une requête en référé expertise ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable le recours en garantie formé par la société Duic Floch Architectes et la MAF contre la SMABTP et la Socotec dans leurs conclusions du 18 janvier 2018, la cour d'appel a retenu que l'assignation en référé-expertise du 5 janvier 2012 délivrée par le syndicat des copropriétaires et certains copropriétaires avait mis en cause la responsabilité des constructeurs assignés, dont la société Duic Floch Architectes ; qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ du délai de recours de la société Duic Floch Architectes et de la MAF contre la SMABTP et la Socotec était la date à laquelle une demande indemnitaire avait été dirigée contre eux, soit le 9 juin 2017, de sorte que l'action en garantie formée le 18 janvier 2018 n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

10. En application de ce texte, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

11. S'il était jugé par la troisième chambre civile (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié) que le point de départ du délai de recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant était la date à laquelle l'entrepreneur principal avait été assigné en référé-expertise par le maître de l'ouvrage, celle-ci a, par un arrêt ultérieur (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié) modifié cette règle en décidant qu'une assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.

12. Il en résulte qu'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à un entrepreneur, non assortie d'une demande de reconnaissance d'un droit, fût- ce par provision, ne fait pas courir le délai de prescription de l'action en garantie de ce constructeur contre d'autres intervenants à l'acte de construire.

13. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société Duic Floch architectes et de la MAF à l'encontre de la SMABTP et de la Socotec, l'arrêt retient que la première a été assignée en référé-expertise par le syndicat des copropriétaires le 5 janvier 2012, de sorte qu'elles disposaient d'un délai de cinq ans courant à compter de cette date, expirant le 5 janvier 2017, pour former leurs appels en garantie, ce qu'elles n'avaient fait que par conclusions du 18 janvier 2018.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, à quelle date le syndicat des copropriétaires avait formé une demande tendant à la reconnaissance d'un droit, fût-ce par provision, à l'égard des demandeurs en garantie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare irrecevables les demandes en garantie de la société Duic Floch architectes et de la Mutuelle des architectes français au titre des désordres n°34 et 52,

- déclare irrecevables les demandes en garantie de la société Duic Floch architectes et de la Mutuelle des architectes français contre la SMABTP, en qualité d'assureur des sociétés Henri Duic, SEO, Sarthou et Eiffage Travaux Publics Ouest au titre des désordres [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 17], [Cadastre 16] et [Cadastre 22],

- infirme le jugement en ce que celui-ci a condamné la SMABTP, en qualité d'assureur des sociétés Henri Duic, SEO, Sarthou et Eiffage Travaux Publics Ouest, à garantir la société Duic Floch Architectes et la Mutuelle des architectes français au titre des désordres [Cadastre 8], [Cadastre 17], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25],

l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la SMABTP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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