mardi 4 mai 2021

Sauf délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, l'entrepreneur principal doit garantir le paiement de toutes les sommes dues au sous-traitant par une caution personnelle et solidaire,

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 avril 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 366 F-D

Pourvoi n° J 19-24.878




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 AVRIL 2021

La société Vaillantis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Nox construction, a formé le pourvoi n° J 19-24.878 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SFK Immo, société civile immobilière,

2°/ à la société SFK Immo 2, société civile immobilière,

3°/ à la société Foriou, société par actions simplifiée,

toutes trois ayant leur siège [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Les sociétés SFK Immo, SFK Immo 2 et Foriou ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Vaillantis, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat des sociétés SFK Immo, SFK Immo 2 et Foriou, et après débats en l'audience publique du 16 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 novembre 2019), rendu en référé, la société SFK immo, qui s'est substituée la société SFK immo 2 pour le paiement des marchés (les sociétés SFK), a confié à la société Nox ingénierie la construction de deux bâtiments à Romans-sur-Isère, celle-ci ayant conclu un contrat de location de bungalows avec la société Foriou, ainsi que les études de réalisation d'un groupe d'immeubles à Roanne.

2. Par jugement du 15 novembre 2018, la société Nox ingénierie a été mise en redressement judiciaire.

3. Suivant un protocole transactionnel signé le 20 décembre 2018, les sociétés SFK ont accepté que l'exécution du contrat de Romans-sur-Isère soit poursuivie par la société Nox construction, appelée à reprendre partiellement les actifs de la société Nox ingénierie, et ont renoncé à se prévaloir des pénalités de retard de livraison des travaux si celle-ci intervenait avant le 9 août 2019, la société Nox construction s'engageant, pour sa part, à rembourser aux sociétés SFK une somme correspondant à des paiements directs intervenus au profit de sous-traitants, ainsi que celle versée au titre du projet de Roanne, qui était abandonné.

4. Par jugement du 21 décembre suivant, un plan de cession partielle des actifs de la société Nox ingénierie a été arrêté au bénéfice de la société Nox construction, désormais dénommée Vaillantis, au titre desquels figurait une créance sur les sociétés SFK de 6 689 695,20 euros représentant le coût des travaux réalisés.

5. Le 13 février 2019, les sociétés SFK ont mis en demeure la société Nox construction de leur verser la somme de 4 303 963 euros HT en exécution du protocole transactionnel.

6. La société Nox ingénierie a assigné en référé les sociétés SFK et Foriou en paiement, après compensation entre créances réciproques, d'une somme provisionnelle au titre du solde des travaux et délivrance d'une garantie de paiement.

7. Les sociétés SFK ont sollicité reconventionnellement la condamnation de la société Nox construction à leur payer, à titre provisionnel, la créance mentionnée dans le protocole transactionnel et qu'il soit enjoint à la société Nox construction de justifier de la délivrance aux sous-traitants d'une des garanties de paiement prévues à l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, et le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi incident, ci-après annexés

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La société Nox construction fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que s'il n'expose pas succinctement les prétentions des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; qu'au cas d'espèce, la société Nox construction a déposé des dernières conclusions, signifiées le 17 septembre 2019, en réponse aux conclusions signifiées le 2 septembre 2019 par les sociétés SKF Immo, SFK Immo 2 et Foriou, dans lesquelles elle a notamment formulé de nouvelles prétentions en demandant à la cour d'appel, à titre principal, de "condamner les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 à verser à la société Nox Construction les sommes de 1 912 923,41 euros à titre de provision sur sa rémunération et de 1 949 1,63 euros au titre de la TVA et infirmer en ce sens l'ordonnance ou, à défaut, de confirmer l'ordonnance de référé en y ajoutant la TVA sur la rémunération, ce dont il résulte des condamnations respectives de 1 476 061,20 euros TTC et 1 258 364 euros" et développé de nouveaux moyens à l'appui de ces prétentions ; qu'en statuant au seul visa des conclusions de la société Nox construction du 2 août 2019, sans viser celle du 17 septembre 2019 ni exposé succinctement les prétentions et moyens figurant dans ces conclusions, et alors qu'il ne ressort pas de la décision que ces conclusions et pièces aient été prises en considération, la cour d'appel a violé les articles 455, alinéa 1er et 954, alinéa 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel a, en dépit du visa erroné des conclusions de la société Nox construction, statué sur toutes les prétentions et moyens formulés dans ses conclusions du 19 septembre 2019, aucun défaut de réponse à un moyen n'étant invoqué.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société Nox construction fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de provision au titre du solde des travaux, alors :

« 2°/ que la cour d'appel a expressément constaté que, suivant un protocole d'accord transactionnel régularisé le 20 décembre 2018, la société SFK Immo avait " renonc(é) à se prévaloir des pénalités dues à raison du retard dans la livraison des travaux, pour autant que celle-ci intervient avant le 9 août 2019" et que le marché avait été résilié unilatéralement par les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 le 9 mai 2019 ; qu'après avoir retenu que les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 étaient débitrices, à la date du 30 avril 2019, d'une somme de 1 013 124,27 euros HT correspondant au solde des factures de la société Nox Construction, déduction faite de leurs règlements, ces factures étant dues dès lors que les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 ne justifiaient pas les avoir contestées dans les conditions prévues au contrat, la cour d'appel a néanmoins retenu que l'existence d'un solde du marché apparaissait sérieusement contestable compte tenu de l'absence d'achèvement des travaux, en se fondant sur les circonstances que, à la date du 20 mai 2019, l'état d'avancement du bâtiment B3 n'était que de 96 % et celui du bâtiment B4 était de 46 %, et que "le calendrier prévisionnel figurant en page 16 du contrat de conception réalisation prévoyait une fin de travaux au 21 septembre 2018 pour le bâtiment B3 et au 28 décembre 2018 pour le bâtiment B4, stipulant que des pénalités de retard à la charge de la société Nox Ingénierie seraient retenues de ses situations à hauteur de 1/3000 du montant hors taxes des factures restant dues par jour de retard, sans pouvoir excéder 5 % du montant hors taxes du marché" ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que l'absence de livraison des travaux aux dates initialement prévues ne pouvait entraîner, selon la transaction conclue entre les parties, l'application de pénalités de retard, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;

3°/ que la cour d'appel a expressément constaté que les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 étaient débitrices, à la date du 30 avril 2019, d'une somme de 1 013 124,27 euros HT correspondant au solde des factures de la société Nox construction, déduction faite de leurs règlements, ces factures étant dues dès lors que les sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 ne justifiaient pas les avoir contestées dans les conditions prévues au contrat ; que pour juger néanmoins que l'obligation de paiement des sociétés SFK Immo et SFK Immo 2 à ce titre était sérieusement contestable, la cour d'appel s'est fondée sur les circonstances tenant à l'absence d'achèvement des travaux à la date de résiliation de la convention, et à l'insuffisance de justification, par la société Nox construction des devis justifiant la différence de coût entre le marché initial et le montant engagé révélé par la facture du 20 mai 2019 ; qu'en statuant ainsi, quand l'existence d'un solde dû par les société SFK, à la date du 30 avril 2019, au titre des factures de travaux non contestés, n'était susceptible d'être remise en cause ni par le fait que les travaux n'étaient pas achevés, ni par le fait qu'une facture, postérieure à cette date, faisait apparaître un montant de travaux supérieurs au montant du marché initial, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 873, alinéa 2 du code de procédure civile, ensemble l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. La cour d'appel, après avoir retenu qu'il restait dû à la société Nox construction, déduction faite des règlements intervenus, une créance, exprimée hors taxes, de 1 013 124,27 euros, à laquelle les sociétés SKF opposaient diverses créances indemnitaires, a relevé, par une appréciation souveraine des éléments soumis à son examen, que la renonciation des sociétés SFK à se prévaloir des pénalités de retard était conditionnelle et ne valait que si celle-ci intervenait avant le 9 août 2019, que les délais prévisionnels de travaux n'avaient pas été tenus, que la réception d'un des deux bâtiments avait fait l'objet d'un nombre important de réserves dont il n'était pas justifié qu'elles aient été levées, que l'état d'avancement d'un second bâtiment n'était, selon la facturation de la société Nox construction au 20 mai 2019, que de 46 % et celle des infrastructures de 23 %, que les maîtres de l'ouvrage avaient continué, postérieurement aux engagements pris par la société Nox construction lors de la signature du protocole transactionnel du 20 décembre 2018, à assurer le paiement direct des sous-traitants, portant les sommes par eux versées à ce titre à un montant de 9 631 235, 05 euros, et que le coût total facturé représentait une somme de 16 781 451,93 euros HT pour des travaux inachevés à la date de la résiliation du marché, alors que la société Nox construction ne justifiait de la validation de devis qu'à hauteur d'une somme de 3 166 126, 27 euros.

14. En l'état de ces énonciations, elle a pu retenir que l'obligation à paiement d'un solde de marché pesant sur les maîtres de l'ouvrage était sérieusement contestable et rejeter en conséquence la demande de provision.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

16. La société Nox construction fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de garantie de paiement, alors « que constitue un trouble manifestement illicite, qu'il appartient au juge des référés de faire cesser, le défaut de remise par le maître de l'ouvrage de la garantie de paiement prévue par l'article 1799-1 du code civil ; que ni la résiliation du contrat, ni l'existence d'une contestation sur le montant des sommes restant dues, n'ont d'incidence sur l'obligation de fournir la garantie prévue par ce texte ; qu'en statuant comme elle l'a fait pour écarter l'existence d'un trouble manifestement illicite, soit sur les circonstances selon lesquelles, d'une part, le marché avait été résilié et, d'autre part, l'obligation du maître de l'ouvrage au paiement d'un solde apparaissait sérieusement contestable, la cour d'appel a violé l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, ensemble l'article 1799-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile et l'article 1799-1 du code civil :

17. Selon le premier de ces textes, la juridiction des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

18. En application du second, le maître de l'ouvrage est débiteur de l'obligation de délivrer une garantie de paiement dès la signature du marché, laquelle peut être sollicitée à tout moment, même après la résiliation du contrat dès lors que le montant des travaux n'a pas été intégralement réglé.

19. Pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de garantie de paiement, l'arrêt retient que la société Nox construction ne démontre pas l'existence d'un trouble manifestement illicite alors que le marché a été résilié et que l'obligation du maître de l'ouvrage au paiement du solde apparaît sérieusement contestable.

20. En statuant ainsi, après avoir constaté l'existence d'un solde de travaux non intégralement réglé, alors que la possibilité d'une compensation future avec une créance du maître de l'ouvrage ne dispense pas celui-ci de l'obligation légale de fournir la garantie de paiement du solde dû sur le marché, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

21. Les sociétés SFK font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de production, sous astreinte, par la société Nox construction d'une garantie de paiement des sous-traitants, alors « que constitue un trouble manifestement illicite, qu'il appartient au juge des référés de faire cesser, le défaut de caution personnelle et solidaire contractée par l'entrepreneur auprès d'un établissement qualifié, conformément à l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 ; qu'au cas présent, pour écarter la demande en ce sens des sociétés SFK, la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que le contrat avait été résilié et que l'existence d'un solde restant dû aux sous-traitants n'était pas établi ; qu'en statuant ainsi cependant qu'aucune de ces circonstances n'ont d'incidence sur l'obligation de fournir une telle garantie, la cour d'appel a violé l'article 873 du code de procédure civile ensemble l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile et l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 :

22. Selon le premier de ces textes, la juridiction des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

23. En application du second, sauf délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, l'entrepreneur principal doit garantir le paiement de toutes les sommes dues au sous-traitant par une caution personnelle et solidaire, le cautionnement devant être préalable ou concomitant à la conclusion du contrat de sous-traitance.

24. Pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande des sociétés SFK, l'arrêt retient que, celles-ci ayant résilié le marché et ne justifiant pas de l'existence de travaux demeurés impayés aux sous-traitants, il n'existe plus de trouble manifestement illicite actuel justifiant de prescrire en référé la mise en oeuvre d'une garantie de paiement des sous-traitants.

25. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société Nox construction avait manqué à l'obligation de fournir à ses sous-traitants une des garanties prévues à l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975, laquelle subsiste dès lors que les comptes entre les parties ne sont pas soldés, peu important que le marché principal ait été résilié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de garantie de paiement formée par la société Nox construction à l'encontre des sociétés SKF immo et SKF immo 2 et sur la demande des sociétés SFK immo et SFK immo 2 tendant à voir ordonner, sous astreinte, à la société Nox construction de remettre à l'ensemble de ses sous-traitants des garanties de paiement dans les conditions prévues à l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 à hauteur des montants restant à régler, l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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