mardi 7 mai 2024

Conditions de récusation d'un juge ayant déjà connu de l'affaire

 Note G. Deharo, SJ G 2024, p. 763.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 mars 2024




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 292 F-B

Pourvoi n° V 22-20.599


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [D].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 5 juillet 2022.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MARS 2024


Mme [Y] [D], domiciliée chez M. [Z] [L], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 22-20.599 contre l'ordonnance rendue le 23 juin 2022 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, 20 place de Verdun, 13616 Aix-en-Provence cedex 1, défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de Mme [D], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 23 juin 2022), Mme [D] a été admise, le 26 mai 2022, en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète.

2. Par ordonnance du 3 juin 2022, confirmée par un arrêt du 17 juin 2022, la poursuite de la mesure a été autorisée par Mme Gaillet, juge des libertés et de la détention.

3. Ayant formé une demande de mainlevée de la mesure fixée à une audience tenue par Mme Gaillet, Mme [D] a sollicité sa récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime au motif que celle-ci avait déjà connu de l'affaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [D] fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime devant une juridiction de même nature et de récusation de Mme Gaillet, juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Grasse, et en conséquence de la condamner au paiement d'une amende civile de 500 euros, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'un même juge ne peut successivement connaître du maintien d'une mesure de soins sans consentement puis de la demande de mainlevée de cette même mesure ; que pour débouter Mme [D] de sa demande de récusation de la magistrate appelée à statuer sur la mainlevée des soins psychiatriques sans consentement dont elle fait l'objet, le Premier Président se borne à affirmer que la requérante ne justifie d'aucun motif sérieux permettant de remettre en cause l'impartialité de ce juge ; qu'en statuant ainsi, le Premier Président n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que le même juge des libertés et de la détention, après avoir rendu une ordonnance de maintien en hospitalisation complète de Mme [D] le 3 juin 2022, était appelé à statuer ensuite sur la demande de mainlevée de cette même mesure, violant ainsi le principe d'impartialité tel qu'il résulte des articles 341 du code de procédure civile et 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que Mme [D] avait sollicité le renvoi pour cause de suspicion légitime et la récusation de Mme Gaillet en application de l'article 341 du code de procédure civile, au motif que celle-ci avait déjà connu de son affaire le 3 juin 2022 ; qu'en rejetant pourtant la demande de Mme [D], au motif qu'elle ne justifiait d'aucun motif sérieux permettant de remettre en cause l'impartialité de Mme Gaillet, sans rechercher s'il existait effectivement un motif sérieux rendant absolument nécessaire sa participation à la formation de jugement de la demande de mainlevée des soins psychiatriques sans consentement présentée par Mme [D] et dont l'audience était fixée au 22 juin, quand cette même magistrat avait ordonné le maintien de ces mesures de soins le 3 juin 2022, de sorte qu'elle avait à l'évidence eu l'occasion de porter un jugement sur le comportement de Mme [D], le Premier Président a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, la récusation d'un juge peut être demandée, notamment, s'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties.

6. L'admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète étant une mesure provisoire qui peut faire l'objet à tout moment, indépendamment de son réexamen obligatoire tous les six mois, d'une demande de mainlevée, le défaut d'impartialité du juge des libertés et de la détention ne saurait se déduire du seul fait que celui-ci a précédemment statué, en application de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, sur la poursuite de la mesure.

7. Il en résulte que c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et sans encourir les griefs du pourvoi, que le premier président de la cour d'appel a rejeté les demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime et de récusation.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [D] fait grief à l'ordonnance de la condamner au paiement d'une amende civile de 500 euros, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ; que pour condamner Mme [D] à une amende civile de 500 euros, le Premier Président se borne à énoncer qu'elle aurait présenté sa requête avec légèreté, malgré les conseils de son avocat qui lui a expliqué à l'audience que les critères de la suspicion légitime n'étaient pas remplis ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, le Premier Président a porté une atteinte disproportionnée au droit du justiciable à soumettre sa cause à une juridiction, en violation des articles 6, § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

10. L'amende civile à laquelle peut être condamné celui dont la requête en récusation est rejetée ou déclarée irrecevable constitue une mesure de procédure civile qui peut être prononcée d'office par le juge, usant du pouvoir qu'il tient de l'article 353, devenu 348, du code de procédure civile.

11. En outre, l'amende civile, qui n'emporte pas détermination d'un droit ou d'une obligation de caractère civil, ne saurait soulever une question d'accès à la justice civile au sens l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la procédure de récusation à l'issue de laquelle elle a été infligée, qui ne porte pas elle-même sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale et ne concerne pas une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil, n'entre pas dans le champ d'application de ce texte.

12. Le moyen est, dès lors, inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C200292

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