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mercredi 12 février 2025

L'assureur dommages-ouvrage doit préfinancer une réparation efficace et pérenne. Pertes locatives et procédure à suivre

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 janvier 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 61 F-D

Pourvoi n° J 23-13.325




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025

M. [W] [R], domicilié [Adresse 3], [Localité 11], a formé le pourvoi n° J 23-13.325 contre les arrêts rendus le 10 mars 2022 et le 16 décembre 2022 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [D],

2°/ à Mme [F] [G], épouse [D],

tous deux domiciliés [Adresse 13], [Localité 5],

3°/ à la société Toitures services Réunion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 14], [Localité 10],

4°/ au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 15], [Adresse 1], [Localité 9], représenté par son syndic la société Toquet immobilier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 9],

5°/ à la société XL Insurance Company Se, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 8], venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance,

6°/ à la société Catalina London Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 12],

7°/ à la société Entreprise générale de peinture Brigy, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 11],

défendeurs à la cassation.

Les sociétés XI Insurance Company Se et Catalina London Limited ont, chacune, formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La société XI Insurance Company Se invoque, à l'appui de son recours, un
moyen de cassation.

La société Catalina London Limited invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [R], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. et Mme [D], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Catalina London Limited, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société XL Insurance Company Se, de Me Laurent Goldman, avocat du syndicat des copropriétaires de la [Adresse 15], après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [R] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Toitures services Réunion.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Saint-Denis, 10 mars et 16 décembre 2022), la société Lovena a fait édifier un immeuble à usage d'habitation, qui a été placé sous le statut de la copropriété.

3. Sont notamment intervenus à l'opération de construction M. [R], en qualité de maître d'oeuvre, et la société Entreprise générale de peinture Brigy (la société EGP), en charge du lot peinture-étanchéité, assurée auprès de la société XL Insurance Company, venant aux droits de la société Axa Corporate Solution (la société XL Insurance).

4. Une police dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Catalina London Limited, venant aux droits de la société Alea London Limited (la société Catalina).

5. Se plaignant de désordres affectant les parties communes et l'appartement de M. et Mme [D], le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 15] (le syndicat des copropriétaires) a, après expertise, assigné la société Catalina et M. [R]. Les autres intervenants à l'opération de construction et leurs assureurs ont été appelés en garantie. M. et Mme [D] sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches, et sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la société Catalina, pris en sa première branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. M. [R] fait grief à l'arrêt du 10 mars 2022 de le condamner, solidairement avec les sociétés Catalina, EGP et XL Insurance, à payer à M. et Mme [D] une certaine somme, arrêtée en avril 2017, puis celle de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable, alors « que dans ses conclusions d'appel, M. [R] a également soutenu qu'il ne disposait d'aucun pouvoir pour engager les travaux réparatoires de nature à éradiquer les préjudices locatifs de M. et Mme [D], qu'il ne pouvait être condamné à réparer ces préjudices jusqu'à leur cessation, cet événement ne dépendant pas de lui, et qu'une telle condamnation était infondée en l'absence de lien de causalité entre son activité et le préjudice ; que pour confirmer sa condamnation à payer à M. et Mme [D] la somme de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable, la cour d'appel s'est bornée à retenir que M. et Mme [D] justifiaient avoir subi un préjudice de jouissance en lien avec les infiltrations rendant inhabitables leur bien donné en location pour un loyer mensuel de 767 euros ; qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans répondre au moyen pertinent de M. [R] invoquant l'absence de lien de causalité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

9. Pour condamner l'architecte à indemniser M. et Mme [D] de leurs pertes locatives jusqu'à la réalisation des travaux de reprise des désordres, l'arrêt relève que ces derniers justifient, au travers des différents contrats de location, de l'assurance locative et des constats, avoir subi un préjudice de jouissance en lien avec les infiltrations rendant inhabitable leur bien donné en location.

10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [R], qui soutenait que, ne disposant d'aucun pouvoir pour engager les travaux réparatoires, le préjudice locatif subi par M. et Mme [D] jusqu'à ce que leur appartement soit remis en état était sans lien de causalité avec sa faute, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la société Catalina, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. La société Catalina fait le même grief à l'arrêt du 10 mars 2022, alors « que seul le préjudice qui résulte directement du fait dommageable doit être réparé ; qu'en condamnant, outre la somme de 27 612 euros, la société Catalina, solidairement avec M. [R], la société EGP et la société Axa corporate solution à payer à M. et Mme [D] celle de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable, soit une somme totale déterminée par la seule volonté des créanciers, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil, anciennement 1382 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1147, 1165, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du code civil :

12. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

13. Il est jugé que l'assureur dommages-ouvrage manque à ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas une réparation efficace et pérenne de nature à mettre fin aux désordres (3e Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 07-21.761, Bull. 2009, III, n° 33).

14. En application des deux derniers textes, il est jugé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, publié, Ass. plén., 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, publié).

15. Pour condamner l'assureur dommages-ouvrage à indemniser M. et Mme [D] de leurs pertes locatives jusqu'à la réalisation des travaux de réparation, l'arrêt relève que les travaux préconisés par l'expert désigné par la société Catalina n'avaient pas permis de remédier efficacement aux remontées humides ayant rendu insalubre l'appartement de M. et Mme [D] et que ce manquement contractuel était en lien avec leur préjudice consistant en la perte de loyers jusqu'à la cessation de ces désordres.

16. En se déterminant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre la perte locative subie par les copropriétaires jusqu'à la réalisation effective des travaux de reprise des désordres matériels affectant les parties communes à raison desquels le syndicat des copropriétaires, seul à pouvoir les entreprendre, a obtenu une indemnisation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen du pourvoi principal, sur le second moyen du pourvoi provoqué de la société Catalina et sur le moyen du pourvoi provoqué de la société XL Insurance, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens

17. M. [R], les sociétés Catalina et XL Insurance font grief à l'arrêt du 16 décembre 2022 de déclarer recevable la demande formée par M. et Mme [D] en actualisation de l'indemnisation du syndicat des copropriétaires au titre du désordre n° 2 et de dire que la condamnation solidaire de M. [R], les sociétés Catalina, EGP Brigy et XL Insurance, à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 7 567,35 euros au titre de la reprise du désordre n° 2 sera actualisée en fonction de l'indice BT01, alors « qu'un copropriétaire n'a pas qualité à agir en paiement du coût de travaux de remise en état de parties communes rendus nécessaires par une atteinte portée à celles-ci par un tiers à la copropriété ; qu'il ne peut davantage agir seul pour demander la réactualisation de sommes allouées au syndicat des copropriétaires ; que dès lors, en l'espèce, en déclarant recevable la demande formée par M. et Mme [D] en actualisation de l'indemnisation du syndicat des copropriétaires au titre du désordre n° 2 et, en conséquence, en décidant que la condamnation à ce titre sera actualisée en fonction de l'indice BT01, la cour d'appel a violé l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 15, alinéa 1er, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 :

18. Aux termes de ce texte, le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble.

19. Il est jugé que, si un copropriétaire peut, lorsque l'atteinte portée aux parties communes, par un tiers à la copropriété, lui cause un préjudice propre, agir seul pour la faire cesser, il n'a pas qualité à agir en paiement du coût des travaux de remise en état rendus nécessaires par cette atteinte, qu'il revient au seul syndicat des copropriétaires de percevoir et d'affecter à la réalisation de ces travaux (3e Civ., 8 juin 2023, pourvoi n° 21-15.692, publié).

20. Pour déclarer recevable la demande de M. et Mme [D] en actualisation du montant des travaux de reprise des désordres alloué au syndicat des copropriétaires, l'arrêt relève que M. et Mme [D] disposaient du droit d'agir pour la préservation des droits afférents à l'immeuble conjointement avec le syndicat des copropriétaires, qu'ils subissaient un préjudice personnel à raison des conséquences des infiltrations provoquées sur leurs parties privatives et que le syndicat des copropriétaires était dans la cause.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt du 10 mars 2022 condamnant M. [R] et la société Catalina à payer à M. et Mme [D] au titre de leur préjudice de jouissance la somme de 27 612 euros arrêtés en avril 2017, puis à hauteur de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable entraîne la cassation des chefs de dispositif des arrêts des 10 mars et 16 décembre 2022 condamnant M. [R] à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de la société Catalina et rejetant la demande de garantie de M. [R] à l'encontre de la société Catalina, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

23. En revanche, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt du 10 mars 2022 condamnant M. [R] et la société Catalina à payer à M. et Mme [D] au titre de leur préjudice de jouissance la somme de 27 612 euros arrêtés en avril 2017, puis à hauteur de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable ne s'étend pas aux chefs de dispositif condamnant, au titre du même préjudice, la société EGP Brigy et la société Axa Corporate Solution, aux droits de laquelle vient la société XL Insurance, et les condamnant in solidum à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de M. [R] dans la limite de 50 %, faute de lien d'indivisibilité ou de lien de dépendance nécessaire.

24. En outre, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt du 16 décembre 2022 déclarant recevable la demande formée par M. et Mme [D] en actualisation de l'indemnisation du syndicat des copropriétaires au titre du désordre n°2 et disant que la condamnation solidaire des sociétés Catalina, EGP Brigy, XL Insurance et de M. [R] en paiement des travaux de reprise sera actualisée en fonction de l'indice BT01 n'emporte pas la cassation du chef de dispositif de l'arrêt du 10 mars 2022 prononçant à leur encontre la condamnation à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 7 567,35 euros.

25. La cassation de ces chefs de dispositif n'emportent pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils :
- condamnent solidairement l'assureur dommages-ouvrage, la société Catalina London Limited, venant aux droits de la société Alea London Limited, et M. [R] à payer à M. et Mme [D] au titre de leur préjudice de jouissance la somme de 27 612 euros arrêtés en avril 2017, puis à hauteur de 767 euros par mois jusqu'à la réalisation des travaux réparant les désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable,
- condamnent M. [R] à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de la société Catalina London Limited, venant aux droits de la société Alea London Limited,
- rejettent la demande de garantie de M. [R] à l'encontre de la société Catalina London Limited, venant aux droits de la société Alea London Limited,
- déclarent recevable la demande formée par M. et Mme [D] en actualisation de l'indemnisation du syndicat des copropriétaires au titre du désordre n° 2,
- disent que la condamnation solidaire de la société Cataline London Limited, venant aux droits de la société Alea London Limited, de M. [R], la société EGP Brigy et la société Axa Corporate Solution, aux droits de laquelle vient la société XL Insurance Company, à payer au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 15], pris en la personne de son syndic en exercice, la somme de 7 567,35 euros au titre de la reprise du désordre n° 2 sera actualisée en fonction de l'indice BT01,
les arrêts rendus les 10 mars et 16 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;

Condamne M. et Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300061

Principe de réparation intégrale et perte de loyers

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 janvier 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 52 F-D

Pourvoi n° Y 21-14.158




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025

M. [E] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-14.158 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2021 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [O] [H], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société Edifiance, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par son liquidateur amiable en exercice domicilié de droit audit siège,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [I], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [H], après débats en l'audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [I] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Edifiance, représentée par son liquidateur amiable en exercice.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 26 janvier 2021), par acte authentique du 6 septembre 2012, M. [I] a vendu à M. [H] un local à usage d'habitation constituant le lot n° 36 d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, d'une superficie de 13,94 m², moyennant le prix de 76 500 euros.

3. Par lettre du 22 mars 2016, la direction de l'écologie urbaine de la ville de [Localité 4] a fait savoir à M. [H] que ce lot allait faire l'objet d'une procédure d'interdiction d'habiter, au motif que la surface habitable de sa pièce principale était inférieure à 9 m².

4. Par arrêté du 21 juin 2016, le préfet du Rhône a déclaré le lot insalubre à titre irrémédiable, notamment en raison de l'insuffisance de la surface et de la hauteur sous plafond de la pièce principale.

5. M. [H] a assigné M. [I] en indemnisation de ses préjudices sur le fondement de l'article 1604 du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et sixième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

7. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à M. [H] la somme de 68 000 euros en réparation de son préjudice financier, alors « que les juges sont tenus de réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'en jugeant que les loyers perçus par M. [H] ne devaient pas être imputés sur le préjudice de l'acquéreur, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

8. Il résulte de ce texte et de ce principe que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

9. Pour évaluer le préjudice subi par M. [H] à la somme de 68 000 euros, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu d'imputer sur le préjudice de l'acquéreur les loyers éventuellement perçus par lui, alors que le préjudice résultant du défaut de conformité est le supplément de prix injustifié payé au vendeur lors de l'acquisition.

10. En statuant ainsi, après avoir retenu, par motifs propres et adoptés, que le préjudice subi par l'acquéreur résultait de l'impossibilité de louer et d'habiter le bien vendu, de sorte que les loyers éventuellement perçus par celui-ci devaient venir en déduction de la somme fixée à titre de réparation, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [I] à payer à M. [H] la somme de 68 000 euros en réparation de son préjudice financier, l'arrêt rendu le 26 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne M. [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300052

mercredi 15 janvier 2025

La garantie perte de loyers ne se confondait pas avec celle des pertes d'exploitation

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 décembre 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1216 F-D

Pourvoi n° A 22-18.097






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024


La société Chubb European Group SE, dont le siège est [Adresse 10], a formé le pourvoi n° A 22-18.097 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2022 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant à la société Immobilière générale française, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La société Immobilière générale française a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Chubb European Group SE, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Immobilière générale française, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 avril 2022) et les productions, la société Immobilière générale française (l'assuré), propriétaire de plusieurs pavillons situés aux Loges-en-Josas, a souscrit auprès de la société Ace Europe, devenue la société Chubb European Group SE (l'assureur), un contrat d'assurance « Tous risques sauf - immeubles de rapport », à effet du 1er janvier 2002 et jusqu'au 31 décembre 2006.

2. La commune des [Localité 9] a fait l'objet de plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle publiés les 14 février 2006, 22 février 2006 et 22 février 2008 en raison de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols survenues respectivement du 1er juillet au 30 septembre 2003, du 1er janvier au 31 mars 2005 et du 1er juillet au 30 septembre 2005.

3. L'assuré a assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance afin d'être indemnisé, au titre des dommages subis par les pavillons du fait de ces périodes de catastrophes naturelles, de ses pertes locatives.

Examen des moyens

Sur les deux moyens du pourvoi incident

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à l'assuré, au titre des pertes locatives, diverses sommes, avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2022 et d'ordonner la capitalisation des intérêts par années entières conformément à l'article 1343-2 du code civil, alors « que la garantie des catastrophes naturelles ne couvre que les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel et éventuellement les pertes d'exploitation à condition, qu'elles soient couvertes par le contrat de base et consécutives aux dommages causés par la catastrophe naturelle aux biens de l'entreprise ; que les pertes d'exploitation désignent la perte du bénéfice brut et les frais supplémentaires d'exploitation résultant, pendant la période d'indemnisation prévue par le contrat, de l'interruption ou de la réduction de l'activité de l'entreprise assurée et se distinguent de la sorte des pertes de loyers subies par une société civile immobilière ; que, dès lors, en estimant que la garantie perte des loyers contenue dans le chapitre VI « assurances des dommages directs » des conditions générales du contrat d'assurances de la société Ace Europe s'analysait en une couverture contre les pertes d'exploitation applicable en conséquence en cas de catastrophe naturelle, la cour d'appel a violé les articles L. 125-1, L. 125-3 et A. 125-1 du code des assurances dans leurs versions applicables au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 125-1, alinéas 1 et 2, du code des assurances, dans ses rédactions successives applicables au litige :

6. Selon ce texte, les contrats d'assurance qu'il énumère ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles sur les biens faisant l'objet de tels contrats. En outre, si l'assuré est couvert contre les pertes d'exploitation, cette garantie est étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions prévues au contrat correspondant.

7. Pour condamner l'assureur à payer une certaine somme au titre des pertes de loyers consécutives aux dommages causés aux pavillons par l'effet des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols ayant donné lieu à plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle, l'arrêt, après avoir constaté que l'assuré avait souscrit auprès de l'assureur un contrat d'assurance « Tous risques sauf » pour des « immeubles de rapport » lequel, au titre des biens meubles, garantissait « le montant des loyers dont l'assuré propriétaire peut se trouver privé à la suite d'un sinistre résultant d'un événement garanti », retient que l'intitulé du contrat démontre que l'assureur avait entendu garantir le patrimoine immobilier sur lequel repose l'activité économique de l'assuré, et en déduit que le but de cette garantie « perte de loyers » était de compenser la perte d'activité imputable à un sinistre, liée aux nécessités de la réparation des dommages causés aux pavillons.

8. Il ajoute que, peu important que les stipulations du contrat limitent expressément l'étendue de la garantie « catastrophes naturelles » au « coût des dommages matériels directs non assurables subis par les biens » sans prévoir de garanties complémentaires, la garantie perte de loyers s'analyse en une garantie couvrant les pertes d'exploitation au sens de l'article L. 125-1 du code des assurances, qui est d'ordre public, et en déduit qu'elle était applicable en cas de catastrophe naturelle.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations et énonciations que la garantie perte de loyers ne se confondait pas avec celle des pertes d'exploitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Immobilière générale française de ses demandes au titre des pertes locatives,
- condamne la société Chubb European Group SE à payer à la société Immobilière générale française, au titre des pertes locatives, les sommes de 133 712,04 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 1], 336 706,21 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 5], 146 002,50 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 7], 183 016,05 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 8], 309 655,68 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 3], 174 493 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 6], et 156 730,48 euros en ce qui concerne le pavillon du [Adresse 4], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

l'arrêt rendu le 4 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Immobilière générale française aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C201216