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mardi 1 octobre 2024

Conditions de la réception judiciaire

 Note, V. Zalewski-Sicard, GP 202-4, p. 67

 et A. Caston, https://www.blogger.com/blog/post/edit/2269451453943965438/6308304049413425060

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 489 F-D


Pourvois n°
P 22-24.871
J 23-10.105
U 23-10.965 JONCTION




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

I- La société Tokio marine Europe, société anonyme luxembourgeoise, dont le siège est [Adresse 6] (Luxembourg), prise en sa succursale française située [Adresse 7], venant aux droits de la société HCC International Insurance Compagny PLC, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° P 22-24.871 contre un arrêt rendu le 3 octobre 2022 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [F] [N],

2°/ à Mme [U] [O], épouse [N],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

3°/ à la société Groupe Diego Fernandes, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], en liquidation judiciaire,

4°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Aviva assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société Groupe Diogo Fernandes,

5°/ à M. [M] [S], domicilié [Adresse 8],

6°/ à la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

défendeurs à la cassation.

II- 1°/ M. [F] [N],

2°/ Mme [U] [O], épouse [N],

ont formé le pourvoi n° J 23-10.105 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à la société Groupe Diogo Fernandes, société par actions simplifiée, en liquidation judiciaire,

2°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, anciennement dénommée Aviva assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société Groupe Diogo Fernandes,

3°/ à la société Tokio marine Europe, société anonyme, venant aux droits de la société HCC International Insurance compagny PLC,

4°/ à M. [M] [S],

5°/ à la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

défendeurs à la cassation.

III- 1°/ La société Groupe Diogo Fernandes, société par actions simplifiée, en liquidation judiciaire,

2°/ la société Asteren, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en remplacement de la société Mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [L] [G], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Groupe Diogo Fernandes,

ont formé le pourvoi n° U 23-10.965 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à M. [F] [N],

2°/ à Mme [U] [O], épouse [N],

3°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme, anciennement dénommée Aviva assurances,

4°/ à la société Tokio marine Europe, société anonyme, venant aux droits de la société HCC International Insurance compagny PLC,

5°/ à M. [M] [S],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° P 22-24.871 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Les demandeurs au pourvoi n° J 23-10.105 invoquent, à l'appui de leur recours, dix moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi n° U 23-10.965 invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [N], de la SCP Boucard-Maman, avocat des sociétés Groupe Diogo Fernandes et Asteren, ès qualités, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Tokio marine Europe, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [S], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Abeille IARD et santé, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 22-24.871, J 23-10.105 et U 23-10.965 sont joints.
Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. et Mme [N] et à la société Tokio marine Europe, du désistement de leurs pourvois respectifs en ce qu'ils sont dirigés contre la société Abeille IARD et santé et M. [S].

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 octobre 2022), le 28 décembre 2009, M. et Mme [N] ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan avec la société Groupe Diogo Fernandes, assurée pour sa responsabilité civile décennale auprès de la société Aviva assurances, aux droits de laquelle vient la société Abeille IARD et santé.

4. Une garantie de livraison à prix et délais convenus a été souscrite auprès de la société HCC International Insurance Company, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Tokio marine Europe.

5. Le 16 mai 2014, la société Groupe Diogo Fernandes a assigné M. et Mme [N] pour que soit prononcée la réception judiciaire et pour que les maîtres de l'ouvrage soient condamnés à lui payer le solde du prix des travaux. La société Tokio marine Europe est intervenue volontairement.

6. La société Groupe Diogo Fernandes a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 23 novembre 2021, la société Mja étant désignée en qualité de liquidateur, puis remplacée par la société Asteren.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième, quatrième, sixième, septième et huitième moyens du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ou qui sont irrecevables.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° P 22-24.871 de la société Tokio marine Europe et sur le premier moyen du pourvoi n° U 23-10.965 de la société Groupe Diogo Fernandes, réunis

Enoncé des moyens

8. Par son moyen, la société Tokio marine Europe fait grief à l'arrêt de prononcer la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves, de la condamner sous astreinte à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux, de la condamner à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités de retard de livraison, alors « que le juge saisi d'une demande en fixation judiciaire de la réception des travaux est tenu de rechercher si les locaux étaient habitables et à quelle date ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que « la nécessité de défaire la toiture et de la reconstruire n'est pas de nature à empêcher la réception judiciaire en dépit de l'ampleur des travaux, la maison étant dans l'attente de ceux-ci parfaitement habitable », que « ni l'insuffisance de l'enfouissement des canalisations, ni l'absence de séparation des tuyaux d'évacuation des eaux usées et des eaux de pluie n'affectent l'habitabilité de la maison », que « si les infiltrations d'eau en sous-sol se sont aggravées au fil des années, elles n'affectaient pas, à la fin de la construction au début de l'année 2014 l'habitabilité du pavillon », que « si M. et Mme [N] revendiquent le caractère totalement inhabitable du pavillon, ils n'en demandent pas la démolition totale mais seulement une reprise partielle », que « de plus, il est constant que M. et Mme [N] ont obtenu les clés du pavillon afin de faire procéder aux travaux qu'ils s'étaient réservés comme les revêtements intérieurs et la pose de la cuisine, ce qui est un signe de prise de possession de l'ouvrage, en contradiction avec le refus de procéder à sa réception », que « des échanges par mails ont eu lieu entre janvier et mars 2014 afin de trouver une date de réception ; les réticences de M. et Mme [N] à fixer une date étaient liées à l'existence de non-conformités et de désordres dont il vient d'être dit qu'ils ne constituaient pas des obstacles à la réception » ; qu'en confirmant le jugement en ce qu'il avait prononcé la réception judiciaire de l'ouvrage au 31 mars 2014, sans rechercher si le pavillon n'était pas habitable dès le 9 janvier 2014 et pouvait faire l'objet dès cette date d'une réception judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »

9. Par son moyen, la société Groupe Diogo Fernandes, représentée par son liquidateur judiciaire, fait grief à l'arrêt de prononcer la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves et d'ordonner la fixation au passif de sa liquidation de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard, alors « que la seule condition pour qu'une réception judiciaire puisse être prononcée est que l'immeuble soit en état d'être reçu, c'est-à-dire, lorsqu'il s'agit d'un immeuble à usage d'habitation, qu'il soit habitable ; qu'en retenant, pour fixer la réception judiciaire de la maison au 31 mars 2014, que « la date du 9 janvier 2014 proposée par la société Groupe Diogo Fernandes et la société Tokio marine Europe ne saurait en revanche être retenue, M. et Mme [N] n'ayant même pas été convoqués pour une réception à cette date » sans rechercher, ainsi qu'il lui était expressément demandé, si la maison n'était pas en état d'être habitée dès le 9 janvier 2014 et pouvait donc faire l'objet d'une réception judiciaire à cette date, peu important l'absence de convocation des maîtres de l'ouvrage pour une réception à cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

10. Selon ce texte, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

11. Il est jugé que, lorsqu'elle est demandée, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l'ouvrage est en état d'être reçu, c'est-à-dire, pour une maison d'habitation, à la date à laquelle elle est habitable, sans qu'importe la volonté du maître de l'ouvrage de la recevoir (3e Civ., 30 juin 1993, pourvoi n° 91-18.696, Bull. 1993, III, n° 103 ; 3e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-26.090, Bull. 2016, III, n° 159 ; 3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 15-27.802, Bull. 2017, III, n° 112).

12. Pour écarter la date du 9 janvier 2014 proposée par le constructeur et le garant pour la réception judiciaire de l'ouvrage, l'arrêt relève qu'à cette date, les maîtres de l'ouvrage n'avaient pas même été convoqués pour une réception.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un obstacle à la réception judiciaire, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, à la date du 9 janvier 2014, la maison était habitable et, ainsi, en état d'être reçue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le neuvième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

Enoncé du moyen

14. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt d'ordonner l'inscription au passif de la liquidation de la société Groupe Diogo Fernandes d'une créance de 526 324,62 euros seulement au titre des pénalités de retard, de condamner la société Tokio marine Europe à leur payer la somme de 578 014,21 euros seulement au titre des pénalités forfaitaires de retard de livraison excédant trente jours et de rejeter ainsi le surplus de leurs demandes, alors « que le point de départ du délai d'exécution dont le non-respect est sanctionné par des pénalités est la date d'ouverture du chantier indiquée dans le contrat ; qu'en retenant, pour fixer le point de départ des pénalités de retard au 3 mai 2013, soit deux ans après le dépôt de la Déclaration réglementaire d'ouverture de chantier (DROC), que « le point de départ du délai de construction [était] bien la date réelle à laquelle la DROC avait été déposée, et non la date à laquelle le chantier aurait dû être ouvert en application des dispositions contractuelles (8 mois après la signature du contrat) », motif pris de ce que les exposants n'avaient pas dénoncé le non-respect des délais, la cour d'appel a violé l'article L. 231-2 i) du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. La société Tokio marine Europe conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire aux conclusions d'appel de M. et Mme [N], en ce qu'il revendique la date du 28 juin 2010 comme point de départ des pénalités au lieu du 1er octobre 2010 visé dans les conclusions.

16. Cependant, il ne résulte pas du moyen que le point de départ des pénalités de retard devrait être fixé au 28 juin 2010.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 231-2, i), du code de la construction et de l'habitation :

18. Il résulte de ce texte que le point de départ du délai d'exécution dont le non-respect est sanctionné par des pénalités de retard est la date indiquée au contrat pour l'ouverture du chantier.

19. Pour fixer le montant des pénalités de retard de livraison, l'arrêt relève qu'en application des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle, la déclaration réglementaire d'ouverture de chantier (DROC) devait être déposée au plus tard deux mois après la levée des conditions suspensives, celle-ci devant intervenir dans les six mois de la signature du contrat et que selon les termes mêmes du contrat, « à compter de cette date (la DROC), le délai d'exécution est de 24 mois ».

20. Il relève, ensuite, que les conditions suspensives n'ont pas été levées dans le délai contractuellement prévu, le constructeur n'ayant obtenu qu'en janvier 2011 les assurances décennale et dommages-ouvrage.

21. Il retient alors que, les maîtres de l'ouvrage ne s'étant pas prévalus de la caducité du contrat à l'issue du délai, ils ne pouvaient invoquer l'absence de réalisation des conditions suspensives pour voir fixer le point de départ du délai d'exécution.

22. Il retient, enfin, que le point de départ du délai d'exécution des travaux est la date réelle à laquelle la DROC a été déposée, soit le 3 mai 2011, et non la date à laquelle le chantier aurait dû être ouvert en application des dispositions contractuelles.

23. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le chantier devait être ouvert au plus tard deux mois après la levée des conditions suspensives et que toute les conditions avaient été levées en janvier 2011, de sorte que le délai contractuel d'exécution dont le non-respect était sanctionné par des pénalités de retard ne pouvait débuter après le 31 mars 2011, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° P 22-24.871 de la société Tokio marine Europe et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° U 23-10.965 de la société Groupe Diogo Fernandes, réunis

Enoncé des moyens

24. Par son moyen, la société Tokio marine Europe fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [N] affirmaient que « par une jurisprudence constante, la Cour de cassation décide que les pénalités de retard prennent fin à la livraison et non à la levée des réserves consignées à la réception (...). Le tribunal retient que la maison est habitable et quasiment terminée au 31 mars 2014, date retenue pour la réception judiciaire. Or, comme indiqué plus haut, la réception judiciaire ne peut être ordonnée compte-tenu des nombreuses non-conformités et malfaçons dont est affecté l'ouvrage. En effet, compte tenu de l'état de la maison à savoir une mise hors d'eau à refaire, des infiltrations importantes dans le sous-sol et un défaut de raccordement et de communication du plan des réseaux à l'origine d'une pollution, la maison n'a pas été livrée et les époux [N] n'en ont jamais pris possession. En matière de CCMI, la livraison suppose la remise au maître d'ouvrage d'un immeuble conforme aux prévisions contractuelles. La Cour constatera en conséquence que le délai de 24 mois pour exécuter les travaux a commencé à courir le 1er octobre 2010 et que la livraison effective n'est toujours pas intervenue à ce jour, les époux [N] n'ayant pas été en mesure de prendre possession de la maison et ne pouvant y habiter ou de la louer » et ajoutaient que « les nombreuses non-conformités affectant l'ouvrage, l'absence de prise de possession de l'ouvrage, le refus du maître de l'ouvrage de réceptionner l'ouvrage, la nécessité de démolir tout ou partie de l'ouvrage et l'intervention du constructeur sur l'ouvrage afin de le mettre en état d'être réceptionnable permettent d'établir que la maison des époux [N] n'est pas en état d'être réceptionnée » ; qu'il n'était ainsi aucunement soutenu qu'un changement de serrures intervenu postérieurement à la remise des clés du pavillon, aurait fait obstacle à la livraison ; qu'en soulevant d'office ce moyen sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

25. Par son moyen, la société Groupe Diogo Fernandes, représentée par son liquidateur, fait grief à l'arrêt d'ordonner la fixation au passif de sa liquidation de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard, alors « que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a soulevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que, pour juger que la livraison de la maison n'avait pas encore eu lieu et fixer le montant des pénalités de retard à la somme de 526 324,62 euros, la cour d'appel a retenu qu'« il ressort des pièces du dossier que M. et Mme [N] ne sont pas encore à ce jour en possession des clés de leur maison » ; qu'en soulevant ainsi d'office ce moyen tiré d'un fait que les parties n'avaient pas invoqué au soutien de leurs prétentions sans les avoir invitées au préalable à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

26. Selon ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

27. Pour fixer le montant des pénalités de retard de livraison, l'arrêt relève que, si un double des clés a été remis aux maîtres de l'ouvrage en fin de chantier, afin de leur permettre de faire réaliser les travaux intérieurs qu'ils s'étaient réservés, le constructeur a expressément reconnu, dans un courriel du 6 mars 2014, avoir procédé au changement des serrures et qu'il n'est pas justifié d'une prise de possession postérieure à cet obstacle mis par le constructeur à la livraison de la maison.

28. Il en déduit que les maîtres de l'ouvrage ne sont pas encore en possession des clés de leur maison et que les pénalités de retard de livraison continuent de courir.

29. En statuant ainsi, alors que les maîtres de l'ouvrage ne prétendaient pas que le constructeur faisait obstacle à leur entrée en possession, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le cinquième moyen du pourvoi n° J 23-10.105 de M. et Mme [N]

Enoncé du moyen

30. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à la mise en conformité des linteaux avec les plans du contrat et du permis de construire, alors :

« 1°/ que le juge ne peut pas refuser d'examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties et qu'il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en conformité de la hauteur des linteaux, que les exposants ne rapportaient pas la preuve du défaut de conformité, « se reportant aux seules conclusions des rapports d'expertises amiables et non contradictoires établis par M. [D] et M. [E] », sans rechercher si ces deux rapports, qui étaient soumis à la libre discussion des parties, ne se corroboraient pas l'un l'autre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les époux [N] soulignaient que, selon M. [D], architecte et expert conseil en construction, « l'existence de plans à l'échelle permet[ait] ordinairement à quelques centimètres ou millimètres près de définir la hauteur prévue et dessinée comme telle sans cotation systématique. Peu importe la cotation par conséquent dès lors que les documents graphiques sont à l'échelle » et que « s'agissant des linteaux des baies du 1er étage, il n'est pas nécessaire de restituer les hauteurs et les cotes pour observer la différence évidente des hauteurs des linteaux entre le plan de façade (permis de construire) et la réalité sur les lieux » ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « le dossier de permis de construire et la notice descriptive ne précis[ai]ent pas la hauteur des linteaux » (jugement page 18), sans répondre aux conclusions susvisées soulignant que, même non coté, le plan à l'échelle permettait de connaitre la hauteur prévue, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 16 et 455 du code de procédure civile :

31. Il résulte du premier de ces textes que le juge ne peut pas refuser d'examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties. Il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.

32. Selon le second, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.

33. Pour rejeter la demande formée par les maîtres de l'ouvrage au titre de la non-conformité des linteaux, l'arrêt énonce que les rapports établis de façon non contradictoire ne peuvent servir de fondement à la décision qu'à la condition d'être corroborés par d'autres éléments objectifs du dossier.

34. Il relève, ensuite, que les plans de permis de construire et la notice descriptive ne précisent pas la hauteur des linteaux et que les explications de l'expert judiciaire sont trop imprécises et approximatives pour démontrer une non-conformité contractuelle.

35. Il retient, enfin, que l'avis de l'expert judiciaire dans une note non reprise dans son rapport déposé en l'état et non corroboré par d'autres éléments techniques précis ne suffisait pas à caractériser le défaut de conformité et que M. et Mme [N] reprennent les mêmes arguments qu'en première instance, sans apporter d'éléments nouveaux, se reportant aux seules conclusions des rapports d'expertises amiables et non contradictoires.

36. En statuant ainsi, en refusant d'analyser les rapports d'expertise non judiciaires régulièrement versés aux débats et sans répondre aux conclusions des maîtres de l'ouvrage, qui soutenaient que des mesures pouvaient être extraites d'un plan non coté pour peu qu'il soit à l'échelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

37. Compte tenu de la cassation du chef de dispositif prononçant la réception judiciaire, il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi des maîtres de l'ouvrage.

Mise hors de cause

38. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [S] et la société Abeille IARD et santé, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- prononce la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves,
- condamne la société Tokio marine Europe, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité, quinze jours après une mise en demeure de la société Groupe Diogo Fernandes restée infructueuse, la personne qui terminera les travaux,
- rejette la demande de M. et Mme [N] au titre de la non-conformité des linteaux,
- ordonne la fixation au passif de la liquidation de la société Groupe Diogo Fernandes de la somme de 526 324,62 euros au titre des pénalités de retard,
- condamne la société Tokio marine Europe à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours,
- statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

l'arrêt rendu le 3 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Met hors de cause M. [S] et la société Abeille IARD et santé ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne M. et Mme [N] aux dépens des pourvois n° P 22-24.871 et U 23-10.965 ;

Condamne la société Asteren, prise en sa qualité de liquidateur de la société Groupe Diogo Fernandes, et la société Tokio marine Europe aux dépens du pourvoi n° J 23-10.105 ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300489

mercredi 15 décembre 2021

Réception tacite ou judiciaire : conditions

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2021




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 866 F-D

Pourvoi n° U 20-21.349



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

1°/ M. [CT] [FA], domicilié [Adresse 39],

2°/ M. [KV] [K] domicilié [Adresse 13]

3°/ Mme [W] [K],

4°/ Mme [GL] [K],

5°/ M. [OC] [K],

venant tous trois aux droits de Mme [D] [K] décédée le 10 mars 2014 et domiciliés tous trois [Adresse 13],

6°/ M. [ZF] [A], domicilié [Adresse 43],

7°/ M. [OT] [J],

8°/ Mme [I] [U], épouse [J],

domiciliés tous deux [Adresse 33],

9°/ Mme [ZP] [Z], épouse [F], domiciliée [Adresse 16],

10°/ M. [RJ] [P], domicilié [Adresse 6],

11°/ Mme [WI] [X], épouse [P], domiciliée [Adresse 46],

12°/ M. [NS] [H],

13°/ Mme [BH] [OY], épouse [H],

domiciliés tous deux [Adresse 36],

14°/ M. [HH] [DO],

15°/ Mme [RE] [PT], épouse [DO],

domiciliés tous deux [Adresse 20],

16°/ M. [II] [SV],

17°/ Mme [R] [NX], épouse [SV],

domiciliés tous deux [Adresse 44],

18°/ M. [B] [BP], domicilié [Adresse 5],

19°/ M. [II] [PD],

20°/ Mme [M] [S], épouse [PD],

domiciliés tous deux [Adresse 27],

21°/ M. [RJ] [VH], domicilié [Adresse 25],

22°/ Mme [G] [HM], épouse [VH], domiciliée [Adresse 34],

23°/ M. [TR] [XZ], domicilié [Adresse 14],

24°/ Mme [ZP] [XZ], épouse [SP], domiciliée [Adresse 23],

25°/ Mme [HX] [XZ], épouse [EH] [JZ] [L], domiciliée [Adresse 3],

26°/ Mme [XU] [XZ], épouse [NB], domiciliée [Adresse 35],

27°/ Mme [E] [XZ] domiciliée [Adresse 4],

venant toutes quatre aux droits de Mme [ZA] [XZ] décédée le 3 mai 2012

28°/ M. [FF] [LF],

29°/ Mme [YE] [LK], épouse [LF],

domiciliés tous deux [Adresse 38],

30°/ Mme [UG] [EH], épouse [AZ], domiciliée [Adresse 41],

31°/ M. [JO] [TW],

32°/ Mme [GL] [WT], épouse [TW],

domiciliés tous deux [Adresse 37],

33°/ M. [RO] [IN], domicilié [Adresse 2],

34°/ M. [TR] [IY],

35°/ Mme [GL] [MW], épouse [IY],

domiciliés tous deux [Adresse 19],

36°/ M. [VS] [VM],

37°/ Mme [PN] [HS] épouse [VM],

domiciliés tous deux [Adresse 17],

38°/ Mme [N] [CI], épouse [AO], domiciliée [Adresse 12],

39°/ M. [JD] [RU],

40°/ Mme [M] [DZ], épouse [RU],

domiciliés tous deux [Adresse 21],

41°/ M. [ML] [YJ], domicilié [Adresse 45],

42°/ Mme [DG] [UB], épouse [YJ],

domiciliés tous deux [Adresse 45],

43°/ M. [C] [JU], domicilié [Adresse 7],

44°/ Mme [AI] [MR], épouse [JU],

domiciliés tous deux [Adresse 7],

45°/ M. [AS] [JU], domicilié [Adresse 29],

46°/ Mme [ES] [PI], épouse [LA], domiciliée [Adresse 22],

47°/ Mme [Y] [VC], domiciliée [Adresse 24],

48°/ M. [OH] [NM],

49°/ Mme [N] [V], épouse [NM],

domiciliés tous deux [Adresse 30],

50°/ M. [BZ] [MG],

51°/ Mme [TA] [HC], épouse [MG],

domiciliés tous deux [Adresse 8],

52°/ M. [OT] [RZ], domicilié [Adresse 11],

53°/ Mme [O] [RZ] épouse [YO], domiciliée [Adresse 42],

venant tous deux aux droits de Madame [LP] [IT] [WN]

54°/ M. [ZK] [LV],

55°/ Mme [SK] [UL], épouse [LV],

domiciliés tous deux [Adresse 40],

56°/ M. [WD] [TF], domicilié [Adresse 32],

57°/ Mme [ZP] [BF], épouse [TF],

domiciliés tous deux [Adresse 32],

58°/ Mme [ZP] [EK],

59°/ M. [GB] [XO],

domiciliés tous deux [Adresse 28],

60°/ Mme [DJ] [KV],

61°/ M. [RJ] [GR],

domiciliés tous deux [Adresse 15],

62°/ M. [FW] [PZ],

63°/ Mme [KJ] [KE], épouse [PZ],

domiciliés tous deux [Adresse 18],

64°/ M. [EC] [PT],

65°/ Mme [CC] [BM], épouse [PT],

domiciliés tous deux [Adresse 9],

66°/ M. [WY] [XD],

67°/ Mme [GG] [T], épouse [XD],



domiciliés tous deux [Adresse 31],

68°/ la société de La Butte, société civile immobilière, dont le siège est[Localité 1],

69°/ la société Joris, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 26],

ont formé le pourvoi n° U 20-21.349 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige les opposant à la société d'Assurance mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 10], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [FA], de M. [K], de Mmes [W], [GL] et [OC] [K], de M. [A], de M. et Mme [J], de Mme [Z], de M. et Mme [P], de M. et Mme [H], de M. et Mme [DO], de M. et Mme [SV], de M. [BP], de M. et Mme [PD], de M. et Mme [VH], de M. [XZ], de Mmes [ZP],[HX], [XU] et [E] [XZ], de M. et Mme [LF], de Mme [EH], de M. et Mme [TW], de M. [IN], de M. et Mme [IY], de M. et Mme [VM], de Mme [CI], de M. et Mme [RU], de M. et Mme [YJ], de M. et Mme [JU], de M. [AS] [JU], de Mmes [PI] et [VC], de M. et Mme [NM], de M. et Mme [MG], de M. [RZ], de Mme [O] [RZ], de M. et Mme [LV], de M. et Mme [TF], de Mme [EK], de M. [XO], de Mme [KV], de M. [GR], de M. et Mme [PZ], de M. et Mme [PT], de M. et Mme [XD], de la société de La Butte et de la société Joris, de la SCP Boulloche, avocat de la société d'Assurance mutuelle des architectes français, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.




Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 8 juin 2020), la société Valduc Invest, filiale du Groupe Valduc, a cédé des lots de copropriété dans un immeuble anciennement à usage d'hôtel, à des particuliers désireux de réaliser une opération de défiscalisation des travaux sur le bien transformé en quatre-vingt-six appartements et en parc à automobiles.

2. Les acquéreurs ont conclu des contrats « déléguant » à la Société de réalisations immobilières (la société SRI), assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la réalisation des travaux de rénovation des parties communes et privatives.

3. En raison de surcoûts et retards, les copropriétaires ont décidé de confier les travaux à une autre entreprise.

4. Un acquéreur, M. [FA], a assigné le notaire, chargé de la régularisation des actes, en responsabilité, qui a, à son tour, appelé en garantie la société Groupe Valduc, la société SRI, représentée par son liquidateur amiable, et la MAF. Quatre-vingt-huit copropriétaires sont intervenus volontairement à l'instance pour demander la condamnation de la MAF.

5. M. [FA] s'est désisté de ses demandes contre le notaire, qui s'est désisté de ses propres demandes contre les sociétés Groupe Valduc et SRI et la MAF. L'instance s'est poursuivie entre les copropriétaires et la MAF.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Les copropriétaires font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action à l'encontre de la MAF, alors « que la réception tacite est caractérisée lorsque le maître d'ouvrage manifeste sans équivoque sa volonté de recevoir l'ouvrage ; qu'une réception tacite peut être partielle, sans qu'un achèvement total de l'ouvrage soit nécessaire, notamment lorsqu'un maître d'oeuvre d'exécution succède à un autre ; que, dans un tel cas, le maître de l'ouvrage a l'intention de recevoir l'ouvrage au regard de son degré d'achèvement, compte tenu de l'avancement de la mission du précédent maître d'oeuvre, pour ensuite permettre, d'une part, de déterminer les travaux restant à accomplir par le nouveau maître d'oeuvre est redevable, d'autre part, d'identifier les prestations déjà accomplies susceptibles d'engager la responsabilité de l'ancien maître d'oeuvre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le fait qu'une entreprise succède à une autre ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une réception tacite, car cette réception ne dépend pas de la fin du contrat d'entreprise du constructeur initialement missionné, mais de la volonté du maître d'ouvrage de recevoir les travaux ; qu'elle a également jugé que l'intention des copropriétaires de réceptionner les travaux déjà réalisés ne ressortait pas du procès-verbal d'assemblée générale du 7 avril 2008 et qu'il n'était ni allégué ni justifié d'une prise de possession des ouvrages réalisés ni même de règlement de la majeure partie du prix des travaux ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le choix de l'assemblée générale des copropriétaires de résilier, le 7 avril 2008, les conventions liant le syndicat des copropriétaires à la société SRI et d'autoriser le syndic à conclure un contrat de maîtrise d'oeuvre d'exécution et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage avec la société D2I impliquait nécessairement la volonté de procéder à une réception partielle de l'ouvrage, bien qu'inachevé, afin de distinguer les travaux réalisés sous la direction de la société SRI de ceux qui restaient à réaliser sous la direction de la société D2I, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Par motifs propres et adoptés, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a retenu que le fait qu'une entreprise succède à une autre défaillante ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une réception tacite, que celle-ci ne dépendait pas de la fin du contrat d'entreprise du constructeur initialement chargé des travaux, mais de la volonté du maître d'ouvrage de recevoir les travaux, et que l'intention des copropriétaires de procéder à la réception des travaux déjà réalisés ne ressortait pas du procès-verbal d'assemblée générale du 7 avril 2008.

9. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

10. Les copropriétaires font le même grief à l'arrêt, alors « que la réception judiciaire peut être prononcée, à la demande du maître de l'ouvrage, dès lors que l'ouvrage est en l'état d'être reçu ; qu'une réception judiciaire peut porter sur un ouvrage inachevé, et ne requiert pas, dans ce cas, que l'ouvrage soit habitable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la possibilité de prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage, en considérant qu'elle nécessitait le constat du caractère habitable du local d'habitation ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1792-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. En l'absence de réception amiable, la réception judiciaire ne peut être prononcée que si l'ouvrage est en état d'être reçu, c'est-à-dire habitable dans le cas d'un immeuble d'habitation.

12. La cour d'appel, qui a retenu, au vu des conclusions de l'expert, qu'en avril 2008 les appartements n'étaient pas habitables, en a exactement déduit que la réception judiciaire, telle que réclamée par les copropriétaires, ne pouvait être prononcée.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les copropriétaires demandeurs au pourvoi aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour les demandeurs.

Les copropriétaires de la résidence Alliance font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable leur action à l'encontre de la société MAF ;

1°) ALORS QUE la réception tacite est caractérisée lorsque le maître d'ouvrage manifeste sans équivoque sa volonté de recevoir l'ouvrage ; qu'une réception tacite peut être partielle, sans qu'un achèvement total de l'ouvrage soit nécessaire, notamment lorsqu'un maître d'oeuvre d'exécution succède à un autre ; que, dans un tel cas, le maître de l'ouvrage a l'intention de recevoir l'ouvrage au regard de son degré d'achèvement, compte tenu de l'avancement de la mission du précédent maître d'oeuvre, pour ensuite permettre, d'une part, de déterminer les travaux restant à accomplir par le nouveau maître d'oeuvre est redevable, d'autre part, d'identifier les prestations déjà accomplies susceptibles d'engager la responsabilité de l'ancien maître d'oeuvre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le fait qu'une entreprise succède à une autre ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une réception tacite, car cette réception ne dépend pas de la fin du contrat d'entreprise du constructeur initialement missionné, mais de la volonté du maître d'ouvrage de recevoir les travaux (arrêt, p. 23 § 5) ; qu'elle a également jugé que l'intention des copropriétaires de réceptionner les travaux déjà réalisés ne ressortait pas du procès-verbal d'assemblée générale du 7 avril 2008 et qu'il n'était ni allégué ni justifié d'une prise de possession des ouvrages réalisés ni même de règlement de la majeure partie du prix des travaux (arrêt, p. 23 § 6) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 41), si le choix de l'assemblée générale des copropriétaires de résilier, le 7 avril 2008, les conventions liant le syndicat des copropriétaires à la société SRI et d'autoriser le syndic à conclure un contrat de maîtrise d'oeuvre d'exécution et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage avec la société D2I impliquait nécessairement la volonté de procéder à une réception partielle de l'ouvrage, bien qu'inachevé, afin de distinguer les travaux réalisés sous la direction de la société SRI de ceux qui restaient à réaliser sous la direction de la société D2I, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil ;

2°) ALORS QUE les copropriétaires demandeurs à l'indemnisation faisaient valoir dans leurs écritures que la totalité des fonds nécessaires à la réalisation des travaux, tels que fixés par la société SRI, avaient été versés à cette dernière (concl., p. 18 § 3) ; qu'en écartant toute réception tacite au motif qu'il n'était pas allégué que la majeure partie du prix des travaux avait été versée à la société SRI, la cour d'appel a dénaturé les conclusions des copropriétaires et méconnu l'objet du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE la cour d'appel a constaté que, par une assemblée générale du 7 avril 2008, les copropriétaires de la résidence Alliance avait autorisé le syndic à résilier la convention liant le syndicat des copropriétaires à la société SRI et à conclure un contrat de maîtrise d'oeuvre d'exécution et un contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage avec la société D2I (arrêt, p. 23) ; qu'en décidant qu'il n'était pas justifié d'une prise de possession de l'ouvrage par le syndicat des copropriétaires, ce qui excluait une réception tacite, tandis qu'il résultait de ses constatations que la décision de confier la maîtrise d'oeuvre d'exécution et l'assistance à la maîtrise d'ouvrage à un nouveau prestataire en remplacement de la société SRI impliquait une prise de possession de l'ouvrage par le syndicat des copropriétaires, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792-6 du code civil ;

4°) ALORS QU'en jugeant qu'il n'était pas justifié d'une prise de possession des ouvrages réalisés, tout en visant le procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires tenue le 7 avril 2008 dont la quatrième résolution précisait que le syndicat des copropriétaires reprenait à son compte l'ensemble des travaux afin de pouvoir en confier la directement de l'achèvement à la société S2I, ce qui impliquait une prise de possession de l'ouvrage dans l'état dans lequel il se trouvait, peu important la progression de son achèvement, la cour d'appel a dénaturé ce procès-verbal et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

5°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, la réception judiciaire peut être prononcée, à la demande du maître de l'ouvrage, dès lors que l'ouvrage est en l'état d'être reçu ; qu'une réception judiciaire peut porter sur un ouvrage inachevé, et ne requiert pas, dans ce cas, que l'ouvrage soit habitable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la possibilité de prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage, en considérant qu'elle nécessitait le constat du caractère habitable du local d'habitation (arrêt, p. 23 § 8) ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1792-6 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C300866

vendredi 10 février 2017

Réception judiciaire : oui, si habitabilité

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 2 février 2017
N° de pourvoi: 16-11.677
Non publié au bulletin Cassation

M. Chauvin (président), président
SCP Jean-Philippe Caston, SCP Odent et Poulet, avocat(s)




Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 19 novembre 2015), que M. et Mme X... ont confié la construction d'une maison d'habitation à la société Artiba, assurée par la société Sagena devenue la société SMA ; que, se plaignant de malfaçons, les maîtres de l'ouvrage ont, après expertise, assigné le mandataire-liquidateur de la société Artiba et la société SMA en indemnisation ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1792-6 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. et Mme X..., l'arrêt retient que le refus exprès des maîtres de l'ouvrage de toute réception et leur prise de possession résultant d'évidentes nécessités économiques, non accompagnée du paiement intégral des travaux, qui caractérisent leur volonté de ne pas recevoir les travaux, conduisent également à rejeter leur demande de réception judiciaire ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'ouvrage était en état d'être reçu, c'est-à-dire habitable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la société SMA aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société SMA, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme X... ;