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mercredi 19 avril 2023

Connaissance de la manifestation du dommage à une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 de réforme des prescriptions

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 mars 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 231 F-D

Pourvoi n° V 22-10.111







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023

La société Groupama Antilles Guyane, organisme mutualiste d'assurance mutuelle agricole, venant aux droits de la société Gan assurances, dont le siège est [Adresse 9], a formé le pourvoi n° V 22-10.111 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2021 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [S] [I], domicilié [Adresse 3],

2°/ à M. [U] [E], domicilié [Adresse 6],

3°/ à la société civile professionnelle Pierre-François Codou et [T] [J], dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 2],


5°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],

6°/ à la société Entreprise Guiban, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10],

7°/ à la société GFA Caraïbes, dont le siège est [Adresse 1],

8°/ à la société Bet Cete Capgras, dont le siège est [Adresse 8],

9°/ à M. [Z] [V], domicilié [Adresse 5], pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Entreprise Guiban,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Duhamel- Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Groupama Antilles Guyane, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Entreprise Guiban, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Groupama Antilles Guyane (la société Goupama) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [E], M. [V], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Entreprise Guiban, les sociétés Pierre-François Codou et [T] [J], MAAF assurances, GFA Caraïbes, Bet Cete Capgras et la Mutuelle des architectes français.



Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 29 juin 2021), la commune du Lamentin a conclu un marché portant sur la construction d'un nouvel hôtel de ville avec un groupement d'entreprises, parmi lesquelles la société Entreprise Guiban Antilles (la société Guiban), titulaire du lot plomberie, ventilation et climatisation, M. [I], assuré auprès de la société Gan assurances, aux droits de laquelle vient la société Groupama, étant chargé, au sein d'un groupement solidaire, de la maîtrise d'oeuvre de l'opération.

3. La commune du Lamentin a obtenu en référé la désignation, par la juridiction administrative, d'un expert par ordonnance du 12 février 2004.

4. Ensuite d'une décision du Conseil d'Etat du 11 février 2015, la société Guiban et M. [I] ont été définitivement condamnés, in solidum avec d'autres, à payer à la commune du Lamentin, diverses sommes en réparation des désordres de nature décennale et des préjudices immatériels consécutifs.

5. Entre temps, par acte du 23 juillet 2007, l'assureur dommages-ouvrage de la commune du Lamentin avait assigné les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs afin de préserver ses recours devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France.

6. Dans le cours de cette instance, la société Guiban, invoquant le règlement, intervenu le 9 janvier 2012, de la totalité des sommes mises à la charge des coobligés en faveur de la commune du Lamentin par l'arrêt de la cour administrative d'appel, a, par conclusions du 19 mai 2017, formé ses recours, notamment, contre la société Gan assurances, en sa qualité d'assureur de M. [I], à hauteur de la part contributive de celui-ci. En cause d'appel, la société Groupama a opposé à cette demande la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Groupama fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de la condamner, in solidum avec M. [I], à payer une certaine somme à la société Guiban au titre de sa part contributive au dommage, alors « que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que l'action directe de la victime, tel qu'un constructeur poursuivi par le maître d'ouvrage, contre l'assureur de responsabilité d'un autre constructeur, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit dans le même délai que son action contre le responsable ; qu'en l'espèce, la commune du Lamentin, maître d'ouvrage, a fait construire un hôtel de ville dans lequel ont été constatés divers désordres après sa réception ; que par requête du 5 novembre 2007, la commune du Lamentin a sollicité devant le tribunal administratif que plusieurs constructeurs, dont la société Guiban Antilles, soient condamnés à réparer les désordres ; que devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France, la société Guiban Antilles a exercé pour la première fois une action directe contre la société Groupama Antilles Guyane, assureur de responsabilité de M. [I], maître d'oeuvre, par conclusions du 19 mai 2017, soit près de dix années après avoir été actionnée en réparation par le maître d'ouvrage, aux fins de la faire condamner à contribuer au paiement d'une partie de la dette de réparation payée au maître d'ouvrage ; que la société Guiban Antilles n'a justifié d'aucun acte interruptif de prescription à l'égard M. [W] [X] ; qu'en jugeant cependant que cette action directe n'était pas prescrite aux motifs erronés qu'il n'était pas justifié que la société Guiban Antilles « avait été actionnée par la commune du Lamentin en paiement », et que la société Guiban Antilles avait réglé la créance de réparation de la commune le 25 mai 2012, retenant ainsi cette date « comme point de départ du délai d'action en remboursement contre les codébiteurs », tandis que le point de départ était la requête de la commune du 5 novembre 2007 dirigée notamment contre la société Guiban Antilles, de sorte que, compte tenu des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, la prescription était acquise depuis le 19 janvier 2013, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil, 26 II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et L. 124-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La société Guiban conteste la recevabilité du moyen, en soutenant qu'il est contraire aux écritures d'appel de la société Groupama, qui invoquait, comme point de départ de la prescription à son égard, la date à laquelle la société Guiban avait été assignée en référé-expertise par le maître de l'ouvrage, et non celle de la requête en paiement qui lui avait été délivrée par celui-ci le 5 novembre 2007. Elle fait valoir, subsidiairement, que le moyen est, en tout état de cause, nouveau et mélangé de fait et de droit.

9. Cependant, la société Groupama ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que, la manifestation du dommage, résultant des assignations délivrées par le maître de l'ouvrage en février 2004 et par l'assureur dommages-ouvrage en juin et juillet 2007, étant antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la société Guiban disposait, pour exercer ses recours, d'un délai de cinq ans courant à compter de celle-ci, expirant le 19 juin 2013, ce qu'elle n'avait fait que par conclusions du 19 mai 2017, le grief n'est ni contraire à ses écritures d'appel ni nouveau.

10. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de cette loi, et 26 II de celle-ci :

11. Aux termes du premier de ces textes, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

12. Aux termes du deuxième, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

13. Selon le troisième, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

14. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription que la société Groupama, assureur de M. [I], opposait au recours de la société Guiban à son encontre et la condamner, in solidum, avec M. [I] à payer à celle-ci une certaine somme au titre de sa part contributive au dommage, l'arrêt retient que, si la jurisprudence considère que c'est au jour où le codébiteur d'une obligation in solidum a été assigné en réparation du dommage que naît la créance indemnitaire contre son co-responsable, il n'était pas justifié en l'espèce de la date à laquelle la société Guiban avait été assignée en paiement par la commune du Lamentin ni même si elle l'avait été, de sorte que, le point de départ de l'action de celle-ci à l'égard de ses co-débiteurs devant être fixé à la date à laquelle elle avait réglé la totalité de la créance de la commune du Lamentin, le 25 mai 2012, la demande de condamnation, formée le 19 mai 2017, par la société Guiban contre M. [I] et son assureur, n'était pas prescrite.

15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Guiban n'avait pas eu connaissance de la manifestation du dommage à une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, de sorte qu'elle disposait pour exercer ses recours d'un délai de cinq ans courant à compter de celle-ci, expirant le 19 juin 2013, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa seconde branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne, in solidum avec M. [I], la société Groupama Antilles Guyane, venant aux droits de la société Gan assurances, à payer à la société Entreprise Guiban Antilles, la somme de 316 415,44 euros, en principal, frais et accessoires, outre les intérêts à compter du 19 mai 2017, l'arrêt rendu le 29 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;

Condamne la société Entreprise Guiban Antilles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

lundi 17 avril 2023

Prescription de l'action en nullité d'un contrat fondée sur le dol

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mars 2023




Cassation partielle


Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 205 F-D

Pourvoi n° A 21-14.666




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

1°/ M. [J] [X],

2°/ Mme [O] [W], épouse [X],

domiciliée [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° A 21-14.666 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige les opposant à la société Crédit immobilier de France développement (CIFD), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits elle-même aux droits de la société Crédit immobilier de France Rhône-Alpes-Auvergne (CIFRAA), défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [X], de Mme [W], de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 janvier 2021), par actes notariés des 20 janvier et 16 février 2004, la société Crédit immobilier de France financière Rhône Ain, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [X] (les emprunteurs) des prêts destinés à financer l'acquisition d'appartements en l'état futur d'achèvement.

2. Après avoir prononcé la déchéance du terme, la banque a assigné les emprunteurs en paiement des prêts.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris en ses première et troisième branches, et sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes au titre du dol, de les condamner à payer à la banque le solde des créances dues au titre de chacun des deux prêts, recalculé selon la décision, de dire que le solde porterait intérêt au taux contractuel jusqu'à complet règlement, d'ordonner la capitalisation des intérêts et de rejeter leurs demandes, alors « que la prescription de l'exception de nullité tirée du dol de la clause stipulant l'intérêt conventionnel, contenue dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d'exécution, ne court que du jour où le dol a été découvert ; que dans leurs conclusions d'appel, les époux [X] ont fait valoir qu'ils n'avaient découvert les manoeuvres frauduleuses du CIFRAA dans l'octroi des crédits immobiliers aux clients présentés par la société Apollonia qu'à l'occasion de la mise en examen de plusieurs de ses cadres et dirigeants sociaux intervenue en 2011 ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était pas possible d'affirmer que la prescription n'aurait commencé à courir qu'en 2011 et que la demande d'annulation des intérêts conventionnels pour dol formée neuf ans après le début d'exécution des contrats de prêt était prescrite, la cour d'appel, qui n'a pas recherché à quelle date les emprunteurs avaient découvert les manoeuvres dolosives imputées à la banque, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Selon ce texte, l'action en nullité d'un contrat fondée sur le dol se prescrit par un délai de cinq ans à compter du jour où le contractant a découvert le vice qu'il allègue.

6. Pour déclarer irrecevables les demandes d'annulation des stipulations des contrats relatives aux intérêts conventionnels formées par les emprunteurs sur le fondement du dol, l'arrêt retient que ces contrats, souscrits en novembre 2003 et janvier 2004, ont été exécutés jusqu'en avril 2008, que la prescription n'a pas pu commencer à courir en 2011 au moment des premières mises en examen des chefs d'escroquerie caractérisant les manoeuvres frauduleuses et qu'en conséquence, ces demandes, formées plus de neuf ans après le début de l'exécution, sont prescrites.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, la date à laquelle les emprunteurs avaient eu connaissance des manoeuvres frauduleuses dont ils se prétendaient victimes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur demande en déchéance du droit aux intérêts pour violation du code de la consommation, de les avoir condamnés à payer à la banque le solde des créances dues au titre de chacun des deux prêts, recalculé selon la décision, de dire que le solde porterait intérêt au taux contractuel jusqu'à complet règlement, d'ordonner la capitalisation des intérêts et de les avoir débouter de leurs demandes, alors « que sous l'empire de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'action en déchéance du droit aux intérêts tirée de l'irrégularité de l'offre de prêt et de son acceptation se prescrivait par dix ans à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'irrégularité invoquée ; que le délai de prescription a été réduit à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 ; que selon l'article 26-II de cette loi, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'il en résulte que la demande de déchéance totale du droit aux intérêts du prêteur tirée de l'irrégularité des offres de prêt acceptées les 21 novembre 2003 et 2 janvier 2004 était soumise à la prescription décennale, réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, laquelle n'était pas acquise au jour de l'entrée en vigueur de cette loi, de sorte que la demande des époux [X] n'était pas prescrite lorsqu'elle a été formée par des conclusions du 21 mars 2013 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 312-33 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, les articles L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'article 26-II de la même loi et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. La banque conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau.

10. Cependant, le moyen, qui n'appelle la prise en considération d'aucun élément de fait qui ne résulterait pas des constatations de l'arrêt, est de pur droit.

11. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et les articles 15 et 26, II, de cette loi :

12. Aux termes du premier texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. L'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels, soumise à ce délai, court du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître le manquement allégué.

13. Le deuxième a réduit de dix à cinq ans le délai de la prescription des obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants. Selon le dernier, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

14. Pour déclarer irrecevable l'action en déchéance du droit aux intérêts formée par les emprunteurs qui invoquaient une méconnaissance par la banque de l'article L. 312-7 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, l'arrêt énonce qu'une telle action est soumise au délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter de l'offre de crédit puis retient qu'ayant été formée par conclusions du 21 mars 2013, elle est prescrite.

15. En statuant ainsi, alors qu'en application des dispositions transitoires précitées, s'est substituée à la prescription décennale qui était en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 19 juin 2008, une prescription quinquennale, et que celle-ci, sauf à rétroagir, ne pouvait commencer à courir avant cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur demande de déchéance des intérêts conventionnels échus postérieurement au 8 avril 2010, de les condamner à payer à la banque le solde des créances dues au titre de chacun des deux prêts, recalculé selon la décision, de dire que le solde porterait intérêt au taux contractuel jusqu'à complet règlement, d'ordonner la capitalisation des intérêts et de rejeter leurs demandes, alors « que la prescription est sans incidence sur les moyens de défense au fond lesquels peuvent être proposés en tout état de cause ; qu'en ce qu'il tend à faire rejeter comme non justifiée la demande en paiement du prêteur ayant consenti un crédit, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par l'emprunteur constitue une défense au fond ; qu'en déclarant prescrite la demande de déchéance du droit aux intérêts échus postérieurement au 8 avril 2010, laquelle tendait uniquement à faire rejeter, comme non justifiée, la demande en paiement par la banque des intérêts conventionnels échus après la déchéance du terme des deux contrats de prêt et constituait donc un moyen de défense au fond sur lequel la prescription était sans incidence, la cour d'appel a violé les articles 64, 71, 72 du code de procédure civile et des articles 2219, 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 64 et 71 du code de procédure civile :

17. Selon le premier de ces textes, constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire. Aux termes du second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.

18. Il résulte de ces textes que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par le souscripteur d'un crédit à la consommation constitue une défense au fond. L'invocation d'une telle déchéance s'analyse toutefois en une demande reconventionnelle si elle tend à la restitution d'intérêts trop perçus.

19. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande tendant à la déchéance de la banque de son droit aux intérêts conventionnels échus après la déchéance du terme, l'arrêt retient que cette demande, soumise au délai de prescription quinquennal, a été formée plus de quatorze ans après la signatures des prêts.

20. En statuant ainsi, alors que les demandeurs, qui ne formaient aucune demande en restitution d'intérêts trop perçus, invoquaient un moyen de défense au fond non soumis à la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

21. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur demande de dommages et intérêts au titre de la responsabilité contractuelle de la banque, de les condamner à payer à la banque le solde des créances dues au titre de chacun des deux prêts, recalculé selon la décision, de dire que le solde porterait intérêt au taux contractuel jusqu'à complet règlement, d'ordonner la capitalisation des intérêts et de rejeter leurs demandes, alors « que sous l'empire de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescription spéciales plus courtes ; que le délai de prescription a été réduit à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 ; que selon l'article 26-II de cette loi, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'il en résulte que la demande reconventionnelle de dommages et intérêts fondée sur la violation par la banque de son obligation de contrôle, de mise en garde, d'information et de conseil lors de la conclusion des deux contrats de prêt consentis les 21 novembre 2003 et 2 janvier 2004 était soumise à la prescription décennale, réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, laquelle n'était pas acquise au jour de l'entrée en vigueur de cette loi, de sorte que la demande des époux [X] n'était pas prescrite lorsqu'elle a été formée par des conclusions du 21 mars 2013 ; qu'en déclarant néanmoins cette demande prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'article 26-II de la même loi et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

22. La banque conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau.

23. Cependant, le moyen, qui n'appelle la prise en considération d'aucun élément de fait qui ne résulterait pas des constatations de l'arrêt, est de pur droit.

24. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et les articles 15 et 26, II, de cette loi :

25. Aux termes du premier texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

26. Le deuxième a réduit de dix à cinq ans le délai de la prescription des obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants. Selon le dernier, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

27. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement de dommages et intérêts formée par les emprunteurs à l'encontre de la banque sur le fondement du manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde, l'arrêt énonce qu'une telle demande, formée pour la première fois par conclusions du 21 mars 2013, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil commençant à courir à compter du contrat.

28. En statuant ainsi, alors qu'en application des dispositions transitoires précitées, s'est substituée à la prescription décennale qui était en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 19 juin 2008, une prescription quinquennale, et que celle-ci, sauf à rétroagir, ne pouvait commencer à courir avant cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

29. Les emprunteurs font grief à l'arrêt d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige et de les avoir déboutés de leurs demandes, alors « que la règle édictée par l'article L. 312-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016, selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du même code ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévue par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil devenu 1343-2 du code civil ; qu'en ordonnant la capitalisation des intérêts selon les modalités prévues par l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 312-23, dans sa rédaction antérieure à celle dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, et l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

30. La règle édictée par le premier de ces textes, selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du code de la consommation ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation d'un prêt immobilier ou de défaillance prévus par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par le second texte susvisé.

31. Pour ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil, l'arrêt énonce que cette capitalisation est de droit et qu'elle ne constitue pas une clause pénale.

32. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

33. La cassation des chefs du dispositif qui déclarent irrecevables comme prescrites les demandes d'annulation des stipulations des contrats relatives aux intérêts conventionnels ainsi que les demandes en déchéance de la banque de son droit aux intérêts s'étend aux chefs de dispositif qui fixent le montant des créances de la banque au titre des prêts n° 26920 et n° 27594, disent qu'il appartiendra à la banque de recalculer sa créance conformément à la décision, condamnent les emprunteurs à payer à la banque le solde des créances dues au titre de chacun des deux prêts ainsi recalculé, disent que le solde porte intérêts au taux contractuel jusqu'à complet règlement, déboutent les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, rejettent les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamnent les emprunteurs aux dépens.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception de litispendance et déclare recevable les demandes formée par la société Crédit immobilier de France développement, déclare irrecevable la demande de sursis à statuer et dit n'y avoir lieu à l'ordonner, déclare irrecevable comme prescrite la demande en dommages-intérêts au titre de la responsabilité délictuelle de la banque et ordonne la réduction à un euro des indemnités de résiliation, l'arrêt rendu le 14 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne la société Crédit immobilier de France développement aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit immobilier de France développement et la condamne à payer à M. et Mme [X] la somme de 3 000 euros ;

lundi 20 février 2023

"La prescription ne s'allonge que devant l'aggravation du dommage" (droit public)

 Note L. Erstein, SJ G 2023, p. 396.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... B... et Mme C... B... et leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la communauté de communes de la Plaine de France et la société Lyonnaise des eaux à leur verser la somme totale de 520 187,16 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement n° 0908107 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Melun a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF la somme de 26 124,42 euros, a mis à sa charge les frais des expertises et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt nos 17PA00862, 17PA00865 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B... et la compagnie Filia-MAIF et a mis les frais des expertises devant le tribunal administratif de Melun à la charge définitive de la société Suez Eau France.

Par une décision n° 427250 du 20 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté la requête de la société Suez Eau France et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Paris.

Par un arrêt n° 20PA03596 du 30 avril 2021, la cour administrative d'appel de Paris a annulé les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement du tribunal administratif de Melun et rejeté les conclusions présentées devant le tribunal administratif par M. et Mme B... et la société Filia-MAIF et dirigées contre la société Suez Eau France.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 20 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... et la société MAIF, venue aux droits de la société Filia-MAIF, demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société Suez Eau France, de la commune de Mauregard, de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers et de la communauté de communes des Plaines et Monts de France, venue aux droits de la communauté de communes de la Plaine de France, la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société MAIF et de M. et Mme B..., à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Suez Eau France et au cabinet Pinet, avocat de la commune de Mauregard ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B... ont constaté, à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, située sur le territoire de la commune de Mauregard (Seine-et-Marne), l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété. Après avoir obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Melun la désignation d'un expert et après le dépôt du rapport de cet expert, M. et Mme B... et leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé, le 17 novembre 2009, au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de la commune de Mauregard et de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Dans le cadre de cette instance, la présidente du tribunal a désigné, par une ordonnance du 11 mai 2012, un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune de Mauregard ainsi que de la communauté de communes de la Plaine de France et de la société Lyonnaise des eaux. M. et Mme B... ont alors demandé au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert à réparer leurs préjudices. Par un jugement du 30 décembre 2016, le tribunal a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF celle de 26 124,42 euros. Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B..., et mis les frais des deux expertises à la charge de la société. Par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société Suez Eau France, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris. Par un arrêt du 30 avril 2021, contre lequel M. et Mme B... et la société Filia-MAIF se pourvoient en cassation, la cour a annulé le jugement en tant qu'il a condamné la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, à verser des indemnités à M. et Mme B... et à la société Filia-MAIF, devenue MAIF, et mis à sa charge les frais des deux expertises et rejeté les conclusions présentées par M. et Mme B... et la société MAIF devant le tribunal administratif de Melun.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

En ce qui concerne le point de départ et la durée du délai de prescription :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Aux termes de l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". La prescription instituée par ces deux dispositions court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage. Les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription.

3. Le II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile dispose que : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". Il en résulte que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l'article 2270-1 du code civil. Après l'entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil. Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.

En ce qui concerne l'interruption et la suspension du délai de prescription :

4. Aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ".

5. Aux termes de l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ". L'article 2239 du même code dans sa rédaction issue de la même loi dispose que : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ".

6. D'une part, il résulte tant des dispositions précitées de l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 que de l'article 2241 dans sa rédaction issue de cette même loi que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.

7. D'autre part, alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.

Sur le pourvoi :

8. En jugeant que le point de départ du délai de prescription ne pouvait être fixé à la date de l'aggravation des dommages subis par le bâtiment appartenant à M. et Mme B... au motif qu'une telle aggravation était la conséquence de l'abstention de ces derniers de prendre des mesures pour remédier aux désordres initialement constatés, alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher, ainsi qu'il a été dit au point 2, si les nouveaux dommages invoqués par les victimes constituaient des conséquences raisonnablement prévisibles des désordres survenus, insusceptibles de reporter le point de départ du délai de prescription, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B... et la société MAIF sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

9. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur la requête d'appel de la société Suez Eau France :

En ce qui concerne le point de départ et la durée du délai de prescription :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la déclaration adressée à leur assureur par M. et Mme B... le 5 juillet 2002, que ceux-ci doivent être regardés comme ayant eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue des dommages qu'ils ont subis au plus tard en juin 2002. Par suite, il résulte des dispositions combinées des articles 2270-1 et 2224 du code civil et de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, que le délai de prescription de l'action des époux B... courait jusqu'au 30 juin 2012, sous réserve de causes d'interruption ou de suspension.

11. En second lieu, M. et Mme B... et leur assureur soutiennent que les désordres affectant leur propriété se sont aggravés en 2007, lorsque leur maison est devenue inhabitable, puis en 2020, lorsque le maire de Mauregard a pris un arrêté interdisant l'accès à la maison et ordonnant la démolition d'une partie du bâtiment pour des raisons de sécurité publique, et que, par suite, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date d'aggravation de ces désordres. Toutefois, dès lors que l'inhabitabilité de la maison et sa dangerosité imposant sa destruction partielle constituaient les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres constatés en juin 2002, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'il n'y a pas lieu de reporter le point de départ de la prescription des dommages initialement constatés à la date de ces circonstances, lesquelles ne caractérisaient pas davantage, en l'espèce, des préjudices nouveaux pour lesquels courrait un délai de prescription propre.

En ce qui concerne l'interruption et la suspension du délai de prescription :

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. et Mme B... et la société Filia-MAIF ont engagé, le 18 décembre 2002, devant le tribunal administratif de Melun une procédure de référé sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative dans laquelle ils ont attrait la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France. En application des dispositions précitées de l'article 2244 du code civil, alors applicables, le délai de prescription a été interrompu jusqu'au jour de l'ordonnance du 6 janvier 2003 de désignation de l'expert. Par suite, la date de prescription de l'action de M. et Mme B... et de leur assureur a été reportée au 6 janvier 2013. En revanche, le cours de la prescription n'a pas été suspendu pendant la durée de l'expertise en application des dispositions de l'article 2239 du code civil, dès lors que celles-ci ne sont pas applicables aux expertises ordonnées avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ainsi qu'il a été dit au point 6.

13. En deuxième lieu, si M. et Mme B... et la société Filia-MAIF ont présenté une demande indemnitaire, enregistrée au tribunal administratif de Melun le 17 novembre 2009, ainsi qu'une demande de référé sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, enregistrée le 27 novembre 2009, ces demandes étaient dirigées contre la commune de Mauregard et la Société nouvelle des travaux publics et particuliers. Ces actions n'ont par suite pas interrompu le cours de la prescription à l'encontre de la société Suez Eau France. De même, la demande du 11 août 2011 de la commune de Mauregard, à laquelle se sont associés M. et Mme B... et la société Filia-MAIFen tant seulement qu'elle portait sur la détermination et l'évaluation des préjudices subis par M. et Mme B... et des travaux pour y remédier, tendant à ce que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris prescrive une nouvelle expertise ayant été rejetée par une ordonnance du 17 janvier 2012, cette demande n'a pas davantage interrompu le cours de la prescription à l'encontre de la société Suez Eau France. Enfin, si la commune de Mauregard a également saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun le 7 février 2012 d'une demande tendant à la prescription d'une nouvelle expertise, il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme B... et la société Filia-MAIF se soient associés à cette demande.

14. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 2245 du code civil dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 : " L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers ". D'une part, le contrat d'affermage conclu le 11 septembre 1992 entre la société Lyonnaise des eaux, devenue la société Suez Eau France, et le district de la Plaine de France auquel la commune de Mauregard avait délégué sa compétence en matière de gestion du service de distribution d'eau potable, qui stipule que la responsabilité de la société Suez Eau France ne peut être engagée que du fait des seuls dommages imputables au fonctionnement du service de distribution publique d'eau potable, ne prévoit pas d'obligation solidaire entre la société Suez Eau France et la commune de Mauregard ou la communauté de communes en cas de dommages imputables à l'existence et au fonctionnement de la borne d'incendie. D'autre part, aucune disposition législative ne prévoit une telle solidarité. La société Suez Eau France ne peut, par suite, être regardée comme un débiteur solidaire de la commune de Mauregard au sens de l'article 2245 du code civil précité, sans qu'ait d'incidence à cet égard la faculté qu'a le juge de condamner solidairement des coauteurs d'un dommage. Par suite, les actions en justice des époux B... et de leur assureur dirigées contre cette commune n'ont pas interrompu le délai de prescription contre la société Suez Eau France.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'action de M. et Mme B... et autre dirigée contre la société Lyonnaise des eaux, devenue la société Suez Eau France, était prescrite lorsqu'ils ont présenté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre cette société dans leur mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Melun le 12 juillet 2016. Par suite, la société Suez Eau France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser des indemnités à M. et Mme B... et à leur assureur, la société Filia-MAIF, et qu'il a mis à sa charge les frais des expertises.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Suez Eau France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. et Mme B... et de la société MAIF la somme de 2 000 euros à verser, d'une part, à la société Suez Eau France et, d'autre part, à la commune de Mauregard au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 30 avril 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement du 30 décembre 2016 du tribunal administratif de Melun sont annulés.
Article 3 : Les conclusions dirigées contre la société Suez Eau France présentées par M. et Mme B... et la société MAIF devant le tribunal administratif de Melun sont rejetées.
Article 4 : M. et Mme B... et la société MAIF verseront solidairement une somme de 2 000 euros, d'une part, à la société Suez Eau France et, d'autre part, à la commune de Mauregard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier requérant dénommé, à la société Suez Eau France, à la commune de Mauregard, à la Société nouvelle des travaux publics et particuliers et à la communauté de communes des Plaines et Monts de France.

ECLI:FR:CECHR:2023:454109.20230207

mercredi 25 janvier 2023

Une citation en justice n'interrompt la prescription que si elle a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 janvier 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 29 F-D

Pourvoi n° U 21-20.801




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023

1°/ la société Arte charpentier architectes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],

2°/ la société Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 2], prise en sa qualité d'assureur de la société Arte charpentier architectes,

ont formé le pourvoi n° U 21-20.801 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Betom ingenierie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Nacarat, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Touzet Gaillard,

3°/ à la société Abeille IARD et Vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement Aviva assurances,

4°/ à la société Engie énergie services, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10],

5°/ à la société XL Catlin Services SE, dont le siège est [Adresse 7], Société européenne, venant aux droits de la société XL Insurance Company Limited, prise en sa qualité d'assureur de la société Cofathec, aux droits de laquelle vient la société Engie énergie services,

6°/ à la société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société SA Foncière Burho, venant elle-même aux droits de la société Touzet,

7°/ à la société Delphi acoustique et ingenierie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 11],

8°/ à la société Deseez Warwicker Partners DWP Building services Consultants, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 9],

9°/ à la société Socotec construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la Socotec,

défenderesses à la cassation.

La société Betom ingenierie a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;

La société Nacarat a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;

Les sociétés Engie énergie services et XL Catlin services SE ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La société Delphi acoustique et ingenierie a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi provoqué contre le même arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi principal invoque, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La société Betom ingenierie, demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La société Nacarat, demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Les sociétés Engie énergie services et XL Catlin services SE, demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La société Delphi acoustique et ingenierie, demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Arte charpentier architectes, de la société Mutuelle des architectes français et de la société Delphi acoustique et ingenierie, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Nacarat, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Engie énergie services et de la société XL Catlin Services SE, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Betom ingenierie, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali vie, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Abeille IARD et Vie, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Arte Charpentier architectes (la société Arte Charpentier) et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Aviva assurances, aujourd'hui dénommée Abeille IARD et vie.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 mai 2021), la société Touzet Gaillard, aux droits de laquelle vient la société Nacarat, a fait construire un immeuble à usage de bureaux qu'elle a vendu en l'état futur d'achèvement à la société Touzet, aux droits de laquelle sont venues la société Foncière-Burho puis la société Generali vie.

3. La maîtrise d'oeuvre de conception a été confiée à la société Arte Charpentier assurée auprès de la MAF.

4. La société Arte Charpentier a sous-traité des études acoustiques à la société Delphi acoustique et des études techniques de chauffage, ventilation et climatisation à la société Deseez Warwicker Partners (la société DWP).

5. La conception du lot chauffage, ventilation et climatisation a été confiée à la société Betom ingénierie et la réalisation de ce lot à la société Cofatech services, aux droits de laquelle vient la société GDF Suez énergie services, aujourd'hui dénommée Engie énergie services, assurée auprès de la société XL Insurance Company Limited, aux droits de laquelle vient la société XL Catlin Services.

6. Le contrôle technique a été confié à la société Socotec, aux droits de laquelle vient la société Socotec construction.

7. La réception est intervenue le 31 août 2001 et la livraison à l'acquéreur le 6 septembre 2001, avec réserves.

8. Se prévalant de nuisances sonores dénoncées par des riverains dès juillet 2001, l'acquéreur a mis le vendeur en demeure de mettre les installations de climatisation en conformité. Une expertise a été ordonnée le 7 juin 2005 à la demande de l'acquéreur. A la demande d'autres parties, elle a été rendue commune à la société Arte Charpentier et à la MAF le 7 octobre 2005 puis à la société Delphi acoustique le 5 février 2008.

9. L'acquéreur a assigné le vendeur au fond par acte du 20 juin 2005 et les constructeurs et leurs assureurs ont été appelés à l'instance.

Examen des moyens

Sur les moyens des pourvois incidents des sociétés Nacarat, Betom ingénierie, Engie énergie services et XL Catlin Services, ci-après annexés

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal et sur le quatrième moyen du pourvoi provoqué de la société Delphi acoustique, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

11. Par leur quatrième moyen, la société Arte Charpentier et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, dans la proportion qu'il fixe, à garantir la société Nacarat des condamnations prononcées à son encontre, alors « que le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société Arte Charpentier et la Maf sollicitaient la garantie de la société Nacarat pour avoir vendu des équipements non conformes à la réglementation et aux engagements pris dans l'acte de vente ; qu'en jugeant que la société Nacarat devait être intégralement garantie des condamnations prononcées à son encontre, sans répondre aux conclusions invoquant sa faute, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

12. Par son quatrième moyen, la société Delphi acoustique fait le même grief à l'arrêt.

Réponse de la Cour

13. Par motifs adoptés, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas prouvé que le manquement du vendeur à ses obligations contractuelles fût en lien avec le préjudice invoqué par l'acquéreur. Elle a ensuite condamné le vendeur pour défaut de délivrance conforme en énonçant que ce fondement ne supposait pas la démonstration d'une faute ni d'un préjudice.

14. Elle a, ainsi, répondu aux conclusions de la société Arte Charpentier, de la MAF et de la société Delphi ingénierie, qui demandaient la garantie de la société Nacarat pour avoir vendu des équipements non conformes à la réglementation et aux engagements pris dans l'acte de vente en l'état futur d'achèvement.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi provoqué de la société Delphi acoustique, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

16. Par leur premier moyen, la société Arte Charpentier et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec la société Delphi acoustique, la société Nacarat et la société Betom ingénierie, à payer diverses sommes à la société Generali vie, alors « qu'une citation en justice n'interrompt le délai de forclusion ou de prescription qu'au profit de celui qui la diligente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'action en responsabilité contractuelle exercée par la société Generali Vie contre la société Arte Charpentier et la Maf n'était pas prescrite, bien qu'exercée le 12 mars 2013, plus de 10 ans après la réception, au motif qu'à la demande de la société Touzet Gaillard, les opérations d'expertises avaient été déclarées commune à la société Arte Charpentier et à la Maf par ordonnance du 7 octobre 2005 et que les actes interruptifs de prescription accomplis par la société Touzet Gaillard avaient profité à la société Generali Vie ; qu'en statuant ainsi, quand l'assignation en référé-expertise délivrée par la société Touzet Gaillard afin d'étendre les opérations d'expertise à des locateurs d'ouvrages n'avait pu avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription de l'action de la société Generali Vie à l'encontre des mêmes locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008. »

17. Par son premier moyen, la société Delphi acoustique fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec la société Arte Charpentier, la MAF, la société Nacarat et la société Betom Ingénierie, à payer diverses sommes à la société Générali Vie, alors « qu'une citation en justice n'interrompt le délai de forclusion ou de prescription qu'au profit de celui qui la diligente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'action en responsabilité délictuelle exercée par la société Generali Vie contre la société Delphi Acoustique n'était pas prescrite, bien qu'exercée le 12 mars 2013, plus de 10 ans après la réception, au motif qu'à la demande de la société Touzet Gaillard, les opérations d'expertises avaient été déclarées commune à la société Delphi Acoustique par ordonnance du 7 octobre 2005 et que les actes interruptifs de prescription accomplis par la société Touzet Gaillard avaient profité à la société Generali Vie ; qu'en statuant ainsi, quand l'assignation en référé-expertise délivrée par la société Touzet Gaillard afin d'étendre les opérations d'expertise à des locateurs d'ouvrages n'avait pu avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription de l'action de la société Generali Vie à l'encontre des mêmes locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

18. Il résulte de ce texte qu'une citation en justice n'interrompt la prescription que si elle a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription.

19. Pour déclarer recevables les demandes de la société Generali vie contre la société Arte Charpentier, la MAF et la société Delphi acoustique, l'arrêt énonce que les actes interruptifs de prescription accomplis par le maître de l'ouvrage vendeur en état futur d'achèvement profitent à ses acquéreurs successifs, de sorte que l'action n'était pas prescrite comme ayant été introduite par assignation au fond moins de dix ans après l'assignation en déclaration d'opérations d'expertise communes.

20. En statuant ainsi, alors que les assignations délivrées par le vendeur après la vente aux fins de voir déclarer les opérations d'expertise communes aux constructeurs n'avaient pu interrompre la prescription au profit de l'acquéreur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal et sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi provoqué de la société Delphi acoustique, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

21. Par leur deuxième moyen, la société Arte Charpentier et la MAF font grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société DWP, après avoir déclaré irrecevable comme prescrit l'appel en garantie formé contre cette société, alors « que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, de sorte que pour une prescription en cours, le délai quinquennal issu de l'article 2224 du code civil ne peut commencer à courir que le 19 juin 2008 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable comme prescrit l'appel en garantie formé contre la société DWP par assignation du 18 juin 2013, en retenant que le point de départ du délai de prescription de l'action de la société Arte Charpentier et de la Maf devait être situé à la date à laquelle elles avaient été assignées en référé expertise, et qu'elles avaient agi le 18 juin 2013 alors qu'elles avaient été mises en cause par assignation devant le juge des référés ayant donné lieu à une ordonnance d'expertise commune du 7 octobre 2005 ; qu'en statuant ainsi, alors que le délai de prescription avait commencé à courir le 19 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, ensemble l'article 2224 du code civil. »

22. Par leur troisième moyen, la société Arte Charpentier et la MAF font grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Socotec construction, après avoir déclaré irrecevable comme prescrit l'appel en garantie formé contre cette société, alors « que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, de sorte que pour une prescription en cours, le délai quinquennal issu de l'article 2224 du code civil ne peut commencer à courir que le 19 juin 2008 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable comme prescrit l'appel en garantie formé contre la société Socotec par assignation du 18 juin 2013, en retenant que le point de départ du délai de prescription de l'action de la société Arte Charpentier et de la Maf devait être situé à la date à laquelle elles avaient été assignées en référé expertise, et qu'elles avaient agi le 18 juin 2013 alors qu'elles avaient été mises en cause par assignation devant le juge des référés ayant donné lieu à une ordonnance d'expertise commune du 7 octobre 2005 ; qu'en statuant ainsi, alors que le délai de prescription avait commencé à courir le 19 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, ensemble l'article 2224 du code civil. »

23. Par ses deuxième et troisième moyens, la société Delphi acoustique fait les mêmes griefs à l'arrêt.

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 110-4, I, du code de commerce et l'article 26, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

24. Aux termes du premier de ces textes, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivaient par dix ans si elles n'étaient pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. Ce délai a été réduit à cinq ans par la loi précitée.

25. Selon le second, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

26. Pour mettre hors de cause la société Socotec construction et la société DWP, l'arrêt énonce que la prescription du recours d'un constructeur contre un autre relève des dispositions de l'article 2224 du code civil selon lesquelles les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

27. Il constate, ensuite, que la société Arte Charpentier, la MAF et la société Delphi acoustique ont formé leurs appels en garantie plus de cinq ans après qu'elles ont été assignées en référé aux fins de leur voir déclarer communes les opérations d'expertise, de sorte que leurs recours sont prescrits.

28. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les appels en garantie avaient été formés contre les société Socotec construction et DWP le 18 juin 2013, moins de dix ans après les assignations délivrées à la société Arte Charpentier, la MAF et la société Delphi acoustique et moins de cinq ans après l'entrée en vigueur, le 19 juin 2008, de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription, de sorte que les actions n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

29. La cassation de la condamnation prononcée contre les sociétés Arte Charpentier, Delphi acoustique et la MAF au profit de la société Generali vie n'atteint pas celle prononcée contre les sociétés Nacarat et Betom ingénierie qui ne se sont pas associées au pourvoi principal ni au pourvoi provoqué de la société Delphi acoustique.

Mise hors de cause

30. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les sociétés Nacarat et Abeille IARD et vie dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

31. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Generali vie, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- condamne les sociétés Arte Charpentier architectes, Delphi acoustique et la Mutuelle des architectes français, celle-ci dans la limite de ses obligations contractuelles, à verser à la société Generali vie les sommes de :

- 631 106 euros, coût des travaux de mise aux normes,
- 42 410 euros HT, 11 500 euros HT et 15 400 euros HT, à titre d'honoraires,
- 15 777,65 euros HT, coût de l'assurance dommages ouvrage,

sommes indexées sur l'indice du coût de la construction BT01 entre le 1er juin 2011 et le jour du jugement et augmentées de la TVA en vigueur au jour du jugement,

- Prononce la mise hors de cause des sociétés Deseez Warwicker Partners et Socotec construction,

l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Met hors de cause les sociétés Nacarat et Abeille IARD et vie ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Generali vie ;

Condamne les sociétés Generali vie, Socotec construction et Deseez Warwicker Partners aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;