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lundi 20 février 2023

"La prescription ne s'allonge que devant l'aggravation du dommage" (droit public)

 Note L. Erstein, SJ G 2023, p. 396.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... B... et Mme C... B... et leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement la commune de Mauregard, la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP), la communauté de communes de la Plaine de France et la société Lyonnaise des eaux à leur verser la somme totale de 520 187,16 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement n° 0908107 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Melun a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF la somme de 26 124,42 euros, a mis à sa charge les frais des expertises et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt nos 17PA00862, 17PA00865 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B... et la compagnie Filia-MAIF et a mis les frais des expertises devant le tribunal administratif de Melun à la charge définitive de la société Suez Eau France.

Par une décision n° 427250 du 20 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté la requête de la société Suez Eau France et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Paris.

Par un arrêt n° 20PA03596 du 30 avril 2021, la cour administrative d'appel de Paris a annulé les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement du tribunal administratif de Melun et rejeté les conclusions présentées devant le tribunal administratif par M. et Mme B... et la société Filia-MAIF et dirigées contre la société Suez Eau France.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 20 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... et la société MAIF, venue aux droits de la société Filia-MAIF, demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société Suez Eau France, de la commune de Mauregard, de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers et de la communauté de communes des Plaines et Monts de France, venue aux droits de la communauté de communes de la Plaine de France, la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société MAIF et de M. et Mme B..., à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Suez Eau France et au cabinet Pinet, avocat de la commune de Mauregard ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B... ont constaté, à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, située sur le territoire de la commune de Mauregard (Seine-et-Marne), l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété. Après avoir obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Melun la désignation d'un expert et après le dépôt du rapport de cet expert, M. et Mme B... et leur assureur, la société Filia-MAIF, ont demandé, le 17 novembre 2009, au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de la commune de Mauregard et de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Dans le cadre de cette instance, la présidente du tribunal a désigné, par une ordonnance du 11 mai 2012, un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune de Mauregard ainsi que de la communauté de communes de la Plaine de France et de la société Lyonnaise des eaux. M. et Mme B... ont alors demandé au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert à réparer leurs préjudices. Par un jugement du 30 décembre 2016, le tribunal a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme B... la somme de 220 334,81 euros et à la société Filia-MAIF celle de 26 124,42 euros. Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B..., et mis les frais des deux expertises à la charge de la société. Par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société Suez Eau France, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris. Par un arrêt du 30 avril 2021, contre lequel M. et Mme B... et la société Filia-MAIF se pourvoient en cassation, la cour a annulé le jugement en tant qu'il a condamné la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, à verser des indemnités à M. et Mme B... et à la société Filia-MAIF, devenue MAIF, et mis à sa charge les frais des deux expertises et rejeté les conclusions présentées par M. et Mme B... et la société MAIF devant le tribunal administratif de Melun.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

En ce qui concerne le point de départ et la durée du délai de prescription :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ". Aux termes de l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". La prescription instituée par ces deux dispositions court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage. Les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription.

3. Le II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile dispose que : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". Il en résulte que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l'article 2270-1 du code civil. Après l'entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil. Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'application de l'article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.

En ce qui concerne l'interruption et la suspension du délai de prescription :

4. Aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ".

5. Aux termes de l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ". L'article 2239 du même code dans sa rédaction issue de la même loi dispose que : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ".

6. D'une part, il résulte tant des dispositions précitées de l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 que de l'article 2241 dans sa rédaction issue de cette même loi que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.

7. D'autre part, alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.

Sur le pourvoi :

8. En jugeant que le point de départ du délai de prescription ne pouvait être fixé à la date de l'aggravation des dommages subis par le bâtiment appartenant à M. et Mme B... au motif qu'une telle aggravation était la conséquence de l'abstention de ces derniers de prendre des mesures pour remédier aux désordres initialement constatés, alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher, ainsi qu'il a été dit au point 2, si les nouveaux dommages invoqués par les victimes constituaient des conséquences raisonnablement prévisibles des désordres survenus, insusceptibles de reporter le point de départ du délai de prescription, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme B... et la société MAIF sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

9. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur la requête d'appel de la société Suez Eau France :

En ce qui concerne le point de départ et la durée du délai de prescription :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la déclaration adressée à leur assureur par M. et Mme B... le 5 juillet 2002, que ceux-ci doivent être regardés comme ayant eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue des dommages qu'ils ont subis au plus tard en juin 2002. Par suite, il résulte des dispositions combinées des articles 2270-1 et 2224 du code civil et de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, que le délai de prescription de l'action des époux B... courait jusqu'au 30 juin 2012, sous réserve de causes d'interruption ou de suspension.

11. En second lieu, M. et Mme B... et leur assureur soutiennent que les désordres affectant leur propriété se sont aggravés en 2007, lorsque leur maison est devenue inhabitable, puis en 2020, lorsque le maire de Mauregard a pris un arrêté interdisant l'accès à la maison et ordonnant la démolition d'une partie du bâtiment pour des raisons de sécurité publique, et que, par suite, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date d'aggravation de ces désordres. Toutefois, dès lors que l'inhabitabilité de la maison et sa dangerosité imposant sa destruction partielle constituaient les conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres constatés en juin 2002, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'il n'y a pas lieu de reporter le point de départ de la prescription des dommages initialement constatés à la date de ces circonstances, lesquelles ne caractérisaient pas davantage, en l'espèce, des préjudices nouveaux pour lesquels courrait un délai de prescription propre.

En ce qui concerne l'interruption et la suspension du délai de prescription :

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. et Mme B... et la société Filia-MAIF ont engagé, le 18 décembre 2002, devant le tribunal administratif de Melun une procédure de référé sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative dans laquelle ils ont attrait la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France. En application des dispositions précitées de l'article 2244 du code civil, alors applicables, le délai de prescription a été interrompu jusqu'au jour de l'ordonnance du 6 janvier 2003 de désignation de l'expert. Par suite, la date de prescription de l'action de M. et Mme B... et de leur assureur a été reportée au 6 janvier 2013. En revanche, le cours de la prescription n'a pas été suspendu pendant la durée de l'expertise en application des dispositions de l'article 2239 du code civil, dès lors que celles-ci ne sont pas applicables aux expertises ordonnées avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ainsi qu'il a été dit au point 6.

13. En deuxième lieu, si M. et Mme B... et la société Filia-MAIF ont présenté une demande indemnitaire, enregistrée au tribunal administratif de Melun le 17 novembre 2009, ainsi qu'une demande de référé sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, enregistrée le 27 novembre 2009, ces demandes étaient dirigées contre la commune de Mauregard et la Société nouvelle des travaux publics et particuliers. Ces actions n'ont par suite pas interrompu le cours de la prescription à l'encontre de la société Suez Eau France. De même, la demande du 11 août 2011 de la commune de Mauregard, à laquelle se sont associés M. et Mme B... et la société Filia-MAIFen tant seulement qu'elle portait sur la détermination et l'évaluation des préjudices subis par M. et Mme B... et des travaux pour y remédier, tendant à ce que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris prescrive une nouvelle expertise ayant été rejetée par une ordonnance du 17 janvier 2012, cette demande n'a pas davantage interrompu le cours de la prescription à l'encontre de la société Suez Eau France. Enfin, si la commune de Mauregard a également saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun le 7 février 2012 d'une demande tendant à la prescription d'une nouvelle expertise, il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme B... et la société Filia-MAIF se soient associés à cette demande.

14. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 2245 du code civil dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 : " L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers ". D'une part, le contrat d'affermage conclu le 11 septembre 1992 entre la société Lyonnaise des eaux, devenue la société Suez Eau France, et le district de la Plaine de France auquel la commune de Mauregard avait délégué sa compétence en matière de gestion du service de distribution d'eau potable, qui stipule que la responsabilité de la société Suez Eau France ne peut être engagée que du fait des seuls dommages imputables au fonctionnement du service de distribution publique d'eau potable, ne prévoit pas d'obligation solidaire entre la société Suez Eau France et la commune de Mauregard ou la communauté de communes en cas de dommages imputables à l'existence et au fonctionnement de la borne d'incendie. D'autre part, aucune disposition législative ne prévoit une telle solidarité. La société Suez Eau France ne peut, par suite, être regardée comme un débiteur solidaire de la commune de Mauregard au sens de l'article 2245 du code civil précité, sans qu'ait d'incidence à cet égard la faculté qu'a le juge de condamner solidairement des coauteurs d'un dommage. Par suite, les actions en justice des époux B... et de leur assureur dirigées contre cette commune n'ont pas interrompu le délai de prescription contre la société Suez Eau France.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'action de M. et Mme B... et autre dirigée contre la société Lyonnaise des eaux, devenue la société Suez Eau France, était prescrite lorsqu'ils ont présenté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre cette société dans leur mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Melun le 12 juillet 2016. Par suite, la société Suez Eau France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun l'a condamnée à verser des indemnités à M. et Mme B... et à leur assureur, la société Filia-MAIF, et qu'il a mis à sa charge les frais des expertises.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Suez Eau France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. et Mme B... et de la société MAIF la somme de 2 000 euros à verser, d'une part, à la société Suez Eau France et, d'autre part, à la commune de Mauregard au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 30 avril 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Les articles 1er, 2, 3, 4 et 6 du jugement du 30 décembre 2016 du tribunal administratif de Melun sont annulés.
Article 3 : Les conclusions dirigées contre la société Suez Eau France présentées par M. et Mme B... et la société MAIF devant le tribunal administratif de Melun sont rejetées.
Article 4 : M. et Mme B... et la société MAIF verseront solidairement une somme de 2 000 euros, d'une part, à la société Suez Eau France et, d'autre part, à la commune de Mauregard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier requérant dénommé, à la société Suez Eau France, à la commune de Mauregard, à la Société nouvelle des travaux publics et particuliers et à la communauté de communes des Plaines et Monts de France.

ECLI:FR:CECHR:2023:454109.20230207

mercredi 25 janvier 2023

Gravité décennale des désordres

 Note Pagès-de-Varenne, Constr.-urb. 2023-3, p. 25.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 janvier 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 69 F-D

Pourvoi n° A 21-15.195




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023

La société Bartaccia, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 21-15.195 contre l'arrêt rendu le 17 février 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Zedda bâtiment, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Isola, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société Compagnie d'assurances mutuelles du Mans assurances IARD, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Bartaccia, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Isola, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Zedda bâtiment, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Compagnie d'assurances mutuelles du Mans assurances IARD, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 février 2021), par contrat du 30 juin 2005, la société civile immobilière Bartaccia (la SCI) a confié la construction d'une villa à la société Zedda bâtiment (la société Zedda), assurée auprès de la société Mutuelles du Mans assurances (la société MMA IARD).

2. La société Zedda a sous-traité les travaux d'étanchéité à la société Isola.

3. Un procès-verbal de réception avec réserves a été signé le 15 juin 2007.

4. Se plaignant de la survenance d'infiltrations en avril 2011 et juin 2012, la SCI a, après expertise, assigné en indemnisation les sociétés Zedda et MMA IARD.

5. La société Zedda a assigné la société Isola en intervention forcée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer que les désordres résultant des sinistres survenus les 18 avril 2011 et 29 juin 2012 ne revêtaient pas un caractère décennal et de rejeter ses demandes à l'encontre de la société Zedda, alors :

« 1°/ que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel que fixé par les conclusions respectives des parties ; que dans ses conclusions récapitulatives d'appel, la société Zedda a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a qualifié les désordres de décennaux ; qu'en déboutant néanmoins la SCI de ses demandes à l'encontre de la société Zedda fondées sur l'article 1792 du code civil au motif de l'absence de désordre de nature décennale, la cour d'appel a modifié l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en cas de pluralité de parties et sauf indivisibilité, les actes accomplis par ou contre l'un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres ; que pour rejeter les demandes formées par la SCI, l'arrêt retient qu'en l'absence de désordres de nature décennale, la SCI devait être déboutée de sa demande de condamnation de la société Zedda sur le fondement de l'article 1792 du code civil ; qu'en statuant ainsi quand la société Zedda a sollicité la confirmation du chef de dispositif du jugement ayant dit que les désordres revêtaient un caractère décennal et qu'en l'absence d'indivisibilité, les appels incidents formés par la société MMA IARD et la société Isola sur la nature décennale des désordres ne pouvaient lui profiter, la cour d'appel a violé les articles 323, 324 et 553 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que le premier juge avait retenu le caractère décennal des désordres au motif qu'ils compromettaient les conditions d'habitabilité de l'ouvrage et qu'en cause d'appel, la SCI et la société Zedda sollicitaient la confirmation de cette appréciation, tandis que les sociétés MMA IARD et Isola contestaient ce caractère décennal, la cour d'appel, sans modifier l'objet du litige qui portait sur la seule question de la nature des désordres, exclusive de toute notion d'indivisibilité, en a exactement déduit qu'elle devait se prononcer sur la nature décennale des désordres.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui est soumis ; que le rapport d'expertise judiciaire, auquel se réfère l'arrêt attaqué, mentionne que lorsque la société Zedda a décidé de supprimer le poste de dallage sur plots de la terrasse pour le remplacer par une chape de 15 cm, « l'étanchéité au droit des seuils n'était plus adaptée et plus assurée » et que le maître de l'ouvrage aurait dû être alerté « sur l'obligation de reprendre les travaux d'étanchéité en fonction afin qu'ils soient conformes aux normes et règles en vigueur » ; qu'en affirmant qu'il ressortait de l'ensemble des pièces versées aux débats que les désordres résultaient d'une mauvaise conception du système d'évacuation et non d'un problème d'étanchéité, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d'expertise judiciaire et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; constituent des désordres de nature décennale, les désordres qui, affectant l'étanchéité de l'ouvrage, provoquent des infiltrations d'eau dans les parties habitables ; qu'en affirmant que les désordres constatés n'avaient pas porté atteinte à l'habitabilité de l'ouvrage dès lors que les demandeurs avaient pu continuer à occuper le bien en dépit de la gêne occasionné par les infiltrations survenues au rez-de-chaussée du bâtiment sans rechercher, comme il lui était demandé, si ces infiltrations, provoquées par une étanchéité non conforme aux règles de l'art, n'étaient pas, en elles-mêmes, de nature à rendre une partie de l'ouvrage impropre à sa destination, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Dans un premier temps, la cour d'appel a constaté que, si lors des opérations d'expertise, les désordres n'étaient plus apparents en raison des travaux réalisés, l'expert avait pris connaissance des photographies et vidéos mettant en évidence des infiltrations survenues en niveau de rez-de-jardin et notamment en salle d'eau, dégagement et chambre, se situant à l'aplomb des murs extérieurs de la cuisine et du salon donnant sur la terrasse principale et que le rapport du cabinet Polyexpert du 8 février 2013 évoquait un plafond endommagé dans le dégagement et le couloir ainsi que des moisissures.

10. Puis, dans un second temps, elle a souverainement relevé que les propos de la SCI, rapportés dans les lettres du 6 juillet 2011 et du 29 juin 2012 faisant état de moisissures et de plafonds partiellement détruits, n'étaient confortés par aucun élément, que la SCI ne versait pas au débat les photographies qui avaient été adressées à l'expert sans être annexées au rapport et que le tableau de dommage dressé par le cabinet Polyexpert ne permettait pas davantage de prendre la mesure des désordres survenus courant 2011 et 2012, qui n'étaient pas décrits avec précision par l'expert.

11. En l'état de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes du rapport d'expertise rendait nécessaire, a pu, de ces seuls motifs, déduire qu'aucune des pièces versées au débat ne permettait à la SCI d'apporter la preuve de l'existence de désordres de nature décennale et a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la SCI a sollicité qu'il soit dit et jugé que la société Zedda avait effectué des malfaçons en lien direct avec son préjudice dont elle devait être déclarée responsable après s'être référée, dans les motifs de ses conclusions, au rapport d'expertise judiciaire qui a imputé les désordres d'une part à la décision prise par la société Zedda de remplacer le dallage sur plots par la réalisation d'une chape sur la terrasse sans alerter le maître d'ouvrage de la nécessité de reprendre les travaux d'étanchéité pour les mettre en conformité avec les normes et règles en vigueur, ni proposer de réaliser un caniveau devant les portes fenêtres et d'autre part à la réalisation d'évacuations d'eau insuffisantes au regard des surfaces collectées ; que pour débouter la SCI de sa demande en responsabilité fondée sur le droit commun, l'arrêt retient qu'elle s'est bornée à rappeler dans le corps de ses conclusions que l'article 1792 du code civil instaurait un régime de responsabilité sans faute et que de fait, dans sa discussion, elle ne caractérisait pas la faute imputable à la société Zedda ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en déboutant la SCI de sa demande en responsabilité sur le fondement du droit commun faute d'avoir caractérisé une faute imputable à la société Zedda sans répondre à ses conclusions d'appel aux termes desquelles elle invoquait les malfaçons imputables à la société Zedda en lien direct avec son préjudice en se référant au rapport d'expertise judiciaire qui a conclu que les désordres avaient pour origine la décision prise par la société Zedda de remplacer le dallage sur plots par la réalisation d'une chape sur la terrasse sans alerter le maître d'ouvrage de la nécessité de reprendre les travaux d'étanchéité ainsi que l'absence de réalisation d'un système d'évacuation d'eau suffisant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. La cour d'appel a rappelé, qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statuait que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinait les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils avaient été invoqués dans la discussion.

14. Elle a ensuite relevé que, dans le dispositif de ses conclusions, la SCI fondait ses demandes sur l'article 1792 du code civil et évoquait une faute des sociétés Zedda et Isola en lien direct avec ses préjudices, mais que dans le corps de ses conclusions, elle soutenait ne pas être tenue de démontrer l'existence d'une faute du constructeur, l'article 1792 du code civil instaurant un régime de responsabilité sans faute, et qu'elle ne caractérisait pas la faute imputable au constructeur, sa discussion portant sur le partage de responsabilité en raison de l'existence d'une faute reprochée au maître de l'ouvrage.

15. Elle en a exactement déduit, sans modifier l'objet du litige et répondant aux conclusions prétendument délaissées, que la SCI n'ayant pas caractérisé, dans la discussion de ses conclusions, une faute imputable à la société Zedda, sa demande fondée sur la responsabilité civile de droit commun devait être rejetée.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière Bartaccia aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

mardi 29 novembre 2022

1) Réception et révélation ultérieure de l'ampleur des désordres réservés; 2) EPERS et responsabilité décennale du fabricant; 3) L' assurance facultative de responsabilité professionnelle n'est pas l'assurance décennale obligatoire

 Note A. Caston, GP 2023-2, p. 46.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 799 FS-D

Pourvoi n° R 21-20.016




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

La société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-20.016 contre l'arrêt rendu le 29 avril 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (2ème chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Pessac stores, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 9],

2°/ à la société Aymeric du Médoc, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],

3°/ à la société Dynastore, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

4°/ à la société Enelat Sud-Ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

5°/ à M. [Z] [V], domicilié [Adresse 4],

6°/ à la société Bureau Véritas construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10],

7°/ à Mme [X] [N], épouse [V], domiciliée [Adresse 4],

8°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 8],

9°/ au syndicat des copropriétaires résidence Les Jardins des Chartrons, dont le siège est [Adresse 2], représenté par son syndic, la société Pichet, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [U],

10°/ à la société Advento, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],

11°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La société Dynastore a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz Iard, de la SCP Gaschignard, avocat de la société Dynastore, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Advento, de la société Mutuelle des architectes français (MAF), de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Grandjean, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Allianz Iard (la société Allianz) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Aymeric du Médoc et Enelat Sud-Ouest, M. [V], la société Bureau Véritas construction et Mme [N].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 avril 2021), la société civile immobilière Aymeric du Médoc, assurée en police dommages-ouvrage et constructeur non-réalisateur par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), a fait construire une résidence composée de huit bâtiments, dénommée le « Jardin des Chartrons ».

3. Elle a chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre la société Advento, assurée par la Mutuelle des architectes français, et a confié le lot stores et pose des stores à la société Pessac stores, qui s'est fournie auprès de la société Dynastore, assurée auprès de la société AGF, aux droits de laquelle vient la société Allianz.

4. Se plaignant, après réception, de désordres affectant les stores occultants, le syndicat des copropriétaires de la résidence Les Jardins des Chartrons (le syndicat des copropriétaires) a assigné la SMABTP en indemnisation.

5. Après avoir été condamnée, par un arrêt du 23 mars 2017, à réparer le préjudice subi par le syndicat des copropriétaires, la SMABTP a recherché la responsabilité de la société Dynastore sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. La société Dynastore fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Advento, la MAF et la société Allianz, à garantir la SMABTP des condamnations prononcées en faveur du syndicat des copropriétaires, de dire qu'elle supportera 50 % de cette condamnation avec la société Allianz et d'autoriser cette société à lui opposer la franchise contractuelle, alors :

« 1°/ que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ; que la société Dynastore faisait valoir qu'elle n'était intervenue que dans la fabrication de stores commandés par la société Pessac Stores, d'après les préconisations du CCTP, que c'était le maître d'oeuvre qui avait fait le choix d'opter pour un store occultant et non un volet roulant, malgré l'opposition de la société Pessac stores sur ce point, ce que le maître d'oeuvre lui-même reconnaissait et qu'elle avait donc livré, conformément à la commande « des stores de modèle Baby Screen et des toiles de modèle night » ; qu'elle niait avoir procédé à des prises de mesures sur place et indiquait avoir fabriqué les stores « à la dimension voulue et selon les commandes de son client » ; que pour retenir la responsabilité solidaire de la société Dynastore, la cour d'appel retient que celle-ci a élaboré un produit spécifique à partir du CCTP, qu'elle s'est rendue sur place et n'a pas fourni des notices techniques pour les modèles installés, ce qui confirmerait leur spécificité ; qu'en statuant par de tels motifs, d'où il ne résulte pas que la société Dynastore ait été seule investie d'une mission spécifique de conception et fabrication de stores destinés à un usage extérieur pour la résidence « Les Jardins des Chartrons », la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1792-4 du code civil ;

2°/ que la société Dynastore faisait valoir que sa responsabilité ne pouvait être recherchée sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil dès lors que les désordres dénoncés étaient apparents au moment de la réception, l'expert ayant notamment expressément relevé que « l'inadaptation et la fragilité des stores était apparentes à la réception pour un profane, d'autant qu'un certain nombre d'entre eux étaient déjà détériorés et cassés », et que c'est par voie de simple affirmation que le tribunal avait retenu que le désordre n'était apparu dans toute son ampleur qu'après la réception ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, ayant relevé que, si quelques réserves avaient été émises lors des opérations de réception des bâtiments B et F, les désordres affectant la quasi-intégralité des stores posés à l'extérieur de l'ensemble des bâtiments étaient de nature sensiblement différente à ceux initialement mentionnés dans les procès-verbaux et étaient apparus dans toute leur ampleur après les opérations de réception, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées.

8. D'autre part, la cour d'appel a relevé que la conception technique des stores extérieurs s'était avérée élaborée et approfondie dans la mesure où le fabricant avait construit deux prototypes à partir d'un matériel de série afin de s'adapter à la demande spécifique de la société Pessac stores.

9. Elle a ajouté que la société Dynastore n'avait pu fournir à l'expert judiciaire les notices techniques des stores correspondant aux modèles réellement installés, ce qui corroborait leur spécificité.

10. Elle a relevé que la démarche de la société Dynastore, qui s'était ponctuellement rendue sur le chantier, démontrait la spécificité de la demande du client.

11. Elle a, enfin, constaté que la société Pessac stores avait entrepris la pose des stores, qui ne pouvaient être qualifiés de standardisés, sans y apporter de modifications.

12. Ayant pu déduire, de ces constatations et énonciations, la responsabilité solidaire de la société Dynastore, elle a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société Allianz fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Advento, la MAF et la société Dynastore à garantir la SMABTP, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, des condamnations prononcées par l'arrêt du 23 mars 2017 en faveur du syndicat des copropriétaires au titre des désordres affectant les stores, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que pour juger que la clause d'exclusion selon laquelle « les dommages de la nature de ceux qui, en droit français, engagent la responsabilité des constructeurs en vertu des articles 1792, 1792-2, 1792-3 du code civil ou la responsabilité des fabricants ou assimilés en vertu de l'article 1792-4 du code civil », vidait le contrat d'assurance de son objet, et que ce contrat devait garantir, nonobstant toute clause contraire, la responsabilité décennale de la société Dynastore, la cour d'appel a estimé que l'assurance souscrite par cette dernière, auprès de la société Allianz Iard, avait été souscrite en vertu de l'article L. 241-1 du code des assurances, et qu'il s'agissait donc d'une assurance de responsabilité décennale ; qu'en statuant de la sorte, tandis que la police d'assurance souscrite par la société Dynastore était une assurance facultative de responsabilité civile professionnelle après livraison, et non pas une assurance obligatoire de responsabilité décennale, ce dont il résultait que la clause d'exclusion évoquée ne vidait pas le contrat d'assurance de son objet, et que cette assurance ne garantissait pas la responsabilité de décennale de la société Dynastore, la cour d'appel a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

14. Pour condamner la société Allianz, l'arrêt retient que, si l'assureur conteste devoir sa garantie en considérant que la police d'assurance exclut les dommages survenus après la livraison du produit ou la réception des travaux qui engagent la responsabilité des constructeurs en vertu des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil ou celle des fabricants ou assimilés en vertu de l'article 1792-4 du même code, à partir du moment où il est établi que la responsabilité de la société Dynastore est avérée, sur le fondement des dispositions de l'article 1792-4 du code civil, tout contrat d'assurance souscrit en vertu de l'article L. 241-1 du code des assurances est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale pesant sur l'assuré.

15. L'arrêt ajoute qu'il résulte des dispositions de l'article 1792-5 du code civil que la clause litigieuse écartant le jeu de la responsabilité légale doit être réputée non écrite.

16. En statuant ainsi, alors que la police d'assurance souscrite par la société Dynastore auprès de la société Allianz était une assurance facultative de responsabilité professionnelle après livraison et non pas une assurance de responsabilité obligatoire souscrite en application de l'article L. 241-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation prononcée ne s'étend pas au chef de dispositif qui condamne la société Pessac, in solidum avec la SMABTP, sous réserve de sa franchise contractuelle de 10 % du montant des dommages avec un minimum de 695 euros et un maximum de 6 950 euros, à relever et garantir la société Advento et la MAF d'une part, la société Dynastore et la société Allianz d'autre part à concurrence de 30 % chacune de ces condamnations.

18. En effet, la société Allianz n'est pas recevable à contester ce chef de dispositif qui ne lui fait pas grief.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Allianz Iard, in solidum avec la société Advento, la MAF et la société Dynastore à garantir la SMABTP, assureur dommages-ouvrage, des condamnations prononcées par l'arrêt du 23 mars 2017 en faveur du syndicat des copropriétaires de la résidence Les Jardins des Chartrons, dit que, dans les rapports entre ces sociétés, la société Allianz Iard supporterait, in solidum avec la société Dynastore, 50 % de cette condamnation, condamne la société Allianz Iard au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette ses demandes à ce titre, l'arrêt rendu le 29 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;

Condamne la société Dynastore aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Dynastore à payer à la société Allianz Iard la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;