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lundi 8 août 2022

Caducité de la déclaration d'appel faute de demande d'infirmation ou de réformation de la décision critiquée : charge procédurale nouvelle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 591 FS-B

Pourvoi n° R 20-22.588


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

Mme [J] [L], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-22.588 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des déférés), dans le litige l'opposant à la société Taxis Mario, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Taxis Mario, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 octobre 2020), Mme [L] a relevé appel, le 28 juillet 2017, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société Taxis Mario.

2. La société Taxis Mario a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté l'incident de caducité qu'elle avait soulevé, tiré de ce que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contenait aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 908 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

3. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer caduc l'appel du 28 juillet 2017, alors « qu'aux termes de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; que dès lors, ne saurait être prononcée la caducité d'une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020, au motif que l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, dès lors que la caducité de l'instance, qui prive le justiciable de tout recours, y compris en cassation, prive a fortiori l'appelante du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquences de l'annulation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.

13. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe n° 10 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel d'Orléans.

Condamne la société Taxis Mario aux dépens en ceux compris ceux exposés devant la cour d'appel d'Orléans au titre de la procédure d'incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Formalisme de la déclaration d'appel, charge procédurale nouvelle et CEDH

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 599 F-D

Pourvoi n° D 21-11.817




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

M. [M] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-11.817 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (Pôle 6, Chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Hop !, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Hop ! Brit Air, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [H], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2020), M. [H] a relevé appel, le 15 juin 2018, du jugement d'un conseil de prud'hommes l'ayant débouté de ses demandes dans un litige l'opposant à la société Hop !.

2. Lors des débats, la cour d'appel a relevé d'office la caducité de la déclaration d'appel, faute, pour les premières conclusions de l'appelant, de mentionner dans leur dispositif qu'il était conclu à l'infirmation totale ou partielle du jugement entrepris, et a invité les parties à s'en expliquer.

Sur le moyen

Enoncé du moyen

3. M. [H] fait grief à l'arrêt de déclarer caduque la déclaration d'appel, alors « que le droit au procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, s'oppose à ce que la règle, issue d'une interprétation nouvelle d'une disposition du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, selon laquelle une cour d'appel ne peut que confirmer le jugement entrepris lorsque l'appelant ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions son infirmation ou son annulation, s'applique aux instances introduites par une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020 ; qu'en déclarant caduque la déclaration d'appel de M. [H], faute pour le salarié d'avoir indiqué dans le dispositif de ses premières conclusions d'appel qu'elle tendait à l'annulation, la réformation ou l'infirmation du jugement entrepris, quand elle constatait que la déclaration d'appel lui était parvenue le 15 juin 2018, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. A défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour déclarer d'office caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par M. [H], ne comporte pas de demande d'annulation, de réformation ou d'infirmation du jugement entrepris, et que l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, dont se prévaut l'appelant, est relatif à une espèce totalement distincte de la présente et ne peut valablement lui être transposé d'autant que la question tranchée concerne le fond, se situe au moment des débats devant la cour d'appel, et ne concerne en rien une quelconque caducité de la déclaration d'appel en amont de la procédure, dont le régime est désormais bien fixé au regard des articles 908 et 954 du code de procédure civile.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 15 juin 2018, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver M. [H] d'un procès équitable au sens de l'article 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Hop ! aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

vendredi 5 août 2022

Formalisme de la déclaration d'appel, nouvelle charge procédurale et CEDH

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 612 F-D

Pourvoi n° Y 21-13.698








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

1°/ M. [N] [P] [H],

2°/ Mme [X] [J] [C], épouse [P] [H],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Y 21-13.698 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), dans le litige les opposant au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. et Mme [P] [H], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 20 janvier 2021), M. et Mme [P] [H]
ont relevé appel, le 14 décembre 2018, du jugement les ayant déboutés de leur demande d'annulation de l'avis de recouvrement du 22 novembre 2016 portant sur des rectifications au titre de l'impôt sur la fortune.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. et Mme [P] [H] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 2 octobre 2018 du tribunal de grande instance de Bastia et de les débouter de leurs demandes subsidiaires formées en cause d'appel, alors « que s'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque le dispositif des conclusions de l'appelant ne demande ni l'infirmation ni l'annulation du jugement dont appel la cour d'appel ne peut que confirmer ce jugement, cette règle procédurale n'a été posée par la Cour de cassation dans un arrêt publié que par son arrêt du 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, B+I) et son application aux instances d'appel introduites avant le prononcé de l'arrêt du 17 septembre 2020 violerait le droit aux procès équitable des appelants ; que pour confirmer le jugement frappé d'appel par les époux [P] [H], l'arrêt attaqué a retenu que dans le dispositif de leurs conclusions ils ne forment aucune demande de réformation ou d'infirmation jugement, que les articles 542 et 954 du code de procédure civile, applicables au litige, sont claires et ne nécessitent pas d'interprétation, qu'il n'y a donc pas lieu d'en reporter l'application au prononcé d'un arrêt publié par la Cour de cassation, que dès lors il ne peut être statué sur une réformation sauf à statuer ultra petita et que parallèlement l'intimé sollicite la confirmation du jugement ; qu'en conférant ainsi aux textes susmentionnés une portée non prévisible pour les époux [P] [H] au jour de leur appel, le 14 décembre 2018, cette portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 septembre 2020, et en appliquant cette règle de procédure dans l'instance en cours, la cour d'appel a privé les époux [P] [H] d'un procès équitable et violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 542 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

3. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

4. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

5. A défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

6. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

7. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

8. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir relevé que la déclaration d'appel a été remise le 14 décembre 2018, retient que, dans le dispositif de leurs écritures énonçant les prétentions sur lesquelles la cour doit statuer en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, M. et Mme [P] [H] ne forment aucune demande de réformation ou d'infirmation des chefs du jugement.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 14 décembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. et Mme [P] [H] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne le directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Caducité de la déclaration d'appel et "charge procédurale nouvelle"

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 628 F-D

Pourvoi n° D 21-11.265






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

M. [D] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 21-11.265 contre les arrêts rendus les 28 mai et 10 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société Isatech, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Isatech, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Rennes, 28 mai 2020 et 10 septembre 2020),
M. [L] a relevé appel, le 17 août 2017, du jugement d'un conseil de prud'hommes le déboutant de ses demandes dans un litige l'opposant à la
société Isatech.

2. Par arrêt avant dire droit du 28 mai 2020, la cour d'appel a relevé d'office
la caducité de la déclaration d'appel, faute, pour les premières conclusions
de l'appelant, de mentionner dans leur dispositif qu'il était conclu à l'infirmation totale ou partielle du jugement entrepris, et a invité les parties à
s'en expliquer.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [L] fait grief à l'arrêt du 10 septembre 2020 de déclarer caduque la déclaration d'appel, alors :

« 1°/ que si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, se prête à des limitations notamment quant aux conditions d'exercice d'un recours, ces limitations ne se concilient avec l'article 6, § 1, de la convention européenne des droits de l'homme que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; qu'en conséquence l'application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d'accès à un tribunal quand l'interprétation trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche effectivement l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé ; qu'en affirmant que la sanction de la caducité de la déclaration d'appel ne constituait pas une sanction disproportionnée au but poursuivi, sans rechercher, comme elle y était invitée (cf conclusions d'incident de M. [L] p 3), si, concrètement, au regard de l'objectif de célérité de la justice, la sanction de la caducité de la déclaration d'appel n'était pas dans le cas présent disproportionnée quand les conclusions d'appel n° 2 de M. [L] prises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, si elles ne précisaient effectivement pas formellement au niveau du dispositif qu'il était sollicité l'infirmation totale ou partielle le précisaient cependant à plusieurs reprises et de manière expresse dans le corps desdites écritures, ce qui révélaient la volonté réelle de M. [L], la cour d'appel, qui a, contrairement à ce qu'elle a énoncé, apporté au droit d'accès au tribunal de M. [L] une restriction excessive, a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile du code de procédure civile ;

2°/ que la prise en considération d'un changement de norme, tel un revirement de jurisprudence, tant qu'une décision irrévocable n'a pas mis un terme au litige, relève de l'office du juge auquel il incombe alors de réexaminer la situation à l'occasion de l'exercice d'une voie de recours ; que l'exigence de sécurité juridique ne consacre au demeurant pas un droit acquis à une jurisprudence figée, et un revirement de jurisprudence, dès lors qu'il donne lieu à une motivation renforcée, satisfait à l'impératif de prévisibilité de la norme ; que si par un arrêt publié en date du 17 septembre 2020 (pourvoi 18.23.626), la Cour de cassation a décidé qu'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que la Cour de cassation a cependant décidé que l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable et elle en a déduit qu'en conséquence, se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui infirme un jugement sans que cette infirmation n'ait été demandée dès lors que la déclaration d'appel est antérieure au présent arrêt ; qu'en prononçant néanmoins la caducité de la déclaration d'appel de M. [L] dont elle a pourtant constaté qu'elle avait été reçue au greffe de la cour le 17 août 2017, soit antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 et par la même à l'arrêt précité de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, la cour d'appel, qui a apporté au droit d'accès au tribunal de M. [L] une restriction excessive, a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 542 et 954 du code de procédure civile du code de procédure civile ;

3°/ que la prise en considération d'un changement de norme, tel un revirement de jurisprudence, tant qu'une décision irrévocable n'a pas mis un terme au litige, relève de l'office du juge auquel il incombe alors de réexaminer la situation à l'occasion de l'exercice d'une voie de recours ; que l'exigence de sécurité juridique ne consacre au demeurant pas un droit acquis à une jurisprudence figée, et un revirement de jurisprudence, dès lors qu'il donne lieu à une motivation renforcée, satisfait à l'impératif de prévisibilité de la norme ; que la Cour de cassation a posé comme règle que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que dès lors en décidant que les dernières écritures de M. [L] prises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile comportaient un dispositif ne concluant pas expressément à l'infirmation totale ou partielle du jugement déféré, il y avait lieu de constater la caducité de sa déclaration d'appel quand la cour d'appel, si cette règle avait été applicable à la présente espèce, n'aurait pu que confirmer le jugement déféré, la cour d'appel a violé les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La société Isatech conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la première branche est nouvelle et que les deuxième et troisième branches sont contraires à la thèse soutenue devant la cour d'appel.

5. Cependant, M. [L] ayant invoqué devant la cour d'appel l'atteinte disproportionnée portée à son droit d'accès au juge, et l'arrêt du 17 septembre 2020, dont il invoque la portée devant la Cour de cassation, n'étant pas connu lorsqu'il a conclu devant les juges du fond, le moyen n‘est pas nouveau en sa première branche et ne peut pas être contraire, en ses deuxième et troisième branches, à la thèse soutenue devant les juges du fond.

6. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

8. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

9. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

10. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

11. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

12. Pour déclarer d'office caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que les conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par M. [L], comportent un dispositif ne concluant pas expressément à l'infirmation totale ou partielle du jugement, sans qu'il en résulte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 17 août 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver M. [L] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 28 mai 2020 et 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne la société Isatech aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Charge procédurale nouvelle et caducité de la déclaration d'appel

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 juin 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 698 F-D

Pourvoi n° M 20-20.882







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2022

M. [E] [J], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-20.882 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Wolters Kluwer France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Wolters Kluwer France, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Kermina, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2020), M. [J], salarié de la société Wolters Kluwer France, ayant saisi un conseil des prud'hommes aux fins de voir constater son licenciement sans cause réelle et sérieuse, a interjeté appel le 23 novembre 2017 du jugement qui l'a débouté de ses demandes.
Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [J] fait grief à l'arrêt attaqué de dire caduque sa déclaration d'appel, alors :

« 1°/ que la nouvelle règle, posée par la Cour de cassation dans un arrêt publié du 17 septembre 2020 (pourvoi n° 18-23.626), selon laquelle lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, n'est pas applicable aux instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt ; qu'en disant caduque la déclaration d'appel de l'exposant au motif que le dispositif de ses conclusions d'appel ne contenait aucune demande d'infirmation du jugement de première instance quand l'appel avait été interjeté le 23 novembre 2017, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que la caducité de la déclaration d'appel n'est pas encourue lorsque le dispositif des conclusions de l'appelant ne contient pas de demande d'infirmation ou d'annulation du jugement de première instance ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

3. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

4. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

5. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

6. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15.766, publié).

7. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

8. Pour déclarer d'office caduque la déclaration d'appel formée le 23 novembre 2017 par M. [J], l'arrêt, après avoir invité les parties à s'expliquer sur la portée des articles 542, 562, 908 et 954 du code de procédure civile, relève que le dispositif des conclusions de l'appelant ne contient aucune demande d'infirmation et qu'en l'absence de conclusions conformes aux dispositions de l'article 954 du code précité remises au greffe dans le délai fixé par l'article 908, la déclaration d'appel est donc caduque.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 23 novembre 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver M. [J] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Wolters Kluwer France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

mercredi 16 mars 2022

L'application de cette règle de procédure instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours aboutissait à priver Mme [O] d'un procès équitable

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 232 F-D

Pourvoi n° Y 20-23.446









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2022

Mme [L] [O], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Y 20-23.446 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Polysurfaces France Ouest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Hôtel Royal Saint-Germain, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), Mme [O], estimant ne pas avoir été remplie de ses droits et contestant le bien-fondé de son licenciement par la société Polysurfaces France Ouest qui l'avait mise à la disposition de la société Hôtel Royal Saint-Germain, a saisi un conseil de prud'hommes qui l'a déboutée de ses demandes.

2. Mme [O] a interjeté appel le 1er août 2018.

3. La cour d'appel a relevé d'office la caducité de sa déclaration d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [O] fait grief à l'arrêt de déclarer sa déclaration d'appel caduque, alors :

« 1°/ que si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; que les conclusions d'appelante de Mme [O] ont été régulièrement notifiées et déposées en 2018 alors qu'elle ne pouvait ni connaître ni prévoir l'obligation nouvelle de mentionner dans le dispositif de ses conclusions une demande d'infirmation du jugement, qui a été consacrée pour la première fois par un arrêt publié de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 et qui résulte de l'interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du code de procédure civile au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; que dès lors, l'application immédiate de cette nouvelle règle de procédure à l'instance introduite par une déclaration d'appel antérieure à l'arrêt la consacrant aboutit à priver Mme [O] d'un procès équitable en lui interdisant l'accès au juge d'appel ; qu'en appliquant cependant cette nouvelle règle de procédure à l'instance introduite par Mme [O] deux années auparavant, la cour d'appel a violé l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en tout état de cause, lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; qu'en déclarant la déclaration d'appel déposée en 2018 par Mme [O] caduque au motif que ses conclusions remises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile comportent un dispositif qui ne sollicite à aucun moment l'infirmation totale ou partielle du jugement quand la cour d'appel pouvait seulement confirmer le jugement, la cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile tels qu'interprétés au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office la
caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d‘appel si les conditions en sont réunies.

6. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties
à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

7. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient qu'il se déduit de la combinaison des articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile que les conclusions d'appelant devant être remises au greffe dans le délai de trois mois, à compter de la déclaration d'appel, doivent déterminer l'objet du litige soumis à la cour d'appel portant sur la réformation partielle ou totale ou l'annulation du jugement entrepris. Il ajoute que, sur la question de la présentation des prétentions, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a repris in extenso les prescriptions applicables antérieurement, de sorte que le non-respect de ces dispositions caractérise une absence de conformité substantielle des conclusions de l'appelante et que ces règles, découlant de ce même décret, entré en vigueur le 1er septembre 2017, soit onze mois avant la déclaration d'appel de Mme [O], encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel selon lesquelles la partie appelante est représentée par un professionnel du droit, sont dépourvues d'ambiguïté et ne remettent pas en cause le droit à l'accès au juge d'appel et le droit à un procès équitable.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours aboutissant à priver Mme [O] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne les sociétés Polysurfaces France Ouest et Hôtel Royal Saint-Germain aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Polysurfaces France Ouest et Hôtel Royal Saint-Germain à payer à Mme [O] la somme globale de 3 000 euros ;

mardi 8 mars 2022

Charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel et procès équitable

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 février 2022




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 150 F-D

Pourvoi n° J 20-19.753


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 FÉVRIER 2022

M. [E] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-19.753 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [D], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz Iard, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 1er juillet 2020), à la suite d'un accident de la circulation dont a été victime M. [D], qui bénéficiait d'un contrat d'assurance avec la société AGF, celle-ci a été tenue d'indemniser son assuré au titre de son préjudice corporel.

2. M. [D] a assigné la société Allianz Iard, venant aux droits de la société AGF, devant un tribunal de grande instance, en paiement de diverses sommes, dont une, en principal, assortie des intérêts légaux capitalisés depuis le 29 avril 2015, au titre de la garantie corporelle.

3. Par jugement en date du 4 septembre 2018, M. [D], partiellement débouté de ses demandes, a relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. M. [D] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bastia le 4 septembre 2018, alors « qu'en toute hypothèse, si la Cour de cassation vient de décider, par un arrêt du 17 septembre 2020 (pourvoi n° 18-23.626), que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de l'arrêt qu'elle a rendu le 17 septembre 2020, aboutit à priver l'appelant du droit à un procès équitable ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ainsi que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du code de procédure civile, de relever d'office la
caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies.

6. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties
à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

7. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que, dans le dispositif de ses écritures, énonçant les prétentions sur lesquelles la cour doit statuer en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, M. [D] ne forme aucune demande de réformation, et que la cour d'appel ne peut statuer sur une réformation, sauf à statuer ultra petita. Il en déduit qu'en l'absence de demande de réformation formée par l'appelant et d'élément nouveau ou de moyens susceptibles d'être relevés d'office par la cour, le jugement, tel que déféré par l'appel, ne peut qu'être confirmé.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 24 septembre 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [D] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquence de l'annulation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a confirmé le jugement entraîne celle du chef du dispositif rejetant la demande de M. [D] tendant à dire que la somme due s'élevait à 113 360 euros, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Allianz Iard aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;