Affichage des articles dont le libellé est contrôle. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est contrôle. Afficher tous les articles

mercredi 9 avril 2025

Notion d'autorité de la chose jugée,

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

MB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 mars 2025




Cassation partielle


Mme SCHMIDT, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 176 F-D

Pourvoi n° W 23-22.099




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 MARS 2025

La société Crédit mutuel de la Jaille, caisse locale de crédit mutuel, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° W 23-22.099 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2023 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [K] [Y] [C], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société Aja, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de M. [W] [Z], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de M. [K] [Y] [C] à l'adresse de l'établissement secondaire, [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Crédit mutuel de la Jaille, après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guillou, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 5 septembre 2023) rendu sur renvoi après cassation (Com., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-19.127), M. [C] a été mis en redressement judiciaire le 27 octobre 2010.

2. Le plan de redressement a été arrêté par un jugement du 18 avril 2012, M. [Z] étant désigné commissaire à l'exécution du plan.

3. Le 9 décembre 2012, le jugement ayant ouvert la procédure de redressement judiciaire a été publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 9 décembre 2012.

4. Après avoir déclaré une créance chirographaire le 20 décembre 2012, la société Crédit mutuel de la Jaille (la banque) a saisi le juge-commissaire aux fins d'admission de sa créance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'admission de créance, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; que pour débouter la Caisse de sa demande d'admission de sa créance au passif de M. [C], la cour d'appel retient que ¿¿le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous, que cette opposabilité est d'ordre public et ce peu important l'erreur ou l'omission figurant en son sein [?]'' pour en déduire que ¿¿le jugement du 18 avril 2012, homologuant le plan de continuation publié le 12 juin 2012 et n'ayant fait l'objet d'aucun recours, est devenu définitif et irrévocable [?] de sorte que la créance du Crédit mutuel de la Jaille ne peut désormais plus être admise'' ; qu'en statuant ainsi sans procéder à l'analyse du dispositif du jugement du 18 avril 2012 lequel est seul revêtu de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351, devenu 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil :

7. Il résulte de ce texte que l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et qui a été tranché dans son dispositif entre les mêmes parties et fondé sur la même cause.

8. Pour rejeter la demande d'admission de créance de la banque, l'arrêt, après avoir énoncé que le jugement qui arrête le plan, dont le dispositif a eu dès son prononcé autorité de chose jugée, en rend les dispositions opposables à tous et que cette opposabilité est d'ordre public peu important l'erreur ou l'omission figurant en son sein, retient que le jugement du 18 avril 2012 homologuant le plan de continuation publié le 12 juin 2012, n'ayant fait l'objet d'aucun recours, est devenu «définitif» et irrévocable.

9. En se déterminant ainsi, sans procéder à l'analyse du dispositif du jugement du 18 avril 2012, lequel est seul revêtu de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le respect de l'autorité de chose jugée, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Crédit mutuel de la Jaille tendant à écarter les écritures des intimés, l'arrêt rendu le 5 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée ;

Condamne M. [C] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:CO00176

mardi 16 mai 2023

Pénalités de retard, forfait, causalité et contrôle de la Cour de cassation

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 311 FS-B


Pourvois n°
H 21-24.884
F 21-25.619 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

La société Niort 94, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé les pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 contre le même arrêt rendu le 1er septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans les litiges l'opposant à :

1°/ la société Art Maniac, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ la société [R], société civile professionnelle, en la personne de M. [Z] [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse aux pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 invoque, à l'appui de ses recours, trois moyens identiques de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Niort 94, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Art Maniac et de la société [R], ès qualités, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mme Abgrall, conseiller, Mme Djikpa, conseiller référendaire, complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L.431-3 du code de l'organisation judiciaire, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-24.884 et 21 25.619 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte à la société civile professionnelle [R], en la personne de M. [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, mise en liquidation judiciaire le 13 juin 2022, de sa reprise d'instance.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er septembre 2021), pour la réalisation de la construction d'un établissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes, la société Niort 94, maître de l'ouvrage, a confié, selon deux marchés à forfait, à la société Art Maniac les lots revêtements souples et peinture.

4. Le délai d'exécution des marchés était prévu, selon le calendrier d'exécution notifié à l'entreprise, du 23 décembre 2013 au 6 juin 2014.

5. La réception a eu lieu le 8 septembre 2015.

6. La société Art Maniac a notifié à la société Niort 94 ses mémoires définitifs pour les deux lots, incluant le coût de certains travaux supplémentaires et des dépenses résultant du prolongement du délai d'exécution.

7. Après rectification des mémoires par le maître d'oeuvre, la société Niort 94 a notifié les décomptes définitifs à l'entreprise.

8. Contestant ces derniers, la société Art Maniac a assigné la société Niort 94 en paiement de diverses sommes. La société Niort 94 a sollicité reconventionnellement le paiement d'une somme au titre des pénalités de retard.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :

« 1°/ qu'en relevant d'office le moyen selon lequel les travaux supplémentaires devaient être considérés comme acceptés sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'ils avaient été retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant, pour condamner la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que "le tribunal de commerce a considéré comme ayant été acceptés sans équivoque par le maître d'ouvrage les seuls travaux supplémentaires retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012", quand le tribunal n'avait abordé ni la question de l'acceptation non équivoque du maître d'ouvrage ni celle de l'application de la norme NF P 03.001, mais avait seulement retenu que le maître d'oeuvre avait "corrigé" les projets de décomptes finaux et que le tribunal tiendrait compte des décomptes corrigés, la cour d'appel a dénaturé le jugement rendu le 3 novembre 2017 par le tribunal de commerce, et a ainsi méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;

3°/ que le contrat de louage d'ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d'oeuvre mandat de représenter le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir que les deux marchés confiés à la société Art Maniac étaient stipulés à forfait et qu'elle n'avait pas accepté les travaux supplémentaires dont cette dernière demandait paiement, seul un ordre de service signé par la maîtrise d'ouvrage pouvant justifier une demande de paiement de travaux supplémentaires ; qu'en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que ceux-ci avaient été "retenus par le maître d'oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins", sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d'oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs aux fins d'approuver des travaux supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 (ancien) et 1793 du code civil ;

4°/ que lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac le prix de travaux supplémentaires retenus par le maître d'oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d'appel a retenu que ces travaux, non contestés par le maître d'ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs étaient réputés acceptés sans équivoque "par suite de son silence en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012" ; qu'en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales et que la société Niort 94 contestait avoir commandé des travaux supplémentaires, sans relever l'existence d'une autorisation écrite donnée par cette dernière et d'un prix convenu avec elle, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel, abstraction faite d'une référence inopérante mais surabondante au silence gardé par le maître de l'ouvrage durant le délai lui étant imparti, à compter de la réception du mémoire de l'entreprise, pour notifier à celle-ci, après vérification, le décompte définitif, en application de la norme NF P 03.001, a, sans dénaturation du jugement, dont elle s'est bornée à restituer le raisonnement sous-tendant les motifs, ni relever un moyen d'office, retenu, sans être tenue de procéder à une recherche sur un éventuel mandat du maître d'oeuvre que ses constatations rendaient inopérante, que la notification par le maître de l'ouvrage des décomptes définitifs à l'entreprise, incluant le coût de certains travaux supplémentaires, qui était dans le débat, était sans équivoque, faisant ainsi ressortir que celle-ci valait acceptation expresse et non équivoque desdits travaux, réalisés hors forfait.

11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

12. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :

« 1°/ qu'en relevant d'office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, le moyen selon lequel il ressortait des dispositions de l'article 1 du titre VI du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), relatif aux délais, que "si des retards s'accumulent dans l'exécution du chantier, le maître de l'ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu'il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant", sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, qu'il ressortait des dispositions de l'article 1 du titre VI du CCAP, relatif aux délais, que "si des retards s'accumulent dans l'exécution du chantier, le maître de l'ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu'il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant", la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en retenant successivement que le maître d'ouvrage était nécessairement comptable des retards dans l'exécution du chantier puis qu'"il résulte des développements précédents que (...) l'accumulation des retards sur le chantier ne peut être imputée qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination", la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que le titre VI du CCAP, intitulé "délais" définissait, en son article 2, la notion de "retard" comme "tout manquement aux prescriptions relatives à l'engagement de délai des entreprises", la distinguant très nettement de la notion de "prolongation de délais" accordée par le maître d'ouvrage en raison de modifications qu'il aurait demandées, définie à l'article 1 du même titre ; qu'en retenant qu'il résultait de l'article 1 du titre VI du CCAP que tout retard de chantier procéderait nécessairement d'une faute du maître d'ouvrage dès lors que seul celui-ci aurait, en application du CCAP, le pouvoir d'accorder des prolongations de délai, la cour d'appel a méconnu les dispositions du CCAP, violant l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

5°/ que le CCAP stipulait, à l'article 6 de la section VI, que "dans le cas où le maître d'ouvrage ne pourrait, pour une raison quelconque, remettre à l'entrepreneur la disposition du chantier à la date précise, le délai imparti à l'entrepreneur sera simplement allongé d'autant de jours qu'il y aurait eu de retard, sans que l'entrepreneur puisse arguer de ce fait pour émettre une réclamation", excluant, de fait, toute indemnisation de l'entrepreneur du fait du retard dans la mise à disposition du site ; qu'en allouant néanmoins à la société Art Maniac une somme de 28 618,44 euros HT au titre des retards dans la mise à disposition du site, la cour d'appel a méconnu les dispositions précitées du CCAP, violant l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

6°/ qu'en relevant d'office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier nonobstant le caractère forfaitaire du marché, le moyen selon lequel le maître d'oeuvre, en validant quatre mois de délais supplémentaires, aurait admis la "responsabilité pour manquement du maître de l'ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d'exécution des travaux", sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

7°/ que le contrat de louage d'ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d'oeuvre mandat de représenter le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir qu'elle n'était en aucun cas responsable de l'allongement de la durée d'exécution du chantier avant l'intervention de la société Art Maniac ; qu'en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier, que le maître d'oeuvre, en validant quatre mois de délai supplémentaires, avait admis la "responsabilité pour manquement du maître de l'ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d'exécution des travaux", sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d'oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 (anciens) du code civil ;

8°/ qu'en retenant, pour caractériser l'existence d'un préjudice de la société Art Maniac, "que s'agissant d'une entreprise de taille modeste, elle avait nécessairement refusé d'autres marchés en considération des dates d'intervention contractuellement prévues", la cour d'appel a derechef statué par voie de simple affirmation, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

9°/ qu'en relevant d'office le moyen selon lequel le paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d'oeuvre et que, le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

10°/ que lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier retenue par le maître d'oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d'appel a retenu que le paiement d'une indemnité correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre imputé à l'allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d'ouvrage dès lors qu'il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d'oeuvre et que, le maître d'ouvrage n'ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l'article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 ; qu'en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales, sans relever l'existence d'une autorisation écrite donnée par la société Niort 94 et d'un prix convenu avec elle, la cour d'appel a violé l'article 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. En premier lieu, les griefs des cinq premières branches sont inopérants pour se rattacher à des motifs surabondants.

14. En second lieu, la cour d'appel, devant laquelle la société Art Maniac sollicitait, à titre subsidiaire, s'agissant des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, qu'elle fît sienne le raisonnement des premiers juges suivant lequel la somme retenue à ce titre dans le décompte définitif qui avait été notifié par le maître de l'ouvrage à l'entreprise, devait être regardée comme étant due, a retenu, sans relever d'office un moyen qui n'aurait pas été dans le débat ni méconnaître le caractère forfaitaire du marché, que dans sa lettre de contrôle des projets de décomptes finaux de la société Art Maniac, le maître d'oeuvre avait indiqué que l'OPC avait validé quatre mois de délai supplémentaire, répartis sur les deux lots, soit un surcoût total à ce titre de 28 618 euros, et que la société Niort 94 avait notifié, sans rectification ni contestation, les décomptes définitifs à l'entreprise.

15. Elle a pu déduire de ce seul motif, sans être tenue de procéder à une recherche sur un éventuel mandat du maître d'oeuvre que ses constatations rendaient inopérante, qu'en notifiant à l'entreprise les décomptes définitifs incluant cette somme, le maître de l'ouvrage avait expressément admis que l'allongement du délai d'exécution du chantier résultait, dans cette limite, de son propre fait et non du fait de celle-ci, de sorte que la somme correspondante était due.

16. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

17. La société Niort 94 fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre des pénalités contractuelles de retard, alors :

« 2°/ qu'en écartant les demandes de la société Niort 94 tendant à l'application à la société Art Maniac de pénalités contractuelles de retard pour avoir exécuté ses lots en douze mois au lieu de cinq mois et demi, que l'accumulation des retards de chantiers n'était imputable "qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination", quand ces motifs, relatifs uniquement au retard dans la mise à disposition du chantier, étaient inopérants à justifier le dépassement de durée intrinsèque de l'intervention de la société Art Maniac, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103, anciennement 1134, du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour débouter la société Niort 94 de ses demandes tendant à l'application à la société Art Maniac de pénalités contractuelles de retard pour avoir exécuté ses lots en douze mois au lieu de cinq mois et demi, que sa responsabilité au titre des retards apportés à l'exécution de ses lots n'était nullement démontrée quand la société Niort 94 n'invoquait pas la responsabilité contractuelle de la société Art Maniac mais la simple exécution du contrat qui prévoyait des pénalités de retard au cas où les travaux ne seraient pas terminés dans les délais impartis à l'entreprise, la cour d'appel statué par des motifs inopérants, la mise-en-oeuvre de la clause pénale ne dépendant que de l'existence du retard prévu au contrat et non de la responsabilité de l'entrepreneur, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1103, anciennement 1134, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

18. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

19. Pour rejeter la demande en paiement de pénalités de retard, l'arrêt retient que la responsabilité de la société Art Maniac ne saurait être engagée au titre des retards apportés à l'exécution de ses lots, alors que sa responsabilité à ce titre n'est pas démontrée et que l'accumulation des retards sur le chantier ne peut être imputée qu'à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d'oeuvre de coordination.

20. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier qu'en dépit de l'accumulation des retards imputables à d'autres intervenants, ayant différé d'autant la mise à disposition du chantier, la société Art Maniac aurait exécuté les travaux qui lui étaient confiés dans le délai contractuellement convenu, sanctionné par des pénalités de retard, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Niort 94 au titre des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 1er septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société civile professionnelle [R], en la personne de M. [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

vendredi 28 avril 2023

Faute de préciser les diligences accomplies par l'huissier de justice, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Cassation


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 399 F-D

Pourvoi n° C 21-21.223


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [E].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 juin 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023


M. [G] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-21.223 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la caisse déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Provence-Alpes, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [E], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présentes Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 novembre 2020), le 19 mai 2014, M. [E] a formé opposition à une contrainte délivrée le 14 novembre 2013 par la Caisse nationale du régime social des indépendants signifiée le 5 mars 2014 selon procès-verbal de recherches infructueuses.

2. La Caisse nationale du régime social des indépendants a soulevé l'irrecevabilité de cette opposition pour cause de forclusion.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, pour cause de forclusion, son opposition à la contrainte émise le 14 novembre 2013 par la Caisse nationale du régime social des indépendants à son encontre, portant sur le recouvrement d'une somme de 4 985 euros, alors « que la signification d'un acte d'huissier de justice doit être faite à personne ; que lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier dresse un procès-verbal où, à peine de nullité, il doit relater avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'en se bornant, pour déclarer régulière la signification de contrainte délivrée le 5 mars 2014, à relever que le procès-verbal de recherches infructueuses dressé le même jour relatait l'accomplissement par l'huissier de justice des diligences prescrites par l'article 659 du code de procédure civile, sans aucunement préciser la nature de ces diligences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier article, ensemble les articles 654 et 693 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 659 du code de procédure civile :

4. Aux termes de cet article, lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.

5. Pour confirmer le jugement en ce qu'il déclare irrecevable, pour cause de forclusion, l'opposition à la contrainte émise le 14 novembre 2013 par la Caisse nationale du régime social des indépendants à l'encontre de M. [E], l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d'une part, que la contrainte a été signifiée au cotisant selon acte transformé en procès-verbal de recherches infructueuses régulièrement délivré le 5 mars 2014, l'huissier de justice ayant indiqué avoir effectué les diligences prescrites par l'article 659 du code de procédure civile, d'autre part, que le procès-verbal de recherches infructueuses du 5 mars 2014 est conforme aux prescriptions de l'article 659 du code de procédure civile dont il exécute les diligences.

6. En se déterminant ainsi, sans préciser les diligences accomplies par l'huissier de justice, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Provence-Alpes-Côte d'Azur, venant aux droits de la caisse déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Provence-Alpes, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l

mercredi 20 octobre 2021

Principe de réparation intégrale et contrôle de motivation par la Cour de cassation

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 octobre 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 955 F-D

Pourvoi n° P 20-14.398


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 OCTOBRE 2021

1°/ la société Axa France Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ Mme [Y] [W], veuve [R], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° P 20-14.398 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [X] [S], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la société Axa France vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la Caisse des dépôts et consignations, dont le siège est [Adresse 5], prise en son établissement [Adresse 7],

4°/ à la commune de [Localité 1], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 6],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France Iard et de Mme [W], veuve [R], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France vie, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la commune de [Localité 1], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 janvier 2020) et les productions, M. [S] a été victime, le 4 mars 1999, alors qu'il pilotait sa motocyclette, d'un accident de la circulation, constituant un accident de trajet, qui a impliqué le véhicule conduit par Mme [W], assuré auprès de la société Axa France Iard (l'assureur).

2. M. [S] a assigné Mme [W] et l'assureur devant un tribunal de grande instance pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices corporels, en présence de trois tiers payeurs, la commune de [Localité 1], son employeur qui lui a maintenu certaines rémunérations pendant ses arrêts de travail, la société Axa France vie qui lui a servi des indemnités journalières en vertu d'un contrat de prévoyance collectivité territoriale souscrit par l'employeur, auquel il avait adhéré, et la Caisse des dépôts et consignations, qui lui a notamment versé une rente d'invalidité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. L'assureur et Mme [W] font grief à l'arrêt de fixer le préjudice corporel global de M. [S] à la somme de 919 396,59 euros, de dire que l'indemnité lui revenant s'établit à 361 152,67 euros, les condamner in solidum à payer : à M. [S] les sommes de 361 152,67 euros, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 4 novembre 2018 à hauteur de 269 891,90 euros et du prononcé du présent arrêt soit le 16 janvier 2020 à hauteur de 91 260,77 euros, 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ; à la société Axa France vie la somme totale de 250 468,20 euros correspondant à 12 099,58 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 20 179,10 euros au titre des dépenses de santé futures, 154 393,69 euros au titre des indemnités journalières versées avant consolidation, 63 795,83 euros au titre des indemnités journalières versées avant [en réalité après] consolidation, outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ; à la commune de [Localité 1] : 37 974,81 euros [en réalité 67 974,81 euros] au titre du régime indemnitaire et des primes, 122 479,98 euros au titre des charges patronales, 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ; à la Caisse des dépôts et consignations, 239 800,91 euros au titre de la pension de retraite anticipée et de la rente accident avec intérêts au taux légal à compter de la date des premières écritures du 3 septembre 2014, signifiées devant le premier juge, 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, alors « que la réparation du préjudice s'opère sans perte ni profit pour la victime ; qu'en prenant en compte au titre de la perte de gains professionnels actuels le courrier du 5 juin 2012 de la commune de [Localité 1] indiquant que depuis le 4 mars 1999, M. [S] avait perdu en salaires et primes une somme de 76 027,84 euros, après avoir constaté que « M. [S] indique, ce qui ne souffre aucune contestation » que son salaire avait été maintenu, ce dont il résultait qu'il n'avait subi aucune perte de gains professionnels actuels et qu'à tout le moins il appartenait à la cour d'appel de s'expliquer sur cette contradiction, celle-ci n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

5. Pour fixer à 71 047,80 euros la somme revenant à M. [S] au titre des pertes de gains professionnels actuels, l'arrêt rappelle d'abord que l'employeur avait maintenu le versement du salaire pendant la période d'invalidité de celui-ci avant consolidation et que M. [S] se prévalait seulement de pertes de primes.

6. Il relève, ensuite, que ce dernier produit un tableau qu'il a établi faisant état, pour la période du 4 mars 1999 au 1er septembre 2008, de « perte d'astreintes, élections, préparations des élections, jours fériés et prime info » d'un montant, non pas de 76 027,84 euros, mais de 29 387,46 euros.

7. Il note, par ailleurs, que la commune de [Localité 1], par lettre du 5 juin 2012, avait indiqué que, depuis le 4 mars 1999, M. [S] avait perdu en « salaires et primes » la somme de 76 027,84 euros.

8. Il conclut qu'il convient de retenir ce dernier chiffre de sorte que, rapportée à la période expirant le 20 mai 2011, date de consolidation, la somme revenant à la victime s'établit à 71 047,80 euros.

9. Qu'en se déterminant ainsi, alors que la lettre émanant de la commune faisait état non seulement d'une perte de primes mais aussi de salaires, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la somme allouée à M. [S] au titre de ce préjudice correspondait exclusivement à des pertes de primes, seul préjudice invoqué par celui-ci, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le préjudice corporel global de M. [S] à la somme de 919 396,59 euros, dit que l'indemnité lui revenant s'établit à 361 152,67 euros, condamné in solidum la société Axa France Iard et Mme [W], veuve [R] à payer à M. [S] les sommes de 361 152,67 euros, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 4 novembre 2018 à hauteur de 269 891,90 euros et du prononcé du présent arrêt soit le 16 janvier 2020 à hauteur de 91 260,77 euros, 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, à la société Axa France vie la somme totale de 250 468,20 euros correspondant à 12 099,58 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 20 179,10 euros au titre des dépenses de santé futures, 154 393,69 euros au titre des indemnités journalières versées avant consolidation, 63 795,83 euros au titre des indemnités journalières versées après consolidation, outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, à la commune de [Localité 1], 67 974,81 euros au titre du régime indemnitaire et des primes, 122 479,98 euros au titre des charges patronales, 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, à la Caisse des dépôts et consignations, 239 800,91 euros au titre de la pension de retraite anticipée et de la rente accident avec intérêts au taux légal à compter de la date des premières écritures du 3 septembre 2014, signifiées devant le premier juge, 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, l'arrêt rendu le 16 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. [S], la société Axa France vie, la Caisse des dépôts et consignations et la commune de [Localité 1] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [S], la société Axa France vie, la Caisse des dépôts et consignations et la commune de [Localité 1] et les condamne in solidum à payer à la société Axa France Iard et à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société Axa France Iard et Mme [W], veuve [R]

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR fixé le préjudice corporel global de M. [X] [S] à la somme de 919 396,59 €, dit que l'indemnité revenant à cette victime s'établit à 361 152,67 €, condamné in solidum la société Axa France Iard et Mme [Y] [W] veuve [R] à payer à M. [S] les sommes de 361 152,67 €, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 4 novembre 2018 à hauteur de 269 891,90 € et du prononcé du présent arrêt soit le 16 janvier 2020 à hauteur de 91 260,77 €, 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, condamné in solidum la société Axa France Iard et Mme [R] à payer à la société Axa France Vie la somme totale de 250 468,20 € correspondant à : 12 099,58 € au titre des dépenses de santé actuelles, 20 179,10 € au titre des dépenses de santé futures, 154 393,69 € au titre des indemnités journalières versées avant consolidation, 63 795,83 € au titre des indemnités journalières versées avant consolidation, outre la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, condamné in solidum la société Axa France Iard et Mme [R] à payer à la commune de [Localité 1] : 37 974,81 € au titre du régime indemnitaire et des primes, 122 479,98 € au titre des charges patronales, 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, condamné in solidum la société Axa France Iard et Mme [R] à payer à la Caisse des dépôts et consignations, 239 800,91 € au titre de la pension de retraite anticipée et de la rente accident avec intérêts au taux légal à compter de la date des premières écritures du 3 septembre 2014, signifiées devant le premier juge, 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;

AUX MOTIFS QUE, sur les frais de déplacement, contrairement à ce que soutiennent les tiers responsables, il n'appartenait pas à l'expert de retenir ou de ne pas retenir le bien fondé des frais de déplacement qui sont des frais dont la victime est fondée à demander le remboursement lorsqu'ils ont été engagés pour les besoins des soins, des rendez-vous médicaux ou pour se rendre aux réunions d'expertise ; que ces frais ont été évalués par le premier juge à la somme de 7 254,06 €, une fois déduits cinq allers/retours chez un kinésithérapeute ; que pour justifier sa demande indemnitaire, M. [S] produit aux débats un tableau des déplacements qu'il a dû effectuer pour se rendre à des rendez-vous médicaux, auprès de divers praticiens ou dans des hôpitaux, ainsi que pour se rendre chez le kinésithérapeute, précision ici faite qu'une période de onze ans et huit mois s'est écoulée entre l'accident et le dernier déplacement du 2 mai 2011 ; que devant la cour, la société Axa France Iard conteste l'intégralité de la demande de remboursement, alors que la lecture des rapports d'expertises, des comptes rendus opératoires et des éléments médicaux versés aux débats sont suffisamment nombreux pour établir la réalité des déplacements que la victime a dû assumer pour les besoins de sa santé ou de sa défense en justice ; qu'il convient en conséquence de confirmer le montant de 7 251,06 € fixé par le premier juge ;

ALORS DE PREMIERE PART QUE dans leurs conclusions d'appel (p. 16, al. 2) la société Axa France Iard et Mme [R] faisaient valoir qu'il « est singulier que M. [S] réclame les 21 mars et 19 avril 1999 des frais de transport à l'hôpital (pièce n° 30 [S]) alors que ces frais ont été intégralement pris en charge par Axa Assurances ainsi qu'il ressort d'une ancienne pièce produite par M. [S] (pièce n° 1) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire établissant qu'à tout le moins la totalité des frais dont le remboursement était demandé n'était pas justifié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS DE DEUXIEME PART QUE tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à se référer à la « lecture des rapports d'expertise, des comptes rendus opératoires et des éléments médicaux versés aux débats », pour en déduire la réalité des déplacements, sans analyser même sommairement les pièces simplement visées d'où il serait résulté que les sommes réclamées au titre des frais de déplacement avaient réellement été engagées, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer du respect du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

ET AUX MOTIFS QUE, sur la perte de gains professionnels actuels, ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus ; qu'il est constant que le docteur [U] a retenu pour la période antérieure à la consolidation des périodes d'arrêt des activités professionnelles en fonction des interventions chirurgicales, et en excluant donc les arrêts prescrits par le docteur [H] psychiatre traitant depuis janvier 2001 ; que néanmoins, il est tout aussi constant que l'expert médical a fixé sur cette période à 6/7 les souffrances endurées, tant psychiques que physiques, que depuis le mois de janvier 2001, M. [S] a consulté le docteur [H], psychiatre, à raison de deux fois par mois, et qu'il ne fait pas de doute à la lecture des différents certificats médicaux du docteur [H] que l'importance des douleurs physiques non maîtrisées, médicalement constatées par le taux de souffrances endurées retenu par l'expert médical, ainsi que les interventions chirurgicales à répétition ont nécessairement eu un retentissement sur la santé mentale et psychique de M. [S], ce qui permet de valider les arrêts prescrits par le docteur [H] pour être en relation de causalité directe avec l'accident ; qu'au moment de l'accident, M. [S] était employé par la commune de [Localité 1] en qualité de technicien informatique, chargé du montage des câbles, réseaux et branchements avec une évolution vers la gestion du travail informatique à réaliser ; que l'expert le docteur [U] a indiqué dans son rapport, que compte tenu des lésions initiales et des complications survenues après l'accident, auxquelles sont venues s'ajouter de nombreuses interventions chirurgicales, M. [S] ne pouvait plus exercer la profession technique dans l'informatique ; que l'expert médical a ajouté que néanmoins médicalement et intellectuellement il aurait pu exercer une activité moins technique dans la même branche alors que sur le plan psychiatrique, le docteur [V] requis en sa qualité de sapiteur psychiatre a estimé le 1er août 2012, que M. [S] a souffert d'un syndrome anxiodépressif post-traumatique d'intensité modérée en relation directe et certaine avec l'accident initial en proposant de retenir la date du 11 mai 2007 comme date de consolidation psychiatrique et en ne retenant aucune période pendant laquelle M. [S] n'aurait pas pu exercer d'activité professionnelle ; qu'or, il est acquis aux débats que depuis l'accident, M. [S] n'a jamais repris, de façon pérenne, son activité professionnelle au sein de la commune de [Localité 1], jusqu'au 1er juin 2016, date à laquelle il a été mis en retraite pour invalidité par la médecine du travail ; qu'il est tout aussi constant qu'il n'a jamais bénéficié d'une proposition de reclassement ou de modification de son poste de travail à dominante technique en une activité de gestion ; qu'en conséquence et en dépit des appréciations de l'expert sur les périodes au cours desquelles M. [S] aurait été en mesure d'exercer une activité moins technique, il s'avère, alors qu'aucune proposition de reclassement ou d'aménagement de son poste n'a jamais été formulée par son employeur ; qu'il est fondé à solliciter en dehors des courtes périodes de reprise d'activité, l'indemnisation d'une perte de gains professionnels actuels depuis le 4 mars 1999 jusqu'à la consolidation du 20 mai 2011 ; que M. [S] indique, ce qui ne souffre aucune contestation, que l'accident de trajet dont il a été victime, a été pris en charge au titre d'un accident du travail et que son salaire a été maintenu ; que le décompte produit devant la cour par la commune de [Localité 1] fait état du versement par l'employeur d'un régime indemnitaire et de primes de fin d'année et complément dont les montant viennent constituer l'assiette du poste de perte de gains professionnels actuels sur la période du 4 mars 1999 au 20 mai 2011 ; que sur cette période, la commune de [Localité 1] indique avoir versé au titre du régime indemnitaire et des primes de fin d'année et complément plusieurs sommes dont le détail figure en pièce n° 1 de son dossier, et sur lesquelles M. [S] ne formule pas d'observations, soit :
* au titre du régime indemnitaire les sommes suivantes :
- du 1er mars 1999 au 31 août 1999 : 1 861,03 €,
- en 2000 : 3 923,58 €,
- en 2001 : 3 846,58 €,
- en 2003 : 1 056,03 €,
- en 2004 : 4 583,42 €,
- en 2005 : 3 947,69 €,
- en 2006 : 2 315,33 €,
- en 2007 : 2 169,95 €,
- en 2008 : 2 173,01 €,
- en 2009 : 2 177,46 €,
- en 2010 : 2 170,74 €,
- en 2011 et au prorata jusqu'à la consolidation du 20 mai 2011 : 827,65 € (2 173,32 €/365 j x 139 j),
et donc de ces versements la somme totale de 31 467,86 €
* au titre des primes de fin d'année et complément les sommes suivantes :
- du 1er mars 1999 au 31 août 1999 : 411,60 €,
- en 2000 : 1 059,49 €,
- en 2001 : 1 089,98 €,
- en 2004 : 1 181,98 €,
- en 2005 : 1 578,08 €,
- en 2006 : 1 608,57 €,
- en 2007 : 1 639,88 €,
- en 2008 : 1 670,88 €,
- en 2009 : 1 788 €,
- en 2010 : 1 730,88 €,
- en 2011 et au prorata jusqu'à la consolidation du 20 mai 2011 : 670,58 € (1 760,88/365 j x 139 j),
et donc au titre de ces versements, la somme totale de 14 429,59 € ;
que le montant du recours subrogatoire de la commune de [Localité 1] s'établit à 45 897,45 € (31 467,86 € + 14 429,59 €) ; que, de son côté la société Axa Vie produit l'ensemble des pièces venant justifier du versement des indemnités journalières ; que ces montants constituent également l'assiette de ce poste d'indemnisation sur la même période de référence et pour les sommes dont il est justifié en pièce 28 de ce tiers payeur versées entre le 11 mai 1999 et le 5 mai 2011, la somme totale de 154 393,69 € ; que pour réclamer un perte de gains professionnels actuels, M. [S] soutient dans ses écritures qu'il a perdu entre le 4 mars 1999 et le 1er septembre 2008 la somme de 76 027,84 € ; qu'or, d'une part, il produit un tableau qu'il a lui-même établi faisant état sur la même période d'une perte d'astreintes, élections, préparations des élections, jours fériés et prime info d'un montant, non pas de 76 027,84 € mais de 29 387,46 € ; que par ailleurs, il communique un courir du 5 juin 2012 de la commune de [Localité 1], qui indique que depuis le 4 mars 1999, après examen des décomptes salaires et primes il a perdu en salaires et primes une somme de 76 027,84 € ; que c'est donc ce dernier chiffre qu'il convient de retenir, soit sur une période de 159 mois jusqu'au 5 juin 2012, une moyenne mensuelle de 478,16 € et journalière de 15,93 € ; que ce chiffre doit être rapporté à la période écoulée du 4 mars 1999 à la consolidation du 20 mai 2011, soit donc sur 4460 jours la somme de 71 047,80 € (15,93 x 4460 jours) revenant à la victime ;

ALORS DE TROISIEME PART QUE la réparation du préjudice s'opère sans perte ni profit pour la victime ; qu'en prenant en compte au titre de la perte de gains professionnels actuels le courrier du 5 juin 2012 de la commune de [Localité 1] indiquant que depuis la 4 mars 1999, M. [S] avait perdu en salaires et primes une somme de 76 027,84 € (arrêt, p. 24), après avoir constaté que « M. [S] indique, ce qui ne souffre aucune contestation » que son salaire avait été maintenu (arrêt, p. 23), ce dont il résultait qu'il n'avait subi aucune perte de gains professionnels actuels et qu'à tout le moins il appartenait à la cour d'appel de s'expliquer sur cette contradiction, celle-ci n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

ET ENCORE AUX MOTIFS QUE, s'agissant de la perte de gains professionnels futurs, ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable ; que depuis la date de la consolidation fixée au 20 mai 2011, M. [S] n'a pas repris son activité professionnelle ; qu'il est constant qu'aucun aménagement de son poste technique ne lui a été proposé, alors qu'il présente un déficit fonctionnel permanent fixé à 30 %, dont 8 % au titre des séquelles psychiatriques ; qu'il est par ailleurs acquis aux débats, qu'à compter du 1er juin 2016, il a été mis à la retraite pour invalidité ; qu'il est donc fondé à solliciter l'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs totale, depuis le 20 mai 2011, jusqu'à la date du présent arrêt le 16 janvier 2020 ; que pour le futur, il s'avère que M. [S] est âgé de 58 ans révolus à la date où la cour statue ; qu'à neuf ans de sa retraite à laquelle il pouvait accéder à 67 ans, conformément à ce qui est indiqué dans le décompte des prestations de services par la CDC, alors qu'il a été placé en invalidité, il paraît illusoire qu'il puisse retrouver un emploi, de telle sorte qu'il est fondé à solliciter l'indemnisation totale de ses préjudices ; que le bulletin de salaire du mois de mars 2016 que M. [S] verse aux débats, fait état d'un revenu mensuel net de 1 480,24 €, somme à laquelle il convient d'ajouter le montant des divers accessoires qu'il aurait dû percevoir soit en moyenne 478,16 € ; que la perte de gains professionnels futurs s'établit donc à la somme mensuelle de 1 958,40 € et à la somme annuelle de 23 500,08 € ; qu'au vu de l'ensemble de ces données, l'indemnité due pour ce poste de dommage est chiffrée :
- pour la période écolée du 21 mai 2011 au 16 janvier 2020, et donc sur 8 ans et 8 mois, soit sur 104 mois à la somme de 203 673,60 € (1 958,40 € x 104),
- pour la période future, en fonction d'un indice de rente temporaire de 8,098 issu du barème de la Gazette du Palais 2016, pour un homme âgé de 58 ans révolus à la liquidation dont la date d'accession prévisible à la retraite est à 67 ans, la somme de 190 303,64 € (23 500,08 € x 8,098), et donc au total une somme de 393 977,24 € (203 673,60 € + 190 303,64 €) ;
que sur cette indemnité, s'imputent les prestations versées par la commune de [Localité 1] au titre du régime indemnitaire et des primes de fin d'année pour un montant :
- en 2011 du 21 mai 2011 au 31 décembre 2011 pour 1 345,67 €,
- en 2012 pour 2 384,74 €,
- en 2013 pour 2 173,32 €,
- en 2014 pour 2 709,92 €,
- en 2015 pour 2 189,32 €,
- en 2016 jusqu'au 1er juin 2016 pour 905,55 €, soit la somme de 11 708,52 € ;
et complément du 21 mai 2011 au 31 mai 2016 pour un montant :
- en 2011 du 21 mai 2011 au 31 décembre 2011 pour 1 090,30 €,
- en 2012 pour 1 790,88 €,
- en 2013 pour 1 820,88 €,
- en 2014 pour 1 850,88 €,
- en 2015 pour 1 850,88 €,
- en 2016 jusqu'au 1er juin 2016 pour 1 965,02 €, soit la somme de 10 368,84 €, et au total celle de 22 077,36 € (11 708,52 € + 10 368,84 €) ;
que viennent s'imputer les sommes servies par la société Axa France Vie au titre du maintien des salaires, dont il est justifié sous pièces 28, 29, 30, 31 et 32 pour un montant de 63 795,83 € ; que vient également s'imputer la créance de la CDC pour un montant actualisé au 5 avril 2019 de 239 800,92 €, dont le détail figure en pièce 3 de son dossier et correspondant aux arrérages échus et à échoir de la pension versée par anticipation pour 112 368,91 € et aux arrérages échus et à échoir de la rente invalidité pour 127 432 € ; que ces deux tiers payeurs seront intégralement désintéressés et une indemnité de 68 303,14 € (393 977,24 € - 22 077,36 € - 63 795,83 € - 239 800,91) revient à M. [S] ;

ALORS DE QUATRIEME PART QUE la réparation du préjudice s'opère sans perte ni profit pour la victime ; qu'en retenant que M. [S] était fondé à solliciter l'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs totale, depuis le 20 mai 2011, jusqu'à la date du présent arrêt le 16 janvier 2020 (arrêt, p. 25, avant dernier alinéa), quand elle constatait que le salaire de M. [S] avait été maintenu (arrêt, p. 23, al. 3) et que celui-ci produisait un bulletin de salaire du mois de mars 2016, faisant état d'un revenu mensuel de 1 480,24 € (arrêt, p. 26, al. 2), ce dont il résultait que pour la période écoulée du 21 mai 2011 (date de consolidation) jusqu'au 1er juin 2016 (date de mise à la retraite pour invalidité), M. [S] n'avait subi aucune perte de gains professionnels futurs et n'avait donc droit à aucune indemnité à ce titre, la cour d'appel a indemnisé un préjudice inexistant et violé le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ;

ALORS DE CINQUIEME PART QUE la réparation du préjudice s'opère sans perte ni profit pour la victime ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que M. [S] a été mis à la retraite pour invalidité à compter du 1er juin 2016 (arrêt, p. 23, avant dernier alinéa), de sorte qu'en ne tenant pas compte du montant de la pension perçue à ce titre à compter de cette date pour calculer la perte de gains professionnels futurs de cette date à celle du prononcé de l'arrêt (16 janvier 2020) et en retenant pour base la totalité du salaire que M. [S] aurait dû recevoir, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ;

ALORS DE SIXIEME PART QUE la réparation du préjudice s'opère sans perte ni profit pour la victime ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que M. [S] a été mis à la retraite pour invalidité à compter du 1er juin 2016 (arrêt, p. 23, avant dernier alinéa), de sorte qu'en ne tenant pas compte du montant de la pension perçue à ce titre à compter de cette date pour calculer la perte de gains professionnels futurs de la date de l'arrêt du 16 janvier 2020 jusqu'à la date prévisible de liquidation de la retraite, à l'âge de 67 ans, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ;

ET AUX MOTIFS QUE, sur l'incidence professionnelle, ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap ; qu'au titre de l'incidence professionnelle, M. [S] réclame paiement d'une somme de 100 000 €, en faisant valoir qu'il a perdu une chance de promotion, celle de gravir les échelons et passer des concours, ce qui lui aurait permis de voir son salaire augmenter d'environ 400 € par mois ; qu'il demande par ailleurs une indemnisation de 60 000 € au titre d'un préjudice de formation, en soutenant que l'accident l'a empêché de passer le concours interne de technicien supérieure territorial ; qu'à l'évidence, ces deux chefs de demande se confondent ; qu'aux termes du présent arrêt M. [S] a été indemnisé de la totalité de ses pertes de gains professionnels, en revanche, il est fondé à solliciter l'indemnisation d'une perte de chance professionnelle qui a été la sienne d'accéder à un poste mieux rémunéré en passant des concours internes, alors qu'il était âgé de 50 ans à la consolidation, et que la cour évalue à la somme de 40 000 € ;

ALORS DE SEPTIEME ET DERNIERE PART QU'il appartient à la victime d'établir la preuve de l'existence de chance de promotion professionnelle perdue, laquelle ne peut résulter du seul âge de la victime au jour de la consolidation et de la constatation de l'existence de concours internes, sans autre précision établissant la disparition d'une éventualité favorable en lien avec l'accident, d'où il suit qu'en se déterminant à l'aide de ces seules considérations, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.ECLI:FR:CCASS:2021:C200955

mercredi 28 avril 2021

En se déterminant sans rechercher le contenu des pièces jointes aux messages électroniques que l'appelant démontrait avoir remis au greffe , le juge n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle,

 Note C. Bléry, GP 2021, n° 16, p. 60.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 février 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 105 F-D

Pourvoi n° V 19-21.070




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 FÉVRIER 2021

M. Q... H..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 19-21.070 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Groupe gratuit pros, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. H..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Groupe gratuit pros, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 décembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 juin 2019), M. H... a relevé appel du jugement d'un conseil de prud'hommes ayant requalifié son licenciement pour faute lourde en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné son employeur, la société Groupe gratuit pros (la société) à lui payer une certaine somme.

2. M. H... a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable son appel en raison de la tardiveté de la déclaration d'appel du 24 mars 2018.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. H... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel qu'il a formé à l'encontre du jugement du conseil de Prud'hommes de Bobigny du 7 février 2018, alors « que la notification des actes de procédure fait l'objet d'un avis électronique de réception adressé par le destinataire qui indique la date et, le cas échéant, l'heure de celle-ci ; que cet avis de réception tient lieu de visa, cachet et signature ou autre mention de réception ; qu'en l'espèce, l'avocat de M. H... avait adressé le 12 mars 2018 à la cour d'appel un message électronique RPVA avec la signification de la déclaration d'appel ; que ce message avait fait l'objet d'un avis de réception du 12 mars 2018 délivré par le greffier en chef de la cour d'appel, sur lequel figuraient quatre pièces jointes parmi lesquelles une déclaration d'appel sous la forme d'un fichier au format XML ; qu'en déclarant que M. H... ne justifiait pas du contenu des déclarations d'appel elles-mêmes au format XML sans rechercher le contenu de la pièce intitulée « DA.xml » jointe au message électronique que l'appelant démontrait avoir remis au greffe par la production d'un avis électronique de réception émanant du serveur de messagerie du greffe, alors qu'il ressort des productions que ce message électronique indiquait adresser cette pièce, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 748-1, 748-3, 930-1 du code de procédure civile et des articles 5, 7, 8 et 10 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 748-1, 748-3, 930-1 du code de procédure civile et 5, 7, 8 et 10 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel :

5. Pour confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état, l'arrêt retient
que pour justifier qu'il a adressé antérieurement à la déclaration d'appel tardive du 29 mars 2018, une première déclaration d'appel le 9 mars, puis une deuxième le 12 mars, M. H... se borne à produire des avis de réception de messages des 9 et 12 mars adressés par son avocat [par le réseau privé virtuel des avocats (le RPVA)] avec pour objet « déclaration d'appel », mention d'une PJ DA signée, et le texte: « veuillez trouver ci-joint la déclaration d'appel », ainsi que deux documents, au format PDF, intitulés « déclaration d'appel » qui ne sont en réalité que des pièces jointes telles que prévues par l'article 6 de l'arrêté du 30 mars 2011, sans justifier du contenu des déclarations d'appel elles-mêmes au format XML et de leur conformité aux dispositions de l'article 901 du code de procédure civile.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher le contenu des pièces jointes aux messages électroniques que l'appelant démontrait avoir remis au greffe par la production de deux avis électroniques de réception émanant du serveur de messagerie du greffe, alors qu'il ressort des productions que ces messages électroniques indiquaient adresser la déclaration d'appel de l'appelant, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Groupe gratuit pros aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Groupe gratuit pros et la condamne à payer à M. H... la somme de 3 000 euros ;