Affichage des articles dont le libellé est faute inexcusable. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est faute inexcusable. Afficher tous les articles

jeudi 3 avril 2025

Accident de chantier, sous-traitance et faute inexcusable

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 février 2025




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 174 F-D

Pourvoi n° D 23-11.664




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025

La société [5] Bourgogne Franche Comté, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 23-11.664 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2022 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [E], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône et Loire, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société [6], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pédron, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société [5] Bourgogne Franche Comté, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [6], et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Pédron, conseiller rapporteur, M. Leblanc, conseiller, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 8 décembre 2022), M. [E] (la victime), salarié de la société [5] Bourgogne Franche Comté (l'employeur), a été victime, le 27 juin 2017, d'un accident du travail, ayant été électrocuté par un câble qui avait été dénudé par l'action d'une mini-pelle conduite par un employé de la société [6] (la société sous-traitante).

2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Ce derner a appelé en déclaration de jugement commun la société sous-traitante.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de ses prétentions à l'égard de la société sous-traitante, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que, pour la débouter de sa demande tendant à ce que l'arrêt à intervenir soit rendu commun à la société sous-traitante, la cour d'appel a expressément analysé la demande de la société employeur en un appel en garantie formulé à l'encontre de la société sous-traitante ; qu'en statuant ainsi, quand la société employeur se bornait à demander à la cour d'appel de « dire et juger opposable et commun l'arrêt à intervenir à la société [6] Eurl », en invoquant l'article 331 du code de procédure civile, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

5. Pour débouter l'employeur de ses prétentions à l'égard de la société sous-traitante, l'arrêt relève que la demande de l'employeur en déclaration de jugement commun s'analyse en une demande de garantie par la société sous-traitante et précise que cette société ne doit aucune garantie à l'employeur de la victime en raison de la faute inexcusable retenue à son encontre.

6. En statuant ainsi, alors que l'employeur ne demandait pas à être garanti par la société sous-traitante des conséquences de sa faute inexcusable, mais demandait que la décision à intervenir soit déclarée commune et opposable à la société sous-traitante et que la victime soit renvoyée à se pourvoir contre celle-ci sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société [5] de ses prétentions à l'égard de la société [6] en précisant que la société [6] ne doit aucune garantie à la société [5] en raison de la faute inexcusable retenue à l'égard de la société [5], l'arrêt rendu le 8 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne la société [6] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [6] et la condamne à payer à la société [5] Bourgogne Franche Comté la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C200174

vendredi 22 septembre 2023

Responsabilité pénale du maître d'ouvrage délégué

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 22-86.894 FS-B

N° 00972


ECF
12 SEPTEMBRE 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 SEPTEMBRE 2023


La société [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 7 novembre 2022, qui, pour blessures involontaires et contravention de blessures involontaires, l'a condamnée à 20 000 euros et 1 000 euros d'amendes et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [3], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, MM. Samuel, Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Pour un chantier de travaux dans un stade, la société [3], maître d'ouvrage délégué, a conclu une mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé avec la société [5], qui a rédigé un plan général de coordination (PGC).

3. Par ailleurs, la société [3] a confié le lot électricité à la société [1], laquelle a conclu un contrat de sous-traitance avec la société [2] pour la réalisation de certains de ces travaux électriques.

4. Le 11 juillet 2019, trois salariés de la société [2] ont été blessés alors qu'ils travaillaient sur une armoire électrique qui n'avait pas été mise hors tension.

5. La société [3] a été poursuivie des chefs de délits et contravention de blessures involontaires, commis dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence, manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en omettant de respecter ses obligations relatives à l'évaluation des risques en matière d'installations électriques.

6. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable et a prononcé sur les intérêts civils.

7. La société et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [3] coupable de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de blessures involontaires avec incapacité inférieure à trois mois dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'il incombe au coordonnateur en matière de sécurité, dans la phase de réalisation de l'ouvrage, d'anticiper les situations de risque pouvant résulter des dispositions prises par les entreprises intervenant sur le chantier ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que la société [3], maître d'ouvrage délégué a mandaté la société [5] aux fins d'assurer la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé du chantier au cours duquel l'intervention de plusieurs entreprises était prévue, et qu'elle a expressément sollicité le coordonnateur de sécurité, par courriel du 14 mai 2019, d'organiser au plus vite une visite d'inspection commune avec la société [1] "pour travaux électriques de raccordement d'installation, d'éclairage, de sonorisation, de chauffage pour la pelouse et de luminothérapie" ; que pour retenir néanmoins la responsabilité de la société [3] du chef de blessures involontaires, l'arrêt attaqué reproche à son dirigeant de ne pas avoir "veillé à ce que le plan général de coordination rédigé par son coordonnateur mentionne bien ce risque électrique et soit diffusé auprès de toutes les sociétés intervenantes" ; qu'en imputant ainsi au maître d'ouvrage délégué de ne pas avoir veillé à la mention du risque électrique dans le plan général de coordination quand l'obligation d'évaluation du risque électrique ne pouvait incomber qu'au seul coordonnateur de sécurité, contractuellement mandaté par le maître d'ouvrage pour procéder à cette évaluation des risques, la cour d'appel a tenu la société [3] pour responsable d'une faute imputable au seul coordonnateur, en violation des termes du contrat conclu entre la société [3] et la société [5], du principe de la responsabilité personnelle, des articles 121-1, 229-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, des articles L. 4532-2 et suivants du code du travail ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction ou l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu'il résulte des dispositions du code du travail rappelées par l'arrêt attaqué, qu'il incombe au maître d'ouvrage de désigner un coordonnateur de sécurité pour tout chantier de bâtiment de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, aux fins de faire établir par ce dernier un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé, en prenant toutes les dispositions nécessaires pour lui assurer l'autorité et les moyens indispensables à l'exercice de sa mission ; qu'il résulte en l'espèce des propres énonciations de l'arrêt attaqué que le maître d'ouvrage avait bien désigné un coordonnateur de sécurité, lequel avait bien réalisé un plan général de coordination sans qu'aucun élément ne permette d'établir que le maître d'ouvrage ne lui aurait pas assuré l'autorité et les moyens nécessaires à l'exercice de sa mission ; qu'en retenant néanmoins la responsabilité pénale de la société, maître d'ouvrage délégué, du chef de blessures involontaires du fait des manquements commis par le coordonnateur en violation de ses engagements contractuels et du mandat exprès qui lui avait été confié aux fins d'évaluer les risques, quand il résultait pourtant de ses propres constatations que le maître d'ouvrage n'avait commis aucun manquement aux obligations particulières de sécurité mises à sa charge par le code du travail, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient, privant de ce fait sa décision de toute base légale au regard des articles 222-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, des articles L. 4532-4 et L. 4532-5 du code du travail, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les articles 229-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal exigent, pour
recevoir application, qu'il soit constaté que la faute reprochée à la société prévenue ait concouru, de façon certaine, aux blessures des victimes ; que pour déclarer la société [3] coupable des délits et contravention de blessures involontaires qui lui étaient reprochées en sa qualité de maître d'ouvrage, l'arrêt attaqué relève que "si ce PCG avait été transmis à [1], et à [2] et s'il avait pris en compte le risque électrique résultant de l'intervention des employés de la société [2] sur des installations qui devaient avoir été nécessairement consignées par les employés de la SAS [1], il aurait défini un protocole permettant d'identifier précisément la cellule à consigner, les règles de sécurité à respecter et le rôle respectif de chacune des entreprises dans le but d'éviter l'accident qui s'est finalement produit" ; qu'en se déterminant ainsi par ces motifs hypothétiques, s'abstenant de prendre en considération les conclusions du rapport d'expertise selon lesquelles la survenance du dommage était exclusivement imputable à la négligence des salariés de la société [1] dans la procédure de consignation et de contrôle des équipements électriques sur lesquels travaillaient les salariés de son sous-traitant, en méconnaissance de la procédure de consignation connue de tous les intervenants, cumulée à la négligence des salariés victimes de la société [2] dans la vérification de la mise hors tension des appareils, en méconnaissance des règles élémentaires de sécurité qu'ils connaissaient parfaitement, la cour d'appel n'a pas établi en quoi l'absence de manquement dans l'évaluation du risque électrique dans le plan général de coordination, aurait nécessairement permis d'éviter la survenance de l'accident, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles 222-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour caractériser les fautes de la société [3] dans l'organisation de la coordination de sécurité et la déclarer coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que le PGC établi le 25 avril 2019 par la société [5], en sa qualité de coordonnateur de sécurité, ne mentionnait aucun risque électrique.

10. Les juges ajoutent qu'en méconnaissance de l'article R. 4532-44 du code du travail, le PGC n'a pas été remis par la société [3] à la société [1] avant les travaux.

11. Ils relèvent qu'en application des articles L. 4532-6 et R. 4532-11 de ce code, l'intervention du coordonnateur ne modifie ni la nature ni l'étendue des responsabilités qui incombent, en application des autres dispositions du même code, à chacun des participants aux opérations de bâtiments et de génie civil et que le coordonnateur exerce ses missions sous la responsabilité du maître de l'ouvrage.

12. Ils précisent qu'il appartenait, en application de l'article R. 4532-43 dudit code, à la société [3] de s'assurer que le PGC mentionnait un risque électrique dès lors que celui-ci était manifeste, s'agissant de travaux qualifiés « d'adaptation de l'éclairage sportif de l'[4] : pelouse, sono, éclairage ».

13. Les juges retiennent que, si le PGC avait pris en compte le risque électrique lié à l'intervention des employés de la société [2] sur des installations qui devaient être préalablement mises en sécurité par la société [1] et s'il avait été transmis à ces deux sociétés, un protocole aurait permis d'identifier la cellule à mettre hors tension, les règles de sécurité à respecter et le rôle respectif de chacune des entreprises.

14. Ils en déduisent que le dirigeant de la société [3] a commis pour le compte de celle-ci des manquements à des obligations de prudence ou de sécurité prévues par la loi ou le règlement, en l'espèce les articles R.4532-43 et R. 4532-44 du code du travail, en s'abstenant d'accomplir les diligences normales qui s'imposaient compte tenu de la nature de ses missions, de ses compétences, du pouvoir et des moyens à sa disposition, puisqu'il ne pouvait ignorer la nature électrique des travaux à effectuer ni les risques associés et qu'il n'a pas veillé à ce que le PGC, rédigé par son coordonnateur, mentionne ce risque et soit diffusé auprès de toutes les entreprises intervenantes.

15. En statuant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

16. En premier lieu, elle a caractérisé, à l'encontre du maître d'ouvrage délégué, la méconnaissance des dispositions de l'article R. 4532-44 du code du travail pour n'avoir pas remis le PGC, avant les travaux, à son cocontractant, la société [1].

17. En deuxième lieu, après avoir souverainement apprécié que le PGC devait intégrer le risque électrique inhérent à la nature des travaux en cause, elle a statué par des motifs dont il résulte qu'en application des articles L. 4532-6, R. 4532-11 et R. 4532-43 du code du travail, il appartenait au maître d'ouvrage délégué de faire remédier à l'insuffisance manifeste de ce document résultant de l'absence de prise en compte de ce risque.

18. Enfin, elle a souverainement apprécié, par des motifs dénués de tout caractère hypothétique, que ces manquements ont contribué à la survenance du dommage et a ainsi caractérisé, à l'encontre du maître d'ouvrage délégué, des fautes entrant dans les prévisions des articles 121-3, 222-19 et R. 625-2 du code pénal.

19. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [3] au paiement d'une amende de 20 000 euros pour les délits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail, et au paiement d'une amende de 1 000 euros pour la contravention de blessures involontaires avec incapacité inférieure à trois mois dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ qu'une seule peine doit être prononcée lorsque des délits et des contraventions sont compris dans la même poursuite et que les faits de la prévention procèdent d'une même action coupable ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a condamné la société [3] à deux peines d'amende, l'une d'un montant de 20 000 euros, pour les délits de blessures involontaires, l'autre, d'un montant de 1 000 euros pour la contravention de blessures involontaires ; qu'en prononçant ainsi, quand les délits de blessures involontaires et la contravention de blessures involontaires, qui procédaient d'une même action coupable, ne pouvaient être punis séparément, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 132-3, 132-7, 222-19 et R. 625-2 du code pénal, et le principe ci-dessus rappelé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-3, 132-7, 222-19 et R. 625-2 du code pénal :

21. En application de ces textes, une seule peine doit être prononcée lorsque des délits et des contraventions sont compris dans la même poursuite et que les faits de la prévention procèdent d'une même action coupable.

22. En condamnant la société [3] au paiement de deux amendes, d'une part, de 20 000 euros pour le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et, d'autre part, de 1 000 euros au titre de la contravention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à trois mois, alors que ces infractions procédaient d'une même action coupable et ne pouvaient être punies séparément, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 7 novembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé. ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00972

vendredi 28 avril 2023

Accident de chantier et faute inexcusable de l'employeur

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Rejet


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 391 F-D

Pourvoi n° C 21-20.947




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023

La société Altech géothermie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° C 21-20.947 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section SB), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [R], domicilié [Adresse 4],

2°/ à Mme [N] [P], prise en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille, [V] [R],

3°/ à Mme [V] [R], représentée par sa mère, Mme [N] [P],

toutes deux domiciliées étage [Adresse 1],

4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Altech géothermie, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présentes Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Vendryes, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 juin 2021), [T] [R], salarié de la société Altech géothermie, est décédé d'une chute le 14 janvier 2010 alors qu'il intervenait seul sur le chantier d'une maison en construction pour effectuer des travaux de finition sur la chaufferie.

2. Poursuivi du chef d'homicide involontaire, la société Altech géothermie (la société) et la société Immobilière du Haut-Rhin, maître d'oeuvre, ont été relaxées par un arrêt définitif du 5 avril 2017.

3. M. [Y] [R], ayant droit de la victime, a saisi un tribunal des affaires de sécurité sociale qui, par jugement du 14 août 2018, a dit que l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, que la rente d'ayant droit sera due jusqu'à l'âge de 20 ans, en la fixant à son maximum, et condamné la société à une certaine somme à titre de préjudice moral. Mme [P], agissant tant en son nom qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineure, [V] [R], ayants droit de la victime, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale aux mêmes fins et par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal a fait droit à leurs demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de dire que l'accident du travail mortel dont [T] [R] a été victime le 14 janvier 2010 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société, de fixer au maximum la majoration des rentes d'ayants droit dues à M. [Y] [R] et à Mme [V] [R], et dit que cette majoration leur sera due jusqu'à l'âge de 20 ans, de fixer à la somme de 10 000 euros le préjudice moral de M. [Y] [R], à la somme de 20 000 euros le préjudice moral de Mme [N] [P] et à la somme de 15 000 euros le préjudice moral de Mme [V] [R], de condamner la société Altech géothermie à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin le montant de la majoration des rentes et de l'indemnisation des préjudices moraux avancé par la caisse et de dire l'arrêt opposable à la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, alors « que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; que l'arrêt définitif de la cour d'appel de Colmar du 5 avril 2017 a, pour relaxer la société Altech géothermie du chef d'homicide involontaire, dans le cadre d'une relation de travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, jugé que rien n'avait permis de déterminer les causes de la chute de M. [R], cause de son décès, que, compte tenu du très long délai écoulé entre la mise en service du système de chauffage par la société Altech géothermie et l'intervention de son salarié pour un simple travail de finitions s'apparentant à une prestation de maintenance ou de service après-vente, le responsable de la société Altech géothermie était en droit de penser que le chantier était totalement terminé y compris s'agissant de la protection de la trémie de l'escalier et qu'en envoyant seul M. [R] dans la maison afin d'y effectuer quelques finitions sur le système de chauffage installé depuis plusieurs mois, le responsable de la société Altech géothermie s'est comporté comme un homme normalement diligent et qu'il ne peut lui être reproché aucun manquement ou négligence ; qu'en jugeant, pour retenir que l'accident du travail mortel dont M. [R] a été victime était dû à la faute inexcusable de son employeur, que la société Altech géothermie qui ne s'est pas assurée et n'a pas vérifié les conditions dans lesquelles M. [R] allait intervenir sur le chantier, aurait dû avoir conscience du danger auquel a été exposé son salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel qui a ainsi fondé sa décision sur un manquement de la société Altech géothermie à son obligation de sécurité et une conscience du danger que le juge répressif avait exclus de même qu'il avait exclu tout lien de causalité entre les manquements reprochés à cette société et la chute de M. [R] aux causes demeurées inconnues, a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et l'article 1355 du code civil, ensemble l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

5. Ayant, d'abord, rappelé que l'arrêt pénal retient que si la cause du décès de M. [R] a été sa chute depuis l'étage par une trémie non protégée, rien en revanche n'a permis de déterminer les causes de cette chute et qu'un doute subsiste sur les raisons pour lesquelles il a chuté d'un étage de la maison, et ensuite relevé qu'il résulte des constatations de l'inspecteur du travail, des enquêteurs et des photographies, l'absence de garde-corps au niveau de l'escalier d'où la victime est tombée, alors qu'elle ne bénéficiait d'aucun moyen de protection et que le responsable de la société, s'il pouvait penser que le chantier était entièrement terminé, ne s'en est pas assuré et n'a pas vérifié les conditions dans lesquelles le salarié allait intervenir sur le chantier, faisant ainsi ressortir que l'employeur, qui aurait dû avoir conscience du danger auquel a été exposé son salarié, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, c'est sans encourir le grief allégué que la cour d'appel a retenu la faute inexcusable de l'employeur.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Altech géothermie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

jeudi 29 avril 2021

Notion de faute inexcusable de l'employeur

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 avril 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 309 F-D

Pourvoi n° M 19-24.213




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021

M. Q... K..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° M 19-24.213 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2019 par la cour d'appel de Lyon (protection sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [...], société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Lagem, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, dont le siège est [...] , ayant un établissement [...] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. K..., de Me Le Prado, avocat de la société Lagem, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. K... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la SARL [...].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 septembre 2019) M. K... (la victime), salarié de la société Lagem (l'employeur), depuis le 2 octobre 2006, a effectué le 20 octobre 2010 une déclaration de maladie professionnelle, en produisant un certificat médical initial en date du 19 juillet 2007.

3. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ayant pris en charge cette affection au titre du tableau n° 47 des maladies professionnelles, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La victime fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, alors :

« 1°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il incombe ainsi avant tout à l'employeur de se renseigner sur les dangers encourus par le salarié, peu important que le risque ne lui ait pas été signalé ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposé à son poste de menuisier, au seul motif qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir été informée des problèmes de santé de son salarié, la cour d'appel a statué par un motif inopérant au regard du texte susvisé, qu'elle a donc violé par fausse application ;

2°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposé à son poste de menuisier, tout en constatant que les risques d'une exposition aux poussières de bois étaient expressément prévus par le tableau n° 47 des maladies professionnelles, ce dont il résultait nécessairement que l'employeur ne pouvait ignorer ce danger et ne pouvait donc qu'en avoir conscience, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard du texte susvisé, qu'elle a violé par fausse application ;

3° / qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la conscience que devait avoir l'employeur du danger auquel la victime était exposée à son poste de menuisier, sans rechercher, comme le lui demandait ce dernier, si le fait que les maladies professionnelles causées par les poussières de bois étaient inscrites depuis 1967 dans le tableau n° 47 des maladies professionnelles, ainsi que l'existence de dispositions réglementaires spécifiques en matière de protection respiratoire des salariés dans l'article L. 4222-12 du code du travail et l'arrêté du 5 janvier 1993, n'établissaient pas de plus fort cette conscience du danger qu'aurait dû avoir cet employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

4°/ qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en écartant la faute inexcusable de l'employeur, sans rechercher, comme le lui demandait la victime, si, au regard des dispositions réglementaires applicables et notamment l'article R 4222-12 du code du travail et l'arrêté du 5 janvier 1993, cet employeur avait mis en place des systèmes d'aspiration ou de captation des poussières de bois efficaces et si les masques qu'il avait mis à la disposition de ses salariés étaient suffisants pour assurer leur protection, la cour d'appel n'a, de ce chef encore, pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :

5. Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

6. Pour dire que l'employeur n'a pas commis de faute inexcusable, l'arrêt relève que la victime a été déclarée apte à son poste de menuisier le 7 avril 2009 et le 19 janvier 2010, et que ce n'est que le 18 juillet 2011 que l'employeur a eu connaissance d'une demande de reconnaissance de sa maladie professionnelle au titre du tableau n°47 faisant mention d'une première constatation médicale le 19 juillet 2007. Il ajoute que le salarié ne justifiant pas de la tardiveté de sa déclaration survenue trois ans après la première constatation médicale, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir été informé des problèmes de santé de son salarié. Il retient qu'en reprenant le fonds de commerce d'une autre société et le personnel dont faisait partie la victime, l'employeur ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel celle-ci était exposée car elle occupait déjà son poste de menuisier depuis juin 2000 sans manifestation d'une quelconque maladie antérieurement au 18 juillet 2011.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru, à la date de la première constatation médicale, par la victime exposée à l'agent nocif mentionné par le tableau comme susceptible d'entraîner l'affection considérée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation du chef du dispositif ayant rejeté la demande de M. K... en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Lagem entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif ayant déclaré sans objet le recours de la société Lagem à l'encontre de la société [...], précédent employeur de M. K....

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Lagem aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lagem et la condamne à payer à M. K... la somme de 3 000 euros ;

mercredi 8 avril 2015

L'exclusion des dommages résultant de l'inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art est formelle et limitée

Voir notes :

- Dessuet, RGDA 2015, p. 254.
- Charbonneau, RTDI 2015-3, p. 45.

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 24 mars 2015
N° de pourvoi: 13-25.737
Non publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
SCP Boulloche, SCP Delvolvé, SCP Jean-Philippe Caston, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)


--------------------------------------------------------------------------------


Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 2 août 2013), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ.,11 janvier 2012, pourvoi n° 10-26.898) que M. X..., assuré en responsabilité civile auprès de la société Gan assurances (la société Gan), s'est vu confier par le groupement foncier agricole de la Gane (le GFA) la réalisation tous corps d'état d'un bâtiment ; qu'il a demandé à M. Y..., architecte, de présenter la demande de permis de construire ; qu'invoquant des désordres, le GFA a demandé à M. X... d'intervenir pour les reprises ; que celui-ci, se plaignant de ne pas avoir été payé, a refusé et a assigné le GFA, la société Gan et l'architecte ;

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu qu'ayant retenu que la clause excluant « les dommages résultant de l'inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art applicables dans le secteur du bâtiment et du génie civil aux activités garanties, telles que ces règles sont définies par les documents techniques des organismes techniques compétents à caractère officiel et spécialement les documents techniques unifiés (DTU) publiés par le Centre scientifique et technique du bâtiment ou par les normes françaises homologuées diffusées par l'Association française de normalisation ou, à défaut, par la profession, ou de prescriptions du fabricant, lorsque cette inobservation est imputable à l'assuré... » est suffisamment formelle et limitée en ce qu'elle ne vide pas le contrat de toute substance en laissant subsister la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle de l'assuré et relevé que M. X... n'avait pas respecté les règles de l'art, notamment les DTU, avait suivi de façon approximative et inacceptable les prescriptions de l'architecte des bâtiments de France, utilisé des matériaux inadaptés, et réalisé une structure de béton armé non conforme aux règles de dimensionnement et de conception d'un tel ouvrage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que les dommages constatés étaient exclus de la garantie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Caston, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, constatant que le contrat liant Monsieur X... et le GFA de la GANE était un contrat de maîtrise d'oeuvre du chantier jusqu'au 4 juillet 2005, déboutant Monsieur X... de sa demande en résolution du contrat dirigée contre le GFA de la GANE, disant que Monsieur X... était responsable des désordres, fixant le préjudice du GFA de la GANE aux sommes de 194.545,14 ¿ HT pour les travaux de reprise réalisés, 296.816,85 ¿ HT au titre des travaux de reprise restant à réaliser et 39.503,09 ¿ HT pour le préjudice lié aux retards d'exécution et condamnant, en conséquence, Monsieur X... à payer au GFA de la GANE les sommes de 491.361,99 ¿ HT au titre du coût des travaux de reprise et des travaux restant à réaliser, outre 39.503,09 ¿ HT à raison du préjudice lié au retard dans l'exécution, débouté Monsieur X... et le GFA de la GANE de l'ensemble de leurs demandes de garantie dirigées à l'encontre de la Société GAN ASSURANCES et alloué au GFA de la GANE une indemnité complémentaire de 6.000 ¿ au titre de troubles de jouissance ;

AUX MOTIFS QUE dans la mesure où aucune réception n'est intervenue, seule la garantie contractuelle est due par Monsieur X... à l'exception de la garantie décennale ; que, dans ces conditions, la garantie décennale de la Société GAN ASSURANCES ne peut être recherchée pour les désordres imputables à Monsieur X... ; qu'en ce qui concerne le garantie responsabilité civile professionnelle souscrite par Monsieur X..., il convient de relever que les conditions générales du contrat souscrit auprès de la Société GAN ASSURANCES, intitulé « ASSURANCES RESPONSABILITES CIVILE ET DECENNALE DOMMAGES SUR CHANTIER », disposent dans leur chapitre III intitulé « RESPONSABILITE CIVILE », article 1, que « la compagnie garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu'il peut encourir dans l'exercice des métiers et activités mentionnés aux conditions particulières et dans les conditions définies ci-après (¿) » ; que le titre I du chapitre III précité, intitulé «RESPONSABILITE ENCOURUE PAR L'ASSURE EN COURS D'EXPLOITATION OU D'EXECUTION DES TRAVAUX », stipule dans son article 2, intitulé « Responsabilité de l'assuré à l'égard des tiers », que : «L'assurance s'applique à la responsabilité que l'assuré peut encourir à raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers, y compris aux clients. L'assurance s'applique également, par dérogation partielle à l'article 8 § 02.D) du présent chapitre, aux dommages matériels et immatériels causés au cours de l'exécution de ses ouvrages ou travaux, aux biens mobiliers et immobiliers confiés à la garde de l'assuré sur le chantier.
Sont exclus : -les dommages subis par les ouvrages ou travaux exécutés par l'Assuré ainsi que ceux atteignant soit les fournitures appareils et matériaux destinés à la réalisation des ouvrages ou travaux, soit le matériel ou l'outillage nécessaire à leur exécution, qu'ils appartiennent ou non à l'Assuré ; -les dommages résultat d'un arrêt des ouvrages ou travaux (sauf si cet arrêt est dû soit aux congés payés, soit aux intempéries, tel que défini à l'article 2 de la loi du 21 octobre 1946 et à la condition toutefois que les mesures de protection aient été prises) et survenant plus de 30 jours après le jour de l'arrêt ; -les dommages atteignant des constructions classées ou en voie d'être classées par les Pouvoirs Publics » ; qu'en outre, l'article 8 du titre IV, intitulé « EXCLUSIONS », dispose notamment que sont exclus, pour l'ensemble des garanties, « les dommages immatériels qui ne seraient pas la conséquence d'un dommage corporel ou matériel garanti ainsi que les erreurs d'implantations de l'ouvrage ainsi que les dommages résultant de l'inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art applicables dans le secteur du bâtiment et du génie civil aux activités garanties » ; qu'il apparaît ainsi que le contrat d'assurance liant les parties exclut de la garantie due par l'assureur les dommages aux ouvrages ou les travaux exécutés par l'assuré en cas de mauvaises prestations effectuées par cet assuré ; que, contrairement aux affirmations de Monsieur X..., ces exclusions ne vident pas le contrat d'assurance de tout objet puisque ce type de clause n'aboutit pas à une négation du contrat d'assurance mais à sa simple limitation à la seule responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de l'assuré à tel ou tel moment du chantier ; qu'en outre, l'expertise judiciaire a démontré que Monsieur X... n'avait pas respecté les règles de l'art et notamment les DTU, qu'il avait utilisé des matériaux inadaptés à la construction de toiture-terrasse, qu'il avait suivi de manière très approximative et de façon inacceptable les prescriptions des Bâtiments de FRANCE pour les murs et les encadrements en pierre... ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que les dommages constatés par l'expert et à l'origine des condamnations de Monsieur X... entrent dans le champ des exclusions du contrat d'assurance responsabilité civile professionnelle de celui-ci ; que, dans ces conditions, il y a lieu de débouter Monsieur X... et le GFA de la GANE de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la Société GAN ASSURANCES à ce titre (arrêt, p. 11 et 12) ;

1°) ALORS QUE les exclusions stipulées dans un contrat d'assurance doivent avoir un contenu parfaitement déterminé et ne pas conduire à vider la garantie de sa substance ; qu'en retenant que les exclusions mentionnées au contrat d'assurance liant les parties ne vidaient pas la garantie de son objet en tant qu'elles excluaient de la garantie due par l'assureur les dommages aux ouvrages ou les travaux exécutés par l'assuré en cas de mauvaises prestations effectuées par cet assuré, après avoir relevé que le contrat excluait « les dommages résultant de l'inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art applicables dans le secteur du bâtiment et du génie civil aux activités garanties », quand une telle exclusion n'était ni formelle ni limitée, la Cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du Code des assurances ;

2°) ALORS QUE (SUBSIDIAIREMENT) les juges ne sauraient méconnaître la loi du contrat ; qu'au demeurant, en retenant que le contrat d'assurance liant les parties excluait de la garantie due par l'assureur les dommages aux ouvrages ou les travaux exécutés par l'assuré en cas de mauvaises prestations effectuées par cet assuré et que tel était le cas dès lors que l'expertise judiciaire avait démontré que Monsieur X... n'avait pas respecté les règles de l'art et notamment les DTU, qu'il avait utilisé des matériaux inadaptés à la construction de toiture-terrasse et qu'il avait suivi de manière très approximative et de façon inacceptable les prescriptions des Bâtiments de FRANCE pour les murs et les encadrements en pierre, après avoir relevé que le contrat excluait « les dommages résultant de l'inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art applicables dans le secteur du bâtiment et du génie civil aux activités garanties », la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une « inobservation consciente, délibérée ou inexcusable des règles de l'art », a violé l'article 1134 du Code civil.



--------------------------------------------------------------------------------