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mardi 17 décembre 2024

Responsabilités du maître d'ouvrage délégué dépourvu d'assurance décennale obligatoire

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 décembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 649 F-D

Pourvoi n° C 22-22.998




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 DÉCEMBRE 2024

M. [Z] [F], domicilié [Adresse 10], a formé le pourvoi n° C 22-22.998 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [P] [O], domicilié [Adresse 2],

2°/ à M. [V] [U], domicilié [Adresse 5], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Oikos,

3°/ à M. [V] [G], domicilié [Adresse 8],

4°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), société d'assurance, dont le siège est [Adresse 4],

5°/ à la société Areas dommages, société d'assurance, dont le siège est [Adresse 7],

6°/ à la société Actif finance patrimoine conseil et développement, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en tant que de besoin en son établissement principal situé [Adresse 9],

7°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

8°/ à M. [P] [D], domicilié [Adresse 6], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sun constructions,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller doyen, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. [F], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, constituée aux lieu et place de la SCP Duhamel, avocat de la société Areas dommages, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller doyen rapporteur, Mme Abgrall, conseiller, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 septembre 2022), M. [O] a acquis, par l'intermédiaire de la société Stratus finance, conseil en gestion de patrimoine, aux droits de laquelle vient la société Oikos, désormais en liquidation judiciaire, un bien immobilier à rénover susceptible de bénéficier d'un dispositif de défiscalisation.

2. Il a conclu un contrat d'architecte avec M. [G], assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), et a confié les opérations de rénovation à la société Sun constructions, désormais en liquidation judiciaire, assurée successivement auprès des sociétés Areas dommages, Allianz IARD et Axa France IARD.

3. La société Actif patrimoine finance, désormais dénommée Actif finance patrimoine conseil et développement (la société Actif finance), ayant pour gérant M. [F], s'est vu confier une mission de maîtrise d'ouvrage délégué.

4. Se plaignant, après réception, de désordres et malfaçons, M. [O] a, après expertise, assigné en réparation les intervenants à l'opération et leurs assureurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [F] fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité, alors :

« 1°/ que M. [F] faisait valoir que la société AFP n'était pas tenue de souscrire une garantie décennale et que pour retenir l'existence d'une faute détachable qui lui serait imputable, il conviendrait de mettre à sa charge « l'obligation de qualifier en droit la maîtrise d'ouvrage déléguée, non pas en un mandat comme le retient la jurisprudence mais à un acte de construction au sens des articles 1792 et suivants du code civil » ; que pour retenir la responsabilité personnelle de M. [F], gérant de la société AFP, la cour d'appel a retenu que « le gérant d'une société qui ne souscrit pas au nom de celle-ci l'assurance de responsabilité décennale obligatoire commet une faute intentionnelle constituant le délit prévu par l'article L. 243-3 du code des assurances et engage sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers auxquels cette infraction a porté préjudice, quand bien même elle aurait été commise dans le cadre de ses fonctions de dirigeant social », a ajouté que « la société AFP, qui avait la qualité de locateur d'ouvrage, était tenue de souscrire une assurance de responsabilité décennale obligatoire » et en a déduit qu' « en s'abstenant de souscrire cette assurance, M. [F] a commis une faute séparable de ses fonctions sociales et engagé sa responsabilité personnelle » ; qu'en se prononçant ainsi, sans répondre au moyen péremptoire de M. [F] qui soutenait qu'aucune carence et donc aucune faute ne pouvait lui être imputée puisqu'il ne lui appartenait pas de qualifier juridiquement l'activité de la société AFP, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions qui lui soit imputable personnellement ; que constitue une faute séparable des fonctions de dirigeant, une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; que pour retenir la responsabilité personnelle de M. [F], gérant de la société AFP, la cour d'appel a retenu que « le gérant d'une société qui ne souscrit pas au nom de celle-ci l'assurance de responsabilité décennale obligatoire commet une faute intentionnelle constituant le délit prévu par l'article L. 243-3 du code des assurances et engage sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers auxquels cette infraction a porté préjudice, quand bien même elle aurait été commise dans le cadre de ses fonctions de dirigeant social », a ajouté que « la société AFP, qui avait la qualité de locateur d'ouvrage, était tenue de souscrire une assurance de responsabilité décennale obligatoire » et en a déduit qu' « en s'abstenant de souscrire cette assurance, M. [F] a commis une faute séparable de ses fonctions sociales et engagé sa responsabilité personnelle » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si étaient réunis les éléments requis pour que la faute du dirigeant soit qualifiée de faute détachable de ses fonctions et spécialement si la faute commise présentait un caractère intentionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1792-1 du même code, ensemble les articles L. 241-1 et L. 243-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

6. Ayant exactement énoncé, d'une part, que le gérant d'une société, qui ne souscrit pas au nom de celle-ci l'assurance de responsabilité décennale obligatoire, commet une faute intentionnelle constituant le délit prévu par l'article L. 243-3 du code des assurances et engage sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers auxquels cette infraction a porté préjudice, d'autre part, que, selon l'article 1792-1, 3°, du code civil, est réputé constructeur de l'ouvrage toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage, la cour d'appel a relevé que la société Actif finance, dont M. [F] était le gérant, s'était vu confier, par contrat, moyennant la somme de 145 000 euros, la mission, notamment, de superviser le travail de l'architecte et de veiller à la bonne réalisation des travaux selon les descriptifs et marchés de travaux passés, ce dont elle a déduit qu'appelée à intervenir sur le chantier en qualité de locateur d'ouvrage, elle avait la qualité de constructeur assujetti à l'assurance décennale obligatoire.

7. Elle a pu en déduire, sans être tenue de répondre à des conclusions ni de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que, faute pour M. [F] d'avoir souscrit une assurance de responsabilité décennale pour le chantier considéré, sa responsabilité personnelle, au titre de la faute séparable de ses fonctions, était engagée.

8. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. M. [F] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec d'autres, à payer à M. [O] une certaine somme au titre des malfaçons et inachèvements et de fixer le partage de responsabilité entre coobligés in solidum sur cette somme, alors « que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu la responsabilité personnelle de M. [F], gérant de la société AFP, pour ne pas avoir souscrit une assurance garantie décennale obligatoire et l'a condamné à indemniser M. [O] au titre des malfaçons et inachèvements en se bornant à affirmer que « les manquements de l'ensemble de ces intervenants (ont) conduit à la réalisation de l'entier préjudice du maître de l'ouvrage » ; qu'en se prononçant ainsi, lorsque le préjudice en cause ne résultait pas de la faute imputée au dirigeant, la cour d'appel, qui n'a donc pas établi le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice indemnisé, a violé l'article 1382 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

10. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

11. Pour condamner M. [F], in solidum avec d'autres, à payer à M. [O] une certaine somme au titre des malfaçons et inachèvements et fixer le partage de responsabilité entre coobligés in solidum sur cette somme, l'arrêt retient que les manquements de l'ensemble des intervenants ont conduit à la réalisation de l'entier préjudice.

12. En statuant ainsi, alors que la faute personnelle de M. [F], tirée de l'absence de souscription d'une assurance décennale obligatoire, était sans lien de causalité avec le préjudice résultant des malfaçons et inachèvements dont elle avait retenu qu'ils engageaient la responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

13. M. [F] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec d'autres, à payer à M. [O] une certaine somme au titre des pertes locatives et de fixer le partage de responsabilité entre coobligés in solidum sur cette somme, alors « que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu la responsabilité personnelle de M. [F], gérant de la société AFP, pour ne pas avoir souscrit une assurance garantie décennale obligatoire et l'a condamné à indemniser M. [O] des pertes de revenus locatifs ; qu'en se prononçant ainsi, lorsque le préjudice en cause ne procédait pas de la faute imputée au dirigeant, la cour d'appel, qui n'a donc pas établi le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice indemnisé, a violé l'article 1382 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :

14. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

15. Pour condamner M. [F], in solidum avec d'autres, à payer à M. [O] une certaine somme au titre des pertes locatives et fixer la partage de responsabilité entre coobligés in solidum sur cette somme, l'arrêt retient que M. [F] a commis une faute personnnelle en s'étant abstenu de souscrire une assurance de responsabilité décennale obligatoire pour le compte de la société dont il était le gérant.

16. En statuant ainsi, alors que, l'assurance de responsabilité décennale obligatoire ne couvrant pas les dommages immatériels, la faute personnelle retenue à la charge de M. [F], tirée de l'absence de souscription d'une telle assurance, était sans lien de causalité avec le préjudice résultant des pertes locatives subies par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

17. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la MAF et la société Areas dommages, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Allianz IARD, qui ne la sollicite que sur le deuxième moyen.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [F], in solidum avec la société Actif finance patrimoine conseil et développement, et M. [G], à payer à M. [O] la somme de 34 160,59 euros au titre des malfaçons et inachèvements et dit que, dans les rapports entre coresponsables, la contribution des coauteurs dans la réparation des dommages sera fixée dans les proportions de 60 % pour l'entrepreneur, 30 % pour l'architecte, 5 % pour la société Actif finance patrimoine conseil et développement et M. [F], et 5 % pour la société Oikos, en ce qu'il condamne M. [F], in solidum avec la société Allianz IARD, la société finance patrimoine conseil et développement et M. [V] [G] à payer à M. [O] la somme de 105 964 euros et dit que, dans les rapports entre coresponsables, la contribution des coauteurs dans la réparation des dommages sera fixée à hauteur de 20 % pour la société Allianz IARD 40 % pour M. [G], 20 % pour la société Actif finance patrimoine conseil et développement et pour M. [F], et 20 % pour la société Oikos, en ce qu'il condamne M. [F], in solidum avec d'autres, aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire et les dépens de référé et en ce qu'il condamne M. [F], in solidum avec d'autres, à payer à M. [O] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Met hors de cause la Mutuelle des architectes français et la société Areas dommages ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Allianz IARD ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300649

vendredi 22 septembre 2023

Responsabilité pénale du maître d'ouvrage délégué

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 22-86.894 FS-B

N° 00972


ECF
12 SEPTEMBRE 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 SEPTEMBRE 2023


La société [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 7 novembre 2022, qui, pour blessures involontaires et contravention de blessures involontaires, l'a condamnée à 20 000 euros et 1 000 euros d'amendes et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [3], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, MM. Samuel, Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Pour un chantier de travaux dans un stade, la société [3], maître d'ouvrage délégué, a conclu une mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé avec la société [5], qui a rédigé un plan général de coordination (PGC).

3. Par ailleurs, la société [3] a confié le lot électricité à la société [1], laquelle a conclu un contrat de sous-traitance avec la société [2] pour la réalisation de certains de ces travaux électriques.

4. Le 11 juillet 2019, trois salariés de la société [2] ont été blessés alors qu'ils travaillaient sur une armoire électrique qui n'avait pas été mise hors tension.

5. La société [3] a été poursuivie des chefs de délits et contravention de blessures involontaires, commis dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence, manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en omettant de respecter ses obligations relatives à l'évaluation des risques en matière d'installations électriques.

6. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable et a prononcé sur les intérêts civils.

7. La société et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [3] coupable de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de blessures involontaires avec incapacité inférieure à trois mois dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'il incombe au coordonnateur en matière de sécurité, dans la phase de réalisation de l'ouvrage, d'anticiper les situations de risque pouvant résulter des dispositions prises par les entreprises intervenant sur le chantier ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que la société [3], maître d'ouvrage délégué a mandaté la société [5] aux fins d'assurer la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé du chantier au cours duquel l'intervention de plusieurs entreprises était prévue, et qu'elle a expressément sollicité le coordonnateur de sécurité, par courriel du 14 mai 2019, d'organiser au plus vite une visite d'inspection commune avec la société [1] "pour travaux électriques de raccordement d'installation, d'éclairage, de sonorisation, de chauffage pour la pelouse et de luminothérapie" ; que pour retenir néanmoins la responsabilité de la société [3] du chef de blessures involontaires, l'arrêt attaqué reproche à son dirigeant de ne pas avoir "veillé à ce que le plan général de coordination rédigé par son coordonnateur mentionne bien ce risque électrique et soit diffusé auprès de toutes les sociétés intervenantes" ; qu'en imputant ainsi au maître d'ouvrage délégué de ne pas avoir veillé à la mention du risque électrique dans le plan général de coordination quand l'obligation d'évaluation du risque électrique ne pouvait incomber qu'au seul coordonnateur de sécurité, contractuellement mandaté par le maître d'ouvrage pour procéder à cette évaluation des risques, la cour d'appel a tenu la société [3] pour responsable d'une faute imputable au seul coordonnateur, en violation des termes du contrat conclu entre la société [3] et la société [5], du principe de la responsabilité personnelle, des articles 121-1, 229-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, des articles L. 4532-2 et suivants du code du travail ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction ou l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu'il résulte des dispositions du code du travail rappelées par l'arrêt attaqué, qu'il incombe au maître d'ouvrage de désigner un coordonnateur de sécurité pour tout chantier de bâtiment de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, aux fins de faire établir par ce dernier un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé, en prenant toutes les dispositions nécessaires pour lui assurer l'autorité et les moyens indispensables à l'exercice de sa mission ; qu'il résulte en l'espèce des propres énonciations de l'arrêt attaqué que le maître d'ouvrage avait bien désigné un coordonnateur de sécurité, lequel avait bien réalisé un plan général de coordination sans qu'aucun élément ne permette d'établir que le maître d'ouvrage ne lui aurait pas assuré l'autorité et les moyens nécessaires à l'exercice de sa mission ; qu'en retenant néanmoins la responsabilité pénale de la société, maître d'ouvrage délégué, du chef de blessures involontaires du fait des manquements commis par le coordonnateur en violation de ses engagements contractuels et du mandat exprès qui lui avait été confié aux fins d'évaluer les risques, quand il résultait pourtant de ses propres constatations que le maître d'ouvrage n'avait commis aucun manquement aux obligations particulières de sécurité mises à sa charge par le code du travail, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient, privant de ce fait sa décision de toute base légale au regard des articles 222-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, des articles L. 4532-4 et L. 4532-5 du code du travail, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les articles 229-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal exigent, pour
recevoir application, qu'il soit constaté que la faute reprochée à la société prévenue ait concouru, de façon certaine, aux blessures des victimes ; que pour déclarer la société [3] coupable des délits et contravention de blessures involontaires qui lui étaient reprochées en sa qualité de maître d'ouvrage, l'arrêt attaqué relève que "si ce PCG avait été transmis à [1], et à [2] et s'il avait pris en compte le risque électrique résultant de l'intervention des employés de la société [2] sur des installations qui devaient avoir été nécessairement consignées par les employés de la SAS [1], il aurait défini un protocole permettant d'identifier précisément la cellule à consigner, les règles de sécurité à respecter et le rôle respectif de chacune des entreprises dans le but d'éviter l'accident qui s'est finalement produit" ; qu'en se déterminant ainsi par ces motifs hypothétiques, s'abstenant de prendre en considération les conclusions du rapport d'expertise selon lesquelles la survenance du dommage était exclusivement imputable à la négligence des salariés de la société [1] dans la procédure de consignation et de contrôle des équipements électriques sur lesquels travaillaient les salariés de son sous-traitant, en méconnaissance de la procédure de consignation connue de tous les intervenants, cumulée à la négligence des salariés victimes de la société [2] dans la vérification de la mise hors tension des appareils, en méconnaissance des règles élémentaires de sécurité qu'ils connaissaient parfaitement, la cour d'appel n'a pas établi en quoi l'absence de manquement dans l'évaluation du risque électrique dans le plan général de coordination, aurait nécessairement permis d'éviter la survenance de l'accident, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles 222-19, alinéa 1, et R. 625-2 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour caractériser les fautes de la société [3] dans l'organisation de la coordination de sécurité et la déclarer coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que le PGC établi le 25 avril 2019 par la société [5], en sa qualité de coordonnateur de sécurité, ne mentionnait aucun risque électrique.

10. Les juges ajoutent qu'en méconnaissance de l'article R. 4532-44 du code du travail, le PGC n'a pas été remis par la société [3] à la société [1] avant les travaux.

11. Ils relèvent qu'en application des articles L. 4532-6 et R. 4532-11 de ce code, l'intervention du coordonnateur ne modifie ni la nature ni l'étendue des responsabilités qui incombent, en application des autres dispositions du même code, à chacun des participants aux opérations de bâtiments et de génie civil et que le coordonnateur exerce ses missions sous la responsabilité du maître de l'ouvrage.

12. Ils précisent qu'il appartenait, en application de l'article R. 4532-43 dudit code, à la société [3] de s'assurer que le PGC mentionnait un risque électrique dès lors que celui-ci était manifeste, s'agissant de travaux qualifiés « d'adaptation de l'éclairage sportif de l'[4] : pelouse, sono, éclairage ».

13. Les juges retiennent que, si le PGC avait pris en compte le risque électrique lié à l'intervention des employés de la société [2] sur des installations qui devaient être préalablement mises en sécurité par la société [1] et s'il avait été transmis à ces deux sociétés, un protocole aurait permis d'identifier la cellule à mettre hors tension, les règles de sécurité à respecter et le rôle respectif de chacune des entreprises.

14. Ils en déduisent que le dirigeant de la société [3] a commis pour le compte de celle-ci des manquements à des obligations de prudence ou de sécurité prévues par la loi ou le règlement, en l'espèce les articles R.4532-43 et R. 4532-44 du code du travail, en s'abstenant d'accomplir les diligences normales qui s'imposaient compte tenu de la nature de ses missions, de ses compétences, du pouvoir et des moyens à sa disposition, puisqu'il ne pouvait ignorer la nature électrique des travaux à effectuer ni les risques associés et qu'il n'a pas veillé à ce que le PGC, rédigé par son coordonnateur, mentionne ce risque et soit diffusé auprès de toutes les entreprises intervenantes.

15. En statuant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

16. En premier lieu, elle a caractérisé, à l'encontre du maître d'ouvrage délégué, la méconnaissance des dispositions de l'article R. 4532-44 du code du travail pour n'avoir pas remis le PGC, avant les travaux, à son cocontractant, la société [1].

17. En deuxième lieu, après avoir souverainement apprécié que le PGC devait intégrer le risque électrique inhérent à la nature des travaux en cause, elle a statué par des motifs dont il résulte qu'en application des articles L. 4532-6, R. 4532-11 et R. 4532-43 du code du travail, il appartenait au maître d'ouvrage délégué de faire remédier à l'insuffisance manifeste de ce document résultant de l'absence de prise en compte de ce risque.

18. Enfin, elle a souverainement apprécié, par des motifs dénués de tout caractère hypothétique, que ces manquements ont contribué à la survenance du dommage et a ainsi caractérisé, à l'encontre du maître d'ouvrage délégué, des fautes entrant dans les prévisions des articles 121-3, 222-19 et R. 625-2 du code pénal.

19. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [3] au paiement d'une amende de 20 000 euros pour les délits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail, et au paiement d'une amende de 1 000 euros pour la contravention de blessures involontaires avec incapacité inférieure à trois mois dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ qu'une seule peine doit être prononcée lorsque des délits et des contraventions sont compris dans la même poursuite et que les faits de la prévention procèdent d'une même action coupable ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a condamné la société [3] à deux peines d'amende, l'une d'un montant de 20 000 euros, pour les délits de blessures involontaires, l'autre, d'un montant de 1 000 euros pour la contravention de blessures involontaires ; qu'en prononçant ainsi, quand les délits de blessures involontaires et la contravention de blessures involontaires, qui procédaient d'une même action coupable, ne pouvaient être punis séparément, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 132-3, 132-7, 222-19 et R. 625-2 du code pénal, et le principe ci-dessus rappelé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-3, 132-7, 222-19 et R. 625-2 du code pénal :

21. En application de ces textes, une seule peine doit être prononcée lorsque des délits et des contraventions sont compris dans la même poursuite et que les faits de la prévention procèdent d'une même action coupable.

22. En condamnant la société [3] au paiement de deux amendes, d'une part, de 20 000 euros pour le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et, d'autre part, de 1 000 euros au titre de la contravention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à trois mois, alors que ces infractions procédaient d'une même action coupable et ne pouvaient être punies séparément, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 7 novembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé. ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00972

vendredi 8 octobre 2021

Retards et responsabilité du maître d'ouvrage délégué

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 septembre 2021




Rejet


M. MAUNAND, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 689 F-D

Pourvoi n° G 19-25.981




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2021

1°/ la société Groupe Sobefi, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Groupe Sobefi,

3°/ la société Thévenot Partners, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Groupe Sobefi,

ont formé le pourvoi n° G 19-25.981 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile TGI), dans le litige les opposant à la société Le Bouvet, société civile de construction vente, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les neuf moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat des sociétés Groupe Sobefi, BTSG², ès qualités, et Thévenot Partners, ès qualités, de la SAS Cabinet Colin-Stoclet, avocat de la société Le Bouvet, après débats en l'audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présents M. Maunand, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Nivôse, conseiller, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 26 novembre 2019), par contrat du 27 juillet 2006, la société Le Bouvet a confié à la société Groupe Sobefi, désormais en redressement judiciaire, la maîtrise d'ouvrage déléguée d'un programme immobilier destiné notamment à la vente en l'état futur d'achèvement et bénéficiant d'un dispositif de défiscalisation.

2. La banque de la Réunion a accordé à la société Le Bouvet un crédit d'accompagnement destiné à financer les travaux et a délivré une garantie financière d'achèvement au profit des acquéreurs de lots.

3. Le 28 janvier 2009, à la suite du défaut de paiement des situations visées par le maître d'oeuvre, l'entreprise de gros oeuvre a abandonné le chantier, bloquant l'intervention des corps d'état secondaires.

4. Les travaux des première et deuxième tranches, dont la réception était prévue, respectivement, fin novembre 2007 et fin juin 2008, ont été réceptionnés, avec des réserves, le 25 juillet 2011 et la troisième tranche a été abandonnée.

5. Par lettre du 11 avril 2012, la société Le Bouvet a résilié le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée.

6. Invoquant les fautes commises par le maître d'ouvrage délégué dans l'exécution de son mandat, la société le Bouvet a, après expertise, assigné la société Groupe Sobefi en réparation.

Examen des moyens

Sur les cinquième, sixième, huitième moyens et sur le neuvième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen et le neuvième moyen, pris en sa première branche, réunis

Enoncé du moyen

8. Par leur premier moyen, la société Groupe Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font grief à l'arrêt de fixer la créance de la société Le Bouvet au passif du redressement judiciaire de la société Groupe Sobefi à la somme de 3 368 157,29 euros, se décomposant comme suit : 305 659,37 euros, correspondant aux indemnités versées aux acquéreurs, 1 085 200 euros correspondant à la restitution des honoraires indûment perçus, 372 395 euros correspondant aux intérêts liés à la mobilisation de la garantie d'achèvement et 1 604 902,92 euros correspondant aux intérêts liés au crédit d'accompagnement, alors :

« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi, pour contester le rôle causal de prétendus manquements de sa part à ses missions de maître d'ouvrage délégué, donc de mandataire, dans la survenance des préjudices allégués par la SCCV Le Bouvet, sa mandante, et justifier ainsi son exonération de responsabilité, avait dénoncé, non pas seulement des fautes de tiers, savoir celles de la société Entreprise Legros et de la Banque de la Réunion, mais aussi les fautes de la victime elle-même ; que la société Groupe Sobefi avait en effet fait valoir le comportement frauduleux et fautif de ladite SCCV et de ses cogérants et associés, dont la société Entreprise Legros, en soulignant notamment à cet égard que ces derniers avaient produit auprès de la Banque de la Réunion, établissement de crédit finançant la réalisation du programme immobilier litigieux, un certain nombre de factures émises par la société Entreprise Legros, ne correspondant à aucune prestation de sa part et réglées par ledit établissement de crédit sans visa du maître d'oeuvre, et ce, à des fins de détournement de fonds au profit des associés de la SCCV – ces paiements indus ayant causé les difficultés de trésorerie qui avaient compromis la bonne fin dudit programme immobilier ; que la cour d'appel a quant à elle constaté que l'expert judiciaire avait fait état de sommes indument perçues par la société Entreprise Legros, à hauteur de 691 893,65 € ; qu'en se bornant, pour juger que la société Groupe Sobefi ne pouvait être exonérée de sa responsabilité pour mauvaise exécution de ses missions de mandataire, à estimer que cette dernière société invoquait des fautes commises par la société Entreprise Legros pour avoir « reçu des règlements pour des travaux non exécutés » et par la Banque de la Réunion pour une rupture abusive de crédit, sans examiner le moyen pris de l'existence d'un détournement de fonds par fausses factures imputable à la SSCV Le Bouvet ou, à tout le moins, d'une faute de la mandante pour avoir ordonné à sa banque le règlement, à partir de comptes bancaires ouverts à son nom dans les livres de celle-ci, de sommes indues, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que si le mandataire doit répondre d'une mauvaise exécution de son mandat, il ne répond pas du fait d'un tiers qu'il ne s'est pas substitué dans l'accomplissement de sa mission ni du fait de son mandant lui-même ; que si le mandataire peut ainsi répondre du paiement, effectué par lui-même ou à sa demande, d'une somme non réellement due par le mandant, il ne lui appartient pas en revanche de s'opposer à un paiement indu qu'il n'a pas lui-même effectué ou autorisé, que ce paiement soit le fait du mandant ou d'un tiers ayant agi hors toute mission confiée à lui ; qu'en estimant, pour juger que la société Groupe Sobefi ne pouvait être exonérée de sa responsabilité pour mauvaise exécution de ses missions de mandataire, à estimer qu'il appartenait à la société Groupe Sobefi de s'opposer au paiement des factures irrégulières de la société Entreprise Legros, sans préciser, comme elle y était pourtant invitée par les dernières écritures d'appel de la société Groupe Sobefi, si cette dernière était regardée comme ayant elle-même autorisé le paiement de la société Entreprise Legros ou s'il lui était imputé à faute de ne pas avoir empêché un paiement ordonné par la SCCV Le Bouvet ou effectué par la Banque de la Réunion hors toute instruction de la mandante ou de sa mandataire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016, ensemble les articles 1991, 1992 et 1994 du même code ;

3°/ que le mandat est un contrat par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, d'accomplir de manière indépendante, mais au nom et pour le compte du mandant, un ou plusieurs actes juridiques ; qu'en l'absence de clause d'exclusivité réservant au seul mandataire le pouvoir d'effectuer les actes concernés, le mandant n'est pas privé du pouvoir de les accomplir lui-même et le mandataire n'a pas le pouvoir de s'opposer à un acte accompli par le mandant ou par un tiers à la demande de ce dernier ; qu'en se bornant, pour juger que la société Groupe Sobefi ne pouvait être exonérée de sa responsabilité, à estimer que la société Groupe Sobefi, invoquant des fautes commises par la société Entreprise Legros pour avoir « reçu des règlements pour des travaux non exécutés », devait s'opposer au paiement des factures irrégulières, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée par les dernières écritures d'appel de la société Groupe Sobefi, si ces paiements n'avaient pas été réalisés par la Banque de la Réunion, à partir de comptes bancaires ouvert dans ses livres au nom de la SCCV mandante ou de ses associés et à la demande de ces derniers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble l'article 1984 du même code ;

4°/ qu'en matière de responsabilité contractuelle, le fait d'un tiers est une cause d'exonération totale ou partielle du responsable ; que la cour d'appel a constaté que l'expert judiciaire avait fait état de sommes indument perçues par la société Entreprise Legros, à hauteur de 69 .893,65 € ; qu'en se bornant, pour juger que la société Groupe Sobefi ne pouvait être exonérée de sa responsabilité pour mauvaise exécution de ses missions de mandataire, à estimer que cette société, invoquant des fautes commises par la société Entreprise Legros pour avoir « reçu des règlements pour des travaux non exécutés », devait s'opposer au paiement des factures irrégulières, sans s'expliquer pour autant, comme elle y était pourtant invitée par les dernières écritures d'appel de la société Groupe Sobefi, sur l'existence d'une faute de la société Entreprise Legros, co-titulaire du lot gros-oeuvre et associée de la SCCV mandante, pour avoir sollicité le paiement de sommes indues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil ;

5°/ par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait, pour justifier son exonération de responsabilité, fait valoir des fautes graves de gestion des gérants de la SCCV Le Bouvet et de la mandante elle-même, notamment pour avoir créé des difficultés de trésorerie en sollicitant de la Banque de la Réunion, établissement de crédit finançant la réalisation du programme immobilier litigieux, une réduction du crédit d'accompagnement initialement consenti, puis de nouveaux accords de financement, mais sous des conditions d'obtention de garantie de paiement et d'engagements d'apports et d'appels de fonds complémentaires, ou encore pour avoir cessé la commercialisation du programme immobilier malgré l'opposition de l'établissement de crédit et la signature imminente d'un contrat de vente globale des derniers lots ; qu'en se bornant, pour juger que la société Groupe Sobefi ne pouvait être exonérée de sa responsabilité, à estimer que cette dernière société invoquait des fautes commises par la société Entreprise Legros pour avoir reçu des règlements pour des travaux non exécutés et par la Banque de la Réunion pour une rupture abusive de crédit, sans examiner le moyen pris par la société Groupe Sobefi de l'existence de fautes de gestion des gérants de la SCCV Le Bouvet et de la mandante elle-même et de leur rôle causal dans la survenance des préjudices de cette dernière, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure. »

9. Par leur neuvième moyen, pris en sa première branche, la société Groupe Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font grief à l'arrêt de dire que la première a commis des fautes à l'origine du non-respect du planning de l'opération et de l'abandon du chantier par la société Sogea au mois de janvier 2009, de dire que ces fautes engagent sa responsabilité contractuelle et de fixer la créance de la société Le Bouvet à son passif à une certaine somme au titre des intérêts liés au crédit d'accompagnement, alors « que par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir que les associés de la SCCV Le Bouvet et celle-ci avaient, alors que 15 contrats de réservation de lots en l'état futur d'achèvement des bâtiments C et D avaient été signés dès le mois de mars 2008, refusé de réaliser les ventes devant suivre, et que la SCCV avait fait le choix de cesser la commercialisation du programme immobilier en mars 2009 malgré l'opposition de l'établissement de crédit et la signature imminente d'un contrat de vente globale des lots des tranches E et F avec la Semac ; qu'en se bornant néanmoins, pour reconnaître la société Groupe Sobefi débitrice d'une indemnité correspondant aux intérêts liés au crédit d'accompagnement consenti à ladite SCCV, à affirmer que ledit crédit devait être remboursé en juillet 2009 par le produit des ventes des lots, sans répondre au moyen pris par la société Groupe Sobefi d'une faute des associés de la SCCV et de celle-ci pour avoir refusé de réaliser de telles ventes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, la cour d'appel a retenu que le retard de démarrage des travaux et l'absence de garantie de paiement, laquelle avait conduit l'entreprise de gros oeuvre à abandonner le chantier, étaient imputables au maître de l'ouvrage délégué.

11. En deuxième lieu, elle a relevé que les travaux des premières tranches qui devaient être livrés aux mois de novembre 2007 et juin 2008 n'avaient fait l'objet d'une réception, avec une liste de réserves évaluées à plus de 430 000 euros, que le 25 juillet 2011, et qu'à compter de l'arrêt du chantier, au mois de février 2009, le maître d'ouvrage délégué avait été mis en demeure d'exécuter sa mission par plusieurs lettres du maître d'oeuvre, lequel avait constaté son désengagement tant en ce qui concerne la validation des devis et factures que les propositions de levée des réserves qui lui était soumis.

12. Ayant ainsi fait ressortir, répondant en les écartant aux conclusions de la société Groupe Sobefi, que les fautes de celle-ci se trouvaient en lien direct avec les retards de livraison et la prolongation du chantier, elle a pu, par ces seuls motifs, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, accueillir la demande en garantie formée contre elle par le maître de l'ouvrage à hauteur des indemnités que celui-ci avait versées aux acquéreurs à ce titre, des intérêts et commissions d'engagement restés à sa charge au titre de la garantie d'achèvement, mobilisée plus longtemps que prévu, ainsi que des intérêts du crédit d'accompagnement, non remboursé à l'échéance.

13. En dernier lieu, la restitution des honoraires ayant été prononcée à proportion de la partie non exécutée de la mission du maître d'ouvrage délégué, les griefs sont inopérants, s'agissant de la fixation de cette créance au passif de la société Groupe Sobefi.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. La société Groupe Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font grief à l'arrêt de dire que la première a commis des fautes à l'origine du non-respect du planning de l'opération et de l'abandon du chantier par la société Sogea au mois de janvier 2009, de dire que ces fautes engagent sa responsabilité contractuelle et de fixer la créance de la société Groupe Sobefi à son passif à une certaine somme, alors que :

« 1°/ que la cour d'appel a retenu que la SCCV Le Bouvet avait conclu avec la société Groupe Sobefi un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée qui était un mandat lui conférant le pouvoir de « représenter le maître d'ouvrage dans tous les actes qu'exige la réalisation du programme immobilier » ; qu'au-delà de cette simple formule de style, qui n'était qu'une annonce des actes effectivement mis à la charge de la mandataire, le contrat, comme l'a également constaté l'arrêt, précisait les missions véritablement dévolues au maître d'ouvrage délégué : « - déposer le permis de construire ; - choisir le cabinet d'architecture ; - conclure les contrats de louage d'ouvrage, recevoir les travaux et liquider les marchés ; - contracter toutes assurances auprès de toutes compagnies ; - vendre par lots en l'état futur d'achèvement les biens dépendant de l'ensemble immobilier et à cet effet, procéder à toute réunion ou division de parcelles, signer tous documents y afférents, et faire toutes affirmations prescrites par la loi ; (?) - choisir les agences immobilières pour la commercialisation et la location de l'ensemble immobilier » ; qu'il ressortait ainsi des termes clairs et précis dudit contrat que la société Groupe Sobefi n'avait pas été chargée d'accomplir des actes liés au bornage du fonds acquis par la SCCV, et moins encore de déterminer des « limites exactes » du terrain ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi en tant que mandataire, que celle-ci devait établir « les limites exactes » du terrain d'assiette du programme immobilier et fournir un bornage complet au maître d'oeuvre et aux entreprises concernées, la cour d'appel a dénaturé le contrat et, partant, violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016 ;

2°/ que le mandat est un contrat par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, d'accomplir de manière indépendante, mais au nom et pour le compte du mandant, un ou plusieurs actes juridiques ; que la cour d'appel a retenu que la SCCV Le Bouvet avait conclu avec la société Groupe Sobefi un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, lui conférant le pouvoir de « représenter le maître d'ouvrage dans tous lesactes qu'exige la réalisation du programme immobilier », et que ce contrat était un mandat ; qu'il ressortait ainsi des constatations et énonciations de l'arrêt lui-même que la société Groupe Sobefi, en tant que mandataire, n'était tenue que de représenter le maître d'ouvrage à l'occasion d'actes juridiques s'imposant pour la réalisation du programme immobilier, et non d'accomplir des actes matériels ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi en tant que mandataire, que celle-ci devait établir les limites exactes du terrain d'assiette du programme immobilier, cependant qu'une telle mission nécessitait des actes matériels, par exemple de vérification de l'exactitude et de la complétude desdites limites, actes matériels qui ne relevaient pas des obligations d'un mandataire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1984 du code civil ;

3°/ que le procès-verbal de bornage amiable réalisé par géomètre-expert, dressé le 4 août 2006 s'agissant du terrain acquis par la SCCV Le Bouvet, indiquait qu'il était établi entre la SARL Le Bouvet, venderesse du terrain susmentionné, et plusieurs autres parties, dont la Semac, et que les parties signataires reconnaissaient comme « seules valables entre les propriétés les limites » définies aux termes dudit document ; qu'il ressortait ainsi des termes clairs et précis de ce procès-verbal de bornage amiable qu'il concernait les limites du terrain acquis par la SCCV Le Bouvet par rapport à la propriété avoisinante de la Semac ; qu'en retenant néanmoins, pour imputer à faute à la société Groupe Sobefi, maître d'ouvrage déléguée et donc simple mandataire de la SCCV, un retard dans la fourniture au maître d'oeuvre et aux intervenants à l'acte de construire d'un bornage complet avant le démarrage des travaux, que la SARL Le Bouvet avait fait procéder à un bornage amiable « partiel » du terrain litigieux le 4 août 2006 et qu'il restait à définir sa limite avec la propriété avoisinante de la Semac, la cour d'appel a méconnu les termes clairs et précis de ce procès-verbal de bornage et, partant, l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

4°/ que si le mandataire est, sauf cas fortuit, présumé en faute du seul fait de l'inexécution de son mandat, cette présomption ne saurait être étendue à l'hypothèse d'une mauvaise exécution de ce dernier ; qu'à défaut d'une inexécution pure et simple du mandat, le mandataire ne répond que de fautes prouvées dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et qui ont causé le préjudice allégué par le mandant ; que par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir qu'un bornage contradictoire avait été réalisé avant même la signature du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée qu'elle avait conclu avec la SCCV Le Bouvet et que c'était seulement après que l'architecte avait adressé aux sociétés Sogea et Entreprise Legros leur premier ordre de service concernant les bâtiments A et B, le 2 juillet 2007, qu'avait été signalé par ces intervenants à l'acte de construire un problème d'implantation du programme immobilier, la société Groupe Sobefi s'étant alors attachée à mettre en oeuvre, avec succès, les moyens nécessaires à la réalisation du bornage définitif, le 17 décembre 2007 ; qu'en estimant que la société Groupe Sobefi devait établir sans attendre l'authentification de la vente les limites exactes du terrain d'assiette du programme immobilier, sans vérifier si la mandataire avait pu en connaître alors l'inexactitude et expliquer en quoi cette dernière se serait abstenue de chercher à résoudre ces difficultés dès qu'elle l'avait pu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble les articles 1991 et 1992 du code civil ;

5°/ que la cour d'appel a retenu qu'un procès-verbal de bornage « définitif » avait été transmis le 17 décembre 2007 par la société Groupe Sobefi ; qu'en se limitant, pour imputer à faute à cette société un retard dans l'établissement d'un bornage complet, à relever que le permis de construire avait été délivré le 22 février 2007 et que des relances étaient adressées à la mandataire par l'architecte maître d'oeuvre et certains des entrepreneurs les 3 et 16 août 2007, la cour d'appel, qui n'a en réalité fait état que de sollicitations de tiers, a statué par des motifs impropres à caractériser une inertie de ladite mandataire dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour y donner suite dès qu'elle le pouvait et, partant, fournir un nouveau procès-verbal de bornage rectifiant les erreurs dénoncés par des propriétaires voisins ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

6°/ que par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi faisait valoir, à l'appui notamment du jugement entrepris ayant statué en ce sens, que le bornage supposait, soit un accord entre les propriétaires des fonds contigus, soit une décision de justice tranchant l'action en bornage et que les difficultés concernant ledit bornage n'étaient liées qu'à des réclamations ou contestations de propriétaires voisins, auxquelles elle s'était attachée à répondre dans les meilleurs délais ; qu'en imputant à faute à cette société un retard dans l'établissement d'un bornage complet, sans s'expliquer sur ce moyen de défense de la mandataire, démontrant qu'elle avait effectué toutes les diligences requises au fur et à mesure de la survenance des difficultés concernant le bornage, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ qu'à défaut d'une inexécution pure et simple du mandat, le mandataire ne répond que de fautes prouvées dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et qui ont causé le préjudice allégué par le mandant ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait souligné que les difficultés de bornage ne concernaient pas les bâtiments A et B, mais seulement les bâtiments E et F, et avaient d'ailleurs été résolues avant le début des travaux concernant ces derniers bâtiments ; qu'en se limitant, pour retenir la responsabilité de cette société au titre d'un retard à établir un bornage complet avant le démarrage des travaux, prévu au mois de mars 2007, à relever que le prétendu manquement de la mandataire aurait obligé le maître d'oeuvre à reprendre ses études d'implantation et entraîné un retard dans le démarrage des travaux, ayant notamment justifié un report de la date de livraison des lots des bâtiments A et B, prévue à la fin du mois de novembre 2007, sans vérifier si la prétendue absence de bornage concernait bien les limites du terrain d'assiette des bâtiments A et B et était ainsi bien la cause du report de la date de livraison de ces bâtiments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble les articles 1991 et 1992 du même code. »

Réponse de la Cour

16. La cour d'appel a constaté que le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée confiait à la société Groupe Sobefi les pouvoirs les plus étendus pour mener à terme l'accomplissement de l'opération et, en particulier, celui d'accomplir tous les actes qu'exigeait la réalisation du programme immobilier.

17. Elle a relevé, sans dénaturation, que le procès-verbal de bornage amiable du 4 août 2006 n'était que partiel, la limite avec la propriété avoisinante appartenant à la Semac restant à définir, ce que confirmaient les énonciations du "compromis de vente" signé le 16 septembre suivant par la société Le Bouvet qui indiquait que le terrain appelé à être acquis par celle-ci n'était pas borné.

18. Ayant ainsi fait ressortir que la société Groupe Sobefi ne pouvait ignorer l'absence d'un bornage définitif à cette dernière date, elle a pu retenir, sans dénaturation du contrat, que le premier acte à accomplir, qui incombait au maître d'ouvrage délégué dès le début de sa mission, consistait à établir les limites exactes du terrain destiné à accueillir le projet de construction dont la première tranche de travaux devait commencer en mars 2007 pour une réception prévue fin novembre de la même année.

19. Elle a relevé que de nombreuses relances avaient été adressées à la société Groupe Sobefi tant par le maître d'oeuvre que par les entreprises adjudicataires du marché, notamment au mois d'août 2007, afin d'obtenir un bornage définitif et constaté que celui-ci ne leur avait été communiqué que le 17 décembre 2007.

20. Elle a pu en déduire, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que le retard à fournir un bornage complet aux intervenants à l'acte de construire, qui avait contraint le maître d'oeuvre à reprendre ses études d'implantation et différé la date de commencement des travaux et, par voie de conséquence, celle de la livraison des lots des bâtiments A et B, avait engagé la responsabilité pour faute du maître d'ouvrage délégué.

21. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

22. La société Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la cour d'appel a retenu que la SCCV Le Bouvet avait conclu avec la société Groupe Sobefi un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée qui était un mandat lui conférant le pouvoir de « représenter le maître d'ouvrage dans tous les actes qu'exige la réalisation du programme immobilier » ; qu'au-delà de cette simple formule de style, qui n'était qu'une annonce des actes effectivement mis à la charge de la mandataire, le contrat, comme l'a également constaté l'arrêt, précisait les missions véritablement dévolues au maître d'ouvrage délégué : « - déposer le permis de construire ; - choisir le cabinet d'architecture ; - conclure les contrats de louage d'ouvrage, recevoir les travaux et liquider les marchés ; - contracter toutes assurances auprès de toutes compagnies ; - vendre par lots en l'état futur d'achèvement les biens dépendant de l'ensemble immobilier et à cet effet, procéder à toute réunion ou division de parcelles, signer tous documents y afférents, et faire toutes affirmations prescrites par la loi ; (?) - choisir les agences immobilières pour la commercialisation et la location de l'ensemble immobilier » ; qu'il ressortait ainsi des termes clairs et précis dudit contrat que la société Groupe Sobefi n'avait pas été chargée d'accomplir des actes liés aux études de sols ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi en tant que mandataire, que celle-ci devait passer commande des études de sols, la cour d'appel a dénaturé le contrat et, partant, violé l'article 1134 ancien du code civil ;

2°/ que le mandat est un contrat par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, d'accomplir de manière indépendante, mais au nom et pour le compte du mandant, un ou plusieurs actes juridiques ; que la cour d'appel a retenu que la SCCV Le Bouvet avait conclu avec la société Groupe Sobefi un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, lui conférant le pouvoir de « représenter le maître d'ouvrage dans tous les actes qu'exige la réalisation du programme immobilier », et que ce contrat était un mandat ; qu'il ressortait ainsi des constatations et énonciations de l'arrêt lui-même que la société Groupe Sobefi, en tant que mandataire, n'était tenue que de représenter le maître d'ouvrage à l'occasion d'actes juridiques s'imposant pour la réalisation du programme immobilier, et non d'accomplir des actes matériels ; qu'en considérant néanmoins, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi en tant que mandataire, que celle-ci devait passer commande des études de sols, cependant qu'une telle mission nécessitait des actes matériels, par exemple de vérification de la nécessité de ces études de sols et de leur exactitude et complétude, actes matériels qui ne relevaient pas des obligations d'un mandataire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1984 du code civil ;

3°/ que la responsabilité d'un cocontractant, tel qu'un mandataire, suppose non pas seulement la constatation de l'existence de son obligation, mais celle de son exécution incorrecte ou tardive ; qu'en se bornant, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi au titre d'un retard dans le démarrage des travaux lié à l'étude des sols, à estimer que la commande de nouvelles études de sols relevait de sa mission de maître d'ouvrage délégué, donc à retenir l'existence d'une telle obligation de la mandataire, sans expliquer, comme elle y était pourtant invitée par les dernières écritures d'appel de la société Groupe Sobefi , en quoi ladite société aurait manqué à une telle obligation, en vérifiant si elle avait passé, ou non, commande, ou en caractérisant un éventuel retard dans la passation d'une telle commande compte tenu du moment où elle lui était réclamée par les intervenants à l'acte de construire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble les articles 1991 et 1992 du même code ;

4°/ qu'en matière de responsabilité contractuelle, le fait d'un tiers est une cause d'exonération totale ou partielle du responsable ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait souligné que l'acte d'engagement de l'architecte maître d'oeuvre lui confiait notamment les missions d'étude de projet, au nombre desquelles les études de sols, et la direction des travaux, et qu'il appartenait ainsi à cet intervenant de faire procéder à ces études par un géotechnicien en cas de nécessité ; qu'en s'abstenant de vérifier si le retard dans le démarrage des travaux n'était pas imputable à faute au maître d'oeuvre, et non au maître d'ouvrage délégué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble les articles 1991 et 1992 du même code. »
Réponse de la Cour

23. La cour d'appel, qui a constaté que le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée confiait à la société Groupe Sobefi les pouvoirs les plus étendus pour mener à terme l'accomplissement de l'opération et, en particulier, celui de conclure les contrats de louage d'ouvrage, a relevé que la société Groupe Sobefi avait été informée par les deux entreprises de gros oeuvre que les essais de plaques effectués le 20 juillet 2007 étaient en nombre insuffisant, que ces insuffisances et la découverte de matériels excoriacés avaient nécessité de nouvelles études de sol et que l'entreprise de gros oeuvre avait réclamé au maître d'ouvrage délégué, le 16 mai 2008, les rapports d'essais de sol correspondant à la plate-forme E et F.

24. Ayant fait ressortir, par cette seule chronologie, que le complément d'études de sols, dont la nécessité était acquise dès le mois de juillet 2007, n'avait pas été intégralement communiqué aux entreprises de gros oeuvre plus de neuf mois plus tard et retenu, sans dénaturation, que la commande de ces études relevait de la mission du maître d'ouvrage délégué, elle a pu en déduire, sans avoir à procéder à une recherche sur le fait d'un tiers que ses constatations rendaient inopérante, que l'absence de diligence suffisante de la société Groupe Sobefi dans la commande d'études de sols supplémentaires engageait sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage.

25. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le quatrième moyen

26. La société Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'en l'absence de clause d'exclusivité réservant au seul mandataire le pouvoir d'effectuer les actes concernés, le mandant n'est pas privé du fait du mandat du pouvoir de les accomplir lui-même ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir que la SCCV Le Bouvet, ayant conservé une maîtrise des opérations et notamment dans les rapports entre le maître d'ouvrage et la Banque de la Réunion, établissement de crédit finançant la réalisation du programme immobilier, avait elle-même négocié et accepté directement les conditions de la garantie de paiement des entrepreneurs auprès de cette banque ; que l'arrêt lui-même a retenu que le refus de la banque de mettre en place cette garantie n'était pas imputable à la société Groupe Sobefi ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la responsabilité de la société Groupe Sobefi en tant que mandataire, sur une négligence de celle-ci à mettre en place avant la signature des contrats d'entreprise la garantie de paiement légalement requise, sans vérifier si la SSCV mandante ne s'était pas réservé le droit de négocier et d'obtenir cette garantie de paiement auprès de la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble l'article 1984 du même code ;

2°/ qu'une faute contractuelle n'implique pas nécessairement par elle-même l'existence d'un dommage en relation de cause à effet avec cette faute ; qu'aucun lien de causalité ne peut ainsi être établi entre l'exécution incorrecte ou tardive d'une obligation et un préjudice qui serait pareillement survenu sans un tel manquement ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir que l'obtention d'une garantie de paiement des entrepreneurs avait été subordonnée à des conditions négociées entre la SCCV et la Banque de la Réunion et qu'il ressortait des courriers échangés entre ces derniers que cette garantie n'avait pu être mise en place du fait de l'absence de réalisation de ces conditions ; que l'arrêt lui-même a retenu que le refus de la banque de mettre en place cette garantie n'était pas imputable à la société Groupe Sobefi ; qu'en considérant que la négligence prétendue de la société Groupe Sobefi à mettre en place avant la signature des contrats d'entreprise la garantie de paiement légalement requise avait eu pour conséquence l'abandon du chantier par la société Sogea, sans vérifier si cet abandon de chantier ne serait pas pareillement intervenu sans cette prétendue négligence de la société Groupe Sobefi, la Banque de la Réunion ayant refusé quoi qu'il en soit d'accorder cette garantie,la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, ensemble les articles 1991 et 1992 du code civil. »

Réponse de la Cour

27. La cour d'appel, qui a relevé qu'aux termes du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, la société Groupe Sobefi avait l'obligation de contracter toutes assurances auprès de tous organismes et que celle-ci avait prévu, dans son dossier de présentation du projet, une caution garantissant le paiement des entreprises à hauteur de sept millions d'euros, a retenu, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la mise en place des garanties de paiement, prévues à l'article 1799-1 du code civil, faisait partie des diligences que le mandant était en droit d'attendre d'un professionnel ayant accepté la mission de maître d'ouvrage délégué et que celui-ci ne justifiait d'aucun acte de nature à établir au moins une tentative de mise en pace d'une telle garantie avant la signature du contrat.

28. Elle a pu en déduire, nonobstant l'échec des négociations directement entreprises en cours de chantier et dans l'urgence entre le maître d'ouvrage et la banque pour pallier la carence du maître d'ouvrage délégué, que l'absence de délivrance d'une garantie de paiement avant la signature du marché, imputable à la société Groupe Sobefi, se trouvait à l'origine de l'abandon de chantier par l'entreprise de gros oeuvre non réglée de ses prestations.

29. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.



Sur le septième moyen

30. La société Sobefi, le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir qu'au 23 août 2007, date du premier versement de ses honoraires et un peu plus d'un an après la signature du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, le 27 juillet 2006, elle avait réalisé sa mission de mandataire à hauteur de près de 80 %, ayant mené à bonne fin les missions d'élaboration, de dépôt de demande et d'obtention du permis de construire et du financement du programme immobilier, ainsi que la souscription des contrats d'assurance, la réalisation des appels d'offres, la sélection et la présentation au maître d'ouvrage des intervenants pour les divers lots du chantier, la signature des mandats de commercialisation des lots construits et la commercialisation de la première tranche dudit programme ; qu'en se bornant, pour dire la société Groupe Sobefi débitrice d'une créance de restitution de ses honoraires à hauteur des deux tiers, à relever qu'il avait été mis fin à sa mission de maître d'ouvrage délégué le 11 avril 2012, avant l'achèvement du programme immobilier prévu à la fin de l'année 2008, puis que la société Groupe Sobefi aurait été mise en demeure d'exécuter sa mission au cours de l'année 2009, et, enfin, que l'architecte maître d'oeuvre aurait dénoncé au cours de l'année 2012 le désengagement du maître d'ouvrage délégué, puis à affirmer que la partie de la mission de « maîtrise d'oeuvre » non exécutée (en réalité une mission de maître d'ouvrage délégué), pouvait être évaluée à deux tiers, sans préciser les éléments de sa mission que le maître d'ouvrage délégué n'aurait pas accomplis ni, en particulier, s'expliquer sur les actes qu'elle aurait été mise en demeure d'accomplir ni sur la proportion que représentaient les diligences à effectuer et bel et bien accomplies par le maître d'ouvrage délégué au début de relation contractuelle et dans les premières étapes du programme immobilier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, ensemble l'article 1999 du même code ;

2°/ que par ses dernières écritures d'appel, la société Groupe Sobefi avait fait valoir que sa mission de maître d'ouvrage délégué devant s'achever à la fin de l'année 2008, le montant de sa rémunération avait été calculé en prenant en compte la durée de deux ans et demi s'écoulant entre la conclusion du mandat et la réception de la dernière tranche de travaux, et qu'elle avait néanmoins poursuivi ses diligences sans solliciter d'honoraires complémentaires jusqu'en avril 2012 ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la mission du maître d'ouvrage délégué devait prendre fin à la réception des travaux, prévue pour la troisième et dernière tranche au mois de décembre 2008 ; qu'en se bornant néanmoins, pour dire la société Groupe Sobefi débitrice d'une créance de restitution de ses honoraires à hauteur des deux tiers, à relever qu'il avait été mis fin à sa mission de maître d'ouvrage délégué le 11 avril 2012, avant l'achèvement du programme immobilier prévu à la fin de l'année 2008, puis que la société Groupe Sobefi aurait été mise en demeure d'exécuter sa mission au cours de l'année 2009, et, enfin, que l'architecte maître d'oeuvre aurait dénoncé au cours de l'année 2012 le désengagement du maître d'ouvrage délégué – donc en retenant une prétendue inertie du maître d'ouvrage seulement pour une partie des années 2009 et 2012 –, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir une inexécution de nature à priver la mandataire des honoraires qui avaient été contractuellement prévus pour une mission devant s'achever au mois de décembre 2008, et, partant, privé sa décision de base légale au regard des textes précités. »

Réponse de la Cour

31. La cour d'appel, qui a relevé que la mission du maître de l'ouvrage délégué devait prendre fin à la réception des travaux prévue pour la première tranche au mois de novembre 2007, pour la seconde au mois de juin 2008 et pour la troisième au mois de décembre 2008, a constaté que la réception des travaux des deux premières tranches n'avait été prononcée, avec des réserves, que le 25 juillet 2011 et que la troisième tranche avait été abandonnée.

32. Elle en a exactement déduit que la réalisation de sa mission par la société Groupe Sobefi, à laquelle il a été mis fin par le maître de l'ouvrage avant l'achèvement du programme immobilier, n'avait été que partielle.

33. Ayant relevé que le non-respect du planning des travaux était le fait du maître d'ouvrage délégué, qui avait été mis en demeure, à compter de l'arrêt du chantier au mois de février 2009, d'exécuter sa mission par plusieurs lettres du maître d'oeuvre, lequel avait constaté son désengagement tant en ce qui concerne la validation des devis et factures qui lui était soumis que les propositions de levée des réserves, la cour d'appel a pu retenir, sans encourir les griefs du moyen, que la partie de la mission de maîtrise d'oeuvre non exécutée justifiait la restitution des honoraires indûment prélevés dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée.

34. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Groupe Sobefi aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;