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mercredi 19 février 2025

L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve que...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

IJ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 février 2025




Cassation partielle


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 84 F-D

Pourvoi n° K 22-21.349




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2025

1°/ M. [U] [B]-[D], domicilié [Adresse 2],

2°/ Mme [M] [B]-[D], domiciliée [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° K 22-21.349 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Dijon (3e chambre civile), dans le litige les opposant à Mme [Y] [C], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M.et Mme [B]-[D], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 9 juin 2022), [N] [B] est décédé le 18 janvier 2014, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [C], et ses enfants issus d'un précédent mariage, M. [U] [B]-[D] et Mme [M] [B]-[D] (les consorts [B]-[D]), et en l'état d'un testament olographe daté du 9 janvier 2013, instituant Mme [C] légataire de la quotité disponible de sa succession en pleine propriété.

2. En 2002, [N] [B] avait souscrit un contrat d'assurance sur la vie avec démembrement de la clause bénéficiaire, désignant Mme [C] comme usufruitière et les enfants de celle-ci, M. [H] et Mme [K] [V], nus-propriétaires.

3. Le 4 juillet 2014, Mme [C] a déposé une déclaration de renonciation à la succession de son époux en sa qualité d'héritière légale et testamentaire.

4. Le 26 décembre 2016, les consorts [B]-[D] ont assigné Mme [C] en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, rapport à la succession de différents biens, dont les sommes versées à Mme [C] en exécution de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie souscrit par [N] [B] en 2002, et recel successoral.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les consorts [B]-[D] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur demande en réduction, alors « que la demande en justice interrompt le délai de prescription et que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que pour déclarer irrecevable car prescrite la demande en réduction de M. [U] [B]-[D] et Mme [M] [B]-[D], la cour d'appel a jugé que l'action en réduction, portant selon les conclusions de l'appelant sur la donation déguisée des biens meubles et des sommes d'argent à Mme [C], action exercée pour la première fois dans les conclusions d'appelants du 16 avril 2021, soit postérieurement à l'expiration des délais de cinq et deux ans, doit être déclarée irrecevable comme tardive" alors qu'il ressortait de ses propres constatations que les demandes formées par les consorts [B]-[D], y compris l'action en réduction litigieuse suggérée par le premier juge, tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir la reconstitution successorale du patrimoine familial paternel qu'ils estiment détourné frauduleusement à leur détriment", ce qui supposait que l'effet interruptif de prescription de l'action tendant à la reconstitution successorale du patrimoine familial paternel devait s'étendre à l'action en réduction de succession, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 2241 alinéa 1er et 2242 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

6. Il résulte de ce texte que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

7. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande en réduction de la donation de biens meubles consentie par [N] [B] à Mme [C] à l'occasion de la rédaction de leur contrat de mariage, formée par conclusions d'appel notifiées le 16 avril 2021, l'arrêt retient que le délai de cinq ans de l'article 921, alinéa 2, du code civil expirait le 18 janvier 2019 et qu'au jour où ils ont engagé la procédure de partage, soit le 26 décembre 2016, les consorts [B]-/[D] avaient nécessairement connaissance de l'atteinte portée à leur réserve héréditaire puisqu'ils demandaient le rapport et la restitution de la quasi-totalité du patrimoine supposé de leur père.

8. En statuant ainsi, après avoir relevé que la demande en réduction litigieuse tendait à la même fin que celles soumises aux premiers juges, à savoir la reconstitution successorale du patrimoine familial paternel que les consorts [B]-[D] estimaient avoir été détourné frauduleusement à leur détriment, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Les consorts [B]-[D] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande au titre de l'assurance sur la vie, alors « que l'absence de mise en cause du nu-propriétaire d'une assurance-vie n'est pas une cause d'irrecevabilité de l'action en justice dirigée contre son usufruitier et tendant à ce que les primes versées par le souscripteur soient soumises à rapport à la succession ; qu'en l'espèce, en jugeant, pour déclarer irrecevable la demande de M. [U] [B]-[D] et Mme [M] [B]-[D] au titre de l'assurance-vie, que Mme [C] est usufruitière de l'assurance-vie, et les nus-propriétaires sont, pour moitié chacun, M. [E] [H] et Mme [P] [K] [V], née [H], de sorte que toute décision sur le caractère excessif des primes et le rapport à succession aura nécessairement des répercussions sur la substance du droit des nus-propriétaires, en ce que Mme [C] serait alors dans l'incapacité de leur rendre les fonds à la fin de l'usufruit" et que M. [E] [H] et Mme [P] [K] [V] n'ont pas été attraits en la cause et ne peuvent défendre leurs intérêts au titre de leur créance", la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 31 et 122 du code de procédure civile :

10. Aux termes du premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

11. Selon le second, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

12. Pour déclarer irrecevable la demande de rapport à la succession des sommes relatives au contrat d'assurance sur la vie souscrit par [N] [B], l'arrêt relève que Mme [C] est usufruitière de ces sommes, et que M. [H] et Mme [K] [V], nus-propriétaires, n'ont pas été attraits en la cause.

13. Il retient que ces derniers ne pouvaient donc défendre leurs intérêts, cependant que toute décision sur le caractère excessif des primes et le rapport à la succession de ces sommes est de nature à avoir des répercussions sur la substance de leur droit à la nue-propriété, en ce que Mme [C] serait dans l'incapacité de leur rendre les fonds à la fin de l'usufruit.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que M. [H] et Mme [K] [V], nus-propriétaires désignés dans la clause bénéficiaire démembrée de ce contrat, n'étaient pas héritiers de [N] [B], et que leur défaut de mise en cause ne pouvait avoir pour effet de rendre irrecevable l'action en rapport dirigée contre Mme [C] en sa qualité de conjointe survivante, usufruitière désignée par cette clause, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt déclarant irrecevable la demande des consorts [B]-[D] au titre du contrat d'assurance sur la vie entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande des consorts [B]-[D] au titre du recel successoral, qui s'y rattache par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande au titre de l'assurance sur la vie, déclare irrecevable comme prescrite la demande en réduction, rejette la demande au titre du recel successoral, et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne Mme [C] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [C] et la condamne à payer à M. [U] [B]-[D] et à Mme [M] [B]-[D] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C100084

lundi 22 avril 2024

L'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation sans renvoi


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 175 F-D

Pourvoi n° K 23-11.371




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 AVRIL 2024

La société Daudruy, Lantez-Mani, Van Overbeke, Nivelet, Douriez, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-11.371 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [K] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Daudruy, Lantez-Mani, Van Overbeke, Nivelet, Douriez, de la SCP Spinosi, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 24 novembre 2022), [O] [M], décédé le 4 août 2010, avait été condamné à payer à Mme [C] une certaine somme.

2. Le règlement de la succession a été confié à M. [G] (le notaire) puis à la société civile professionnelle Daudruy, Lantez et Van Overbeke (la société notariale).

3. A compter du mois d'avril 2011, Mme [C] s'était rapprochée du notaire afin que sa créance soit prise en compte dans le règlement de la succession.

4. Les ayants-droit de [O] [M] ont accepté la succession à concurrence de l'actif net par déclaration enregistrée au tribunal puis publiée au BODACC le 4 juillet 2011.

5. Le 23 septembre 2019, Mme [C] a assigné la société notariale en responsabilité et indemnisation du préjudice résultant de la perte de sa créance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. La société notariale fait grief à l'arrêt de déclarer l'action non prescrite, alors « que le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; qu'en jugeant, pour écarter la prescription de l'action indemnitaire formée par Mme [C] contre le notaire tendant à la réparation du dommage causé par l'extinction de sa créance que, dans le courrier du 5 août 2014, le notaire se content[ait] d'indiquer [?] qu'il n'a[vait] pas procédé à la vente d'un immeuble de la succession dont le conseil de Mme [C] entendait faire opposition sur le prix de vente à hauteur de sa créance, quand ce courrier indiquait, en outre, que les ayants droit de Monsieur [M] [avaient] accepté la succession à concurrence de l'actif net, ainsi qu'il résult[ait] de la déclaration effectuée auprès du tribunal de grande instance de Bourges le 16 juin 2011, qu'il précisait qu'à compter de la publicité au BODACC de la déclaration d'acceptation, les créanciers de la succession [avaient] eu un délai de quinze mois pour déclarer leur créance en l'étude, domicile élu de la succession et que faute de déclaration dans les délais, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession [étaient] éteintes à l'égard de celle-ci, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce courrier dont il résultait que Mme [C] savait ou aurait dû savoir dès le 5 août 2014 que sa créance était éteinte, en violation de l'interdiction de ne pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

7. Pour déclarer l'action non prescrite, l'arrêt retient que la lettre adressée le 5 août 2014 par le notaire au conseil de Mme [C] se bornait à indiquer qu'il n'avait pas été procédé à la vente d'un immeuble dépendant de la succession, sur le prix duquel celle-ci entendait faire opposition à hauteur de sa créance.

8. En statuant ainsi, alors que cette lettre indiquait que, sauf erreur de la société notariale, Mme [C] n'avait pas procédé à la déclaration de sa créance dans le délai de quinze mois de la publicité au BODACC de l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net par les ayants- droit de [O] [M], la cour d'appel, qui en a dénaturé le sens clair et précis, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Mme [C] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action à compter de la lettre adressée par le notaire à son conseil le 5 août 2014 indiquant que, sauf erreur de la société notariale, elle n'avait pas procédé à la déclaration de sa créance dans le délai de quinze mois de la publicité au BODACC de l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net.


13. Il y a lieu en conséquence de constater que l'action en responsabilité et indemnisation introduite le 23 septembre 2019 par Mme [C] contre la société notariale est prescrite.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable comme prescrite l'action de Mme [C] contre la société civile professionnelle Daudruy, Lantez et Van Overbeke ;

Condamne Mme [C] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100175

mardi 23 mai 2023

Deux actions ayant une cause distincte tendant à un même but : la seconde est virtuellement comprise dans la première

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 329 F-D

Pourvoi n° A 22-15.705





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

La société ACP construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-15.705 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2022 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Enduiest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société ACP construction, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Enduiest, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 mars 2022), la société civile immobilière Espace Majorelle (la SCI) a confié la réalisation d'une opération de construction à la société ACP construction, qui a sous-traité l'exécution des travaux de façades à la société Enduiest.

2. Le 4 mai 2015, la société Enduiest a mis en demeure la société ACP construction de lui payer le solde des travaux selon le mémoire définitif du 10 décembre 2013.

3. A la demande de la SCI et de la société ACP construction, un expert judiciaire a été désigné par ordonnance de référé du 10 février 2016. La société Enduiest est intervenue à l'instance.

4. N'ayant pu obtenir le règlement du solde de ses travaux, la société Enduiest a assigné, par acte du 17 juillet 2019, la société ACP construction en paiement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société ACP construction fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la prescription et toutes ses demandes et de la condamner à payer à la société Enduiest une certaine somme à titre de solde de ses travaux sous-traités, avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2019, alors « que l'interruption de la prescription résultant d'une demande en justice ne s'étend à une autre demande que lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Enduiest est intervenue volontairement à l'instance en référé diligentée notamment par la société ACP construction et son assureur de responsabilité aux fins de désignation d'un expert, afin que lui soit déclarée commune et opposable l'ordonnance à intervenir, et a retenu que cette intervention accessoire avait interrompu le délai de prescription de l'action en paiement des factures de travaux sous-traités ; qu'en statuant ainsi, sans dire en quoi cette intervention de la société Enduiest dans une procédure de référé destinée à la désignation d'un expert dans le cadre d'une opération de construction, poursuivait le même but que son action contractuelle en paiement de ses factures de travaux, de sorte que la seconde aurait été virtuellement comprise dans la première, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du Code civil. »


Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a rappelé que, si l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

7. La cour d'appel a ensuite relevé, par motifs propres et adoptés, que le sinistre de construction ayant conduit à la désignation d'un expert judiciaire était intervenu après la transmission par la société Enduiest de son mémoire définitif faisant apparaître un solde en sa faveur et que, par conclusions d'intervention volontaire du 2 février 2016 devant le juge des référés, celle-ci avait demandé à rendre commune et opposable l'ordonnance rendue à la demande principale de la SCI et de la société ACP construction visant à la désignation d'un expert.

8. Elle a pu en déduire que l'intervention volontaire de la société Enduiest, liée à l'action en référé, avait interrompu le délai de prescription de son action en paiement des factures de travaux, cette action étant virtuellement comprise dans l'action visant à l'obtention d'une mesure in futurum, de sorte que son action n'était pas prescrite au moment où elle avait délivré son assignation à la société ACP construction.

9. Procédant à la recherche prétendument omise, elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société ACP construction aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ACP construction et la condamne à payer à la société Enduiest la somme de 3 000 euros ;

mardi 13 septembre 2022

La demande de démolition d'une construction édifiée sur une partie commune, fut-elle réservée à la jouissance exclusive d'un copropriétaire, est une action réelle qui se prescrit par trente ans,

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 septembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 600 F-D


Pourvois n°
E 21-13.014
K 21-14.261 JONCTION





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022

I. M. [M] [X], domicilié [Adresse 1],
a formé le pourvoi n° E 21-13.014 contre un arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [E],

2°/ à Mme [B] [W], épouse [E],

domiciliés tous deux [Adresse 2]

3°/ à la société Ça M'Botte, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Vieni, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

5°/ au syndicat des copropriétaires de l'immeuble dit La Cocotière, représenté par son syndic le Cabinet Syndic One, domicilié [Adresse 3]






[Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

II. 1°/ M. [L] [E],

2°/ Mme [B] [W], épouse [E],

3°/ La société Ça M'Botte, société civile immobilière,

ont formé le pourvoi n° K 21-14.261 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à M. [M] [X],

2°/ à la société Vieni, société civile immobilière,

3°/ au syndicat des copropriétaires de l'immeuble dit La Cocotière,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° E 21-13.014 invoque, à l'appui de son recours, les sept moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demandeurs au pourvoi n° K 21-14.261 invoquent, à l'appui de leur recours, les huit moyens de cassation également annexés au présent.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [X], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [E] et de la société Ça M'Botte, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble dit La Cocotière, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° E 21-13.014 et K 21-14.261 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 28 janvier 2021), M. [X], propriétaire de lots dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, a assigné M. et Mme [E], la société civile immobilière Ça M'Botte (la SCI Ça M'Botte) et la société civile immobilière Vieni, propriétaires de lots dans le même immeuble, ainsi que le syndicat des copropriétaires de cet immeuble (le syndicat des copropriétaires), en annulation de décisions prises par l'assemblée générale du 27 mai 2013 et en démolition de constructions et d'aménagements réalisés par M. et Mme [E].

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, quatrième, sixième et septième moyens du pourvoi n° E 21-13.014, sur le cinquième moyen de ce pourvoi en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite la demande de M. [X] en enlèvement du cabanon de jardin, et sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième, sixième et huitième moyens du pourvoi n° K 21-14.261, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, et sur le cinquième moyen du pourvoi n° E 21-13.014 en ses autres griefs, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son troisième moyen, M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande en enlèvement du cabanon de jardin, alors « que toute action qui tend à mettre fin à un acte d'appropriation d'une partie commune se prescrit par trente ans ; qu'en déclarant prescrite l'action en enlèvement d'un cabanon situé sur les parties communes au motif que l'action tendant à la suppression d'un ouvrage non autorisé sur une partie commune est une action personnelle soumise à la prescription décennale, la cour d'appel a violé l'article 2227 du code civil et l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version applicable à la cause. »

5. Par son cinquième moyen, M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes en démolition des locaux construits sur les parties communes selon un permis de construire de juin 1989, alors que « toute action qui tend à mettre fin à un acte d'appropriation d'une partie commune se prescrit par trente ans ; qu'en déclarant irrecevables l'ensemble de ces demandes qui tendaient toutes à faire cesser des empiétements sur des parties communes ou des actes d'appropriation sur elles, la cour d'appel a violé les articles 2227 du code civil et 42 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2227 du code civil et l'article 42 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 :

6. Selon le premier de ces textes, le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Selon le second, sans préjudice de l'application des textes spéciaux fixant des délais plus courts, les actions personnelles nées de l'application de la loi entre des copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat, se prescrivent par un délai de dix ans.

8. Pour déclarer prescrites les demandes de M. [X], l'arrêt retient que l'action d'un copropriétaire tendant à la démolition d'un ouvrage édifié par un autre copropriétaire sur une partie commune, même à usage privatif, ou à la remise en état des lieux dans leur état d'origine, est une action personnelle, en ce qu'elle vise à faire cesser un abus de jouissance.

9. En statuant ainsi, alors que la demande de démolition d'une construction édifiée sur une partie commune, fut-elle réservée à la jouissance exclusive d'un copropriétaire, est une action réelle qui se prescrit par trente ans, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° K 21-14.261

Enoncé du moyen

10. M. et Mme [E] et la SCI Ça M'Botte font grief à l'arrêt d'annuler la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013, alors « que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour annuler la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013, adoptée à la majorité de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, relative à la pose de bacs végétaux et de pancartes restreignant le parking dans la cour, à la validation des emplacements des compteurs EDF et gaz posés depuis 1988 et à l'autorisation donnée à M. [E] de construire un abri de jardin et un poulailler sur le terrain à usage privatif, la cour d'appel a déclaré qu'elle portait sur des travaux obéissant à des régimes différents, la validation des emplacements des compteurs EDF et gaz et l'installation d'un poulailler à la place d'un cabanon de jardin entrant dans le cadre de l'article 25 b de la loi susvisée, et l'appropriation des parties communes par la pose de bacs végétaux et de pancartes et l'installation de l'abri de jardin, aménagement nouveau, relevant de la majorité de l'article 26 dans sa rédaction applicable au litige, de sorte que la résolution devait être annulée dans son ensemble ; qu'en statuant ainsi d'office et sans susciter les observations préalables des parties, ni M. [X] ni la SCI Vieni ne revendiquant le caractère complexe de la résolution n° 25 pour en demander l'annulation en son ensemble, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

11. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

12. Pour annuler la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013, l'arrêt retient qu'elle a été adoptée à la majorité de l'article 25, mais que la pose de bacs végétaux et de pancartes, ayant pour objet de restreindre le stationnement dans la cour, s'apparente à une appropriation des parties communes, laquelle, comme l'usage exclusif d'une partie commune par un copropriétaire, nécessite une autorisation donnée à la majorité de l'article 26 dans sa rédaction applicable au litige, et que le droit de jouissance privative sur des parties communes ne confère pas le droit d'y édifier un abri de jardin sans autorisation de l'assemblée générale selon cette même majorité.

13. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le septième moyen du pourvoi n° K 21-14.261

Enoncé du moyen

14. M. et Mme [E] et la SCI Ça M'Botte font grief à l'arrêt de leur ordonner d'enlever les bacs de végétaux et les pancartes restreignant le stationnement dans la cour, alors « qu'il résulte du troisième moyen que la cour d'appel ne pouvait annuler la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013, adoptée à la majorité de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, relative à la pose de bacs végétaux et de pancartes restreignant le parking dans la cour, à la validation des emplacements des compteurs EDF et gaz posés depuis 1988 et à l'autorisation donnée à M. [E] de construire un abri de jardin et un poulailler sur le terrain à usage privatif ; que par voie de conséquence et par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef du troisième moyen devra entraîner l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a ordonné aux époux [E], sous astreinte, d'enlever les bacs de végétaux et les pancartes restreignant le stationnement dans la cour. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

16. La cassation du chef de dispositif relatif à l'annulation de la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013 s'étend au chef de dispositif ordonnant à M. et Mme [E] d'enlever les bacs de végétaux et les pancartes restreignant le stationnement dans la cour.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes d'enlèvement du cabanon de jardin et en démolition des locaux construits sur les parties communes selon permis de construire de juin 1989, annule la résolution n° 25 de l'assemblée générale du 27 mai 2013 et ordonne et M. et Mme [E] d'enlever les bacs de végétaux et les pancartes restreignant le stationnement dans la cour, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne M. et Mme [E] et la société civile immobilière Ça M'Botte aux dépens du pourvoi n° E 21-13.014 et M. [X] aux dépens du pourvoi n° K 21-14.261 ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [X] à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Cocotière la somme de 3 000 euros, et rejette les autres demandes ;

vendredi 14 janvier 2022

Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1261 F-D

Pourvoi n° E 20-12.918




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2021

1°/ M. [R] [L], domicilié [Adresse 3],

2°/ M. [M] [O], domicilié [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° E 20-12.918 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) [Localité 8] 31, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à la société Aviva assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Abeille assurances,

3°/ à la société Aviva vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée Abeille vie,

4°/ à M. [A] [L], domicilié [Adresse 2],

5°/ à M. [W] [L], domicilié [Adresse 3],

6°/ à Mme [V] [F], domiciliée [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [R] [L] et M. [O], de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Aviva vie, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Aviva assurances, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de crédit agricole mutuel [Localité 8] 31, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [R] [L] et M. [O] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 8] 31, M. [A] [L], M. [W] [L] et Mme [V] [F].

Intervention volontaire

2. Il est donné acte à la caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 8] 31 de son intervention volontaire.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 novembre 2019) et les productions, M. [G] a, par un jugement définitif du 7 mai 2007 (en réalité le 9 mai 2007) d'un tribunal correctionnel, été déclaré coupable de faits d'escroquerie commis par abus de qualité vraie, en l'espèce ses fonctions dans les sociétés Abeille vie et Abeille assurances, actuellement dénommées Aviva vie et Aviva assurances (les assureurs), et condamné à payer des dommages-intérêts à M. [R] [L] et M. [O], lesquels s'étaient constitués parties civiles pour les escroqueries dont ils avaient été victimes.

4. Le 7 février 2011, M. [L] et M. [O] ont assigné devant un tribunal de grande instance les assureurs, en leur qualité de commettants de M. [G], en réparation de leurs préjudices.

5. Les assureurs ont appelé en garantie la caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 8] 31 (la banque).

6. Par jugement du 10 mars 2017, retenant que la prescription de leur action en responsabilité extra-contractuelle était acquise dès lors que, d'une part, les faits reprochés à M. [G] avaient été commis entre 1993 et 1996, d'autre part, les dommages en résultant s'étaient manifestés au plus tard en 1996, date à laquelle les victimes avaient été entendues par les services d'enquête, ce tribunal a déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par MM. [L] et [O] et sans objet l'appel en garantie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. M. [R] [L] et M. [O] font grief à l'arrêt de juger irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité contre les assureurs, en leur qualité de commettants de M. [G], agent d'assurances préposé desdites sociétés et condamné le 7 mai 2007 (en réalité le 9 mai 2007) par le tribunal correctionnel de Toulouse des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance commis entre 1993 et 1996 alors « que la constitution de partie civile de la victime d'un préjudice contre le seul préposé auteur des faits à l'origine de ce dommage, dès lors qu'elle a pour but d'obtenir des dommages et intérêts et qu'elle porte sur les faits générateurs de la responsabilité du commettant, interrompt le cours de la prescription de l'action dont la victime est titulaire contre lui ; qu'en jugeant que la constitution de partie civile à l'encontre du préposé n'avait pas interrompu la prescription courant pour les mêmes faits en faveur du commettant à l'égard des victimes, lorsque, par cette constitution de partie civile, lesdites victimes tendaient à obtenir réparation de leur préjudice et que les faits délictueux instruits formaient les conditions de la responsabilité des commettants, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270-1 du code civil dans leur version applicable à la cause, ensemble l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 2244 et 2270-1 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à celles issues de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, applicables à la cause et l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du même code :

8. Il résulte du premier de ces textes que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

9. Aux termes du deuxième, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

10. Il résulte du troisième que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés et ne peuvent s'exonérer qu'à la triple condition que leurs préposés aient agi hors des fonctions auxquelles ils étaient employés, sans autorisation, et à des fins étrangères à leurs attributions.

11. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a jugé l'action de M. [J] et de M. [O] irrecevable comme prescrite, l'arrêt, après avoir, d'une part, rappelé qu'un acte interruptif de prescription dans une instruction pénale à effet à l'égard de tous les « prévenus » et de toutes les victimes, d'autre part, constaté que M. [L] et M. [O] s'étaient constitués partie civile le 21 octobre 1998, retient que cette constitution de partie civile n'a pas interrompu la prescription courant devant la juridiction civile pour les mêmes faits en faveur des commettants de M. [G].

12. En statuant ainsi, alors qu'en l'espèce, la plainte avec constitution de partie civile déposée devant le juge d'instruction par MM. [L] et [O] et leur action engagée devant la juridiction civile visaient l'une et l'autre à obtenir la réparation de leur préjudice résultant des escroqueries commises par M. [G], ce dont il résultait que la prescription de l'action engagée devant la juridiction civile avait été interrompue par leur plainte avec constitution de partie civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du dispositif de l'arrêt en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action de M. [R] [L] et M. [O] contre les assureurs entraîne la cassation du chef de dispositif ayant déclaré, par confirmation du jugement, sans objet l'appel en garantie des assureurs à l'encontre de la banque qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive des sociétés Aviva assurances et Aviva vie contre M. [R] [L] et M. [O], l'arrêt rendu le 07 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne les sociétés Aviva vie et Aviva assurances et la caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 8] 31 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Aviva vie et Aviva assurances et la caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 8] 31 et condamne les sociétés Aviva vie et Aviva assurances à payer à M. [R] [L] et M. [O] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [R] [L] et M. [O]

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir jugé irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par les exposants contre les sociétés Aviva Assurances et Aviva Vie, en leur qualité de commettants de M. [G], agent d'assurances préposé desdites sociétés et condamné le 7 mai 2007 par le tribunal correctionnel de Toulouse des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance commis entre 1993 et 1996 ;

AUX MOTIFS PROPRES QU' « il n'est pas discuté que les appelants avaient connaissance dès 1996 de ce que M [G] avait dissipé à son profit les sommes qu'ils lui avaient versées, les intéressés fondant leur argumentation sur l'interruption de la prescription de l'action dont ils disposaient à l'encontre des sociétés Aviva Vie et Aviva Assurances en leur qualité alléguée de commettantes de M [G] ; que sera immédiatement écarté le moyen tiré d'une prétendue impossibilité d'agir qui n'est nullement caractérisée en l'espèce, le fait que M [G] n'ait pas été condamné sur le plan pénal ne les empêchant pas d'engager une action civile contre ses commettants que ce soit devant la juridiction pénale ou la juridiction civile ; que soutenir que la condamnation du préposé était un préalable nécessaire à l'engagement de l'action contre le civilement responsable est directement contraire aux principes posés par les articles 3 et 4 du code de procédure pénale ; qu'aux termes de l'article 3, l'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction ; qu'elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite ; qu'aux termes de l'article 4, l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique ; que toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ; que depuis la loi du 3 mars 2007, l'alinéa suivant a été ajouté : la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ; que l'article 4 du code de procédure pénale posait donc jusqu'à la loi du 3 mars 2007 le principe d'un sursis au jugement de l'action engagée devant la juridiction civile, mais non d'un sursis à l'action elle-même : l'action devait donc précisément être engagée pour empêcher la prescription de courir à l'encontre de la victime, à charge pour la juridiction de surseoir à statuer conformément à la loi ; que la constitution de partie civile à l'encontre du préposé n'a pas interrompu la prescription courant pour les mêmes faits en faveur du commettant à l'égard des victimes : en effet, s'il est exact qu'un acte interruptif de prescription, dans le cadre d'une instruction pénale, a effet à l'égard de tous les prévenus et de toutes les victimes, cette règle ne concerne en rien le civilement responsable, qui par hypothèse n'est ni auteur ni victime des faits instruits ; qu'enfin, les appelants ne sauraient utilement invoquer la reconnaissance de sa responsabilité pénale par M [G], laquelle n'a strictement aucune incidence sur la prescription de leur action civile à l'encontre de ses commettants » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'article 2270-1 du code civil, abrogé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, disposait que « les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation » ; que contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, ce texte, bien qu'issu de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ne s'applique pas uniquement aux accidents de la circulation, mais s'applique à toutes les actions en responsabilité civile extracontractuelles, en ce compris celles fondées sur les dispositions de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; que la loi du 17 juin 2008 a réduit ce délai à cinq ans, l'article 2222 du code civil issu de cette même loi disposant qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que cependant la loi nouvelle est sans effet sur une prescription déjà acquise à la date de son entrée en vigueur ; qu'en l'espèce, les faits reprochés à M. [G] ont été commis entre 1993 et 1996 ; que les dommages se sont manifestés au plus tard en 1996, date à laquelle les victimes ont été entendues par les services d'enquête ; qu'il en résulte qu'en application des textes ci-dessus rappelés, l'action en responsabilité de MM. [R], [A] et [W] [L], [B] [C], [X] [T], [M] [O] et de Mme [V] [F] à l'encontre des commettants de M. [G] devait être engagée au plus tard en 2006 ; que la prescription de leur action était dès lors acquise avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 » ;

ALORS QUE la constitution de partie civile de la victime d'un préjudice contre le seul préposé auteur des faits à l'origine de ce dommage, dès lors qu'elle a pour but d'obtenir des dommages et intérêts et qu'elle porte sur les faits générateurs de la responsabilité du commettant, interrompt le cours de la prescription de l'action dont la victime est titulaire contre lui ; qu'en jugeant que la constitution de partie civile à l'encontre du préposé n'avait pas interrompu la prescription courant pour les mêmes faits en faveur du commettant à l'égard des victimes, lorsque, par cette constitution de partie civile, lesdites victimes tendaient à obtenir réparation de leur préjudice et que les faits délictueux instruits formaient les conditions de la responsabilité des commettants, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270-1 du code civil dans leur version applicable à la cause, ensemble l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C201261

mardi 21 décembre 2021

Vu dans la chronique de jurisprudence de la 3ème Chambre civile....

 D. 2021, p. 2251, notes détaillées sur, entre autres, les thèmes suivants :

  • la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir (arrêt n° 20-17.623),
  • trouble anormal de voisinage et droit d'une copropriété de faire résilier le bail de l'auteur du trouble (arrêt n°  20-18.327),
  • délai de prescription de l'action pour "dommages intermédiaires" (arrêt n° 20-16.837),
  • obligation de l'assureur "DO" de répondre à toute déclarations de sinistre (arrêt n° 20-18.883).
Voir également note P. Brun, D. 2022, p39.
Note C. Cerveau-Colliard, GP 2022, n° 10, p. 64.

dimanche 7 février 2021

L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 janvier 2021




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 71 F-D

Pourvoi n° Y 19-19.164




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 JANVIER 2021

M. L... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-19.164 contre l'arrêt rendu le 15 avril 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. W... A..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. C..., de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. A..., après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 15 avril 2019), M. C... a assigné M. A... devant la juridiction des référés en expulsion d'un terrain cadastré [...] , issu, selon lui de la division de parcelles qui avaient été acquises par son arrière-grand-père et dont il est désormais propriétaire indivis, en démolition de la construction édifiée par l'occupant et en paiement d'une indemnité d'occupation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. C... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors « que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du droit invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès ; que la preuve de l'occupation irrégulière de la parcelle par M. A... n'était pas une condition de recevabilité des demandes formées par M. C... mais de leur succès ; qu'en déclarant néanmoins M. C... irrecevable, faute d'intérêt, en sa demande, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile :

3. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

4. Pour déclarer irrecevables les demandes, faute d'intérêt à agir, l'arrêt retient que la preuve de l'occupation de la parcelle [...] par M. A... n'est pas rapportée, en se fondant sur un constat d'huissier de justice des 10 juillet et 14 octobre 2015 mentionnant les déclarations de M. C... aux termes desquelles la construction édifiée par V... A..., depuis lors décédé, était actuellement occupée par Mme E... , sa fille, ses fils et son petit-fils.

5. En statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;

Condamne M. A... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

dimanche 26 avril 2020

La qualité pour agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien fondé de l'action

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 19 mars 2020
N° de pourvoi: 18-26.157
Non publié au bulletin Cassation

M. Pireyre (président), président
Me Balat, SCP Colin-Stoclet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)





Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mars 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 364 F-D

Pourvoi n° D 18-26.157




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2020

La société Karavelli, société en nom collectif, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° D 18-26.157 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Les Terrasses de l'Océan, anciennement dénommée société Orava, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Terrasses de l'Océan, dont le siège est [...] ,

3°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Orava, dont le siège est [...] , représenté par son syndic en exercice, la société Cailleau immobilier, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Karavelli, de Me Balat, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence Orava, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Les Terrasses de l'Océan, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Donne acte à la société Karavelli du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le syndicat des copropriétaires de la Résidence Les Terrasses de l'Océan.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 20 septembre 2018) et les productions, aux termes d'un protocole d'accord conclu le 12 juillet 2006, la société Orava a été autorisée à réaliser contre paiement un piquage sur deux réservoirs lui appartenant pour l'alimentation en eau d'un lotissement, et s'est engagée à l'égard de la société Karavelli à ce que le futur syndicat des copropriétaires du lotissement souscrive à cet engagement. La société Orava restait, à défaut, redevable des sommes dues au titre de la consommation d'eau.

3. La société Karavelli a assigné la société Orava en paiement de certaines sommes au titre de ce protocole d'accord.

4. Un jugement a condamné la société Orava, désormais dénommée Les Terrasses de l'Océan, à payer une certaine somme à la société Karavelli.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Karavelli fait grief à l'arrêt de juger irrecevable sa demande tendant, notamment, à la condamnation de la SARL Orava à lui payer la somme de 21 750 611 F CFP et de la débouter de toutes ses autres demandes alors « que l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; que le cocontractant dont le contrat n'a pas été respecté par l'autre partie a qualité pour demander en justice l'application de celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Karavelli et la société Orava avaient conclu un protocole d'accord le 12 juillet 2006 (arrêt, p. 5 dans le § 7), dont la société Karavelli demandait l'exécution ; que pour débouter la société Karavelli de ses demandes, la cour d'appel a énoncé « qu'il n'était pas conclu en défense sur l'existence du protocole du 10 mars 2004 et sur les conséquences légitimes qui en sont tirées par l'appelante et que dès lors, faute pour la société Karavelli d'établir sa qualité pour conclure le protocole du 12 juillet 2006 dont elle se prévaut pourtant dans le cadre de la présente instance, son action sera déclarée irrecevable » (arrêt, p. 5 § 6 et 7) ; qu'en confondant ainsi le droit de conclure le protocole d'accord et le droit d'agir pour en obtenir l'exécution, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à exclure la qualité à agir de la société Karavelli pour demander en justice l'exécution du protocole d'accord du 12 juillet 2006 et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française :

6. Selon ce texte, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

7. Pour déclarer irrecevable la demande de la société Karavelli, l'arrêt relève qu'il est soutenu que, contrairement au protocole d'accord conclu le 12 juillet 2006, la société Karavelli n'est pas propriétaire des deux réservoirs, édifiés sur le terrain appartenant à la société Vaihiapa, et ne pouvait donc avoir conclu ledit protocole pour facturer des frais de consommation d'eau à la société Orava. Il ajoute qu'est produit un protocole du 10 mars 2004 aux termes duquel la société Vaihiapa cédait pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf années à un adjoint chargé de l'eau de la commune de Papeete, une parcelle de terre avec autorisation d'y faire construire deux réservoirs d'alimentation en eau et retient qu'il n'est pas conclu en défense sur l'existence de ce protocole d'accord du 10 mars 2004 et sur les conséquences légitimes qui en sont tirées par la société Les Terrasses de l'Océan. Il en déduit que faute pour la société Karavelli d'établir sa qualité pour conclure le protocole du 12 juillet 2006 et dont elle se prévaut pourtant dans le cadre de la présente instance, son action sera déclarée irrecevable.

8. En statuant ainsi, alors que la qualité pour agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien fondé de l'action, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;

Condamne la société Les Terrasses de l'Océan et le syndicat des copropriétaires de la Résidence Orava aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Les Terrasses de l'Océan et le syndicat des copropriétaires de la Résidence Orava et les condamne à payer à la société Karavelli la somme globale de 3 000 euros ;