vendredi 22 septembre 2023

Assurance - Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 775 F-D

Pourvoi n° P 21-24.039




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-24.039 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Blue Beach, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Blue Beach, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Isola, conseiller rapporteur, M. Martin, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 septembre 2021), la société Blue Beach, exploitant un fonds de commerce de restauration, a souscrit le 17 juillet 2017 auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « protection financière ».

2. À la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, édictant notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société Blue Beach a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».

3. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre en raison de la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

4. La société Blue Beach a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa dixième branche

Enoncé du moyen

5. L'assureur fait grief à l'arrêt de dire qu'il devait garantir la société Blue Beach des pertes d'exploitation subies à la suite des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19, de dire que la clause d'exclusion contractuelle dont il se prévalait était ambiguë et devait s'interpréter en faveur de la société Blue Beach et de le condamner à payer à celle-ci des provisions à valoir sur son indemnisation définitive, alors « qu'en jugeant que la clause d'exclusion litigieuse devait être réputée non écrite en application de l'ancien article 1131 du code civil, quand la validité de cette clause était régie par un texte spécial, à savoir l'article L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. L'assureur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir retenu que la clause d'exclusion devait être réputée non écrite sur le fondement de l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dès lors qu'elle a également jugé que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances prévoyant que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées.

7. Le moyen est, dès lors, inopérant.

Mais sur le moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

8. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;

2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la nature et la portée des garanties incluses dans le contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles pour celui qui contracte, de nature à permettre à l'assuré de connaître l'étendue des garanties incluses dans le contrat d'assurance qu'il a souscrit », pour en déduire l'absence de caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse du fait de la prétendue nécessité d'interpréter le terme « épidémie », qui ne figure pourtant pas dans cette clause mais dans la clause relative à l'objet de la garantie, la cour d'appel, qui a étendu le régime des exclusions de garantie à la clause définissant l'objet de la garantie, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances par fausse application ;

3°/ qu'en énonçant que « la clause d'exclusion qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise une cause identique, ne peut être dissociée de cette dernière, et, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est soulevée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de cette clause puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur », pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

9. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

10. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

11. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont l'assureur se prévaut, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que cette clause qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise « une cause identique », ne peut être dissociée de cette dernière, et que, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est invoquée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de la clause litigieuse puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.

12. Il énonce, ensuite, que la « cause identique » visée par la clause d'exclusion renvoie au même événement qui a conduit à la décision de fermeture administrative, défini par la clause de garantie, à savoir une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, et qu'aucune définition n'est donnée dans le contrat des termes « maladie contagieuse », « épidémie » ou « intoxication ».

13. L'arrêt retient, enfin, qu'il s'infère, tant de l'étymologie du terme que des définitions qui en sont données en langue française et en vocabulaire médical, que l'épidémie est la propagation d'une maladie infectieuse à transmission interhumaine, contagieuse, à une population, c'est-à-dire à un grand nombre de personnes, et que rechercher d'autres définitions scientifiques auprès d'épidémiologistes, d'infectiologues et de l'Organisation mondiale de la santé, comme le fait l'assureur, pour démontrer qu'une épidémie peut se manifester auprès d'un petit nombre de personnes dans un espace donné comme un lieu scolaire, de travail ou de vie, démontre la nécessité d'interpréter ce terme, et en déduit l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.

14. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa douzième branche

Enoncé du moyen

15. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » - soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication - à celle qui a motivé la fermeture administrative - mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public - d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10 000 kilomètres carrés, soit moins de 2 % de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en affirmant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

16. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, doivent être formelles et limitées.

17. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

18. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que les risques épidémiques évoqués par l'assureur, susceptibles de ne toucher qu'un seul établissement au sein d'un département et ainsi mobiliser la garantie, comme la listériose, la salmonellose ou la légionellose, qui ne sont pas des maladies transmissibles interhumaines, à l'inverse de la peste, du choléra, de la variole ou de la Covid-19, n'entrent pas dans le champ de la définition de l'épidémie et que d'autres risques épidémiques comme la fièvre typhoïde et la gastro-entérite constituent des événements garantis par ailleurs en cas de fermeture de l'établissement pour cause de maladies contagieuses.

19. Il ajoute que le cas théorique d'un éventuel « cluster » de l'épidémie de Covid-19 isolé et limité à un seul établissement dans un même territoire départemental, évoqué par l'assureur et qui permettrait l'application de la garantie, est purement fictif et n'est pas avéré à ce jour.

20. Il en déduit qu'au regard de l'absence de risque couvert par la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, la clause d'exclusion vide de sa substance la garantie souscrite par l'assuré et n'apparaît pas limitée.

21. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt réputant non écrite la clause d'exclusion de garantie dont se prévaut l'assureur entraîne la cassation des chefs de dispositif ordonnant une expertise et étendant la mission de l'expert, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Blue Beach aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200775

Assurance - La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 780 F-D

Pourvoi n° D 21-24.835






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

M. [W] [Z], domicilié lieu-dit [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-24.835 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MMA IARD,

2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [Z], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 mai 2021) et les productions, M. [Z], afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à l'occasion du dispositif dit « Girardin Industriel », prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, a souscrit, le 25 octobre 2011, au produit « Snc GIR Réunion », proposé par la société Gesdom, pour l'acquisition et la mise en location des stations autonomes d'éclairage (SAE), alimentées par des panneaux photovoltaïques sur l'Ile de La Réunion.

2. M. [Z] a versé à la société Gesdom la somme de 7 702,50 euros, outre 332 euros de frais de dossiers.

3. L'attestation fiscale lui permettant de bénéficier de la réduction d'impôt escomptée ne lui ayant pas été remise par la société Gesdom, celle-ci invoquant, en premier lieu, que l'administration fiscale avait remis en cause les réductions d'impôts des montages des années précédentes faute de mise en service du matériel avant le 31 décembre de l'année concernée et, en second lieu, que l'éligibilité des SAE à la réduction fiscale était également remise en cause, après la loi de finances n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 pour l'année 2011 ayant rendu inéligibles à la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, M. [Z] a assigné, aux fins d'indemnisation, devant un tribunal de grande instance, la société Covea Risks, assureur de la société Gesdom au titre de sa responsabilité civile.

4. Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les assureurs), venant aux droits de la société Covea Risks, sont intervenues à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. M. [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, alors « que la faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l'exclusion de la garantie de l'assureur dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l'assuré qui ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre ; qu'à cet égard, la connaissance de l'existence du risque de réalisation d'un dommage ne peut être assimilée à celle de la certitude de sa survenance ; qu'il s'ensuit qu'un manquement, même délibéré, à l'obligation de prudence de l'assuré, qui rend seulement possible la réalisation d'un dommage, ne peut être assimilé à un manquement qui conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre ; qu'en l'espèce, pour imputer à la société Gesdom une faute dolosive ayant abouti à la réalisation inéluctable du dommage, la cour d'appel a retenu « qu'il est établi qu'au moment de la souscription du contrat, la société Gesdom avait pleinement conscience, d'une part de l'exclusion résultant de la loi de finance 2011, et du risque qu'elle faisait courir aux investisseurs », et que « bien que consciente du risque évident qu'elle faisait courir aux investisseurs, la société Gesdom n'en a pas moins volontairement décidé de commercialiser des SAE, ce manquement délibéré à son obligation de prudence ayant abouti à la réalisation inéluctable du dommage, faisant ainsi disparaitre l'aléa attaché à la couverture du risque » ; qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser la conscience qu'avait la société Gesdom de la réalisation inéluctable du dommage de nature à faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances :

6. Selon ce texte, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

7. La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

8. Pour rejeter les demandes de M. [Z], l'arrêt énonce qu'il est constant que l'article 36-1 de la loi de finances pour l'année 2011 du 29 décembre 2010 a exclu du champ d'application de la loi dite « Girardin » les investissements portant « sur les installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil » et observe que les SAE produisent de l'électricité au moyen de panneaux photovoltaïques grâce à cette énergie.

9. L'arrêt énonce encore qu'il est certain que tous les professionnels du secteur ne pouvaient que conclure à l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE et ne pouvaient faire valoir auprès des investisseurs potentiels un avantage fiscal devenu manifestement exclu. Il ajoute que la société Gesdom aurait dû suspendre la commercialisation des produits concernés et interroger l'administration fiscale plus tôt qu'elle ne l'a fait.

10. Il relève, à cet égard, que cette administration a été interrogée au mois d'avril 2013 seulement, et considère que c'est sans l'ombre d'une hésitation et sans surprise qu'elle a pris position en indiquant que l'exclusion définie par l'article 36 précité, concernant toutes les installations générant de l'électricité par la conversion photovoltaïque de l'énergie solaire, ne pouvait qu'appréhender également les SAE. Il ajoute que l'argument tiré du délai de réponse de cette administration, pour expliquer que la commercialisation se soit faite sans attendre sa réponse, est inopérant, au regard des enjeux et des risques que la société Gesdom faisait courir aux investisseurs en la poursuivant.

11. L'arrêt relève encore que si M. [Z] conteste tout risque délibéré pris par la société Gesdom, dès lors qu'elle a consulté un cabinet d'avocat spécialisé en matière fiscale, cette consultation est intervenue tardivement, plus de huit mois après l'entrée en vigueur de la loi précitée, et après la souscription par M. [Z] de son investissement. Il considère que la société Gesdom a sollicité cette consultation parce qu'elle connaissait la nouvelle exclusion figurant à l'article 36-1 précité, et en déduit qu'elle avait pleinement conscience du risque évident qu'elle faisait courir aux investisseurs au moment où le contrat a été souscrit.

12. Il retient, enfin, que le manquement délibéré de cette société à son obligation de prudence a abouti à la réalisation inéluctable du dommage qui a fait disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque, et en déduit qu'en vendant, en mai 2011, un tel produit de défiscalisation dont l'avantage fiscal n'était plus garanti, elle a commis une faute dolosive exclusive de tout aléa, de telle sorte que les assureurs sont fondés à opposer à M. [Z] une exclusion de garantie.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la conscience qu'avait la société Gesdom du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit auprès de M. [Z], qui ne se confond pas avec la conscience du risque d'occasionner le dommage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles et les condamne in solidum à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200780

Assurance : une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation partielle


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 781 F-D

Pourvoi n° A 22-12.830




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-12.830 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société SRP Saint Rémy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société SRP Saint Rémy, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 janvier 2022) et les productions, la société SRP Saint Rémy, exploitant un fonds de commerce de café restaurant, a souscrit auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « protection financière ».

2. À la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société SRP Saint Rémy a été contrainte de fermer son établissement.

3. Elle a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».

4. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre, en raison de la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

5. La société SRP Saint Rémy a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses neuvième et dixième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

7. L'assureur fait grief à l'arrêt de dire qu'il doit garantir la société SRP Saint Rémy des pertes d'exploitation subies à la suite des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19 et de le condamner en conséquence à payer la somme de 35 000 euros à titre de provision à l'assurée, alors :

« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de sa prétendue ambiguïté, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;

2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la nature et la portée des garanties prévues au contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles par celui qui contracte afin de lui permettre de connaître l'étendue des garanties incluses dans le contrat qu'il a souscrit », pour en déduire l'absence de caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse du fait de la prétendue ambiguïté du terme « épidémie », qui ne figure pourtant pas dans cette clause mais dans la clause relative à l'objet de la garantie, la cour d'appel, qui a étendu le régime des exclusions de garantie à la clause définissant l'objet de la garantie, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances par fausse application ;

3°/ qu'en énonçant qu'« il apparaît clairement que la clause de garantie et celle d'exclusion ne peuvent être dissociées et doivent s'interpréter l'une par rapport à l'autre » et que « l'épidémie est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur qui ne peut se contenter de soulever que le risque garanti est la fermeture administrative et non l'épidémie alors qu'il s'agit de la fermeture administrative pour épidémie », pour en déduire que « la notion d'épidémie figurant à la clause de garantie affecte nécessairement le caractère formel de la clause d'exclusion » et que la clause d'exclusion n'est pas formelle du fait de la prétendue ambiguïté de la notion d'épidémie, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ».

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

8. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

9. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

10. Pour dire que l'assureur doit garantir la société SRP Saint Rémy des pertes d'exploitation subies à la suite des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que cette clause qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise « une cause identique », ne peut être dissociée de cette dernière, et que, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est invoquée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de la clause litigieuse puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.

11. Il énonce ensuite que la définition du terme « épidémie » avancée par l'assureur, qui réfute la contagion et l'impact sur une population étendue comme données constantes de l'épidémie, ne correspond pas à celles des dictionnaires qui retiennent au contraire, de manière commune, comme caractéristique de l'épidémie, la propagation à une population étendue, cette dernière acception étant la plus usitée dans la population.

12. Il ajoute qu'en raison de l'ambiguïté de la notion d'épidémie à laquelle se réfère la clause d'exclusion, celle-ci n'est pas conforme aux exigences de l'article L. 113-1 précité et retient que, dès lors que la notion d'épidémie n'est pas définie dans la police d'assurance, alors qu'elle n'est pas entendue dans le même sens par les deux parties, le contrat d'assurance, qui est un contrat d'adhésion, doit s'interpréter, dans le doute, contre l'assureur qui l'a proposé.

13. Il déduit, enfin, de la nécessité d'interpréter le terme « épidémie », l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.

14. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

15. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que l'objet même d'une clause d'exclusion de garantie étant d'exclure des pertes et dommages de la garantie, le juge ne peut affirmer qu'elle prive de substance la garantie en se bornant à constater qu'elle exclut de la garantie les pertes dont l'assuré demande l'indemnisation ; qu'en l'espèce, en déduisant que la clause d'exclusion litigieuse vidait la garantie de sa substance des seules considérations inopérantes tirées de l'absence de garantie d'un sinistre particulier (à savoir, des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de mesures administratives affectant son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19) et de ce que « la société AXA ne cite aucun cas d'une fermeture administrative isolée suite à une propagation par contagion », se livrant ainsi à une appréciation in concreto du caractère non limité de l'exclusion, au lieu de l'apprécier in abstracto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

16. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

17. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

18. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt énonce qu'il est illusoire qu'une fermeture administrative dans le cadre d'une épidémie, s'agissant d'une maladie contagieuse se propageant à une population étendue, ne puisse concerner qu'un unique établissement.

19. Il ajoute que l'assureur ne cite aucun cas d'une fermeture administrative isolée suite à une propagation par contagion mais uniquement des cas d'intoxications par des produits corrompus ou causées par un manque d'hygiène ou d'entretien.

20. Il constate encore que l'assureur soutient qu'un « cluster », défini comme une « épidémie circonscrite à un seul lieu avant de pouvoir être qualifiée de pandémie », ouvrirait droit à garantie, mais énonce que cette argumentation est paradoxale, puisqu'une telle épidémie ou pandémie entraînera, nécessairement, une fermeture administrative collective excluant l'application de la garantie.

21. Il en déduit qu'au regard de l'absence de risque couvert par la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, la clause d'exclusion vide de sa substance la garantie souscrite par l'assuré et n'apparaît pas limitée.

22. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt déclarant réputée non écrite la clause d'exclusion de garantie dont se prévaut l'assureur entraîne la cassation du chef de dispositif ordonnant une expertise qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il donne acte à la société SRP Saint Rémy de son désistement d'instance concernant les demandes initialement formées à l'encontre de la société Assuralliance, déclare ledit désistement d'instance parfait et rejette, par conséquent, la fin de non-recevoir présentée par la société Assuralliance, devenue sans objet, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société SRP Saint Rémy aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200781

Faute du courtier d'assurance

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation partielle


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 787 F-D


Pourvois n°
et
P 21-21.969
C 21-22.051 Jonction








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023


I. 1°/ la société Gan assurances, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole, dont le siège est [Adresse 9],

ont formé le pourvoi n° P 21-21.969 contre un arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société MS Amlin Insurance SE, dont le siège est [Adresse 6]),

2°/ à la société Les Bois chauds du Berry, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10],

3°/ à la société [S] [V], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5], ayant un établissement secondaire [Adresse 2], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Bois chauds du Berry,

4°/ à M. [B] [R], domicilié [Adresse 3],

5°/ à la société Caisse de garantie des professionnels de l'assurance (CGPA), dont le siège est [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

II. 1°/ la société [S] [V], société civile professionnelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Bois chauds du Berry,

2°/ la société Les Bois chauds du Berry, société anonyme,

ont formé le pourvoi n° C 21-22.051 contre le même arrêt dans le litige les opposant :

1°/ à la société Gan assurances, société anonyme,

2°/ à la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole,

3°/ à M. [B] [R],

4°/ à la société Caisse de garantie des professionnels de l'assurance (CGPA), dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la société MS Amlin Insurance SE,

défendeurs à la cassation.

La société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole invoquent, à l'appui de leur pourvoi principal n° P 21-21.969, un moyen unique de cassation et, à l'appui de leur pourvoi incident n° C 21-22.051, deux moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Les Bois chauds du Berry et la société [S] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Bois chauds du Berry, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MS Amlin Insurance SE, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [R] et la société Caisse de garantie des professionnels de l'assurance (CGPA), et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 21-21.969 et C 21-22.051 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 24 juin 2021), la société Les Bois chauds du Berry, qui exerçait son activité dans des locaux donnés à bail par la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole assurée auprès de la société Gan assurances, a souscrit par l'intermédiaire de M. [R] (le courtier) un contrat d'assurance multirisque auprès de la société MS Amlin Insurance SE (l'assureur).

3. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 septembre 2017 indiquant qu'à défaut de règlement, les garanties seraient suspendues 30 jours après l'envoi de cette lettre, l'assureur a mis en demeure son assurée de payer la cotisation d'assurance échue au titre du second semestre 2017.

4. Le jeudi 19 octobre 2017, l'assurée a demandé au courtier de solliciter de l'assureur des délais de paiement. Cette requête a été transmise à l'assureur par un courriel du courtier envoyé le samedi 21 octobre suivant à 18 h 24. Ce même jour dans l'après-midi, les locaux occupés par l'assurée ont été détruits par un incendie.

5. Le lundi 23 octobre 2017, l'assureur, ignorant du sinistre, a accepté la demande de délais formée par son assurée.

6. L'assureur ayant refusé de garantir les conséquences de l'incendie, la société Les Bois chauds du Berry l'a assigné ainsi que le courtier et son assureur, la Caisse de garantie des professionnels de l'assurance, son bailleur et l'assureur de celui-ci devant un tribunal de commerce.

7. La société Les Bois chauds du Berry a été placée en liquidation judiciaire et la société [S] [V] a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal n° C 21-22.051 formé par les sociétés Les Bois chauds du Berry et [S] [V]

En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi n° P 21-21.969 formé par la société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole

Enoncé du moyen

8. La société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans son courriel du 23 octobre 2017 qui répondait à la demande du courtier de la société Les Bois chauds du Berry, M. [R], s'agissant du contrat d'assurance de sa cliente, de « bien vouloir reporter la suspension et la résiliation (si on devait en arriver là) d'un délai de 1 mois supplémentaire », le responsable de la délégation lyonnaise de la société Amlin a indiqué « OK maintien des garanties en cours pour un mois supplémentaire » : qu'il résultait ainsi des termes clairs et précis de ce document que la société Amlin avait expressément accepté le report de la suspension et de la résiliation du contrat d'assurance souscrit par la société Les Bois chauds du Berry de sorte que celui-ci continue à produire ses effets de manière ininterrompue, pour un mois supplémentaire ; que pour juger les garanties de ce contrat suspendues à la date du 20 octobre 2017 à minuit jusqu'au 23 octobre suivant, date du courriel précité, l'arrêt retient que la suspension résulte des « éléments de chronologie » et énonce que « l'usage impropre », dans ce courrier électronique, de l'expression « maintien des garanties en cours » importe peu ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé le document précité, et ainsi violé le principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel ayant constaté qu'il n'était ni établi ni soutenu qu'à la date de la rédaction du courriel le 23 octobre 2017, l'assureur avait été informé de l'existence de l'important incendie survenu en début d'après-midi du samedi 21 octobre, et retenu, par motifs adoptés, que le consentement de l'assureur au report de la suspension des garanties avait été vicié, le moyen tiré de la dénaturation de ce courriel est inopérant.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal n° C 21-22.051 formé par les sociétés Les Bois chauds du Berry et [S] [V], et le moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi incident relevé par la société Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole, qui sont identiques, réunis

Enoncé du moyen

11. Les sociétés Les Bois chauds du Berry, [S] [V] en sa qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci, Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, alors « que tout professionnel est tenu d'agir avec diligence et, notamment, avant l'expiration des délais qui s'imposent à son client ; qu'en l'espèce, il est constant que M. [R] a été saisi le jeudi 19 octobre 2017 d'une demande à adresser à l'assureur tendant à l'octroi d'un échelonnement des paiements de la prime ; qu'en considérant que le courtier n'avait commis aucune faute en attendant le samedi 21 octobre 2017 à 18 h 50 pour transmettre ce courriel à l'assureur, quand ce dernier prétendait que la suspension commençait le 20 octobre 2017, ce qu'il ne pouvait pas ignorer en sa qualité de professionnel de l'assurance, et sans constater de circonstances, que le courtier n'alléguait d'ailleurs pas, qui l'auraient empêché de transférer le courriel à l'assureur immédiatement ou a minima en temps utile et avant la suspension des garanties, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil :

12. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une force majeure.

13. Pour rejeter les demandes formées par les sociétés Les Bois chauds du Berry et son liquidateur judiciaire, Gan assurances et la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole, la cour d'appel retient qu'en prenant attache avec le courtier juste avant le terme du délai qui lui avait été donné pour régler la cotisation d'assurance, l'assurée a placé celui-ci dans une situation telle qu'il était totalement hypothétique sinon illusoire d'obtenir, dans la journée, une réponse de l'assureur consistant au maintien des garanties. Il ajoute que la transmission le samedi 21 octobre 2017 en fin d'après-midi d'une telle demande reçue, après plusieurs mois de relances infructueuses, dans la journée du 19 octobre 2017, soit au terme d'un délai de 48 heures, ne saurait revêtir un caractère fautif en raison de la tardiveté alléguée, qui ne se trouve aucunement démontrée.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le courtier, qui savait que les garanties seraient suspendues à compter du 20 octobre 2017 à minuit en l'absence de paiement de la cotisation, n'avait transmis à l'assureur que le samedi 21 octobre, en toute fin de journée, à un moment où les garanties étaient déjà suspendues, la demande de délais de paiement et de maintien des garanties présentée le 19 octobre par l'assurée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 21-22.051, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° P 21-21.969 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes des sociétés Les Bois chauds du Berry et [S] [V], d'une part, de la société Gan assurances et de la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole d'autre part, à l'encontre de M. [R], l'arrêt rendu le 24 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. [R] et la Caisse de garantie des professionnels de l'assurance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [R] et la Caisse de garantie des professionnels de l'assurance à payer, d'une part, à la société [S] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Bois chauds du Berry, et à la société Les Bois chauds du Berry, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la société [S] [V], la somme globale de 3 000 euros et, d'autre part, à la communauté d'agglomération [Localité 8] métropole et à la société Gan assurances la somme globale de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200787

L'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les causes d'interruption de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du même code

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation partielle


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 788 F-D


Pourvois n°
S 21-25.951
M 22-10.379 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

I. M. [F] [Z], domicilié [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 21-25.951 contre l'arrêt n° RG : 20/00555 rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,

2°/ à M. [E] [S], domicilié [Adresse 9],

3°/ à M. [G] [S], domicilié [Adresse 3],

4°/ à M. [N] [R], domicilié [Adresse 11],

5°/ à Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8],

6°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company, dont le siège est [Adresse 2], ayant son siège social [Adresse 10] (Irelande),

8°/ à M. [I] [V], domicilié [Adresse 5],

9°/ à Mme [D] [V], domiciliée [Adresse 1],

ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,

défendeurs à la cassation.

MM. [E] et [G] [S], Mme [L] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

II. Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 8], a formé le pourvoi n° M 22-10.379 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), société anonyme, venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited,

2°/ à M. [E] [S],

3°/ à M. [G] [S],

4°/ à M. [N] [R],

5°/ à M. [F] [Z],

6°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

7°/ à la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company,

8°/ à M. [I] [V],

9°/ à Mme [D] [V],

ces deux derniers pris en qualité d'héritiers de [K] [V], décédé,

défendeurs à la cassation.

MM. [E] et [G] [S] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [Z], de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de MM [E] et [G] [S], de Mme [L], de la S.A.R.L Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, de la S.A.R.L Le Prado - Gilbert, avocat de la société CNA Insurance Company (Europe), venant aux droits de la CNA Insurance Company Limited, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-25.951 et n° M 22-10.379 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. [Z] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mmes [V] et [L].

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2021), afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu au moyen du dispositif dit « Girardin Industriel » prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts, [K] [V], MM. [E] et [G] [S], M. [R] et Mme [L] (les investisseurs) ont investi en 2009 dans des sociétés en participation (SEP) proposées par la société DTD, pour l'acquisition et la mise en location de panneaux photovoltaïques dans les DOM-TOM.

4. Leurs investissements ont été effectués par l'intermédiaire de M. [Z], dont la responsabilité civile professionnelle était assurée par la société MMA IARD entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009, puis par la société CNA Insurance Company (Europe) venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited (la société CNA) entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014, enfin par la société [Localité 12] Insurance Public Limited Company (la société [Localité 12]) du 1er janvier au 31 décembre 2015.

5. Le dirigeant de la société DTD a été condamné pour escroquerie et les réductions d'impôt sur le revenu, d'abord accordées aux intéressés, ont été remises en cause par l'administration fiscale en raison, notamment, de l'absence d'installation et de raccordement au réseau EDF des centrales photovoltaïques avant le 31 décembre de l'année d'investissement.

6. Les investisseurs ont assigné M. [Z] devant un tribunal de commerce afin d'obtenir réparation de leur préjudice, et les trois assureurs ont été assignés en intervention forcée. [K] [V] étant décédé le 9 avril 2019, l'instance a été reprise par ses héritiers, M. [I] [V] et Mme [D] [V].

Examen des moyens

Sur le troisième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951 formé par M. [Z]

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951

Enoncé du moyen

8. M. [Z] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, alors « que les polices d'assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, de sorte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les points de départ et les causes d'interruption du délai biennal de prescription prévus par les articles L. 114-1 et L. 114-2 de ce code parmi lesquelles figurent notamment les causes ordinaires d'interruption de la prescription ; qu'en retenant, pour déclarer M. [Z] irrecevable en ses demandes dirigées contre la société CNA, que l'article 10 des conditions générales du contrat d'assurance consenti par cette dernière rappelait les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précisait que « quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de prescription de court que du jour où ce tires a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier. L'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) » et qu'il ressortait de ses dispositions que le contrat rappelait, d'une part, les dispositions légales concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, d'autre part, le point de départ du délai de prescription et, enfin, les causes d'interruption de la prescription biennale notamment par l'envoi d'une lettre recommandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations dont il résultait que le contrat ne précisait pas les causes ordinaires d'interruption de la prescription et a ainsi violé l'article R. 112-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 112-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-740 du 27 juin 2006 :

9. Il résulte de ce texte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, les causes d'interruption de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du même code.

10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. [Z] engagée contre la société CNA, après avoir relevé que l'article 10 des conditions générales relatif à la prescription mentionne les dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances et précise que « l'assuré peut interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à l'assureur (article L. 114-2 du code des assurances) », l'arrêt énonce que le contrat rappelle le point de départ du délai de prescription et les causes d'interruption de la prescription biennale, notamment par l'envoi d'une lettre recommandée.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat ne précisait ni les causes ordinaires d'interruption de la prescription, ni toutes les causes d'interruption spécifiques de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du code des assurances, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal n° S 21-25.951

Enoncé du moyen

12. M. [Z] fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société [Localité 12], alors « que les dispositions de l'article L. 124-1-1 du code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique, de sorte qu'un assureur appelé à garantir l'assuré dont la responsabilité est recherchée par plusieurs victimes au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de chacune d'elles ne peut être mis hors de cause à raison de la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une seule de ces victimes ; qu'en retenant, pour mettre hors de cause la société [Localité 12], que les rectifications fiscales intervenues, selon les investisseurs, en octobre, novembre ou décembre 2011 pouvaient constituer plusieurs faits dommageables ayant la même cause technique et s'analysaient en un fait dommageable unique, de sorte que la garantie de la société [Localité 12] n'était pas mobilisable car elle avait été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation reçue en mars 2013, dont il était pourtant constant qu'elle ne concernait qu'un seul des investisseurs, M. [R], la cour d'appel qui a ainsi globalisé les sinistres subis par M. [Z] dont la responsabilité était pourtant engagée par différents investisseurs au titre de manquements à ses obligations d'information et de conseil a violé, par fausse application, l'article L. 124-1-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-1-1 et L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances :

13. Selon le second de ces textes, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.

14. Les dispositions du premier de ces textes consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique.

15. Il en résulte que la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une victime se prévalant de tels manquements est insuffisante à établir sa connaissance du fait dommageable tendant à ce qu'il soit déclaré responsable à l'égard d'autres victimes de manquements de même nature, justifiant d'écarter la garantie de l'assureur.

16. Pour mettre hors de cause la société [Localité 12], l'arrêt énonce que les rectifications fiscales intervenues en octobre, novembre ou décembre 2011 pour les investisseurs peuvent constituer plusieurs faits dommageables, mais ayant la même cause technique, de sorte qu'il s'agit d'un fait dommageable unique. Il en déduit que la garantie de la société [Localité 12] n'est pas mobilisable car elle a été l'assureur de M. [Z] à partir du 1er janvier 2015 et qu'à cette date, son assuré avait connaissance du fait dommageable par la réclamation émise par M. [R] en mars 2013.

17. En statuant ainsi, alors que la responsabilité de M. [Z] était recherchée au titre de ses manquements dans l'exécution d'obligations dont il était spécifiquement débiteur à l'égard de chacun des investisseurs, de sorte que sa connaissance, lors de la souscription de son assurance auprès de la société [Localité 12], de la seule réclamation de M. [R], n'établissait pas qu'il avait connaissance des faits dommageables de nature à engager sa responsabilité à l'égard des autres investisseurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à l'irrecevabilité des demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société CNA entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif déclarant irrecevables les demandes présentées contre celle-ci par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L], qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que le délai de prescription de leur action directe se trouve prorogé tant que l'assuré est recevable à agir contre son assureur.

Mise hors de cause

14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, à sa demande, la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare MM. [Z] et [S] ainsi que Mme [L] irrecevables en leurs demandes dirigées contre la société CNA Insurance Company (Europe) et met hors de cause la société [Localité 12] Insurance public limited company, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

MET hors de cause la société MMA IARD ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne les sociétés CNA Insurance company (Europe) et [Localité 12] Insurance public limited company aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés MMA IARD, CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company, ainsi que la demande formée par MM. [E] et [G] [S] et Mme [L] contre M. [Z] et les demandes formées par MM. [E] et [G] [S] et M. [Z] et par Mme [L] contre la société MMA IARD et condamne les sociétés CNA Insurance Company (Europe) et [Localité 12] Insurance Public Limited Company à payer, d'une part, in solidum à M. [Z], la somme de 3 000 euros, d'autre part, à MM. [E] et [G] [S] et à Mme [L] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C200788