lundi 4 décembre 2023

Il ne peut être enjoint à une partie, sur requête ou en référé, de produire un élément de preuve qu'elle ne détient pas

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 717 F-B

Pourvoi n° X 22-13.149




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023

La société Pharmabest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 22-13.149 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Teroma, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Plein Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Pharmabest, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Pharmabest du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Teroma.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er décembre 2021), le capital de la société Pharmabest, laquelle a pour objet la fourniture de prestations de services destinées aux officines de pharmacie, était détenu par une trentaine d'actionnaires, majoritairement des sociétés holding exploitant des officines de pharmacie adhérentes au réseau Pharmabest, dont la société Plein Sud.

3. Par une ordonnance du 8 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce, statuant en la forme des référés, a désigné, sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, un expert avec pour mission de déterminer la valeur des titres Pharmabest détenus par la société Plein Sud.

4. Le 16 juillet 2020, la société Plein Sud a assigné, en référé, la société Pharmabest afin qu'il lui soit enjoint de communiquer, sous astreinte, certaines pièces à l'expert, dont le détail du chiffre d'affaires, au 31 décembre 2019, des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Pharmabest fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 septembre 2020 par le président du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il l'a condamnée à communiquer à l'expert, sous astreinte, le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest au 31 décembre 2019, alors « que les parties étant tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction, sauf à ce que toutes conséquences soient tirées de leur abstention ou de leur refus, le juge peut, si une partie détient un élément de preuve, lui enjoindre, sur la requête d'une autre partie, de le produire, au besoin à peine d'astreinte ; que, cependant, nul ne peut donner ni produire ce qu'il n'a pas ; qu'il s'ensuit que la partie qui requiert du juge qu'il enjoigne à une autre de produire un document doit établir, outre son existence, à tout le moins sa vraisemblance, sa possession par cette autre partie ; que le juge, quant à lui, ne peut accéder à cette requête, a fortiori sous astreinte, sans avoir vérifié que cette double preuve était apportée ; qu'en l'espèce, la société Plein Sud a demandé à la cour d'enjoindre à la société Pharmabest, sous astreinte, de communiquer le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmacien Pharmabest au 31 décembre 2019, dont la société Pharmabest, cependant, protestait qu'elle ne le possédait pas ; que, pour confirmer l'ordonnance qui avait fait droit à la requête de la société Plein Sud, la cour s'est bornée à considérer que la société Pharmabest "ne justifiait pas de ce que la communication de pièces serait illégitime en ce que le secret des affaires serait en cause" ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir vérifié que la société Plein Sud établissait l'existence ou la vraisemblance du document réclamé ainsi que sa détention par la société Pharmabest, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 [du code civil] et 11 du code de procédure civile, ensemble de l'article 1843-4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile :

6. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il ne peut être enjoint à une partie, sur requête ou en référé, de produire un élément de preuve qu'elle ne détient pas.

7. Pour enjoindre à la société Pharmabest de communiquer, sous astreinte, le détail du chiffre d'affaires, au 31 décembre 2019, des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest, l'arrêt retient que cette société ne justifie pas de ce que la communication de cette pièce serait illégitime en ce que le secret des affaires serait en cause.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui appartenait dès lors que la société Pharmabest faisait valoir que la pièce en litige n'existait pas et qu'en tout état de cause, elle ne la détenait pas, si la société Plein Sud, à qui la preuve en incombait en l'état de cette contestation, établissait que l'existence de cette pièce était, sinon établie, du moins vraisemblable et, le cas échéant, qu'elle était détenue ou pouvait être détenue par la société Pharmabest, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance attaquée, il enjoint à la société Pharmabest de communiquer à M. [C] [Z] le détail du chiffre d'affaires des entités du groupement de pharmaciens Pharmabest au 31 décembre 2019 dans les quinze jours suivant la notification de l'ordonnance et, à défaut de ce faire dans ce délai, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard dans le délai d'un mois, l'arrêt rendu le 1er décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société Plein Sud aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Plein Sud à payer à la société Pharmabest la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:CO00717

Réparation d'une perte de chance - préjudice - réparation non intégrale

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 718 F-D

Pourvoi n° Y 22-15.358




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023

1°/ La société Fiduciaire nationale d'expertise comptable - Fidexpertise, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ la société MMM IARD, société anonyme,

3°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° Y 22-15.358 contre l'arrêt rendu le 22 février 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société AD patrimoine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable - Fidexpertise, et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société AD patrimoine, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Alt, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 février 2022), la société AD patrimoine exerce une activité d'agent commercial, de conseil en constitution et en gestion de patrimoine, et de courtage d'assurance. Elle avait confié au cabinet Fiducial Expertise, devenu la société Fiduciaire nationale d'expertise comptable – Fidexpertise, une mission comptable à compter de 2001 et jusqu'au 31 décembre 2007.

2. En 2008, la société AD patrimoine, qui avait jusque là appliqué la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), a été informée par son nouvel expert-comptable que son activité était exonérée de cet impôt.

3. Elle a assigné la société Fidexpertise en indemnisation de son préjudice. Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, assureurs de la société Fidexpertise, sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Fidexpertise et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles font grief l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société AD patrimoine la somme de 99 861 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice, alors que « la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en retenant que l'indemnisation de la perte de chance, subie par la société AD patrimoine, de convertir en bénéfice la TVA qu'elle avait indûment appliquée durant les exercices 2000 à 2007, devait être évaluée à la somme de 99 861 euros, correspondant à la totalité du montant de la TVA indûment appliquée pendant cette période, la cour d'appel, qui a indemnisé la perte de chance à hauteur de la totalité du préjudice subi, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

5. Il résulte de ce texte et de ce principe que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

6. Après avoir retenu que la société AD patrimoine avait, du fait des manquements de la société Fidexpertise, perdu une chance raisonnable de convertir en un bénéfice la TVA indûment appliquée sur diverses prestations au cours des exercices 2000 à 2007, l'arrêt condamne cette dernière au paiement de dommages et intérêts correspondant aux montants perçus à ce titre et reversés au Trésor public.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a alloué à la société AD patrimoine une somme correspondant à la totalité de l'avantage que lui aurait procuré la chance de convertir en bénéfice la TVA indûment appliquée si elle s'était réalisée, a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne in solidum la société Fidexpertise et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à la société AD patrimoine la somme de 99 861 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, l'arrêt rendu le 22 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société AD patrimoine aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00718

Les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB


COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 724 F-D

Pourvoi n° S 21-17.740



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023

1°/ Mme [M] [K], épouse [Y], domiciliée [Adresse 4],

2°/ M. [T] [Y], domicilié [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° S 21-17.740 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [S] [I], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

3°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Y], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [I] et des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er avril 2021), suivant une lettre de mission du 13 août 2009, Mme [I], assurée auprès de la société Covea, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD (les sociétés MMA), s'est engagée envers M. et Mme [Y], en tant que conseiller en investissements financiers, à apporter tous les soins à la défense de leurs intérêts et à étudier la valeur à court et moyen terme de leur patrimoine, afin de leur indiquer les opérations qu'elle considérerait comme les mieux adaptées à leurs objectifs.

2. Mme [I] a mis un terme à sa mission le 4 novembre 2014.

3. Soutenant que Mme [I] avait manqué à son obligation de conseil, M. et Mme [Y] l'ont assignée, ainsi que les sociétés MMA, en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables, du fait de la prescription, en leur action à l'encontre de Mme [I] fondée sur la perte de chance, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que la perte de chance de ne pas contracter un placement résultant du manquement du conseiller en investissements financiers à ses obligations contractuelles se réalise à la date de réalisation du dommage ou à la date à laquelle la victime de ce dommage en a eu connaissance ; qu'en l'espèce, pour déclarer prescrite l'action des époux [Y] fondée sur la perte de chance et rejeter leur moyen tiré de ce qu'ils n'avaient eu connaissance de leur préjudice qu'au moment de la reddition des comptes de Mme [I], qui avait mis fin à sa mission le 2 novembre 2014, de telle sorte que leur action engagée le 30 mars 2017 était recevable, la cour d'appel a retenu que les manquements de Mme [I] à son obligation de conseil ne pouvaient donner lieu à poursuites dès lors que "la faute invoquée à l'origine de la perte de chance de ne pas contracter s'était réalisée lors de la souscription des placements, soit plus de cinq ans avant l'assignation en date du 30 mars 2017" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée à la date de la faute et non à celle de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime, a méconnu les articles L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme [I] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau.

6. Cependant, ce moyen, qui est de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

7. Aux termes de ce texte, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [Y] aux fins d'indemnisation de la perte de chance de souscrire à de meilleures conditions, l'arrêt retient que les manquements de Mme [I] à son obligation de conseil ne peuvent donner lieu à poursuite dès lors que la faute invoquée à l'origine de la perte de chance de ne pas contracter s'est réalisée lors de la souscription des placements, soit plus de cinq ans avant l'assignation en date du 30 mars 2017.

9. En statuant ainsi, en faisant courir le délai de prescription de l'action de M. et Mme [Y] à compter de la date à laquelle la faute qu'ils reprochaient à Mme [I] aurait été commise, et non à compter de la date à laquelle les requérants auraient connu ou aurait dû connaître les faits leur permettant d'exercer cette action, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Ni les conclusions d'appel de M. et Mme [Y] ni l'arrêt ne permettent de faire le départ entre les demandes relevant de « l'action de M. et Mme [Y] fondée sur la perte de chance », que la cour d'appel a déclarée prescrite, et les autres demandes formées par M. et Mme [Y], que la cour d'appel a rejetées.

11. La cassation du chef de dispositif déclarant les premières prescrites, prononcée sur le premier moyen, entraîne donc la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif rejetant les secondes.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare nul le jugement du 31 juillet 2018 en sa disposition relative à l'irrecevabilité des demandes de M. et Mme [Y] à l'encontre des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne Mme [I] et les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD et les condamne à payer à M. et Mme [Y] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00724

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 727 F-D

Pourvoi n° Z 21-19.794




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 NOVEMBRE 2023

La société Absydia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], a formé le pourvoi n° Z 21-19.794 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [W] [B], domicilié [Adresse 6],

2°/ à M. [V] [O], domicilié [Adresse 1],

3°/ à M. [H] [C], domicilié [Adresse 9],

4°/ à Mme [K] [I], domiciliée [Adresse 2],

5°/ à M. [J] [Z], domicilié [Adresse 11],

6°/ à la société civile Dynatrade,

7°/ à la société Efficience patrimoine, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],

8°/ à la société Odic, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 7],

9°/ à la société La Tour, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10],

10°/ à la société Finergy Development Llc, société de droit américain, dont le siège est [Adresse 4] (États-Unis), ou encore [Adresse 5] (États-Unis), représentée par son représentant légal M. [M] [U],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Absydia, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Absydia du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Dynatrade, Efficience patrimoine et Finergy Development.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 mai 2021), par l'intermédiaire de la société Absydia, MM. [B], [O], [C] et [Z], Mme [I] et les sociétés Odic et La Tour ont investi dans des projets immobiliers diverses sommes qui devaient leur être remboursées, avec intérêt, à l'issue d'un délai de trois ans.

3. Faisant valoir qu'ils n'avaient pu obtenir ces remboursements à l'issue de ce délai et soutenant que la société Absydia avait manqué à ses obligations d'information et de conseil, les investisseurs l'ont assignée en réparation de leurs préjudices.
Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Absydia fait grief à l'arrêt de la condamner, sous astreinte, à payer à M. [B], à M. [O], à la société Odic, à M. [C], à Mme [I] et à la société La Tour la contre-valeur en euros de la somme de 50 000 dollars US chacun, avec intérêts au taux de 8 % à compter, respectivement, du 20 février 2013, du 30 janvier 2013, du 3 janvier 2013, du 28 février 2013, du 25 mai 2012 et du 12 mai 2012, et à M. [Z] la contre-valeur en euros de la somme de 47 200 dollars US, avec intérêts au taux de 8 % à compter du 25 mai 2012, alors « que la réparation du préjudice né d'une perte de chance doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en évaluant le préjudice subi par les investisseurs à la totalité du gain qui leur avait été promis, cependant qu'elle avait constaté que la faute commise par la société Absydia, pour avoir manqué à son obligation d'information et de conseil, avaient fait perdre aux investisseurs une chance de pas contracter et d'échapper au risque de non-représentation des fonds, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147, devenu 1217, du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

5. Il résulte de ce texte et de ce principe que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

6. Après avoir retenu que les manquements de la société Absydia à ses obligations d'information et de conseil avaient fait perdre aux investisseurs une chance d'échapper au risque de non-représentation des fonds, l'arrêt leur alloue une indemnité correspondant à la totalité des sommes investies, augmentée de la totalité des intérêts escomptés de l'opération.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il fixe le montant des réparations allouées à M. [B], à M. [O], à la société Odic, à M. [C], à Mme [I] et à la société La Tour à la contre-valeur en euros de la somme de 50 000 dollars US chacun, avec intérêts au taux de 8 % à compter, respectivement, du 20 février 2013, du 30 janvier 2013, du 3 janvier 2013, du 28 février 2013, du 25 mai 2012 et du 12 mai 2012, et le montant de la réparation allouée à M. [Z] à la contre-valeur en euros de la somme de 47 200 dollars US, avec intérêts au taux de 8 % à compter du 25 mai 2012, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne MM. [B], [O], [C] et [Z], Mme [I] et les sociétés Odic et La Tour aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne MM. [B], [O], [C] et [Z], Mme [I] et les sociétés Odic et La Tour, chacun, à payer à la société Absydia la somme de 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00727

Ayant accueilli la demande principale, le juge ne peut statuer sur le subsidiaire

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 novembre 2023




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 748 F-D

Pourvoi n° A 22-17.936




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 NOVEMBRE 2023

La société Internatel, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-17.936 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2022 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l'opposant à M. [J] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Internatel, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 21 mars 2022), M. [P], pharmacien, a conclu pour vingt-quatre mois avec la société Internatel, opérateur téléphonique, un contrat d'abonnement pour une ligne fixe et une ligne analogique. Constatant des appels frauduleux depuis ses lignes vers des numéros spéciaux entraînant un important surcoût et reprochant son inaction à la société Internatel, M. [P] a résilié le contrat.

2. Sur la requête de la société Internatel, une ordonnance a enjoint à M. [P] de payer la somme de 4 949,69 euros contre laquelle ce dernier a formé opposition.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, pris en leurs premières et deuxièmes branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. La société Internatel fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement et de la condamner à payer à M. [P] la somme de 4 000 euros en réparation de son dommage, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; que dans ses conclusions d'appel, M. [P] demandait, d'une part, à titre principal à voir débouter la société Internatel de toutes ses demandes et à se voir déclarer "bien fondé à refuser d'exécuter son obligation du fait du non-respect des obligations contractuelles de conseil et d'information de la société en vertu des dispositions des articles 1219 et 1220 du code civil", et d'autre part à titre subsidiaire, à voir "dire et juger que la société Internatel est responsable (de son) préjudice (...) constitué par la surfacturation qu'il a dû subir" et "en conséquence", à voir "condamner la société Internatel à titre de réparation (de son) préjudice (...) au paiement de dommages et intérêts équivalents à la totalité de la facturation qui lui est réclamée ce jour d'un montant de 5 324,89 euros" ; qu'en déboutant la société Internatel de sa demande en paiement, tout en la condamnant à payer à M. [P] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige et statué au-delà des prétentions des parties, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :

5. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé.

6. Pour rejeter la demande en paiement formée par la société Internatel et la condamner à payer à M. [P] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient que si la société Internatel avait proposé à M. [P] de bloquer les numéros appelés frauduleusement, cela aurait permis de faire cesser l'usage et de limiter le montant des factures. Il en déduit que M. [P] a donc subi une perte de chance de ne pas payer les appels frauduleux vers les numéros spéciaux, que les montants litigieux facturés sont pour la facture du 3 juillet 2019 de 124,05 euros correspondant à 2 330 appels vers des numéros spéciaux et, pour la facture du 2 août 2019 de 987,81 euros correspondant à 18 244 appels vers des numéros spéciaux, que néanmoins parmi ces numéros spéciaux, certains ont été passés sans fraude et étaient utiles à la pharmacie, de sorte que le préjudice et la perte de chance doivent être estimés à la seule somme forfaitaire de 600 euros. Il ajoute que M. [P] n'aurait pas résilié le contrat s'il avait été mis fin au piratage et que le coût de la résiliation s'est élevé à 3 402 euros selon la facture du 27 août 2019, que le préjudice de M. [P] s'élève donc à la somme de 4 000 euros que la société Internatel sera condamnée à lui payer.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait accueilli la prétention principale de M. [P] tendant au rejet de la demande en paiement formée par la société Internatel et que, dans ses conclusions, M. [P] ne demandait qu'à titre subsidiaire la condamnation de la société Internatel au paiement de dommages et intérêts, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige et statué au-delà de ce qui était demandé, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00748

L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, le juge ne peut en modifier les termes

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 juillet 2023




Cassation partielle


Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 487 F-D

Pourvoi n° E 19-14.133




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023

M. [S] [T], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 19-14.133 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant à Mme [W] [Y], domiciliée [Adresse 5], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [T], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [Y], après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Antoine, conseiller, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 06 décembre 2018), [B] [T] est décédé le 1er août 1998, en laissant pour lui succéder son épouse, [J] [C], et leurs deux enfants, [S] et [W].

2. Un jugement du 3 mars 2006 a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation, partage de la succession, rejeté la demande de M. [S] [T] tendant à l'attribution préférentielle des biens indivis sur lesquels il dispose d'un droit de fermage et désigné un notaire pour procéder à la licitation des biens indivis.

3. Parallèlement, un arrêt du 15 mars 2006 a prononcé la résiliation du bail verbal consenti à M. [S] [T] pour défaut de paiement des fermages.

4. [J] [C] est décédée le 10 octobre 2014, en laissant pour lui succéder ses deux enfants.

5. Des difficultés étant survenues lors du règlement de cette succession, Mme [W] [Y] a assigné son frère en partage.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, en ce qu'il est dirigé contre la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé qu'une somme de 18 393,17 euros lui est due à titre d'indemnité par la succession

Enoncé du moyen

6. M. [O] [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé qu'une somme de 18 393,17 euros lui est due à titre d'indemnité par la succession, alors :

« 1°/ que tenus de motiver leurs décisions, les juges doivent examiner les éléments de preuve versés aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en déboutant M. [T] de ses demandes relatives aux fermages en ce qu'il ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, sans examiner le décompte établi par la SCP Ranvoise-Vallerand, huissier de justice, dont il résultait que M. [T] avait exécuté le jugement rendu le 24 février 2004 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rethel et l'arrêt confirmatif rendu le 15 mars 2006 par la cour d'appel de Reims, de sorte qu'il avait bien réglé les fermages et exécuté les décisions rendues, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges ne sauraient méconnaître les termes du litige tels que fixés par les parties dans leurs écritures ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que M. [T] ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, quand au surplus Mme [Y] reconnaissait elle-même que les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005 avaient pu être recouvrés en 2013, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que M. [S] [T] sollicitait l'indemnisation de la somme de 18 393,17 euros au titre des fermages qu'il n'aurait pas dû totalement payer à sa mère, aux motifs que celle-ci ne serait propriétaire indivise que d'un tiers des parcelles louées, la cour d'appel a retenu, par motifs réputés adoptés, que dans l'hypothèse où des sommes auraient été effectivement perçues par [J] [C] à la suite des décisions de justice rendues à l'encontre de son fils, cela ne pourrait aucunement donner lieu à un remboursement à celui-ci, mais seulement à un rapport dans la succession de son père, de sorte que sa décision se trouve justifiée par ce seul motif.

8. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il est dirigé contre la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter « à l'indivision successorale » le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux

Enoncé du moyen

9. M. [O] [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter « à l'indivision successorale » le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux, alors « que les juges ne sauraient méconnaître les termes du litige tels que fixés par les parties dans leurs écritures ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que M. [T] ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, quand au surplus Mme [Y] reconnaissait elle-même que les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005 avaient pu être recouvrés en 2013, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

11. Pour rejeter la demande en rapport de fermages de M. [T], l'arrêt retient que celui-ci n'en a jamais réglé aucun et qu'il ne justifie pas davantage avoir, même en partie, exécuté les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre par un arrêt de la cour d'appel de Reims du 15 mars 2006.

12. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, Mme [Y] admettait qu'en 2013, les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005, selon cet arrêt, avaient pu être recouvrés par voie d'huissier, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

13. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'attribution préférentielle, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu'en outre, en déclarant de la sorte irrecevable la demande d'attribution préférentielle formée par M. [T] dans le cadre de l'action engagée par Mme [Y] pour que soient ordonnées les opérations de compte, liquidation et partage de la succession d'[J] [C], en ce qu'elle se heurtait à l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement rendu le 3 mars 2006 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières qui avait écarté une demande d'attribution préférentielle, cette décision ayant été rendue entre les mêmes parties, soit M. [T] et sa soeur en leur qualité d'héritiers - Mme [J] [C] jointe à Mme [Y] -, et ayant le même objet, à savoir une demande d'attribution préférentielle sur les mêmes parcelles, quand dans l'instance ayant donné lieu à ce jugement, les parties avaient agi en qualité d'héritiers de leur père, tandis que dans l'autre, elles agissaient en qualité d'héritiers de leur mère, de sorte que ces qualités étant différentes, l'autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »



Réponse de la Cour

Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil :

14. Aux termes de ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.

15. Pour déclarer irrecevable la demande d'attribution préférentielle de M. [T], l'arrêt retient que cette demande se heurte à l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 3 mars 2006, rendu entre les mêmes parties, en leurs qualités d'héritières, et rejetant la demande de M. [T] ayant le même objet, l'attribution préférentielle des mêmes parcelles.

16. En statuant ainsi, alors que le jugement du 3 mars 2006 avait été rendu entre les parties en leur qualités d'héritières de [B] [T], tandis que la demande d'attribution préférentielle dont elle était saisie était formée par M. [T] contre Mme [Y], en leurs qualités d'héritiers de [J] [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter à l'indivision successorale le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux entraîne la cassation du chef du dispositif qui dit que M. [O] [T] devra rembourser à la succession de [J] [C] la somme de 30 963,29 euros, au titre des fermages et indemnités d'occupation arrêtés à l'année 2005, outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014, ainsi que celle de 1 500 euros, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

18. En application du même texte, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevable la demande d'attribution préférentielle de M. [T] entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant sa demande tendant au partage en nature de la succession de [J] [C], ordonnant la licitation de divers biens et fixant les modalités de celle-ci, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

19. La cassation partielle prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif relatifs aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande formée par M. [S] [T] au titre de l'attribution préférentielle, rejette sa demande de partage en nature des biens composant l'indivision entre Mme [Y] et lui-même, ordonne, sur les poursuites de la partie la plus diligente et en présence des autres parties, ou celles-ci dûment appelées, la licitation, par le notaire désigné, M. [N] [R], des biens ci-après mentionnés : Commune de [Localité 16] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 3] pour 4 ha 45 a et 40 ca, parcelle de pré cadastrée section ZB n° [Cadastre 10] pour 90 a et 50 ca, parcelle de pré cadastrée section ZI n° [Cadastre 2] pour 5 ha 21 a et 41 ca, l'ensemble constituant le lot n° 1 ; commune de [Localité 16] : parcelle de terre cadastrée section ZI n° [Cadastre 15] pour 1 ha 49 a et 71 ca, l'ensemble constituant le lot n° 2 ; commune de [Localité 16] : un corps de ferme cadastré section ZA n° [Cadastre 14] pour 10 a et 22 ca, l'ensemble constituant le lot n° 3 ; commune de [Localité 16] : parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 6] pour 28 a et 65 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 7] pour 83 a et 63 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 8] pour 67 a et 50 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 9] pour 2 ha 11 a et 83 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 11] pour 48 a et 60 ca, l'ensemble constituant le lot n° 4 ; commune de [Localité 16] : parcelle de pré cadastrée section ZB n° [Cadastre 1] pour 5 ha 80 a et 30 ca, l'ensemble constituant le lot n° 5 ; commune de [Localité 17] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 12] pour 4 ha 99 a et 71 ca, l'ensemble constituant le lot n° 6 ; commune de [Localité 17] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 13] pour 1 ha 86 a et 48 ca, l'ensemble constituant le lot n° 7, fixe la mise à prix de ces biens comme suit : lot n° 1 : 60 000 euros ; lot n° 2 : 8 500 euros ; lot n° 3 : 75 000 euros ; lot n° 4 : 44 000 euros ; lot n° 5 : 34 000 euros ; lot n° 6 : 29 000 euros ; lot n° 7 : 11 000 euros, avec possibilité de baisse de mise à prix d'un quart puis d'un huitième à défaut d'enchères, dit qu'il sera procédé par la partie la plus diligente aux formalités de publicité prévues aux articles 63 à 69 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, rejette la demande de M. [T] tendant à ce qu'il soit dit que la succession de [J] [C] devra rapporter à l'indivision successorale le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux et dit que M. [O] [T] devra rembourser à la succession de [J] [C] la somme de 30 963,29 euros, au titre des fermages et indemnités d'occupation arrêtés à l'année 2005, outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014, ainsi que celle de 1 500 euros, l'arrêt rendu le 06 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims autrement composée ;

Condamne Mme [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C100487