jeudi 25 juillet 2024

Prescription : expertise, computation, suspension et interruption des délais

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° D 23-18.495




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

Mme [U] [Y], domiciliée [Adresse 1] agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a formé le pourvoi n° D 23-18.495 contre l'arrêt rendu le 18 avril 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (CA-TH-AR), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Veolia eau - compagnie générale des eaux, société en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de Mme [Y], ès qualités, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers et Generali IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 avril 2023), à la suite d'une consommation anormale d'eau, la société Isla Nour a détecté une fuite dans le local qu'elle exploitait.

2. La canalisation alimentant ce local a été endommagée puis réparée par la société CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (la société CA-TH-AR), assurée par la société Generali IARD (la société Generali).

3. Le 6 mai 2013, la société Isla Nour a sollicité devant la juridiction administrative une mesure d'expertise qui a été ordonnée le 25 juin 2013. Le rapport d'expertise a été déposé le 24 avril 2015.

4. Les 10 et 12 août 2020, Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a assigné en indemnisation les sociétés CA-TH-AR, Generali et Veolia eau - compagnie générale des eaux.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 4 mai 2021 ayant déclaré irrecevables ses demandes en raison de la prescription, alors « que les juges du fond ont considéré d'une part qu'entre la saisine du juge administratif des référés, le 6 mai 2013, et le prononcé de son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, le délai de prescription quinquennale avait de nouveau couru, pour 50 jours, puis ont retenu qu'à la fin de la suspension du délai quinquennal lors de l'établissement du rapport d'expertise, le 24 juin 2015, le délai de prescription avait recommencé à courir pour une durée de cinq ans moins les 50 jours déjà écoulés, de sorte qu'il expirait le 5 mars 2020, et d'autre part que Mme [Y] ne pouvait bénéficier des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 pour en déduire que son action engagée par assignation des 10 et 12 août 2020 était prescrite ; qu'en statuant ainsi, quand le délai de prescription de cinq ans avait été interrompu, suite à la saisine du juge administratif des référés, jusqu'à ce que celui-ci rende son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, puis avait été aussitôt suspendu jusqu'à ce que l'expert établisse son rapport, le 24 juin 2015, donc avait expiré le 24 juin 2020, si bien qu'en vertu des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 Mme [Y] ès qualités pouvait agir jusqu'au 24 août 2020 et que son action n'était pas prescrite lorsqu'elle a été engagée par acte des 10 et 12 août 2020, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil et 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Selon le deuxième, lorsque la prescription a été suspendue par une décision ayant fait droit à une mesure d'instruction présentée avant tout procès, le délai de prescription recommence à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.

8. Selon les troisième et quatrième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l'interruption de la prescription résultant de cette demande produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

9. La Cour de cassation a jugé que, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de la mesure et ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié).

10. Pour déclarer irrecevable l'action en indemnisation initiée par le liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, l'arrêt retient que la saisine du juge des référés a eu pour effet d'interrompre la prescription et de faire courir un nouveau délai quinquennal, que ce nouveau délai a continué à courir entre le 6 mai 2013, date de l'assignation, et le 25 juin 2013, date de la décision ordonnant la mesure d'expertise, avant d'être suspendu à compter de cette date jusqu'au 24 avril 2015, date du dépôt du rapport d'expertise.

11. Il en déduit que cette période de cinquante jours devant être soustraite du délai quinquennal qui a recommencé à courir à compter du 24 avril 2015, celui-ci a expiré le 5 mars 2020, de sorte que le liquidateur judiciaire ne pouvant pas bénéficier des deux mois supplémentaires accordés par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 3 juin 2020 aux délais et mesures ayant expiré entre le 12 mars et 23 juin 2020, son action en indemnisation était prescrite.

12. En statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription s'est prolongé jusqu'à la décision ordonnant la mesure d'expertise et que le nouveau délai quinquennal de prescription, qui a été suspendu à partir de cette décision, a recommencé à courir à la date de l'exécution de cette mesure, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne les sociétés CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers, Generali IARD et Veolia eau - compagnie générale des eaux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300414

Responsabilité conjointe et obligation au tout

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 413 F-D

Pourvoi n° R 23-11.675




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

M. [S] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 23-11.675 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société MJSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.


Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [D], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à M. [D] de sa reprise d'instance à l'encontre de la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. [D] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société MAAF assurances (la MAAF).

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 juin 2022), Mme [F] a vendu en 2009 à M. [D] et Mme [R] une maison d'habitation dont la construction a été confiée à la société Les Nouvelles constructions du sud, assurée auprès de la MAAF, avant sa dissolution amiable en décembre 2008.

4. La Société d'exploitation des établissements Verge Claude (la société Verge Claude), assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa) a fourni et posé la charpente de la maison.

5. Se plaignant d'une non-conformité de l'habitation à la réglementation parasismique, M. [D], devenu l'unique propriétaire du bien immobilier, a, après expertise, assigné en indemnisation les sociétés MAAF, Axa et Verge Claude, désormais en liquidation judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche





Enoncé du moyen

6. M. [D] fait grief à l'arrêt de condamner solidairement les sociétés Verge Claude et Axa à lui payer les seules sommes de 6 773,41 euros au titre du non-respect aux règles parasismiques et de 895,36 au titre du préjudice accessoire, alors « que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; qu'en condamnant néanmoins solidairement les sociétés Verge Claude et Axa à payer à M. [D] les seules sommes de 6 773,41 euros au titre de la reprise du désordre relatif au non-respect des règles parasismiques, évaluée à la somme de 135 468,38 euros, et 895,36 euros au titre des préjudices accessoires, évalués à la somme de 17 907, 26 euros, motifs pris que la part de responsabilité de la société Verge Claude dans la réalisation de l'entier dommage était de 5 %, bien que la société Verge Claude et son assureur aient dû être condamnés à réparer ces dommages dans leur totalité, sans qu'il y ait eu lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les différents responsables des dommages, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 1203, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1203, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ce texte que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux, et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.

8. Pour limiter l'obligation à réparation de la société Verge Claude et de son assureur, l'arrêt retient que l'intervention de la société Les Nouvelles constructions du sud n'étant pas démontrée sur le chantier, la garantie de son assureur n'était pas mobilisable, de sorte que les demandes formées à son encontre et les appels en garantie devaient être rejetés.

9. Puis, il relève que l'expert a retenu à la charge de la société Verge Claude une responsabilité à hauteur de 5 % s'agissant du non-respect des règles parasismiques, celle-ci ayant accepté de poser la charpente sur un support non conforme et que cette responsabilité n'avait pas été contestée.

10. Il en déduit qu'en application du partage de responsabilité ainsi retenu entre les sociétés Les Nouvelles constructions du sud et Verge Claude au titre du non-respect des règles parasismiques, cette dernière ne pouvait être tenue, avec son assureur, à indemniser M. [D] qu'à hauteur de 5 % du montant total de la reprise de ce désordre et des préjudices accessoires.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que l'intervention de la société Verge Claude avait contribué à la réalisation d'un même dommage tenant au non-respect des règles parasismiques, ce dont il résultait que celle-ci devait être condamnée, avec son assureur, à le réparer dans sa totalité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- condamne solidairement la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD à payer à M. [D], compte tenu du partage de responsabilité retenu, la somme de 6 773,41 euros TTC au titre du non-respect des règles parasismiques, avec application de l'indice BT01, l'indice de base étant celui de mars 2012 ;
- condamne solidairement la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD, compte tenu du partage de responsabilité retenu, à payer à M. [D] la somme de 895,36 euros TTC, au titre des préjudices accessoires, avec intérêt au taux légal à compter du 2 mai 2013, date de l'assignation ;
- rejette les demandes présentées par M. [D], la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamne solidairement, dans la proportion de 5 %, la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire.

l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la société Axa France IARD et la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa France IARD et la condamne, in solidum avec la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude, à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300413

Dénaturation de la mission de l'expert judiciaire par le juge saisi

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 411 F-D

Pourvoi n° U 23-13.380





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

1°/ M. [K] [O], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Module concept, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [R] [Y], domicilié [Adresse 2], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire,

ont formé le pourvoi n° U 23-13.380 contre l'arrêt rendu le 11 janvier 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [V] [X],

2°/ à Mme [I] [N], épouse [X],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à M. [R] [Y], domicilié [Adresse 2], pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Module concept,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [O] et de la société Module concept représentée par M. [R] [Y], ès qualités, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [O] et à la société Module concept, représentée par son liquidateur judiciaire, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [Y], pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Module concept.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué, (Bastia, 11 janvier 2023), statuant en matière de référé, M. et Mme [X] ont confié à la société Module concept, représentée par M. [O], des travaux de construction pour l'édification d'une maison.

3. Se plaignant, en cours de chantier, d'une mauvaise exécution des travaux, ils ont assigné la société Module concept et M. [O] en référé aux fins d'expertise et communication des pièces justifiant de la souscription des assurances.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [O] fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de mesure d'instruction de M. et Mme [X] et d'ordonner une expertise avec mission donnée à l'expert désigné, notamment, de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci), alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'ordonnance entreprise a, notamment, donné mission à l'expert désigné de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci) ; que la cour d'appel qui, pour considérer que la mission d'expertise n'était pas une mission d'instruction générale et confirmer l'ordonnance, a énoncé que la mission était limitée aux malfaçons et désordres invoqués et n'était donc aucunement générale, en a dénaturé les termes clairs et précis et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour confirmer l'expertise ordonnée par le premier juge, l'arrêt retient qu'il ressort du texte de la mission qu'elle est limitée aux malfaçons et désordres invoqués et n'est donc aucunement générale, les désordres et malfaçons devant être analysés en fonction du permis de construire déposé et des règles de l'art, ce qui n'a rien ni d'abusif ni d'extraordinaire dans le cadre d'une expertise judiciaire.

7. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance donnait mission à l'expert « de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci) », ce dont il résultait que la mesure n'était pas limitée aux malfaçons et désordres invoqués par les maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'ordonnance, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation est limitée au chef de mission d'expertise demandant à l'expert de décrire les désordres.

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. La cassation partielle de l'expertise n'emporte pas celle des chefs de dispositif statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il donne pour mission à l'expert de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci), l'arrêt rendu le 11 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Donne mission à l'expert de vérifier si les désordres, non-conformités contractuelles ou aux règles de l'art et défauts d'achèvement allégués par M. et Mme [X] au cours de l'instance et affectant les travaux réalisés par la société Module concept existent et, dans l'affirmative, de les décrire, les autres chefs de mission demeurant inchangés ;

Condamne M. et Mme [X] aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300411

Assurance construction et notion d'activité déclarée

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 409 F-D


Pourvois n°
S 22-22.505
T 22-23.679 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

I- M. [R] [O], domicilié [Adresse 5],
a formé le pourvoi n° S 22-22.505 contre un arrêt rendu le 30 août 2022 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société BIO Bât, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à Mme [U] [N],

3°/ à M. [L] [G],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la société QBE Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Royaume-Uni), venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited, prise en son établissement en France, [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

II- 1°/ Mme [U] [N],

2°/ M. [L] [G],

ont formé le pourvoi n° T 22-23.679 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à la société BIO Bât, société à responsabilité limitée,

2°/ à M. [R] [O],

3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme,

4°/ à la société QBE Europe, société anonyme, venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited,

défendeurs à la cassation.

Dans le pourvoi n° S 22-22.505, la société Allianz IARD a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Dans le pourvoi n° T 22-23.679, les demandeurs au pourvoi invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Les dossiers a été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [N] et de M. [G], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société QBE Europe, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 22-22.505 et T 22-23.679 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 30 août 2022), en 2014, Mme [N] et M. [G] ont confié à la société BIO Bât la fourniture et l'installation d'un poêle à bois dans leur maison.

3. Cette société a sous-traité la pose d'un conduit flexible de tubage à M. [O], assuré auprès de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe.

4. Un incendie s'est déclaré dans la maison le 21 janvier 2015, détruisant sa toiture.

5. La société Allianz IARD, assureur multirisque habitation de Mme [N] et M. [G], a versé des indemnités et, après une expertise judiciaire, a assigné la société BIO Bât, M. [O] et la société QBE Europe aux fins de remboursement.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° S 22-22.505 de M. [O], sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi provoqué de la société Allianz IARD et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° T 22-23.679 de Mme [N] et M. [G], réunis

Enoncé des moyens

6. Par son moyen, M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes formées à l'encontre de la société QBE Europe et de le condamner in solidum avec la société BIO Bât, à rembourser à la société Allianz IARD la somme de 271 724,78 euros et à payer à Mme [N] et M. [G] une somme en principal de 73 761,53 euros en réparation des préjudices non indemnisés par leur assureur, alors « que les juges sont tenus de rechercher la commune intention des parties à un contrat en tenant compte de l'ensemble de ses stipulations ; qu'en l'espèce, M. [O] faisait valoir que la nature de l'activité n° 31 couverte par le contrat d'assurance était définie dans une nomenclature figurant dans les conditions particulières, et qu'il convenait de tenir compte de cette définition pour apprécier le point de savoir si l'installation à l'origine du dommage était ou non couverte par le contrat d'assurance ; qu'en s'en tenant au seul intitulé de l'activité n° 31, tel qu'il figurait au paragraphe III des conditions particulières, pour en déduire que l'installation réalisée par M. [O] relevait d'une autre activité, non couverte par le contrat d'assurance, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la nature de l'activité couverte par le contrat d'assurance ne devait pas s'apprécier également au regard de la définition qui en était donnée dans les conditions particulières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil. »

7. Par son moyen, la société Allianz IARD fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de la société d'assurance QBE Europe, dont sa demande à la garantir à hauteur de 271 724,78 euros, alors « que les juges sont tenus de rechercher la commune intention des parties à un contrat en tenant compte de l'ensemble de ses stipulations ; qu'en l'espèce, la cour a énoncé que M. [O] était assuré auprès de la société QBE Insurance Limited pour l'activité « 31. Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérotherme, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires », mais qu'il n'avait pas déclaré exercer l'activité « 32. Fumisterie » qui comprend la « réalisation (hors fours et cheminées industriels) de systèmes d'évacuation des produits de combustion », de sorte qu'il n'était pas assuré pour la prestation consistant en la pose de flexible de tubage d'un insert ayant causé l'incendie ; qu'en s'en tenant au seul intitulé de l'activité 31 dans les conditions particulières de la police, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la nature de cette activité couverte par le contrat d'assurance, devait s'apprécier également au regard de la définition qui en était donnée dans les conditions particulières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil. »

8. Par leur moyen, Mme [N] et M. [G] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que la société QBE Europe soit condamnée, in solidum avec la société BIO Bât et M. [O], à leur verser la somme totale de 119 124,53 euros, au titre des préjudices subis dont ils n'ont pas été indemnisés par leur assureur, alors « que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que la société QBE Insurance ne devait pas sa garantie, que M. [O] était assuré auprès de la société d'assurance QBE Insurance Limited pour l'activité de « 31. Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérothermie, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » mais non pour l'activité « 32. Fumisterie » qui comprenait la réalisation (hors fours et cheminées industriels) de système d'évacuation de produits de combustion, de sorte que M. [O] n'était pas assuré pour la prestation qui lui avait été sous-traitée par la Sarl Bio Bat et qui consistait en la pose du flexible de tubage moyennant un prix de 250 euros, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, au regard de la nomenclature des activités annexée au contrat d'assurance, l'activité 31 ne comprenait pas la réalisation d'installations (production, distribution, évacuation) de chauffage et de refroidissement, ce qui incluait, par voie de conséquence, la pose d'un tubage dans le cadre de l'installation d'un poêle à bois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

10. Pour rejeter les demandes formées contre la société QBE Europe, l'arrêt relève que M. [O] était assuré pour les activités n° 30 « Plomberie-Installations sanitaires à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » et n° 31 « Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérothermie, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » mais qu'il n'avait pas expressément déclaré exercer l'activité n° 32 « Fumisterie », qui comprend la réalisation, hors fours et cheminées industriels, de systèmes d'évacuation des produits de combustion.

11. Il en déduit que M. [O] n'était pas assuré pour la pose du flexible de tubage.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la pose d'un flexible de tubage d'un poêle à bois n'était pas comprise dans l'activité n° 31 « installations thermiques de génie climatique » déclarée par l'assuré, compte tenu de la définition de cette activité dans la nomenclature annexée aux conditions particulières du contrat d'assurance, soit la « réalisation d'installations (production, distribution, évacuation) de chauffage et de refroidissement », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation ne s'étend pas aux chefs de dispositif condamnant M. [O] à indemniser Mme [N] et M. [G] et la société Allianz IARD, dès lors que les motifs critiqués par le moyen ne sont pas le soutien de ces condamnations.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées à l'encontre de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société QBE Europe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société QBE Europe à payer à Mme [N] et M. [G] la somme globale de 3 000 euros et à M. [O] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300409

Forclusion et responsabilité décennale ; Prescription de la responsabilité du fabricant d'un matériau atteint d'un vice caché

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 408 F-D

Pourvoi n° W 22-17.495




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

La société Edilfibro, dont le siège est [Adresse 5] (Italie), a formé le pourvoi n° W 22-17.495 contre l'arrêt rendu le 12 avril 2022 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Etablissements Gatignol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société Axa France IARD, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Etablissements Vialleix, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6], dont le siège est lieu-dit [Adresse 6],

défenderesses à la cassation.

L'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Edilfibro, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés Axa France IARD et Etablissements Vialleix, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP et de la société Etablissements Gatignol, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 12 avril 2022) et les productions, le groupement agricole d'exploitation en commun de [Adresse 6] (le GAEC), devenu l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] (l'EARL), a confié à la société Etablissements Gatignol (la société Gatignol), assurée auprès de la SMABTP, la construction d'une stabulation et d'un bâtiment de stockage de fourrage. Les travaux ont donné lieu à une facture du 18 novembre 2003.

2. Pour réaliser la toiture des ouvrages, la société Gatignol a acquis des plaques de fibrociment auprès de la société Etablissements Vialleix (la société Vialleix), assurée par la société Axa France IARD, laquelle les avait acquises auprès de la société Edilfibro.

3. A la fin de l'année 2012 et au début de l'année 2013, l'EARL a constaté que la toiture en fibrociment présentait des désordres et que des infiltrations d'eau se produisaient à l'intérieur des bâtiments.

4. Le 6 novembre 2013, la société Gatignol et son assureur ont assigné l'EARL, la société Vialleix et son assureur, ainsi que la société Edilfibro, pour obtenir la désignation d'un expert judiciaire, lequel a établi son rapport le 30 novembre 2016.


5. Par actes des 4, 15 et 29 mai et 1er juin 2018, l'EARL a assigné devant un tribunal de grande instance la société Gatignol et son assureur, la société Vialleix et son assureur ainsi que la société Edilfibro afin d'obtenir la réparation des désordres et des dommages consécutifs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. L'EARL fait grief à l'arrêt de juger irrecevables les demandes présentées par le GAEC en application de l'article 1792 du code civil, alors :

« 1°/ que l'assignation délivrée au maître de l'ouvrage et aux autres intervenants à l'acte de construire par l'entrepreneur général et son assureur de garantie décennale, en vue de l'organisation d'une expertise destinée à déterminer la nature et la cause de désordres constatés sur un ouvrage, et ainsi de déterminer les responsabilités encourues par les différents intervenants, a un effet interruptif de prescription au profit du maître de l'ouvrage poursuivant l'indemnisation des préjudices résultant pour lui des désordres en cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, par actes des 28, 29, 31 octobre et 6 novembre 2013, soit avant le terme du délai de garantie décennale, la SMABTP et son assurée, la société Gatignol, entrepreneur principal, avaient assigné l'ensemble des autres parties, dont le GAEC, en référé-expertise afin de déterminer la cause des désordres affectant l'immeuble appartenant au GAEC, mais a considéré que ce dernier ne pouvait se prévaloir de l'effet interruptif de prescription attaché à cet acte, dans la mesure où seul un acte émanant de celui qui entend faire obstacle à la prescription pouvait interrompre celle-ci ; qu'en statuant de la sorte, quand le maître de l'ouvrage était fondé à se prévaloir de l'assignation délivrée par l'entrepreneur principal et par son assureur de garantie décennale ayant pour objet de déterminer la cause et l'imputabilité des désordres litigieux affectant l'ouvrage qu'il avait fait construire, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article 2241 du même code ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher si la société Gatignol et son assureur la SMABTP, qui avaient pris l'initiative d'engager une procédure de référé-expertise, de ne pas avoir contesté la mise en jeu de la garantie décennale pendant toute la durée de l'expertise, qui s'est achevée par le dépôt du rapport de l'expert le 30 novembre 2016, avant l'introduction par le GAEC d'une action au fond en mai 2018, ne caractérisait pas une reconnaissance de responsabilité démontrant la volonté non équivoque de ces parties d'interrompre la prescription de l'action du GAEC dirigée contre elle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-4-1 du code civil ;



3°/ qu'en s'abstenant de rechercher si la société Gatignol et son assureur la SMABTP, qui avaient pris l'initiative d'engager une procédure de référé-expertise, de ne pas avoir contesté la mise en jeu de la garantie décennale pendant toute la durée de l'expertise, qui s'est achevée par le dépôt du rapport de l'expert le 30 novembre 2016, avant l'introduction par le GAEC d'une action au fond en mai 2018, ne caractérisait pas la volonté de ces parties de renoncer à se prévaloir de l'éventuelle prescription de l'action du GAEC dirigée contre elles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1792 et 1792-4-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, en application des articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, les actions du maître de l'ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l'ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.

8. Selon l'article 2220 du code civil, un délai de forclusion n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription.

9. Il en résulte que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n'interrompt pas le délai de forclusion des actions du maître de l'ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l'ouvrage (3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-16.837, publié).

10. En second lieu, en application de l'article 2241 du code civil, pour interrompre ce même délai, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court la prescription (3e Civ., 18 novembre 2009, pourvois n° 08-13.673, 08-13.642, Bull. 2009, III, n° 250 ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459, publié).

11. Ayant relevé que les travaux avaient été réceptionnés par l'EARL lors du paiement de la facture le 18 novembre 2003 et que celle-ci avait sollicité la mise en oeuvre à son bénéfice de la garantie décennale du constructeur seulement lors de son assignation au fond devant le tribunal de grande instance fin mai et début juin 2018, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ou qui ne lui étaient pas demandées, a retenu, à bon droit, que le délai de forclusion décennale de l'action de l'EARL fondée sur les dispositions de l'article 1792 du code civil n'avait pas été interrompu par l'assignation en référé-expertise délivrée à la diligence de la société Gatignol et de son assureur.

12. Elle a, dès lors, légalement justifié sa décision.




Sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

13. L¿EARL fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur la garantie des vices cachés, alors :

« 1°/ que le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, et que l'action directe qui en résulte à l'égard du fabricant de cette chose est nécessairement de nature contractuelle ; qu'en jugeant que le Gaec de [Adresse 6], maître de l'ouvrage, n'était pas fondé à exercer l'action en garantie des vices cachés à l'encontre de la société Edilfibro, en raison de l'absence de lien contractuel entre ces parties, car « dans un pareil cas, seules les règles de la responsabilité civile quasi délictuelle peuvent être appliquées », la cour d'appel a violé les articles 1382, 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1641 du même code ;

2°/ que, sous l'empire de l'article 1648 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005, l'action en garantie des vices cachés est recevable dès lors qu'elle a été introduite dans un bref délai ; que le respect de ce bref délai doit être apprécié par les juges du fond au regard de la nature des désordres en cause et des circonstances du litige ; qu'en se bornant à affirmer qu' « en considérant que le Gaec de [Adresse 6] a découvert les vices de la toiture, dans toute leur ampleur, causes et conséquences, seulement le 30 novembre 2016, date du rapport de l'expert judiciaire M. [R], il résulte de l'exposé du litige dans le jugement dont appel et des propres écritures du Gaec de [Adresse 6], qu'il « a assigné au fond le 4 mai 2018 », moyennant quoi le « bref délai », prévu par l'ancienne version de l'article 1648 était largement dépassé à cette date », par des motifs impropres à caractériser le non-respect par le Gaec de [Adresse 6], qui avait assigné les sociétés Vialleix et Edilfbro 19 mois environ après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire, du bref délai, au regard de la nature des désordres et des circonstances de la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

14. Ayant relevé que l'EARL avait découvert les vices de la toiture, dans toute leur ampleur, causes et conséquences le 30 novembre 2016, date du rapport de l'expert judiciaire, la cour d'appel a souverainement retenu, sans être tenue de procéder à d'autres recherches, que l'action engagée le 4 mai 2018 n'avait pas été introduite dans le bref délai prévu par l'article 1648 code civil, dans sa rédaction applicable en l¿espèce.



15. Elle a, par ce seul motif, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la première branche, légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

16. La société Edilfibro fait grief à l'arrêt de juger recevables les demandes formées par l'EARL contre elle en application de sa responsabilité quasi-délictuelle et de la condamner à lui payer certaines sommes, alors :

« 1°/ que le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; que l'action directe qui en résulte à l'égard du fabricant de cette chose est nécessairement de nature contractuelle ; qu'en condamnant la société Edilfibro sur le fondement délictuel au profit du GAEC au titre des dommages causés par les plaques de fibrociment qu'elle avait fournies et qui avaient servi à construire la toiture du bâtiment du GAEC, au motif que « dans un pareil cas, seules les règles de la responsabilité civile quasi-délictuelle peuvent être appliquées », la cour d'appel a violé les articles 1382, 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1641 du même code ;

2°/ qu'à supposer même que l'action du maître de l'ouvrage en cas de vice affectant la chose puisse revêtir un caractère délictuel, ce n'est que lorsque cette action est engagée par le maître de l'ouvrage contre le sous-traitant de l'entrepreneur principal ou le fournisseur de ce dernier ou ses auteurs antérieurs ; qu'en retenant la nature délictuelle de l'action du GAEC à l'encontre de la société Edilfibro, dont il est constaté qu'elle avait fourni les plaques de fibrociment litigieuses à la société Vialleix qui les avait elle-même vendues à la société Gatignol, l'entreprise qui a réalisé l'installation du bâtiment à laquelle les plaques avaient été incorporées, ce dont il résulte que la fourniture des plaques litigieuses n'était jamais intervenue dans le cadre d'un contrat de sous-traitance, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

17. Le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur. Il dispose donc à cet effet contre le fabricant d'une action contractuelle directe fondée notamment sur la garantie des vices cachés.



18. La seule présence d'un contrat d'entreprise entre le maître de l'ouvrage et le constructeur est sans incidence sur la nature contractuelle de l'action directe du maître de l'ouvrage contre le fabricant (Ass. plén., 7 février 1986, pourvoi n° 83-14.631, Bull. 1986, AP, n° 2).

19. Toutefois, lorsque les travaux confiés au constructeur ont fait l'objet d'un contrat de sous-traitance, il est jugé que, le sous-traitant engageant sa responsabilité vis-à-vis du maître de l'ouvrage sur le fondement délictuel, le fournisseur de ce sous-traitant répond de ses actes à l'égard du maître de l'ouvrage sur le même fondement (3e Civ., 26 novembre 2014, pourvois n° 13-22.067, 13-22.505, Bull. 2014, III, n° 159).

20. Pour condamner la société Edilfibro à payer certaines sommes à l'EARL, l'arrêt retient que, si la jurisprudence accepte l'action directe du sous-acquéreur dans les chaînes de contrats simples de vendeurs à acquéreurs successifs, il n'en va pas de même s'agissant des chaînes de contrats complexes et hétérogènes, comme en l'espèce, où les ventes successives de fabricant à fournisseur puis à entreprise de construction précèdent un contrat de louage d'ouvrage conclu in fine entre le maître de l'ouvrage et le constructeur, seules les règles de la responsabilité civile quasi-délictuelle pouvant dans ce cas être appliquées à la relation entre le maître de l'ouvrage et le fabricant du produit défectueux.

21. En statuant ainsi, alors que l'EARL exerçait une action directe contre le fabricant des plaques de toit vendues à la société Gatignol, et non à un sous-traitant de celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. Aux termes de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

23. La cassation partielle de l'arrêt en ce qu'il juge recevables les demandes formées par l'EARL contre la société Edilfibro en application de la responsabilité quasi délictuelle de celle-ci et la condamne à lui payer les sommes de 69 670,21 euros, outre la TVA applicable lors du règlement, et de 42 522,12 euros, l'ensemble avec capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, à compter du 1er juin 2018, s'étend aux chefs de l'arrêt ayant statué sur les dépens et les frais irrépétibles, de première instance et d'appel, qui ne trouvent leur soutien dans aucun autre motif que ceux justement critiqués par le moyen.

24. Elle ne s'étend pas, faute d'indivisibilité ou de lien de dépendance nécessaire avec les dispositions cassées de l'arrêt, au chef de dispositif ayant jugé sans objet les recours en garantie formés contre la société Edilfibro par les sociétés Vialleix, Axa France, Gatignol et la SMABTP.

25. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

26. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

27. L'action directe de l'EARL contre la société Edilfibro, fabricant des plaques de fibrociment, étant de nature contractuelle, les demandes formées contre celle-ci en application de sa responsabilité quasi délictuelle, qui ne se cumule pas avec une action contractuelle, sont rejetées.

28. L'EARL, dont toutes les demandes sont en conséquence rejetées, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

29. Elle est condamnée à payer à la société Gatignol et la SMABTP la somme globale de 3 000 euros, à la société Vialleix et à la société Axa France la somme globale de 2 000 euros et à la société Edilfibro la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge recevables les demandes formées par le groupement agricole d'exploitation en commun de [Adresse 6], devenu l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6], contre la société Edilfibro en application de la responsabilité quasi délictuelle de celle-ci et a condamné la société Edilfibro à payer au groupement agricole d'exploitation en commun de [Adresse 6], devenu l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6], les sommes de 69 670,21 euros, outre la TVA applicable lors du règlement, et de 42 522,12 euros, l'ensemble avec capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, à compter du 1er juin 2018, et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes formées par l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] contre la société Edilfibro en application de sa responsabilité quasi délictuelle ;

Condamne l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] aux dépens de première instance et d'appel ;



Condamne l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] à payer à la société Etablissements Gatignol et à la SMABTP la somme globale de 3 000 euros, à la société Etablissement Vialleix et à la société Axa France IARD la somme globale de 2 000 euros et à la société Edilfibro la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne l'exploitation agricole à responsabilité limitée de [Adresse 6] aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300408

Sous-traitance et obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 404 F-D

Pourvoi n° M 23-18.065




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

La société Entreprise Pitel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 23-18.065 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Roissy TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Entreprise Pitel, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Roissy TP, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur faisant fonction de doyen, Mme Abgrall, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 2023) et les productions, la société Entreprise Pitel, donneur d'ordre, a conclu deux contrats de sous-traitance avec la société Roissy TP portant, l'un sur un chantier situé à Clamart, l'autre sur un chantier situé à Saulx-les-Chartreux.

2. Le 12 juillet 2018, la société Entreprise Pitel a établi un décompte général définitif des sommes dues en exécution du marché de [Localité 3], que la société Roissy TP a contesté le 31 juillet suivant au motif qu'il ne tenait pas compte du coût de travaux supplémentaires liés à l'évacuation de terres.

3. La société Roissy TP a, ensuite, assigné la société Entreprise Pitel en paiement d'un solde pour chacun des deux marchés.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Entreprise Pitel fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Roissy TP une certaine somme au titre du chantier de [Localité 3], alors « que les juges du fond sont tenus de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en jugeant que la société Entreprise Pitel ne peut reprocher à la société Roissy TP de ne pas avoir respecté le délai de contestation fixé par l'article 6-2 du contrat de sous-traitance dès lors « qu'elle ne met pas la cour en mesure de vérifier le point de départ dudit délai, aucune pièce ne venant établir la date de notification certaine du décompte général définitif à la société Roissy TP », quand la société Entreprise Pitel visait la pièce n° 16 produite par la société Roissy TP dont il résultait clairement que le décompte général définitif avait été reçu par la société Roissy TP le 17 juillet 2018, la cour d'appel a dénaturé par omission cette pièce en violation du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

5. Pour condamner la société Entreprise Pitel à payer une certaine somme à la société Roissy TP, l'arrêt retient que, si l'article 6-2 du contrat dispose qu'en l'absence de contestation par le sous-traitant du décompte général définitif dans un délai de dix jours, celui-ci est réputé accepté, la société Entreprise Pitel ne peut reprocher à la société Roissy TP de ne pas avoir respecté le délai contractuel de contestation, alors qu'elle ne met pas la cour d'appel en mesure de vérifier le point de départ dudit délai, aucune pièce ne venant établir la date de notification certaine du décompte général définitif à celle-ci.

6. En statuant ainsi, alors que les conclusions de la société Entreprise Pitel renvoyaient à une pièce n° 16, produite par la société Roissy TP, constituée par le décompte général définitif daté du 12 juillet 2018 et supportant un timbre humide comportant les mentions « courrier arrivé 17 juillet 2018 Roissy TP », la cour d'appel, qui a dénaturé cette pièce par omission, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il condamne la société Entreprise Pitel à payer à la société Roissy TP la somme de 75 904,40 euros au titre du chantier de [Localité 3], entraîne la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt statuant sur les dépens et frais irrépétibles d'appel, qui ne trouvent leur soutien dans aucun autre motif que ceux critiqués par le moyen.

8. En revanche, en application du même texte, la cassation de la disposition de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il condamne la société Entreprise Pitel à payer à la société Roissy TP la somme de 75 904,40 euros au titre du chantier de [Localité 3], n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif qui confirme le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance qui sont justifiées par d'autres condamnations prononcées à son encontre et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement qui condamne la société Entreprise Pitel à payer à la société Roissy TP la somme de 75 904,40 euros au titre du chantier de Saulx-les-Chartreux et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles d'appel, l'arrêt rendu le 22 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Roissy TP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300404