mercredi 4 décembre 2024

La disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui constitue une perte de chance, est un préjudice réparable.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 novembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 628 F-D

Pourvoi n° F 24-10.934



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

1°/ Mme [H] [R], domiciliée [Adresse 3],

2°/ Mme [T] [K], épouse [Z], domiciliée [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° F 24-10.934 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2024 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [G] [J], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mmes [R] et [Z], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 9 janvier 2024), par acte sous seing privé du 1er août 2017 reçu par M. [F], notaire au sein de la société civile professionnelle [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W] (la SCP), Mme [R] et Mme [Z] (les venderesses) ont vendu à M. [J] (l'acquéreur) une parcelle cadastrée section [Cadastre 6] moyennant le prix de 60 000 euros, la vente devant être réitérée le 29 septembre 2017.

2. Cette parcelle comporte en sous-sol la fosse septique assurant l'assainissement de la maison d'habitation des venderesses située sur la parcelle voisine cadastrée section [Cadastre 5].

3. L'acte comporte la mention selon laquelle la constitution d'une servitude n'est pas nécessaire, les venderesses s'obligeant expressément à remplacer
ce système d'assainissement par un autre système individuel de type station d'épuration ou micro station d'épuration sur leur parcelle cadastrée section [Cadastre 5].

4. Les venderesses ayant refusé de réitérer la vente après avoir appris que l'autorisation nécessaire à cette installation ne pourrait être obtenue, la parcelle étant située en zone d'assainissement collectif, l'acquéreur les a assignées en vente forcée.

5. Les venderesses ont appelé en cause la SCP.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.



Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Mmes [R] et [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la SCP tendant à sa condamnation à des dommages-intérêts et à les garantir contre toute condamnation prononcée à leur encontre, alors « que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; que pour soutenir que « le notaire [leur] a fait perdre une chance [?] de ne pas signer à des conditions défavorables », Mmes [R] et [Z] affirmaient « [qu'étant] privées de la vente de la parcelle [Cadastre 6] dans les conditions initialement prévues à savoir un coût de raccordement à une microstation limité à 5 500 euros et non quelques 15 500 euros [?] elles auraient alors pu négocier une vente à 70 000 euros au lieu des 60 000 euros » ; qu'ainsi, Mmes [R] et [Z] demandaient la réparation de la perte d'une chance de négocier à un meilleur prix la vente de la parcelle [Cadastre 6] ; que cependant, l'arrêt se borne à retenir « qu'il n'est nullement établi [que Mmes [R] et [Z]] auraient pu, comme elles le soutiennent, négocier la vente au prix de 70 000 euros, alors que selon les explications de la SCP [V] [F], qui ne sont pas remises en question, un accord sur le prix de 60 000 euros était déjà intervenu du vivant de [N] [K] » ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à démontrer l'absence de toute probabilité d'une vente de la parcelle [Cadastre 6] à un meilleur prix, la cour d'appel a violé les articles 1240 et 1241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

8. Il résulte de ce texte et de ce principe que lL

9. Pour rejeter la demande des venderesses tendant à l'indemnisation de leur préjudice résultant de la perte de chance de négocier la vente au prix de 70 000 euros, l'arrêt retient qu'il n'est nullement établi qu'elles auraient pu procéder à cette négociation, dès lors qu'un accord sur le prix de 60 000 euros était déjà intervenu du vivant de [N] [K].

10. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter toute chance de mieux négocier le prix de vente de l'immeuble, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

Mise hors de cause

11. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [J], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande indemnitaire de Mmes [R] et [Z] formée contre la société civile professionnelle [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W], en ce qu'il rejette leur demande tendant à la condamnation de la société civile professionnelle [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W], à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 janvier 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Met hors de cause M. [J] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom, autrement composée ;

Condamne la société civile professionnelle [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile :
- rejette la demande formée par la société civile professionnelle [V] [F], [G] [O], [A] [I], [B] [W] et la condamne à payer à Mmes [U] et [Z] la somme globale de 3 000 euros,
- condamne Mmes [U] et [Z] in solidum à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300628

Dol : cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 novembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 627 F-D

Pourvoi n° R 23-10.180




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

La société [Adresse 4], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de son liquidateur amiable Mme [Z] [E], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 23-10.180 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Foncière européenne d'investissement, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3], représenté par son syndic l'Etude Damremont, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pety, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société civile immobilière [Adresse 4], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société civile immobilière Foncière européenne d'investissement et du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 5], après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pety, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 novembre 2022), par acte du 30 avril 2014, la société civile immobilière [Adresse 4] (le vendeur) a vendu à la société civile immobilière Foncière européenne d'investissement (l'acquéreur) divers lots dans un groupe d'immeubles.

2. En février 2016, le plancher de l'appartement constituant le lot n° 7, situé au-dessus du lot n° 4, objet de la vente, s'est affaissé.

3. L'acquéreur a, après expertise, assigné le vendeur en indemnisation de ses préjudices sur le fondement notamment de la réticence dolosive.

4. Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] (le syndicat des copropriétaires) est intervenu volontairement à l'instance en sollicitant réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

6. Le vendeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au syndicat des copropriétaires une certaine somme à titre de réparation, alors :

« 1°/ que seuls les travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble sont soumis à autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité des voix ; que n'affectent pas les parties communes les travaux qui ont pour objet de supprimer des cloisons à l'intérieur des parties privatives ; qu'en retenant, pour juger engagée la responsabilité de la société [Adresse 4] à l'égard du syndicat des copropriétaires de l'immeuble, que cette dernière n'avait pas sollicité l'autorisation des copropriétaires pour effectuer ces travaux qui affectaient les parties communes, sans expliquer en quoi ces travaux affectaient les parties communes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 25-b de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce ;

3°/ que la cour d'appel a constaté que la société [Adresse 4] « pouvait croire que les travaux confortatifs réalisés en 2002 (?) avaient été suffisants pour assurer la stabilisation du plancher de l'appartement situé au-dessus du lot vendu », ce dont il résultait qu'elle avait pris ses précautions pour assurer la stabilisation du plancher après dépose des cloisons ; qu'en considérant néanmoins, pour juger engagée la responsabilité de la société [Adresse 4] à l'égard du syndicat des copropriétaires de l'immeuble, que « les travaux [avaient été] réalisés par la société [Adresse 4] sans précaution », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que les cloisons intermédiaires, objet de la démolition décidée par la société civile immobilière [Adresse 4], réputées de simple distribution et sans effet porteur, avaient, antérieurement à leur enlèvement, été mises en compression par l'effet de la réalisation d'aménagements et l'adjonction de cloisons dans les appartements supérieurs, ce qui avait rendu nécessaire le renforcement de la structure, faisant ainsi ressortir que, lesdites cloisons étant devenues porteuses, les travaux entrepris affectaient les parties communes, de sorte que leur enlèvement requerrait l'autorisation de l'assemblée générale, laquelle n'a pas été sollicitée, et que ces travaux avaient été entrepris sans précaution, la cour d'appel a pu en déduire que celle-ci avait engagé sa responsabilité à l'égard du syndicat des copropriétaires et devait, par conséquent, être tenue à réparation à hauteur de la somme dont elle a souverainement apprécié le montant.

8. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.


Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Exposé du moyen

9. Le vendeur fait grief à l'arrêt de le déclarer responsable du préjudice causé à l'acquéreur, alors « que la réticence dolosive n'est fautive qu'à la condition que soit établi son caractère intentionnel ; que la cour d'appel a constaté que « la SCI [Adresse 4] n'a pu avoir connaissance du vice affectant le bien vendu puisqu'elle avait pu croire que les travaux confortatifs réalisés en 2002 (?) avaient été suffisants », constatant ainsi que la venderesse avait pu tenir pour indifférents les désordres survenus 12 années plus tôt puisqu'elle pouvait légitimement penser qu'il y avait été remédié ; qu'en se déterminant par de tels motifs, qui ôtaient tout caractère intentionnel à l'omission imputée à la société [Adresse 4], la cour d'appel, qui a néanmoins considéré que cette dernière avait commis une réticence dolosive à l'égard de la SCI Foncière européenne d'investissement, acquéreur, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce, ensemble l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1116, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

10. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

11. Pour déclarer le vendeur responsable du préjudice causé à l'acquéreur, l'arrêt relève, au vu du rapport d'expertise, que la société civile immobilière [Adresse 4] a réalisé, en 2002, des travaux de démolition de cloisons au premier étage du bâtiment A, ce qui avait immédiatement justifié le renforcement de la structure de l'immeuble par la pose de sabots.

12. Il énonce, ensuite, que si le vendeur n'avait pu avoir connaissance du vice affectant le bien cédé puisqu'il pouvait croire que les travaux confortatifs réalisés en 2002 avaient été suffisants pour stabiliser le plancher de l¿appartement situé au-dessus du lot vendu, il lui appartenait cependant d'informer l'acquéreur de ces désordres comme des travaux de reprise réalisés après, ce qui aurait permis à ce dernier de s'assurer du bon état structurel de l'immeuble et de la pérennité des mesures prises.

13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir le caractère intentionnel du défaut d'information de l'acquéreur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société civile immobilière [Adresse 4] responsable du préjudice causé à la société civile immobilière Foncière européenne d'investissement et ordonne la réouverture des débats sur l'évaluation du préjudice causé à la société civile immobilière Foncière européenne d'investissement au titre d'une perte de chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses, l'arrêt rendu le 4 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société civile immobilière Foncière européenne d'investissements aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300627

1) Notion de réception tacite; 2) Le préjudice décennal doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 novembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 624 F-D

Pourvoi n° F 23-13.989




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

1°/ M. [G] [N],

2°/ Mme [E] [T], épouse [N],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° F 23-13.989 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 - chambre 5), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [J] [R],

3°/ à Mme [L] [D], épouse [R],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

4°/ à la Société Bryarde de travaux publics SBTP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à la société Abeille IARD et santé, société anonyme d'assurances incendie, accidents et risques divers, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Aviva assurances, prise en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage et responsabilité civile et décennale de la société Maisons Berval,

6°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],

7°/ à la société Maaf assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],

8°/ à la société Maisons Berval, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 8],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme [N], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. et Mme [R], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Maaf assurances, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Abeille IARD et santé, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2023), M. et Mme [R] ont confié la conception et la construction de leur maison à la société Maisons Berval, assurée auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et santé, en se réservant la réalisation :
- des travaux de terrassement, de drainage périphérique et de branchements exécutés par la Société Bryarde de travaux publics (la SBTP), assurée auprès des sociétés Axa France IARD (la société Axa) et Generali France (la société Generali),
- d'un mur de soutènement, d'une rampe d'accès et des travaux de dallage au sous-sol, réalisés par la société AZS habitat, assurée auprès de la Maaf assurances (la Maaf).

2. Une police dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et santé.

3. Un procès-verbal de réception a été établi le 27 juillet 2004.

4. Se plaignant d'infiltrations en sous-sol, M. et Mme [N], devenus propriétaires de la maison, ont, après expertise, assigné M. et Mme [R], les intervenants à l'opération de construction et leurs assureurs en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre des sociétés Maisons Berval et Abeille IARD et santé, en qualité d'assureur dommages-ouvrage et décennal de cette société, alors :

« 1°/ que le juge doit observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la société Aviva s'était opposée à la demande de garantie présentée par les époux [N] sans toutefois soutenir que la police dommage-ouvrage contractée par les époux [R], vendeurs, n'aurait couvert que les travaux relevant du contrat de construction de maison individuelle à l'exclusion de ceux commandés directement par les maitres de l'ouvrage aux sociétés AZS Habitat et SBTP ; que dès lors, en relevant d'office ce moyen, sans avoir préalablement invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en l'espèce, en énonçant que les « travaux [en cause], exclus du contrat de construction de maison individuelle, n'entrent pas dans l'assiette de l'assurance dommage-ouvrage souscrite par les maîtres de l'ouvrage pour les travaux visés au contrat de construction » sans viser la clause du contrat limitant, selon elle, le champ d'application de la police dommage-ouvrage aux seuls travaux relevant du CMI, la cour d'appel a procédé par voie de simple affirmation et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que le contrat de construction de maison individuelle conclu avec la société Maisons Berval avait laissé à la charge des maîtres de l'ouvrage la réalisation de certains travaux et que celle-ci leur avait notifié, au paragraphe IV d'un avenant à ce contrat, l'obligation de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour les travaux qu'ils exécutaient eux-mêmes, ce dont il ressortait que l'assurance dommages-ouvrage précédemment souscrite pour leur compte ne couvrait que les ouvrages réalisés par le constructeur, la cour d'appel, devant laquelle la société Aviva contestait devoir sa garantie au titre des travaux que les maîtres de l'ouvrage s'étaient réservés, a pu en déduire, sans relever aucun moyen qui n'aurait été dans le débat, ni statuer par voie de simple affirmation, que les demandes contre l'assureur dommages-ouvrage ne pouvaient être accueillies.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action à l'encontre de la Maaf, assureur de la société AZS habitat, alors « qu'à défaut de réception expresse et contradictoire, l'existence d'une réception tacite peut être admise à la condition que soit établie la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux, celle-ci ne résultant pas nécessairement du paiement des factures ; qu'en l'espèce, en déduisant l'existence d'une réception tacite au mois de décembre 2003 du paiement du solde des travaux à cette date, quand cette circonstance était insusceptible, à elle seule, de caractériser une réception univoque de la part des maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 1792-6 du même code. »






Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

10. Il résulte de ce texte que la réception tacite de l'ouvrage est caractérisée par la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de l'accepter. Cette volonté n'est présumée qu'en cas de prise de possession de l'ouvrage jointe au paiement intégral du prix des travaux.

11. Pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation contre l'assureur de responsabilité décennale de la société AZS habitat, l'arrêt relève qu'aucune partie ne conteste que la date du 8 décembre 2003 correspondait à l'exécution effective des travaux de dallage et à leur paiement intégral, de sorte que la prise de possession de l'ouvrage, conjuguée au paiement du solde du prix, établissent l'univocité de la réception tacite intervenue sans réserve en décembre 2003.

12. Puis, constatant que l'ordonnance étendant les opérations d'expertise à la Maaf et son assurée était intervenue le 20 juin 2014, il en conclut que la demande d'indemnisation de M. et Mme [N] était déjà prescrite avant leur mise en cause.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de recevoir en décembre 2003 les travaux de dallage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

14. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum de M. et Mme [R], des sociétés SBTP, Generali et Axa à une certaine somme au titre des travaux de reprise et des frais annexes, alors :

« 1°/ que le principe de la réparation intégrale impose de verser à la victime une indemnisation sans perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir admis que la solution « retenue par l'expert judiciaire » - correspondant à la solution « P2 » préconisée par GEOS, consistant en la mise en place d'un système de drainage sous le dallage associée à une remise en état du drainage périphérique, à une réduction des apports d'eau de surface et à un traitement des remontées capillaires, solution de travaux chiffrée par les époux [N] à hauteur de 203 976,91 euros TTC - devait être entérinée, la cour d'appel a retenu que « seuls doivent être retenus ceux qui sont directement en lien avec l'objet du marché confié à la société SBTP soit le coût de la reprise du drainage périmétrique ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et, partant, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que la dépense correspondante à la souscription d'une assurance obligatoire dommages-ouvrage eu égard à la nature des travaux à effectuer n'est pas dissociable du coût des travaux et constitue un dommage direct indemnisable par l'assureur ; qu'en l'espèce, l'expert avait conclu que « l'intervention d'un maître d'oeuvre définissant le cahier des charges et la surveillance de chantier paraît incontournable, l'expert penchant pour une prise en charge de cette prestation » ; qu'en conséquence, en retenant que « la souscription d'une police d'assurance dommages-ouvrage n'est pas nécessaire au regard de la nature des travaux de même que les honoraires du bureau d'études techniques GEOS, de la maîtrise d'oeuvre AXIS et du géomètre SOGEFRA », la cour d'appel a de nouveau méconnu le principe de la réparation intégrale, en violation de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. La société Generali conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est irrecevable en ce qu'il est incompatible avec la thèse soutenue en appel.

16. Cependant, dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [N] soutenaient que les désordres d'infiltration étant imputables à plusieurs intervenants, ceux-ci étaient tenus de réparer entièrement les préjudices en résultant.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1792 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

18. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

19. En application de ce principe, le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime.

20. Il en résulte que le constructeur, dont la responsabilité décennale a été retenue dans la survenance des désordres, doit réparer intégralement le préjudice imputable à son intervention.

21. Pour limiter le montant de l'indemnisation au titre des travaux de reprise et des frais annexes, l'arrêt retient que la responsabilité décennale de la SBTP était engagée au titre des désordres d'infiltrations au sous-sol, puis relève que la réparation intégrale du préjudice résultant de ces désordres imposait la mise en place d'un système de drainage sous le dallage, associé à une remise en état du drainage périphérique, la mise en place de remblais de comblement et un traitement des remontées capillaires des murs.

22. Puis, constatant que l'intervention de la SBTP était limitée à la réalisation du drainage périphérique, il en déduit que celle-ci ne pouvait être tenue qu'au paiement des travaux de reprise directement en lien avec l'objet de son marché et qu'au regard de la nature de ces travaux, la souscription d'une assurance dommages-ouvrage et les honoraires d'un bureau d'études et d'un maître d'oeuvre n'étaient pas nécessaires.

23. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte et le principe susvisés.
.
Mise hors de cause

24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Generali et la Maaf, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

25. En revanche, il y a lieu de mettre hors de cause la société Abeille IARD et santé, en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de la société Maisons Berval.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare irrecevables les demandes de M. et Mme [N] à l'encontre de la société Maaf assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société AZS habitat,
- condamne in solidum M. et Mme [R], la Société Bryarde de travaux publics, la société Generali IARD, la société Axa France IARD, celle-ci dans les limites de la franchise et des plafonds prévus à la somme de 8 866,50 euros hors taxe, outre la TVA applicable au jour de l'arrêt, au titre des travaux de reprise et des frais annexes,
- statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt rendu le 8 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause la société Abeille IARD et santé, en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de la société Maisons Berval,

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés Generali IARD et Maaf assurances,

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. et Mme [R], les sociétés Generali IARD et Maaf assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300624

En l'absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 novembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 623 F-D

Pourvoi n° Z 23-15.363




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

La société Architecture et techniques construction (Arteco), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-15.363 contre l'arrêt rendu le 16 février 2023 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant à M. [U] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Architecture et techniques construction, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 février 2023), par contrat du 30 mars 2012, M. [E] a confié à la société Architecture et techniques construction (la société Arteco) la construction d'une maison individuelle.

2. Les travaux ont été réceptionnés le 9 août 2013.

3. Se plaignant d'une non-conformité de l'étanchéité des salles de bains, M. [E] a, après expertise judiciaire, assigné le constructeur aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Arteco fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [E] une certaine somme au titre des travaux de reprise, alors « qu'en l'absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur ; que, pour retenir que la responsabilité de la société Arteco était engagée, la cour d'appel a relevé la non-conformité de l'ouvrage au DTU 52.2, au cahier du CSTB, et à la fiche technique du produit utilisé ; qu'en statuant ainsi, sans constater, en l'absence de désordre constaté, que le marché conclu était contractuellement soumis à ces normes, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, pris en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

6. Selon le second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes, qu'en l'absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur (3e Civ., 10 juin 2021, pourvois n° 20-15.277, 20-15.349, 20-17.033, publié).

8. Pour condamner la société Arteco à indemniser M. [E] du coût de la mise en conformité de l'étanchéité des deux salles de bains aux règles de l'art, l'arrêt relève que le contrat stipule que « la construction projetée est conforme aux règles de construction prescrites par le code de la construction et de l'habitation, notamment dans son livre 1er et à celles prescrites par le code de l'urbanisme et plus généralement aux règles de l'art », puis retient que l'étanchéité n'a pas été mise en oeuvre conformément au document technique unifié (DTU) 52.2, au cahier du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et à la fiche technique du produit appliqué et en déduit que les règles de l'art n'ont pas été respectées.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, en l'absence de désordre affectant la salle de bains du premier étage si le DTU 52.2, le cahier CSTB et la fiche technique du produit appliqué avaient été contractualisés par les parties, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Architecture et techniques construction à payer à M. [E] la somme de 16 873,88 euros TTC, actualisée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 10 décembre 2018 et l'indice le plus proche de la date du présent arrêt, et en ce qu'il statue sur les dépens d'appel et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 16 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300623

La faute dolosive du promoteur lui interdit de prétendre au bénéfice de son contrat d'assurance

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 novembre 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 621 F-D

Pourvoi n° C 23-15.803




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

La société Promo ouest immobilier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° C 23-15.803 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Y] [E], domicilié [Adresse 5], venant aux droits de Mme [W] [T], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Artec Ingénierie,

2°/ à M. [C] [R],

3°/ à Mme [K] [S], épouse [R],

tous domiciliés [Adresse 3],

4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Promo ouest immobilier, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Promo ouest immobilier du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [E], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Artec ingéniérie, M. et Mme [R], la Mutuelle des architectes français et la société Gan assurances.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 décembre 2022), courant 2009, la société Promo ouest immobilier (le promoteur), assurée par la société Allianz IARD (l'assureur), a fait réaliser un ouvrage collectif de plusieurs étages conduisant à une perturbation du tirage de la cheminée de la maison voisine de M. et Mme [R].

3. Pendant l'exécution des travaux, l'expert désigné à la suite d'un référé préventif a appelé l'attention du promoteur, dans un pré-rapport puis dans son rapport définitif, sur la nécessité de rehausser les conduits de cheminée de la maison de M. et Mme [R] d'une certaine hauteur par rapport au faîtage de l'ouvrage en construction.

4. Se plaignant d'un trouble anormal de voisinage, résultant notamment de l'impossibilité d'utiliser leur cheminée d'agrément, M. et Mme [R] ont, après expertise, assigné le promoteur et son assureur en indemnisation de leur préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le promoteur fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause son assureur et de rejeter les demandes tendant à ce qu'il soit condamné à le garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, alors :

« 1°/ que la faute intentionnelle de l'assuré suppose la volonté de causer le dommage tel qu'il est survenu et pas seulement d'en créer le risque ; qu'en se bornant à retenir que la société Promo ouest immobilier avait pleinement connaissance de la nécessité des travaux de rehaussement des conduits de cheminée pour en déduire que son assureur ne pouvait pas couvrir le risque ainsi pris délibérément par elle en connaissance de cause, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir la volonté de la société Promo ouest immobilier de causer le dommage tel qu'il s'est réalisé, en violation de l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances ;

2°/ que la faute dolosive, au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, et non avec la seule conscience du risque d'occasionner le dommage ; qu'en retenant que l'assureur ne pouvait pas couvrir le risque pris délibérément par la société Promo ouest immobilier en connaissance de cause dès lors que celle-ci avait pleinement connaissance de la nécessité des travaux de rehaussement des conduits de cheminée et qu'il était certain qu'un dommage résulterait de la poursuite de la promotion de l'ouvrage sans purge préalable des non-conformités signalées, après avoir relevé que l'assuré avait fait inscrire dans les actes de cession des lots une servitude permettant la mise en oeuvre et l'entretien de cheminées au bénéfice des fonds voisins dont celui des époux [R] et avait proposé des solutions post-travaux de rehaussement des cheminées qui s'étaient révélées inapplicables en raison notamment de leur caractère aléatoire, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir la conscience de la société Promo ouest immobilier du caractère inéluctable des conséquences dommageables de ses actes, ne se confondant pas avec la conscience du risque d'occasionner le dommage, en violation de l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances susvisé ;

3°/ que les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ; qu'en l'espèce, la société Promo ouest immobilier faisait valoir que la clause d'exclusion prévue à l'article 6.1 des dispositions spéciales de la police d'assurance, excluant du périmètre de la garantie « les dommages intentionnellement causés ou provoqués par vous-même », ne pouvait être regardée comme ayant été stipulée en caractères très apparents ; qu'en déboutant la société Promo ouest immobilier de ses demandes dirigées à l'encontre de l'assureur, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ladite clause était stipulée en caractère très apparent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-4, alinéa 2, du code des assurances ;

4°/ qu'en toute hypothèse les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ; qu'en l'espèce, la société Promo ouest immobilier faisait valoir que la clause d'exclusion prévue à l'article 6.26 des dispositions spéciales de la police d'assurance, excluant du périmètre de la garantie « les dommages résultant de troubles de voisinage par le simple fait de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions, de sa structure ou de ses installations provisoires », ne pouvait être regardée comme ayant été stipulée en caractères très apparents ; qu'à supposer même qu'elle se soit fondée sur cette clause d'exclusion pour débouter la société Promo ouest immobilier de ses demandes dirigées à l'encontre de son assureur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la clause était stipulée en caractère très apparent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-4, alinéa 2, du code des assurances ;

5°/ qu'en toute hypothèse une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée ; qu'en l'espèce, la société Promo ouest immobilier faisait valoir que la clause d'exclusion prévue à l'article 6.26 des dispositions spéciales de la police d'assurance, excluant du périmètre de la garantie « les dommages résultant de troubles de voisinage par le simple fait de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions, de sa structure ou de ses installations provisoires », ne pouvait être regardée comme formelle et limitée ; qu'en déboutant la société Promo ouest immobilier de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Allianz IARD, sans se prononcer, comme elle y était pourtant invitée, sur le caractère non formel et limité de cette clause d'exclusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a constaté, d'une part, que le pignon de grande hauteur de la construction nouvelle dépassait très largement les orifices extérieurs des trois boisseaux de cheminée de la maison de M. et Mme [R], d'autre part, que, dans son rapport d'expertise préventive, l'expert avait appelé l'attention du promoteur sur la nécessité de rehausser les conduits de cheminée de la maison voisine, en soulignant que la mise en place d'une rehausse sur une souche de cheminée était une technique bien connue et maîtrisée par des entreprises qualifiées, et qu'aucun professionnel de la construction ne pouvait ignorer le litige à naître né de l'absence de modification de la hauteur de celle-ci.

7. Elle a relevé que le promoteur, dont elle a souverainement retenu qu'il avait eu pleinement connaissance de la nécessité de ces travaux de rehaussement dès le dépôt de ce rapport, avait néanmoins livré l'immeuble sans résoudre cette difficulté, s'étant borné, cinq ans plus tard, à proposer, durant les opérations d'expertise, deux solutions palliatives, techniquement et juridiquement non réalisables.

8. Ayant ainsi fait ressortir que le refus délibéré du promoteur de faire réaliser les travaux préconisés, avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, caractérisait sa faute dolosive, elle en a exactement déduit, sans retenir la faute intentionnelle ni être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu'il ne pouvait prétendre au bénéfice de son contrat d'assurance.

9. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Promo ouest immobilier aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300621