samedi 29 avril 2017

Le (faux) mariage forcé de la responsabilité décennale et de la performance énergétique.




Le (faux) mariage forcé

de la responsabilité décennale

et de la performance énergétique.

Le changement climatique  résultant notamment de l’excessive production de CO2,  et autres gaz à « effet de serre », ajouté à l’épuisement des gisements d’énergie fossile, ont montré l’intérêt des énergies renouvelables et l’importance de la maîtrise de la consommation énergétique, spécialement dans le domaine du bâtiment, gros consommateur et donc objet d’une attention particulière à  cet égard.

De ces réflexions sont nées, notamment, diverses Directives européennes et dispositions législatives.
·       La loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, qui, dans le cadre de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence et de la privatisation d’une partie des activités d’EDF, met  en place l’obligation d’achat, par cette dernière, de la production d’énergie renouvelable. Des décrets et arrêtés ont réglé les modalités de cette obligation d’achat. Un arrêté du 10 juillet 2006, modifié à plusieurs reprises (notamment en 2010),   a mis en place un régime de prime, attribuée au producteur, dans  le cas « d’intégration au bâti » (notion évolutive...) des installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil.
·       Deux directives européennes (2002/91/CE et 2010/31/UE), des 16 décembre 2002 et 19 mai 2010, visent à créer un cadre  commun à la promotion de la performance énergétique des bâtiments.

·       En sont résultées, en France, deux lois importantes, dites « Grenelle I » et « Grenelle II », des 3 août 2009 et 12 juillet 2010, la dernière imposant notamment, par diverses dispositions du code de la construction et de l’habitation, que, progressivement, nombre de constructions à usage d’habitation, satisfassent à des exigences :

·       d’efficacité énergétique minimale du bâti, par leur conception même,

·       de consommation maximale, correspondant à un seuil de « 50 kWhe/pm2/an modulé » et même (à l’horizon 2020) à une consommation nulle, du fait de l’énergie produite sur place ou à proximité.

Pour en définir la charte, a été établie une réglementation thermique. Sa dernière édition, publiée le 6 juillet 2010, est connue sous le nom de RT 2012. Elle est présentée comme marquant le passage d’une « réglementation de moyens à une réglementation d’objectifs ».

La nouvelle performance énergétique obligatoire concerne la qualité intrinsèque d’un bâtiment, établie en fonction d’une « performance calculée » ou d’une « performance mesurée », correspondant  à sa consommation réelle, le tout en fonction de la norme règlementaire RT 2012.

Cette dernière prend comme base un label dit de « consommation conventionnelle ». Mais le mot « conventionnelle » n’a pas ici le sens habituel que lui attribue le juriste. Il s’agit simplement (si l’on peut dire …) d’un « indicateur exprimé en kilowattheure d’énergie primaire par mètre carré et par an »[1].

L’énergie primaire celle qui est dans la nature et grâce à laquelle on produit l’énergie secondaire : bois, charbon, pétrole, vent, soleil, hydraulique, géothermique. L’énergie finale est celle, consommée, lue sur les compteurs.

Cette abondance législative et règlementaire n’avait pas trouvé son pendant pour la responsabilité des constructeurs. Les commentateurs se sont donc interrogé[2] sur la manière de concilier ces idéaux avec les catégories qui leur sont familières.

Cette difficile conciliation entre la responsabilité décennale et la performance énergétique s’est traduite :

  • par une cohabitation délicate, lors de ce que l’on pourrait appeler des fiançailles (I),

  • suivies en 2015 d’une officialisation de cette union par un encadrement législatif,  par la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, n° 2015-992 du 17 août 2015[3], institutionnalisant en réalité une... double vie séparée  (II),

  • Se pose alors (III) la question des modalités de l’assurabilité du nouveau régime édicté dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH), par un article L.111-13-1[4], ainsi conçu :

«En matière de performance énergétique, l’impropriété à la destination, mentionnée à l’article L. 111-13, ne peut être retenue qu’en cas de dommages résultant d’un défaut lié aux produits, à la conception ou à la mise en œuvre de l’ouvrage, de l’un de ses éléments constitutifs ou de l’un de ses éléments d’équipement conduisant, toute condition d’usage et d’entretien prise en compte et jugée appropriée, à une surconsommation énergétique ne permettant lutilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant ».

I – Performance énergétique et responsabilité décennale : fiançailles difficiles et cohabitation délicate

I.1 – Les nouvelles exigences d’efficacité énergétique

Le Conseil d’Etat, saisi sur recours contre l’un des arrêtés techniques d’application[5]  a estimé[6] que « pour complexe qu'elle soit, la méthode de calcul approuvée par l'arrêté attaqué ne méconnaît pas l'objectif constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la norme »...

La décision présente l’architecture législative et réglementaire de cette réforme de la réglementation thermique de construction :

« 3. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement : " La réglementation thermique applicable aux constructions neuves sera renforcée afin de réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Elle s'attachera à susciter une évolution technologique et industrielle significative dans le domaine de la conception et de l'isolation des bâtiments et pour chacune des filières énergétiques, dans le cadre d'un bouquet énergétique équilibré, faiblement émetteur de gaz à effet de serre et contribuant à l'indépendance énergétique nationale. / L'Etat se fixe comme objectifs que : / a) Toutes les constructions neuves faisant l'objet d'une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2012 et, par anticipation à compter de la fin 2010, s'il s'agit de bâtiments publics et de bâtiments affectés au secteur tertiaire, présentent une consommation d'énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne ; pour les énergies qui présentent un bilan avantageux en termes d'émissions de gaz à effet de serre, ce seuil sera modulé afin d'encourager la diminution des émissions de gaz à effet de serre générées par l'énergie utilisée, conformément au premier alinéa ; ce seuil pourra également être modulé en fonction de la localisation, des caractéristiques et de l'usage des bâtiments (...) " ; que de telles dispositions, prises sur le fondement de l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution relatif aux lois de programmation, se bornent à fixer des objectifs à l'action de l'Etat et sont, dès lors, dépourvues de portée normative ; qu'il ne saurait par suite être utilement soutenu que l'arrêté attaqué aurait méconnu ces dispositions ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-9 du code de la construction et de l'habitation, issu de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement : " Un décret en Conseil d'Etat détermine : / - pour les constructions nouvelles, en fonction des différentes catégories de bâtiments, leurs caractéristiques et leur performance énergétiques et environnementales, notamment au regard des émissions de gaz à effet de serre, de la consommation d'eau ainsi que de la production de déchets liées à leur édification, leur entretien, leur réhabilitation et leur démolition ; / - à partir de 2020, pour les constructions nouvelles, le niveau d'émissions de gaz à effet de serre pris en considération dans la définition de leur performance énergétique et une méthode de calcul de ces émissions adaptée à ces constructions nouvelles " ; que le décret du 26 octobre 2010, pris pour l'application de ces dispositions, prévoit au nouvel article R. 111-20 du code de la construction et de l'habitation, que les bâtiments nouveaux et les parties nouvelles de bâtiments doivent être construits et aménagés de telle sorte qu'ils respectent les caractéristiques thermiques et les conditions fixées par ces dispositions, et renvoie à un arrêté du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé de la construction et de l'habitation le soin de fixer, en fonction des catégories de bâtiments, les caractéristiques thermiques intervenant dans la performance énergétique du bâtiment, la méthode de calcul de la consommation conventionnelle d'énergie d'un bâtiment et la valeur de la consommation maximale ; qu'en application de ces dispositions, un arrêté a été pris le 26 octobre 2010, relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments, qui définit notamment les caractéristiques de consommation effective des bâtiments, en retenant un coefficient de consommation effective d'énergie primaire d'un bâtiment, dénommé coefficient Cep, et en définissant le besoin bioclimatique conventionnel en énergie d'un bâtiment, dénommé coefficient Bbio ; que cet arrêté renvoie à un autre arrêté du ministre chargé de la construction et de l'habitation et du ministre chargé de l'énergie le soin de définir la méthode de calcul des coefficients ainsi définis ; que la requête de l'association Sauvons le climat tend à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 avril 2013 portant approbation de cette méthode de calcul ;

5. Considérant que l'arrêté du 26 octobre 2010 prévoit, à son article 11, que la " consommation conventionnelle maximale d'énergie primaire du bâtiment " est déterminée notamment en fonction d'un coefficient de modulation selon les émissions de gaz à effet de serre des énergies utilisées ; que la requérante ne saurait ainsi soutenir que ces dispositions réglementaires n'auraient pas fixé les caractéristiques et performances énergétiques au regard des émissions de gaz à effet de serre ; que, par suite, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 26 octobre 2010 ne peut qu'être écarté ;

6. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 111-9 du code de la construction et de l'habitation, cité ci-dessus, que l'arrêté contesté aurait nécessairement dû, dans la méthode de calcul qu'il définit, retenir une consommation qui soit directement fonction de la quantité de gaz à effet de serre émise, ou prévoir une modulation spécifique pour l'énergie électrique ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'arrêté aurait, faute de prévoir de telles dispositions, méconnu les dispositions de l'article L. 111-9 du code de la construction et de l'habitation ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en tant qu'il retient une modulation pour l'énergie bois, et non pour l'énergie électrique et pour l'énergie géothermique, alors que ces énergies seraient très faiblement émettrices de gaz à effets de serre, l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation ;


Depuis l’instauration de la réglementation thermique dite «RT 2012[7]», les constructeurs sont donc soumis à de nouvelles exigences en termes d’efficacité énergétique des bâtiments, exigences sanctionnées pénalement[8] et découlant de trois concepts :

-        efficacité énergétique minimale du bâti (coefficient Bbio) ;

-        consommation (dite « conventionnelle ») en énergie primaire[9] maximale, à ne pas dépasser dans le bâtiment au cours de l’année (Cep max). Selon les régions, le maximum d’énergie consommée est fixé à un seuil variable entre 40 et 65 kWhep/m2.an) ;

-        confort d’été (Tic max).
Les coefficients BBio, Cep et Tic max sont calculés à l’aide d’outils informatiques, fournis par le CSTB, en fonction de données climatiques conventionnelles pour chaque zone de d’habitation, selon les modalités définies par la méthode de calcul « Th-BCE 2012 ».
Le respect de ces exigences se prouve selon le régime édicté par l’article L.111-9-1 du CCH prévoyant que :
« à l'issue de l'achèvement des travaux portant sur des bâtiments neufs ou sur des parties nouvelles de bâtiment existant soumis à permis de construire, le maître d'ouvrage fournit à l'autorité qui a délivré le permis de construire un document attestant que la réglementation thermique a été prise en compte par le maître d'œuvre ou, en son absence, par le maître d'ouvrage ».
Cette attestation est établie par un technicien tiers (contrôleur technique ou organisme habilité ou architecte). Ainsi,  théoriquement, à l’achèvement des travaux, le non-respect de la réglementation thermique par les constructeurs ne pourra échapper à un maître d’ouvrage se trouvant dans l’impossibilité de remettre cette attestation de conformité à l'autorité ayant délivré le permis de construire. Il s’agissait donc de faire en sorte que toute contestation ultérieure sur la performance énergétique du bâtiment  puisse être évitée.
Des précisions sont apportées par la partie réglementaire du CCH et leur contenu est parfois suprenant...
Article R111-20-3
·        Créé par Décret n°2011-544 du 18 mai 2011 - art. 1
A l'achèvement des travaux portant sur des bâtiments neufs ou des parties nouvelles de bâtiment existant soumis à permis de construire et situés en France métropolitaine :
-si le maître d'œuvre de l'opération de construction est chargé d'une mission de conception de l'opération et de l'exécution des travaux, le maître d'ouvrage fournit, pour chaque bâtiment concerné, un document attestant la prise en compte par le maître d'œuvre de la réglementation thermique ;
-si la mission confiée au maître d'œuvre se limite à la conception de l'opération ou si le maître d'ouvrage n'a pas désigné de maître d'œuvre, le maître d'ouvrage fournit, pour chaque bâtiment concerné, un document attestant qu'il a pris en compte la réglementation thermique.
Le document ainsi établi doit attester la prise en compte :
-de la prescription concernant la consommation conventionnelle d'énergie du bâtiment pour le chauffage, le refroidissement, la production d'eau chaude sanitaire, l'éclairage, les auxiliaires de chauffage, de refroidissement, d'eau chaude sanitaire et de ventilation, mentionnée au 1° du I de l'article R. 111-20 ;
-de la prescription concernant le besoin conventionnel en énergie d'un bâtiment pour le chauffage, le refroidissement et l'éclairage, mentionnée au 2° du I de l'article R. 111-20 ;
-pour certains types de bâtiments, de la prescription concernant la température intérieure conventionnelle atteinte en été, mentionnée au 3° du I de l'article R. 111-20 ;
-des prescriptions sur les caractéristiques thermiques intervenant dans la performance énergétique du bâtiment mentionnées au 1° du II de l'article R. 111-20 et qui sont précisées par arrêté.
Cette attestation est établie sur un formulaire conforme à des prescriptions fixées par arrêté. Elle est jointe à la déclaration d'achèvement des travaux dans les conditions prévues à l'article R. 462-4-1 du code de l'urbanisme.
On ne voit pas comment un maître de l'ouvrage profane peut se risquer par lui-même à établir une telle attestation, là où le non-respect des dispositions considérées est assorti de sanctions pénales...  outre les aléas dus à la jurisprudence !
I. 2 – Les incertitudes de la jurisprudence  
L’expérience montre que la jurisprudence, en multipliant les exceptions, se fait fort de vider de tout contenu certaines nouvelles règles s’efforçant d’écarter l’application de la responsabilité décennale, spécialement lorsque – comme ici - la notion d’impropriété à la destination permet d’inclure le défaut de conformité dans la responsabilité décennale. 

Ainsi en avait-il déjà été, pour la réforme Spinetta de 1978 voulant enfermer l’isolation phonique dans la responsabilité contractuelle,

               Cour de cassation, Assemblée plénière,  27 octobre 2006, N° de pourvoi: 05-19.408
Vu l'article 1792 du code civil ;
Attendu que les désordres d'isolation phonique peuvent relever de la garantie décennale même lorsque les exigences minimales légales ou réglementaires ont été respectées ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (3 e chambre civile, 9 décembre 2003, pourvoi n° Q 02-18.628), que M. X... a, en 1994, acquis en l'état futur d'achèvement un studio dans un immeuble édifié par la société civile immobilière Résidence du Belvédère (la SCI) ; que, se plaignant de désordres relatifs à l'isolation phonique, M. X... a assigné la SCI en réparation ;
Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt retient que les normes ayant été respectées, les nuisances acoustiques dénoncées par M. X... n'ont pas été "objectivées" par les différentes mesures effectuées et qu'en conséquence la preuve n'est pas rapportée du désordre allégué ;
Qu'en déduisant de la seule conformité aux normes d'isolation phonique applicables l'absence de désordre relevant de la garantie décennale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
et aussi, en matière de sécurité, en l’absence de dommages matériels à l’ouvrage, notamment par non-respect des normes parasismiques[10].

de même en cas de « perte juridique de l’ouvrage » :

            Cass. civ. 3ème 8 juin 1977, n° 75-13.014 :
MAIS ATTENDU QUE LA COUR D'APPEL A RETENU QUE L'EXISTENCE D'UN GRAVE DEFAUT DE CONFORMITE DE L'HOTEL AVEC LES REGLEMENTS ET LE PERMIS DE CONSTRUIRE ETAIT SUSCEPTIBLE D'ENTRAINER, OUTRE LE RISQUE MATERIEL D'INCENDIE DECRIT PAR L'EXPERT, L'INTERDICTION D'EXPLOITATION, DONC LA PERTE JURIDIQUE DE L'EDIFICE ;
QUE DE CES CONSTATATIONS ET ENONCIATIONS, IMPLIQUANT L'IMPROPRIETE DE L'IMMEUBLE A SA DESTINATION, ELLE A JUSTEMENT DEDUIT QUE LA NON-CONFORMITE EN QUESTION CONSTITUAIT UN VICE DE LA CONSTRUCTION SOUMIS AU REGIME DE LA GARANTIE DECENNALE ;
La question de la défaillance d’une installation de chauffage se caractérisant par des « dépenses anormales d’énergie » s’était d’ailleurs déjà posée devant la Cour de cassation en 2000 et semblait dès cette époque tendre vers l’application de la responsabilité décennale :

            Cass. civ. 3ème 27 septembre 2000, n° 98-22.243 :
8) qu'une installation de chauffage n'est pas par principe rendue impropre à sa destination du seul fait qu'elle oblige à des dépenses anormales d'énergie ; que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, à la fois relever que la température des appartements pouvait être atteinte par la mise en service des convecteurs électriques, malgré la défectuosité de certaines trames chauffantes du chauffage de base, et décider que l'installation de chauffage dans son ensemble était rendue impropre à sa destination ; qu'en se déterminant par de tels motifs, la cour d'appel a privé de ce chef encore sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'expert judiciaire avait exprimé l'avis que la défectuosité de certaines trames chauffantes ne rendait pas l'immeuble impropre à sa destination, la cour d'appel, qui a décidé de rejeter cet avis, a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant que, le désordre étant évolutif dans le temps, et tout le matériel des jonctions froides étant progressivement atteint, l'installation de chauffage ne satisfaisait plus aux fins prévues et que l'impropriété à la destination était caractérisée ;
En matière de géothermie, un arrêt de 2004 avait été plus prudent :

            Cass. civ. 3ème 12 mai 2004, n° 20.247 :

Mais attendu qu'ayant souverainement relevé que l'ouvrage de géothermie n'était pas en lui-même affecté de dommages de nature à compromettre sa solidité ou à le rendre impropre à sa destination, et que l'installation avait toujours fonctionné, mais seulement fait preuve d'un manque de performance certains mois de l'année, la cour d'appel en a exactement déduit que l'article 1792 du Code civil n'était pas applicable ;

En 2012, à propos de surconsommation entrainée par le sous-dimensionnement d’une pompe à chaleur, la Cour de cassation avait approuvé le juge du fond d’avoir refusé l’application de l’article 1792 :

Cass. civ. 3ème 10 janvier 2012, n° 11.172 :

Attendu qu'ayant relevé que le système de chauffage était constitué d'un plancher chauffant et rafraîchissant sur pompe à chaleur au rez-de-chaussée, ce dont il résultait que l'installation ne constituait pas un élément d'équipement dissociable, et qu'il était affecté de désordres qui ne compromettaient pas sa solidité et ne le rendaient pas impropre à sa destination, mais affectaient les conditions de confort de l'occupation de certaines parties de l'habitation et que ces désordres trouvaient leur source dans un sous dimensionnement de la pompe à chaleur, accompagné d'un surdimensionnement des résistances électriques, la cour d'appel, qui a exclu à bon droit l'application des garanties légales des articles 1792 et suivant du code civil et qui a retenu une faute de M. X... dans la réalisation de l'ensemble de l'installation de chauffage, a légalement justifié sa décision ;

En 2013, la décennale avait été retenue :

Cass. civ. 3ème 8 octobre 2013, n° 12-25.370 :
Vu l'article 1792 du code civil ;
Attendu que pour débouter les consorts X... de leur demande formée à l'encontre de la société MMA au titre du défaut d'isolation, l'arrêt retient que les désordres d'isolation thermique, seulement susceptibles d'entraîner une augmentation de la consommation d'énergie et un certain inconfort, ne relèvent pas de l'article 1792 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les désordres engendrés par les défauts d'isolation thermique ne rendaient pas la maison impropre à sa destination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Cependant, en 2015, de la Cour de cassation[11] évoquait déjà l’absence de preuve d’une «surconsommation indue», (consécutive en l’espèce à un diagnostic de performance énergétique (DPE) falsifié) :
Cass. civ. 3ème 7 juillet 2015, n° 14-18.144
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 25 février 2014), que M. A... a vendu une maison à M. X... et Mme Y... ; qu'après expertise, les acquéreurs ont assigné M. A..., M. Z... qui avait réalisé des travaux d'isolation de la maison et la société MAAF, assureur de celui-ci, en paiement de la somme de 41 977 euros au titre des travaux de reprise de l'isolation et de la toiture ;

Attendu qu'ayant relevé que l'avis de l'expert judiciaire quant à la consommation d'électricité pour le chauffage était dénué de toute précision et qu'aucun élément du dossier ne démontrait une surconsommation indue d'électricité et souverainement retenu qu'il n'était pas établi que M. A... ait su que l'épaisseur de l'isolation n'était pas de deux cents millimètres, ainsi qu'il était indiqué sur le plan de l'architecte, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, sans dénaturation et par ces seuls motifs, justifier sa décision de rejeter les demandes de M. X... et Mme Y... ;
En 2016, l’isolation thermique défaillante a été considérée comme relevant de la décennale :

Cass. civ. 3ème 2 juin 2016, n° 15-15.115

Vu l'article 1792 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 3 février 2015), que l'office public d'aménagement et de construction de la Sarthe (Sarthe Habitat) a vendu un appartement en l'état futur d'achèvement à M. et Mme X... ; qu'ayant invoqué l'existence de désordres affectant le système de chauffage, l'isolation thermique et le fonctionnement des menuiseries extérieures en aluminium, M. et Mme X... ont assigné Sarthe Habitat en indemnisation de leurs préjudices
;

Attendu que, pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient qu'il ne résulte ni de l'expertise ni des autres relevés et examens techniques, réalisés à l'initiative de M. et Mme X..., que l'immeuble litigieux est affecté de désordres qui compromettent sa solidité ou qui le rendent impropre à sa destination ;

Qu'en statuant ainsi, par cette seule affirmation et sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les désordres affectant l'isolation thermique et le chauffage et si l'impossibilité de le clore ne rendaient pas le logement impropre à sa destination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Il résultait de tout cela une trop grande incertitude sur ce que serait l’application de la garantie décennale en cas de défaut de performance énergétique de l’ouvrage[12]. Les professionnels et les pouvoirs publics ont donc imaginé divers régimes d’encadrement de l’impropriété à la destination.

Sous l’égide, du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la mission « plan bâtiment durable » avait émis un rapport (juillet 2013), préconisant une approche restrictive de la présomption de responsabilité décennale[13]. Le texte proposé (page 12 du rapport) envisageait une application limitée de l’impropriété à la destination au seul cas de différence de consommation conventionnelle supérieure à un certain seuil, défini par décret en Conseil d’État.

Mais finalement, c’est par le biais d’un amendement (n°1473) à la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte que le législateur a limité l’application de la garantie décennale en cas de défaut de performance énergétique, de telle sorte que les nouveaux époux sont réputés vivre ensemble mais chacun de son côté !.


II – Mariage forcé et double vie séparée...

La première source d’étonnement réside dans le choix de la résidence des « époux ». On s’interroge en effet sur les raisons (déférence de façade ?) ayant conduit à insérer dans le code de la construction et de l’habitation un texte sur l’impropriété à la destination régie par  l’article 1792 du Code civil non modifié, et déjà repris dans le même CCH.

Si, dans le cadre du rapport du Plan  bâtiment durable, la modification envisagée s’appuyait sur  un seuil technique n’ayant pas sa place dans le Code civil, en revanche, le texte retenu par le législateur aurait dû prendre place dans le Code civil, ainsi qu’il a été fait pour l’article 1792-7. Les praticiens du droit devront prendre garde à ce nouvel article L. 111-13-1, de la section 6  «Responsabilité des constructeurs d'ouvrage»  du CCH, et dont on n’a pas osé affubler le Code civil....

Le nouvel article L.111-13-1 du CCH encadre donc comme suit l’application de l’impropriété à la destination de l’article 1792 du code civil (ou L.111-13 du CCH), en cas de défaut de performance énergétique :

«En matière de performance énergétique, l’impropriété à la destination, mentionnée à l’article L. 111-13, ne peut être retenue qu’en cas de dommages résultant d’un défaut lié aux produits, à la conception ou à la mise en œuvre de l’ouvrage, de l’un de ses éléments constitutifs ou de l’un de ses éléments d’équipement conduisant, toute condition d’usage et d’entretien prise en compte et jugée appropriée, à une surconsommation énergétique ne permettant lutilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant ».

Ce texte impose ainsi à ce couple deux conditions (faute et dommage), assorties d’une cause d’exonération de responsabilité : le fait (ou la faute) de celui qui se plaint ...

Mais on va voir que la rédaction habile de cette nouvelle disposition va faire que la responsabilité décennale ne pourra jamais être mise en œuvre avec succès pour défaut de performance énergétique, de telle sorte que les concepts antérieurs risquent fort de conserver toute leur force...

II.1. Conditions incompatibles de « vie commune »

La présomption de responsabilité décennale ne s’appliquera, en cas de dépassement de la consommation énergétique conventionnelle (au sens de la RT 2012), que si l’impropriété à la destination (telle que nouvellement définie en la matière) découle d’un dommage avéré à l’ouvrage, consécutif soit à :

-        une malfaçon d’exécution,
-        une erreur de conception,
-        un défaut du produit.

Ces conditions – réintroduisant la faute par dérogation au principe de présomption de responsabilité décennale - sont alternatives et non cumulatives. On verra que leur mise en œuvre suppose que soit établie la matérialité de dommage grave, en l’espèce l’existence d’une surconsommation conduisant à un coût d’utilisation « exorbitant »,.

Ainsi, en cette matière spécifique, la mise en œuvre de la responsabilité décennale suppose la preuve d’une faute et d’un dommage

II.1.1 La faute

La malfaçon d’exécution et l’erreur de conception sont des notions connues, qui depuis de l’avènement de la présomption ne conservaient un empire qu’entre codébiteurs, à l’heure du partage des responsabilités. Les voici remises au premier plan du débat sur la responsabilité des constructeurs. 

En ce qui concerne le « défaut » du produit, on observera que la formulation employée implique tant le vice du produit que sa non-conformité. On s’étonnera de cette référence au défaut du produit, sachant que le régime de la garantie décennale ne vise pas directement la responsabilité du fabricant (en dehors du fabricant d’EPERS), mais celle des metteurs en œuvre, tenus des défauts des produits. N’aurait-il pas été suffisant de se référer au défaut lié à la mise en œuvre de l’ouvrage et de viser accessoirement l’EPERS ?

Cela étant, la preuve du défaut du produit est facilitée en matière de responsabilité décennale, puisque la recherche du vice n’est pas exigée :

Cass. civ. 3ème 30 septembre 2015, n° 14-19.776 :

Attendu que pour écarter l'application de la garantie décennale, l'arrêt retient, d'une part, que la cause du sinistre n'est pas connue en présence d'une expertise qui n'a pas permis d'établir l'existence d'un vice de construction affectant l'ouvrage réalisé par la société Jean Lefebvre ou les soudures réalisées par son sous-traitant, et d'autre part, que la preuve d'interventions sur le lot affecté de désordres, par des tiers, après la réception est rapportée ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure la responsabilité de plein droit des constructeurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

L’écueil de ce texte, détaché du régime de la responsabilité décennale des articles 1792 et suivants du Code civil, est cependant de créer un régime dérivé spécifique de garantie décennale en cas d’atteinte à la performance énergétique de l’ouvrage.

II.1.2-  Le dommage grave

La gravité du dommage constitue l’un des « fondamentaux » de la responsabilité décennale. Il est donc conservé, mais sans référence à une atteinte à la destination de l’ouvrage, ouvrage  dont les conditions d’habitabilité n’ont plus à être ici compromises autrement que par le préjudice résultant du montant en quelque sorte absolument anormal des dépenses d’énergie nécessaires, pour que le confort normalement espéré puisse être obtenu : « une surconsommation énergétique ne permettant l’utilisation de l’ouvrage qu’à un coût exorbitant».

On voit déjà là que l’article L.111-13-1 du CCH exclut la prise en compte de simple non-conformité à la réglementation intrinsèque.

Quant à l’appréciation du caractère « exorbitant » du coût, elle relèvera de l’appréciation des tribunaux. Si une surconsommation à un coût déraisonnable s’avérera insuffisante pour retenir la garantie décennale, à partir de quel seuil de surconsommation la considérera-t-on comme d’un coût exorbitant ?

Larousse nous enseigne qu’est exorbitant ce qui revêt un  « caractère particulièrement exagéré, excessif »  Etymologiquement, est exorbitant ce qui « sort de l’ornière » (orbita en latin). A titre de simple comparaison, on peut rappeler qu’en droit des marchés publics, la clause exorbitante est celle qui établit un rapport d'inégalité entre les cocontractants.
Dans les contrats de droit privé, elle serait illégale comme ayant «...pour objet de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations, étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales »([14]). On rejoint là l’idée selon laquelle ce qui est exorbitant est, en quelque sorte,  « hors la loi » commune et donc quasiment inacceptable, hors nécessité d’intérêt public.
Il reste qu’il s’agit donc là d’un critère totalement subjectif, et dont on ne connaîtra jamais à l’avance,  le niveau de déclenchement. À ce titre, on peut regretter la proposition du Plan « bâtiment durable », qui prévoyait la définition d’un seuil défini par décret[15].
Lors des débats[16],, c’est Mme Ségolène Royal, ministre qui a suggéré de substituer à l’expression «coût raisonnable » (proposée dans la première version de l’amendement) les mots «coût exorbitant», pour parer à tout contentieux opportuniste. Elle précisait en outre «d’autant plus que la jurisprudence fait déjà état de cette formulation».
Certes, l’analyse du contentieux démontre que «le coût exorbitant» d’une mesure, d’une indemnisation ou d’une facture est souvent avancé par les plaideurs pour contester les prétentions adverses. Les décisions ne font cependant pas apparaître de critères d’appréciation déterminants pour apprécier ce qui est exorbitant ou non. C’est donc une question d’espèce.
L’article 31 de la loi consacre ainsi une notion jurisprudentielle aux contours incertains, indéfinis, car on ne trouve guère en jurisprudence[17] de décisions employant cette expression. On peut cependant citer un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu en matière d’abus de faiblesse :
Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 19 avril 2005, 04-83.902, Publié au bulletin 
Attendu que, pour déclarer Jean-Pierre X... coupable du délit d'abus de faiblesse prévu par l'article L. 122-8 du Code de la consommation, l'arrêt attaqué retient qu'il s'est présenté à deux reprises, les 16 décembre 1997 et 19 février 1998, en compagnie d'un autre vendeur, au domicile de Pierre Y..., situé à Saint-Martin-du-Vieux- Bellême (Orne) et que celui-ci, pressé par les deux hommes, a commandé deux systèmes d'alarme, pour un montant global de près de 100 000 francs et signé deux offres de crédit comportant des mensualités supérieures au tiers de ses faibles revenus ;
Que les juges ajoutent que Pierre Y..., âgé de soixante-quatorze ans au moment des faits, a été contraint d'accepter ces engagements d'un coût exorbitant et d'une utilité douteuse tant au regard de la modestie de son cadre de vie que de l'absence de délinquance dans cette petite commune rurale, obligations dont il n'a pas été en mesure d'apprécier la portée ;
La question reste donc totalement ouverte…
De multiples zones d’ombre demeurent cependant, ainsi qu’il est de règle après d’aussi importantes modifications législatives, surtout dans un système aussi complexe :

  • Pour parler de surconsommation, il faudrait déjà disposer de moyens de mesures adaptés. A cet égard, l’arrêté du 26 octobre 2010 (celui objet de l’arrêt précité du Conseil d’Etat du 23 juillet 2014), déjà modifié par un arrêté du 11 décembre 2014, impose l’installation de compteurs dans chaque logement, mais alors surgit une autre difficulté, signalée par M. Dessuet[18] :

  • « Une fois constaté le niveau de la consommation, la notion de surconsommation  suppose le constat de transgression d’une norme. Or, en l’espèce, il n’y en a point, puisque le seul référentiel en la matière s’entend par bâtiment et non par logement et surtout est un référentiel de calcul et non de mesure in situ, par ailleurs exprimé en énergie primaire et non en énergie finale (celle qui apparaitra sur les compteurs) »

  • Quid pour des consommations supérieures à celle dite « conventionnelle » et qui seront jugées non exorbitantes. Reviendra-t-on, pour ces préjudices (insusceptibles de relever de la garantie décennale), à la responsabilité de droit commun des constructeurs pour « dommages intermédiaires » ?

  • Quid aussi pour des non-conformités sans dommages matériels (par exemple, un isolant mis en œuvre ne répondant à la réglementation thermique). Devra-t-on retenir la responsabilité contractuelle des constructeurs et du vendeur d’immeuble ? Le champ d’application de la responsabilité contractuelle du vendeur d’immeuble risque dès lors de croître. En effet, en l’état, elle s’appliquera même en cas de défaut de conformité mineur([19]), mais sans que l’obligation d’assurance de responsabilité puisse jouer.

  • Quid alors  des assurances des professionnels pour les risques évoqués ci-dessus et hors champ de la décennale « new look » pour performance énergétique défaillante ?

  • Se pose aussi la question du sort des engagements contractuels allant au-delà de la réglementation au titre de la performance calculée ou de la performance mesurée.  Ce débat concerne les « labels », du type « haute performance énergétique », visé par  l’article R 111-20 du CCH, en vigueur  avant la RT 2012.  Il s’agit maintenant là d’une catégorie résiduelle, puisque disparue du texte de l’article L 111-9-1 du CCH, depuis la loi du 17 août 2015.

  • Il faut citer aussi :

    • la « garantie de performance énergétique intrinsèque» (GPEI) : c’est du « conventionnel », mais avec des contraintes supérieures,

    • la «  garantie de résultats énergétiques par l’usage » (GRE) : on bascule alors dans la consommation réelle et mesurée...

Par ailleurs, comment couvrira-t-on, la non-conformité de l’ouvrage à la RT 2012 lorsque l’acquéreur constatera que le DPE fait apparaître une consommation énergétique supérieure au seuil réglementaire ?

Dans le cadre du groupe de travail du Plan « bâtiment durable », les assureurs avaient proposé, globalement pour régler les problèmes de performance énergétique, une garantie pour faute, d’une durée limitée à cinq ans. Cette proposition (page 9, § 2.5 du rapport) trouve dorénavant son intérêt pour les défauts de performance énergétiques non décennaux.

On peut même se demander, si en l’absence de garanties nouvelles pour couvrir ces derniers défauts, les objectifs du Grenelle de l’environnement (repris au CCH) ne sont pas devenus un leurre. En effet, comment peut-on penser laisser en l’état des ouvrages non conformes à la RT 2012, parce que les défauts ne seraient pas de nature décennale au sens de l’article L.111-13-1 du CCH ?

Ce contentieux résiduel ne va donc pas disparaître avec l’instauration de l’article L.111-13-1 du CCH. Les constructeurs devront s’en soucier,  avec leurs assureurs.

II.2 L’exonération par le fait ou la faute de celui qui se plaint

Si les conditions ci-dessus (de dommages matériels et de surconsommation à un coût exorbitant) sont satisfaites, on ne peut se désintéresser, au niveau de la causalité du dommage, de l’exonération née du comportement de l’occupant, victime du dommage allégué.

Pour cette raison, l’article L.111-13-1 nouveau  prévoit que les conditions d’usage et d’entretien doivent être prises en compte et jugées appropriées… par le tribunal ; à défaut, toute indemnisation est refusée. Il y a donc là un renversement complet de la charge de la preuve ! C’est à la victime de prouver qu’elle n’a pas commis de faute ! Autant dire qu’elle ne sera jamais capable de le faire ...

On notera toutefois que si ce texte, avait été introduit à la suite de l’article 1792 du Code civil, on aurait considéré – de la même façon - que cette exonération constituerait la «cause étrangère» de l’alinéa 2 de l’article 1792 du Code civil ou correspondrait au défaut d’imputabilité des dommages (en l’espèce la surconsommation) aux constructeurs.

On ne sait d’ailleurs ce que pourrait être « l’entretien approprié ». La même loi (du 17 août 2015) a institué - par un nouvel article L 111-10-5 - un « carnet numérique de suivi et d’entretien du logement », intégrant le diagnostic technique. Il est obligatoire pour toute construction neuve dont le permis de construire est déposé à compter du 1er janvier 2017 et pour tout logement faisant l’objet d’une mutation à compter du 1er janvier 2025.  Il faudra donc se reporter à ce nouveau carnet numérique, en espérant qu’il existe, soit tenu à jour et que sa sincérité ne soit pas contestée ...

Finalement, les conditions d’application de la décennale en matière de performance énergétique ont été tellement durcies qu’elles ne trouveront jamais à s’appliquer. On adonc organisé une vie commune ...séparée !

Encore faut-il quand même envisager son assurabilité.


III – Modalités d’assurance du nouveau régime

III. 1 – Polices RC

Pour sa part, MMA délivre dans ses polices RC une garantie de « performance énergétique » ainsi libellée :

« Nous garantissons les conséquences pécuniaires :
·        d’un dépassement de la « consommation conventionnelle » maximale d’énergie primaire définie dans la RT 2012 (coefficient CEPmax) portant sur les cinq usages retenus par la RT 2012 et correspondant aux postes de consommation suivants :
o       chauffage,
o       production d’eau chaude sanitaire,
o       refroidissement,
o       éclairage,
o       auxiliaire de chauffage et de ventilation,
       L’indemnisation prend en compte :
o       les travaux et frais d’étude de remise aux normes de l’ouvrage dans le respect de la RT 2012,
o       les honoraires de l’expert ou du technicien, nécessaires à la rédaction de l’attestation ou du diagnostic de performance énergétique, joints à la déclaration de sinistre,
o       les surcoûts de consommation ou d’exploitation de l’ouvrage consécutifs à la non atteinte des normes fixées par la RT 2012 dès lors que l’ouvrage doit faire l’objet de travaux de remise en conformité et jusqu’à l’achèvement desdits travaux.
·        d’une insuffisance de production énergétique pour les installations de production d’énergie, par rapport à l’engagement contractuel,
       L’indemnisation concerne :
·        les parties de recettes liées au déficit de production en Kwh de l’installation de production d’énergie par rapport à l’engagement contractuel dès lors que l’installation doit faire l’objet de travaux de remise en conformité,
·        les « frais de dépose et de repose », y compris le paiement des travaux de démolition, de déblaiement ou démontage éventuellement nécessaires, ainsi que les pertes de recettes consécutives à ces travaux.
               résultant d’un :
·        défaut de conception, de prescription, de calcul de suivi ou de réalisation de « vos » travaux,
·        défaut du ou des produit(s) mis en œuvre par « vous ».

III.2 – Polices décennales

AXA prévoit, sur sa police décennale « BTPLUS », une « garantie des non-conformités à la réglementation thermique 2012 après réception ».  A ce titre elle apporte la couverture suivante :

« Après réception, sont couverts, à l’exclusion de toute autre garantie du contrat, les dommages matériels, les non conformités ainsi que les dommages immatériels en résultant lorsque la responsabilité de l’assuré est recherchée en raison du non-respect des dispositions légales et règlementaires en matière de performance énergétique telles que visées par les décrets n° 2010-1269 du 26 octobre 2010 et n° 2012-1530 du 28 décembre 2012 ainsi que par les arrêtés pris pour leur application.

La garantie s’applique par extension au non-respect des dispositions du décret n° 2007-363 du 19 mars 2007, relatif aux études de faisabilité des approvisionnements en énergie, aux caractéristiques thermiques et à la performance énergétique des bâtiments existants et à l’affichage du diagnostic de performance énergétique, ainsi qu’à celles des arrêtés pris pour leur application »

Une police décennale Allianz accorde, parmi des garanties complémentaires à l’assurance décennale une couverture des « défauts de performance énergétique » dans les termes suivants :

, pour les seuls ouvrages soumis à l’obligation d’assurance, les dommages résultant de causes intrinsèques à l’ouvrage et entrainant exclusivement une surconsommation ou un défaut de performance énergétique ne relevant pas des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil, dès lors qu’ils surviennent après réception des travaux et engagent votre responsabilité contractuelle de droit commun.

La garantie, qui commence à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la réception, porte sur le coût des travaux de réparation ou de mise en conformité à réaliser pour atteindre le niveau d’exigence défini par les dispositions légales ou réglementaires applicables, ainsi que sur le montant des pertes pécuniaires consécutives à cette non-conformité »

Des exclusions sont prévues, notamment :

  • les conséquences d’engagements contractuels pris par l’assuré au-delà des dispositions légales ou réglementaires,
  • les réclamations en cas de non-justification de l’accomplissement des essais nécessaires avant réception.

Par ailleurs, la garantie « dommages intermédiaires » d’une police décennale des « réalisateurs d’ouvrage de construction », imaginée par Allianz, peut garantir un défaut de performance énergétique qui ne relèverait pas de la responsabilité décennale, et ce par la clause suivante :

« Que vous soyez lié au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ou que vous soyez sous-traitant, nous garantissons les dommages matériels affectant l’ouvrage soumis à l’obligation d’assurance à la réalisation duquel vous avez contribué, dès lors qu’ils surviennent postérieurement à la période de garantie de parfait achèvement, lorsque la responsabilité vous en incombe en vertu d’une décision de justice sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun »

Les exclusions concernent les travaux réservés, la non-exécution du marché, les dommages postérieurs au délai décennal et la responsabilité délictuelle.


***
*


En conclusion, l’article L.111-13-1 du CCH illustre l’aveu d’une peur surévaluée… Le juge de la décennale ne pouvait-il pas apprécier, à sa juste valeur,  la portée de ces nouvelles obligations réglementaires de performances énergétiques et les causes d’exonération des constructeurs ?

Si la non-conformité de la consommation «conventionnelle» aurait pu relever de l’impropriété à la destination – même en l’absence de dommages matériels avérés -, n’aurait-il pas mieux valu que le législateur, au regard des objectifs essentiels de préservation de l’environnement, inscrits dans la loi, impose aux constructeurs une garantie contractuelle, limitée dans la durée, de la performance énergétique, de telle sorte que l’ouvrage soit mis en conformité ? Sans nul doute, ces vœux louables auraient été mieux susceptibles d’être ainsi exaucés (et, sûrement, plus clairement..).  

Cela étant, faute de possibilité de réunion des conditions légales d’application de la décennale à la performance énergétique, la jurisprudence en reviendra aux concepts antérieurs : impropriété à la destination entendue comme une habilité gravement compromise.

N’était-ce pas là d’ailleurs le but recherché par les auteurs de la réforme, alertés par les craintes des praticiens ?

                                                                                                 Albert Caston

Bibliographie :

  • P. Dessuet, performance énergétique : : régime juridique, RGDA 2015, p. 437 et ss., p. 509 et ss.
  • Christian Le Brun et Jean Claude Terrier, la réhabilitation thermique dans le bâtiment en France, RDI- juin 2015-272 ;
  • B. Mallet et F. Gal, La RT2012 expliquée aux juristes, une tentative !
  • Agathe Van Lang, le Conseil d’Etat délivre son imprimatur à la RT 2012, RDI- février 2015-56 ;
  • Ph. Malinvaud, à propos des amendements à la loi sur la transition énergétique, RDI-2014, décembre 2014-603 ;
  • F.-X. Ajaccio, A. Caston, clarification pour le passé, mais… interrogations pour l’avenir, Gazette du palais, édition spécialisée « droit immobilier » 14 au 16 décembre 2014, n°348 à 350, page 5 et suivantes ; Le mariage forcé de la responsabilité décennale et de la performance énergétique, LE MONITEUR, 2 octobre 2015, p. 88.
  • H. Périnet-Marquet, la performance énergétique au cœur de l’actualité, opérations immobilier, novembre - décembre 2013, éditorial, p. 3 ;
  • Rapport du groupe de travail co-présidés par M. Huet et M. Jouvent, de juillet 2013, remis dans le cadre du Plan bâtiment durable - http://www.planbatimentdurable.fr/les-rapports-des-groupes-de-travail-r118.html
  • G. Durand-Pasquier, l’application de la RT 2012 et la responsabilité décennale des constructeurs, RDI, avril 2013-184 ; Des conditions restrictives de la garantie décennale en cas de défaut de performance énergétique ;
  • Ségolène Royal, entretien, Le Moniteur, 6 Mars 2015, p. 20 et suivantes ;
  • Albert Caston, la responsabilité des constructeurs à l’aune de la performance énergétique, Le Moniteur, 8 février 2013, p.46 ;
  • Le bâtiment en première ligne dans la loi sur la transition énergétique, Le Moniteur, 31 juillet 2015, p. 10 et s. ;
  • le Bâtiment, priorité de la loi sur la transition énergétique, Frédérique Vergne et Olivier Baumann, Le Moniteur en ligne 23 juillet 2015 ;
  • Adrien Fourmon, JurisClasseur Construction – Urbanisme, Fasc.  25-5 : PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS ;
  • (loi n° 2015-992 du 17 août 2015 (JORF n°0189 du 18 août 2015 page 14263) relative à la transition énergétique pour la croissance verte













[1] Annexe I à l’arrêté du 26 octobre 2010.
[2] G. Durand-Pasquier, « La performance énergétique des bâtiments », JCP N 2010, chr. 1113 ; H. Périnet-Marquet, « L’impact du Grenelle de l’environnement sur le droit de la construction », Revue Lamy droit immobilier juin 2010 ; S. Becqué-Ikowitz, « L’impact du Grenelle sur la responsabilité des constructeurs », RDI 2011, p. 25.
[3] loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte : JORF n°0189 du 18 août 2015 page 14263
[4] Voir bibliographie en fin de texte.
[5] celui décrivant la « consommation conventionnelle »
[6] CE 23 juillet 2014, n° 369964.
[7] Agathe Van Lang, le Conseil d’État délivre son imprimatur à la RT 2012, RDI- février 2015-56
[8] art. 152-1 du CCH.
[9] celle qui est dans la nature et grâce à laquelle on produit l’énergie secondaire : bois, charbon, pétrole, vent, soleil, hydraulique, géothermique. L’énergie finale est celle, consommée, lue sur les compteurs.
[10] Cour de cassation, 3e chambre civile, 1er décembre. 2010, 09-15.282
[11] Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 juillet 2015, 14-18.144, inédit, rejet

[12] G. Durand-Pasquier, l’application de la RT 2012 et la responsabilité décennale des constructeurs, RDI, avril 2013-184 ;

[13] Rapport du groupe de travail co-présidé par M. Huet et M. Jouvent, de juillet 2013, remis dans le cadre du Plan bâtiment durable - http://www.planbatimentdurable.fr/les-rapports-des-groupes-de-travail-r118.html

[14] CE, Sect. 20 octobre 1950, Stein - Lebon. p. 505
[15] P. 10 § 2.6
[16] du 22 mai 2015, devant l’AN (deuxième lecture) de l’article 8 bis A (devenu l’article 31 de la loi
[17]CA Caen CH. CIVILE 01 2 octobre 2012 n° 12/00595 ; COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 2ème chambre ; 20 avril 2010, n° 08LY02648

[18] RGDA 2015, p.450
[19] JurisClasseur Construction – Urbanisme , Fasc.  82-20 :   VENTES D'IMMEUBLES À CONSTRUIRE . - Régime général . - Dispositions communes à la vente à terme et à la vente en l'état futur d'achèvement, § 41