mercredi 20 décembre 2023

Identité du point de départ de la prescription de toutes les actions récursoires

 Etude, J.-P. Karila, RGDA 2023-12, p. 32.

Le développement durable en matière de construction : le cas du photovoltaïque

 Etude, P. Dessuet, RGDA 2023-12, p. 2.

La structure du marché peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

SH



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 décembre 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 781 F-D

Pourvoi n° X 21-23.288












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 DÉCEMBRE 2023

La société Compagnie méditerranéenne de transport (CMT), société de droit tunisien, dont le siège est [Adresse 8] (Tunisie), anciennement dénommée China Shipping Tunisia, a formé le pourvoi n° X 21-23.288 contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cosco Shipping (Europe) GmbH dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne), venant aux droits de la société China Shipping (France) Agency,

2°/ à la société Cosco Shipping Development Co. Ltd, société de droit chinois, dont le siège est [Adresse 5] (Chine), anciennement dénommée China Container Lines Co. Ltd,

3°/ à la société Cosco Shipping Development ([Localité 7]) Co. Ltd, société de droit chinois, dont le siège est [Adresse 4] (Chine), anciennement dénommée China Shipping Container Lines ([Localité 7]) Co. Ltd,

4°/ à la société Cosco Shipping Lines Co. Ltd, société de droit chinois, dont le siège est [Adresse 3] (Chine), anciennement dénommée Cosco Container Lines Co. Ltd,

5°/ à la société Cosco Shipping France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], établissement secondaire sis [Adresse 2],

6°/ à China Cosco Shipping Corporation Ltd, société de droit chinois, dont le siège est [Adresse 5] (Chine),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Compagnie méditerranéenne de transport (CMT), de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat des sociétés Cosco Shipping (Europe) GmbH, venant aux droits de la société China Shipping (France) Agency, Cosco Shipping Development Co. Ltd, Cosco Shipping Development ([Localité 7]) Co. Ltd, Cosco Shipping Lines Co. Ltd, Cosco Shipping France et de China Cosco Shipping Corporation Ltd, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 juillet 2021) et les productions, le 8 mai 2015, la société United Shipping Agency Network, devenue par la suite China Shipping North Africa (la société USAN), agissant au nom et pour le compte des sociétés China Shipping Container Lines Co. Ltd, China Shipping Container Lines ([Localité 7]) Co. Ltd, Cosco Shipping Lines et China Shipping (France) Agency (les sociétés CSCL), lesquelles appartiennent au même groupe, qui est l'un des principaux armateurs chinois, a conclu avec la société Compagnie méditerranéenne de transport (la société CMT), un « contrat d'agence maritime » lui confiant la mission d'être leur agent général de transport maritime en Tunisie. Le contrat a été conclu pour une durée de cinq ans à compter du 1er juillet 2015.

2. Par lettre du 20 avril 2016, la société China Shipping France Agency a avisé la société USAN de la résiliation du contrat d'agence, à la suite de la reprise de l'activité des sociétés CSCL par le groupe Cosco, auquel appartiennent notamment les sociétés Cosco Container Lines Co. Ltd, devenue Cosco Shipping Lines Co. Ltd, et Cosco Shipping Agency (les sociétés Cosco). Le 4 mai 2016, elle en a informé la société CMT.

3. Contestant cette résiliation, la société CMT a assigné les sociétés CSCL et les sociétés Cosco afin de voir déclarer nulle et en tout cas inopposable à son égard la résiliation du contrat d'agence maritime et d'obtenir leur condamnation à l'indemniser de la rupture abusive et brutale du contrat.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et cinquième moyens

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société CMT fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer nul ou inopposable l'article 8.2 du contrat du 8 mai 2015 et sa demande de dommages et intérêts et de limiter ainsi la condamnation in solidum des sociétés défenderesses à lui verser les sommes de 505,50 euros en réparation du préjudice résultant du non-respect de la période de préavis prévue au contrat et de 123 004,82 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agence maritime, alors :

« 1°/ que la partie victime d'un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s'agissant d'une clause illicite qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte ; que l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, constitutif d'une pratique restrictive de concurrence, suppose l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission, laquelle s'entend d'une absence de négociation effective ou d'une absence de pouvoir réel de négociation résultant d'un rapport de force déséquilibré entre les parties ; qu'en l'espèce, la société CMT a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'elle était placée dans un rapport de force inégal avec les sociétés chinoises CSCL, compte tenu de leur notoriété et de leur position de leader sur le marché du transport maritime se classant au deuxième rang mondial pour le transport maritime de conteneurs, en sorte qu'elle avait dû se plier à leurs exigences pour conclure un contrat d'agent maritime exclusif d'une durée déterminée, en acceptant de souscrire une clause prévoyant une faculté de résiliation anticipée sans motif et moyennant un simple préavis de 90 jours qui sous, couvert de réciprocité, ne bénéficiait en réalité qu'au commettant ; que pour rejeter la demande de nullité de cette clause, l'arrêt s'est borné à relever que la société CMT n'apportait aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qui ne constitue pas un contrat-type et que la seule puissance économique de l'un des partenaires ne suffit pas à établir l'existence d'un rapport de forces déséquilibré ; en se déterminant par ces seuls motifs impropres à établir que la société CMT avait pu négocier la clause litigieuse et sans rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si la place largement dominante ainsi que la notoriété des sociétés chinoises CSCL sur le marché mondial du transport maritime, la taille et le poids financier respectifs des sociétés chinoises et de la société CMT, agent maritime intervenant seulement en Tunisie, n'étaient pas propres à démontrer un rapport de force intrinsèquement inégal, exclusif de tout pouvoir réel de négociation des conditions du contrat par l'agent maritime, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

2°/ que la partie victime d'un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est fondée à faire prononcer la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre, s'agissant d'une clause illicite qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte ; que ce déséquilibre doit s'apprécier en tenant compte de l'ensemble des clauses du contrat et de l'état de dépendance économique et juridique de l'une des parties à l'égard de l'autre ; qu'en l'espèce, la société CMT a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que compte tenu de sa dépendance économique et juridique à l'égard des sociétés CSCL, à l'égard desquelles elle a souscrit une obligation d'exclusivité, la clause 8.3 du contrat d'agent maritime dont les stipulations permettaient au commettant de se libérer à sa convenance du contrat avant son terme ainsi que la clause 8.2 prévoyant une faculté de résiliation anticipée du contrat sans motif et moyennant un simple préavis de 90 jours, dont la réciprocité était grandement théorique, ne bénéficiaient qu'au commettant en lui permettant de révoquer ad nutum son agent maritime ; qu'en se bornant à retenir que la clause 8.2, qui permet à chacune des parties d'écourter la durée initialement prévue, était valable en raison de la liberté contractuelle sans rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si compte tenu de l'économie globale du contrat, et de la dépendance de la société CMT à l'égard des sociétés CSCL, dont elle était l'agent maritime avec une obligation d'exclusivité, la clause n'avait pas été stipulée dans le seul intérêt du commettant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

6. Si la structure du marché sur lequel interviennent les opérateurs peut constituer un indice de l'existence d'un rapport de force déséquilibré, ce seul élément est en soi insuffisant à établir la soumission ou la tentative de soumission et doit être complété par d'autres indices établissant l'absence de possibilité de négociation.

7. Après avoir relevé que la société CMT n'apporte aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qu'elle prétend déséquilibré, cependant qu'il ne s'agit pas d'un contrat-type, ni aucun élément de preuve manifestant une absence de négociation du contrat, l'arrêt en déduit que la première condition d'applicabilité de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, n'est pas remplie.

8. En l'état de ces énonciations et appréciations, dont il résulte l'absence d'élément de preuve d'une impossibilité de négocier les clauses du contrat, la cour d'appel, qui n'était donc pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la première branche sur l'inégalité du rapport de force entre les parties, que ses constatations rendaient inopérante, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

9. Inopérant en sa seconde branche, en ce qu'il critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. La société CMT fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts au titre du manque à gagner jusqu'au terme du contrat d'agent maritime pour abus du droit de résilier le contrat du 8 mai 2015 de manière anticipée et de limiter la condamnation in solidum des société défenderesses à lui verser les sommes de 505,50 euros en réparation du préjudice résultant du non-respect de la période de préavis prévue au contrat du 8 mai 2015 et de 123 004,82 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agence maritime, alors « que la résiliation anticipée d'un contrat d'agent commercial à durée déterminée, en dehors des prévisions contractuelles, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice résultant de la perte de marge sur la durée restant à courir du contrat ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le non-respect du délai du préavis contractuel était établi et caractérisait une faute contractuelle des sociétés CSCL et Cosco Container Lines Co. Ltd ; qu'en limitant le préjudice subi par la société CMT à la seule perte de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis sans lui accorder réparation du manque à gagner jusqu'à l'expiration normale du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte, ni profit ».

Réponse de la Cour

11. Le préjudice résultant du non-respect du préavis contractuel doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis non exécuté et non des gains qui auraient pu être réalisés jusqu'au terme du contrat.

12. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Compagnie méditerranéenne de transport aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie méditerranéenne de transport et la condamne à payer aux sociétés Cosco Shipping (Europe) GmbH, venant aux droits de la société China Shipping (France) Agency, Cosco Shipping Developpement Co. Ltd., anciennement dénommée société China Shipping Container Lines Co. Ltd, Cosco Shipping Developpement (Hong-Kong) Co. Ltd., anciennement dénommée société China Shipping Containers Lines (Hong-Kong) Co. Ltd, Cosco Shipping Lines Co. Ltd, anciennement dénommée Cosco Container Lines Co. Ltd, Cosco Shipping France et Cosco Shipping Corporation Ltd la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00781

La décision d'ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2023




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1157 F-B

Pourvoi n° S 21-23.099




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2023

1°/ la société Carmin finance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Glibro Investments Limited, dont le siège est [Adresse 3] (Irlande),

ont formé le pourvoi n° S 21-23.099 contre l'arrêt rendu le 22 juillet 2021 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige les opposant à la société BJ Invest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat des sociétés Carmin finance et Glibro Investments Limited, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société BJ Invest, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 22 juillet 2021), par déclaration du 16 janvier 2019, les sociétés Carmin finance et Glibro Investments Limited ont relevé appel d'un jugement dans une instance les opposant à la société BJ Invest.

2. Par ordonnance du 4 avril 2019, le conseiller de la mise en état a ordonné une médiation expirant au 23 août 2019, prolongée jusqu'au 23 novembre 2019 par ordonnance du 13 août 2019.

3. Par une lettre du 25 novembre 2019, reçue au greffe le 28 novembre 2019, le médiateur a indiqué que les parties n'étaient pas parvenues à un accord et par ordonnance du 5 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a constaté la fin de la mission du médiateur.

4. La société BJ Invest a soulevé devant le conseiller de la mise en état la caducité de la déclaration d'appel des sociétés Carmin finance et Glibro Investments Limited au motif que leurs conclusions n'avaient pas été déposées dans le délai prévu à l'article 908 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Carmin finance et la société Glibro Investments Limited font grief à l'arrêt de prononcer la caducité de la déclaration d'appel du 16 janvier 2019 à l'égard de la société Carmin finance, alors « que le délai de trois mois imparti à l'appelant pour conclure, interrompu par la décision ordonnant une médiation jusqu'à l'expiration de la mission du médiateur par application de l'article 910-2 du code de procédure civile, recommence à courir à compter de la décision du juge constatant la fin de la médiation ; que la date de fin de mission fixée par la décision ordonnant ou prolongeant cette mesure est celle à laquelle le médiateur est tenu d'informer le juge par écrit du résultat de sa mission par application de l'article 131-11 du code de procédure civile, et ne fait pas courir de nouveau de plein droit les délais impartis aux parties pour conclure ; qu'en retenant que le délai imparti aux appelantes pour conclure avait recommencé à courir à compter du 23 novembre 2019, date de fin de mission fixée par la décision de prolongation de médiation du 13 août 2019, et non à compter de l'ordonnance du 5 décembre 2019 constatant la fin de la médiation, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 910-2 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

6. Selon ce texte, la décision d'ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L'interruption de ces délais produit ses effets jusqu'à l'expiration de la mission du médiateur.

7. Il en résulte que la date de la fin de mission du médiateur constitue le point de départ du délai pour conclure, à moins qu'une ordonnance d'un juge ne constate l'échec ou la fin de la médiation.

8. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel du 16 janvier 2019 à l'encontre de la société Carmin finance, l'arrêt relève que l'ordonnance du conseiller de la mise en état qui constatait l'échec de la médiation n'avait eu aucun effet sur la fin de la mission du conciliateur qu'elle n'avait fait que constater comme résultant de l'arrivée au terme de la mission prévu par l'ordonnance du 13 août 2019 ayant prolongé la mission du médiateur jusqu'au 23 novembre 2019.

9. L'arrêt en déduit que l'ordonnance du 13 août 2019, en ce qu'elle a fixé le terme de la mission au 23 novembre 2019, a mis fin à la mission du conciliateur à cette date et que la société Carmin finance n'avait pas conclu dans le délai de trois mois prévu à l'article 908 du code de procédure civile, qui courait à compter du 23 novembre 2019.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce, d'une part, qu'il confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a prononcé la caducité de la déclaration d'appel du 16 janvier 2019, mais uniquement à l'encontre de la société Carmin finance et a condamné cette seule société aux dépens de première instance et en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce, d'autre part, qu'il condamne la société Carmin finance à payer à la société BJ Invest la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamne la société Carmin finance aux dépens, l'arrêt rendu le 22 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;

Condamne la société BJ Invest aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BJ Invest et la condamne à payer aux sociétés Carmin finance et Glibro Investments Limited la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C201157

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 novembre 2023




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1219 F-D

Pourvoi n° Q 21-25.650




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023

Mme [D] [H], épouse [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-25.650 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, protection sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société [6], société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, dont le siège est service contentieux général, [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lapasset, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de Mme [H], épouse [Z], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés [5] et [6], et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Lapasset, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 octobre 2021), Mme [H], épouse [Z] (la victime), salariée de la société [5] (l'employeur), a été victime de trois accidents, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère (la caisse).

2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine des deux derniers accidents, survenus les 16 octobre 2009 et 19 septembre 2012, et en indemnisation de ses préjudices. La faute inexcusable de l'employeur a été reconnue.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La victime fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande d'expertise complémentaire, alors « que les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande, formée par la salariée, d'une expertise complémentaire aux fins notamment d'évaluation de son déficit fonctionnel temporaire, de ses besoins d'assistance par une tierce personne, de ses frais de logement et de véhicule adaptés et de son préjudice sexuel consécutifs aux deux accidents de travail qu'elle avait subis les 16 octobre 2009 et 19 septembre 2012, que ladite salariée aurait circonscrit sa demande initiale d'expertise à l'évaluation « sur une échelle de 1 à 7, [d]es souffrances physiques, [d]es souffrances morales endurées et [du] préjudice esthétique subi consécutivement à chacun des deux accidents de travail du 16 octobre 2009 et du 19 septembre 2012 » et que, partant, elle n'aurait pas initialement recherché la réparation de l'intégralité de ses préjudices, cependant qu'il résultait au contraire de telles constatations que la demande de la salariée avait le même fondement que celle initiale et poursuivait la même fin de réparation des préjudices résultant des accidents de travail subis les 16 octobre 2009 et 19 septembre 2012, de sorte qu'elle constituait le complément de celle formée en première instance et était recevable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 565 et 566 du code de procédure civile :

5. Selon le second de ces textes, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Selon le premier, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

6. Pour dire irrecevable la demande d'expertise complémentaire, l'arrêt relève que la victime n'a initialement pas cherché la réparation de l'intégralité de ses préjudices et qu'elle a délibérément exclu de la mission d'expertise qu'elle sollicitait l'évaluation de son déficit fonctionnel temporaire, de ses besoins d'assistance par une tierce personne, de ses frais de logement et de véhicule adaptés et de son préjudice sexuel. Il en déduit que la demande d'expertise complémentaire est nouvelle, ne tend pas aux mêmes fins, et qu'elle n'est ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire de la demande initiale à laquelle il a été fait droit.

7. En statuant ainsi, alors que cette demande, qui avait le même fondement que les demandes initiales et poursuivait la même fin d'indemnisation, constituait le complément de celles formées en première instance par la victime, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande d'expertise complémentaire de Mme [Z], l'arrêt rendu le 21 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société [5] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés [5] et [6] et condamne la société [5] à payer à Mme [H], épouse [Z], la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C201219

Responsabilité délictuelle d'un agent d'assurance pour manquement à son devoir de conseil

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 novembre 2023




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1204 F-D

Pourvoi n° T 22-15.077




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023

La société Assurances [P] [U], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 22-15.077 contre l'arrêt n° RG : 20/01963 rendu le 11 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [G] [T], domicilié [Adresse 4],

2°/ à M. [H] [T], domicilié [Adresse 3],

3°/ à Mme [B] [T], épouse [V], domiciliée [Adresse 1],

4°/ à Mme [K] [J], épouse [T], domiciliée [Adresse 3],

5°/ à la société [T] production, exploitation agricole à responsabilité limitée,

6°/ à la société Pommes et compagnie, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux dont leur siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat de la société Assurances [P] [U], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de MM. [G] et [H] [T], de Mme [T], de Mme [J], et des sociétés [T] production, Pommes et compagnie, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2022), Mme [K] [T] et ses enfants [B], [H] et [G] [T] (les consorts [T]) sont propriétaires de bâtiments et terrains à usage agricole. MM. [H] et [G] [T] sont les gérants des sociétés [T] production et Pommes et compagnie, qui ont notamment pour activités respectives la production et le négoce de pommes.

2. Sur les conseils de son expert-comptable, la société Cerfrance, et de M. [L], agent général d'assurances de la société Generali au sein du cabinet [L] et [P], la société [T] production a signé, à effet du 5 décembre 2007, un contrat d'assurance multirisque agricole auprès de cet assureur. Ce contrat a été renouvelé par le cabinet [P] [C] et associés puis, après la séparation de MM. [P] et [C], par la société Assurances [P] [U], agent général d'assurance Generali entre 2008 et 2011, puis par la société [C] et associés, à compter du 1er janvier 2012.

3. Le 4 mai 2013, un incendie a détruit l'ensemble des installations de production, les bâtiments et les stocks des sociétés [T] productions et Pommes et compagnie.

4. Faisant valoir que le contrat d'assurance souscrit auprès de la société Generali avait des garanties limitées en montant, inférieures au contrat précédent, et qu'il ne couvrait pas la société Pommes et compagnie, les consorts [T] et les sociétés [T] production et Pommes et compagnie ont assigné la société [C] et associés, la société QBE, assureur de M. [L], la société Assurances [P] [U] et la société MMA Iard, assureur de la société Cerfrance.

Examen du moyen

Sur le moyen

Enoncé du moyen

5. La société Assurances [P] [U] fait grief à l'arrêt de la condamner à verser des sommes indemnitaires aux consorts [T] et aux sociétés [T] production et Pommes et compagnie, alors « que l'agent général ne peut attirer l'attention de l'assuré sur l'inadéquation ou l'insuffisance de la garantie souscrite qu'au regard des éléments d'information dont il a connaissance et que la cour a constaté que l'agent général Assurances [U] [P] avait repris la gestion de la police d'assurance Generali du 1er janvier 2008 (postérieurement à sa souscription en 2007 sous les soins de l'agent général [L]) au 1er janvier 2012 (antérieurement à son renouvellement en 2012 sous les soins de l'agent général [C] et associés) ; qu'en retenant sans distinguer que la responsabilité délictuelle « des agents d'assurance » maintenus en la cause était engagée, dès lors que les « agents d'assurance successifs », intermédiaires d'assurance tenus à un devoir d'information et de conseil renforcé à leur égard, devaient informer leur client sur les caractéristiques et les risques des produits d'assurance proposés et sur leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de leur client et que le dommage avait pour cause un défaut d'information de la part « de l'agent général » sur les caractéristiques et les risques des produits d'assurance proposés, puis repris et gérés, et sur leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de ses clients, l'insuffisance de couverture, dans le cadre de la souscription puis du renouvellement de la police d'assurance, au regard de leur situation personnelle, s'agissant notamment, tant de leurs activités respectives que
de la nature et de la valeur des biens assurés, quand il ne résulte pas de ses
constatations, s'agissant spécifiquement de l'agent général Assurances [P] [U], que lui auraient été remis, lors de son intervention le 1er janvier 2008, ou postérieurement, des éléments d'information de nature à devoir le conduire à attirer l'attention de l'assuré sur l'insuffisance et l'inadéquation de la garantie souscrite antérieurement à son intervention sous les soins de l'agent général [L], la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir relevé que M. [L], du cabinet d'assurance [L] et [P], rédacteur des devis réalisés pour les consorts [T] et la société Pommes et compagnie, et la société Assurances [P] [U], intermédiaires d'assurance tenus à un devoir d'information et de conseil renforcé, devaient informer leur client sur les caractéristiques et les risques des produits d'assurance proposés et sur leur adéquation à la situation personnelle et les attentes de leur client, l'arrêt constate que le contrat d'assurance tant initial que renouvelé ou amendé s'est révélé non seulement particulièrement complexe mais insuffisant, sans que ces agents, professionnels du droit des assurances, justifient avoir attiré l'attention des assurés sur les risques et plus particulièrement sur l'insuffisance de couverture, lors de la souscription puis du renouvellement du contrat d'assurance, au regard de leur situation personnelle, s'agissant tant de leurs activités respectives que de la nature et de la valeur des biens assurés.

7. Il en déduit que la responsabilité délictuelle de ces agents d'assurance est engagée.

8. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Assurances [P] [U] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C201204

mardi 19 décembre 2023

Les nuisances en provenance de l'exploitation litigieuse excédaient, par leur nature, leur récurrence et leur intensité, les inconvénients normaux du voisinage

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 791 FS-D

Pourvoi n° S 22-22.137





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2023

La société Verschuere, exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 22-22.137 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2022 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [T] [R],

2°/ à M. [V] [R],

tous deux domiciliés [Adresse 10]

3°/ à M. [J] [F], domicilié [Adresse 5],

4°/ à M. [L] [S], domicilié [Adresse 2],

5°/ à M. [I] [P],

6°/ à Mme [K] [P],

tous deux domiciliés [Adresse 8],


7°/ à M. [Z] [B],

8°/ à Mme [E] [B],

tous deux domiciliés [Adresse 9],

9°/ à Mme [U] [N], domiciliée [Adresse 7],


Parties en présence

1°/ la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ le syndicat Jeunes agriculteurs, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ la région Hauts-de-France, dont le siège est [Adresse 4],


La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Verschuere, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, du syndicat Jeunes agriculteurs et de la région Hauts-de-France, de Me Haas, avocat de M. et Mme [R], de MM. [S], [F], de M. et Mme [P], de M. et Mme [B] et de Mme [N], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Pety, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.




Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 8 mars 2022), l'exploitation agricole à responsabilité limitée Verschuere (l'EARL) gère une exploitation agricole dont l'objet principal est l'élevage de bovins. Au cours de l'année 2010, elle a fait construire deux bâtiments pour accueillir les animaux.

2. La juridiction administrative a annulé les permis de construire qui avaient été délivrés à l'EARL.

3. Se plaignant de bruits, d'odeurs et de la présence d'insectes en provenance de l'exploitation, M. et Mme [R], M. [S], M. [F], M. et Mme [P], M. et Mme [B] et Mme [N] ont assigné l'EARL en démolition des bâtiments et paiement de dommages-intérêts.

4. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, le syndicat Jeunes agriculteurs et la région Hauts-de-France sont intervenus volontairement devant la Cour de cassation au soutien du pourvoi de l'EARL.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. L'EARL fait grief à l'arrêt de réserver la demande de démolition des constructions édifiées sur le fondement des permis de construire ultérieurement retirés et/ou annulés dans l'attente du règlement de la discussion relative à l'existence de solutions techniques alternatives, ainsi que les demandes de délais et d'astreinte en lien avec ces démolitions, de lui faire injonction de produire devant le tribunal et communiquer aux intimés ses propositions de solutions techniques alternatives dans un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt et de la condamner à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice généré par le trouble anormal de voisinage arrêté au jour de l'arrêt, alors « que l'existence d'un trouble anormal de voisinage suppose la caractérisation d'une nuisance excédant la mesure habituelle inhérente au voisinage, compte tenu notamment de la nature de l'espace et du site environnants ; qu'aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement « les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reconnu que l'anormalité du trouble supposait, pour être caractérisée, une appréciation in concreto « en fonction notamment de la destination normale du fonds troublé » et également en fonction de « la nature de l'environnement » ; qu'en retenant, pour apprécier l'éventualité d'une démolition des constructions litigieuses et fixer une indemnisation au titre de troubles de voisinage allégués, qu'il ne lui appartenait pas « de dire si par principe les habitants des zones rurales doivent supporter toutes les conséquences, y compris les plus dommageables, des exploitations agricoles à raison même de ce qu'ils ont fait le choix de résider en zone rurale », et en refusant ainsi de rechercher, comme elle y était invitée, si la nature essentiellement rurale de l'espace où l'Earl poursuivait son activité agricole traditionnelle d'élevage ne permettait pas d'exclure l'anormalité des troubles allégués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article L. 110-1 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a rappelé, à bon droit, que nul ne devait causer à autrui un trouble anormal du voisinage. Les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, concernent la protection des espaces, ressources et milieux naturels et n'ont ni pour objet ni pour effet d'exonérer les exploitants agricoles de la responsabilité qu'ils encourent lorsque les nuisances générées par leur exploitation excèdent, compte tenu de la situation des fonds, les inconvénients normaux du voisinage.

8. La cour d'appel a constaté que l'EARL avait construit une stabulation en aire paillée intégrale comprenant une partie pour loger l'ensemble des vaches laitières avec un bloc « traite » et une fosse sous caillebotis et une partie destinée au logement des génisses et des bovins à l'engraissement, avec une façade complète ouverte sur l'extérieur, et que le cheptel de l'exploitation était passé d'un maximum de cent-soixante bovins à une moyenne de deux-cent-cinquante animaux.

9. Elle a relevé que la nouvelle stabulation se situait à une distance comprise entre vingt-et-un et quatre-vingt-seize mètres de vingt-deux habitations et que, compte tenu de cette proximité, les permis de construire avaient été annulés, dès lors qu'ils étaient de nature à porter atteinte à la salubrité publique, nonobstant la dérogation préfectorale obtenue par l'EARL.

10. Elle a retenu que la preuve était rapportée des troubles allégués, consistant, après la modification importante des conditions d'exploitation résultant de l'augmentation du cheptel et de la localisation des nouveaux bâtiments, en des odeurs nauséabondes, des bruits d'animaux, de machines, et aussi en la présence envahissante d'insectes.

11. Elle a, encore, relevé que, si la commune de [Localité 11] n'était pas une métropole urbaine, les propriétés respectives des parties, à usage d'habitation, n'étaient pas isolées en pleine campagne mais situées en zone UA du plan local d'urbanisme (zone urbaine ancienne d'habitat et de services) et que les bâtiments agricoles litigieux se situaient en zone urbaine du village, correspondant au noyau ancien de la commune, au sein de laquelle sont en principe interdites les constructions et installations dont la présence est incompatible avec la vie de quartier en raison des nuisances occasionnées notamment par le bruit et les émanations d'odeur ou de poussière.

12. Elle a ajouté que la zone UA comprend également quelques commerces et accueille des équipements publics tels que la mairie, l'église et l'école.

13. Appréciant concrètement l'anormalité des troubles, compte tenu, notamment, de la situation des fonds concernés, la cour d'appel a souverainement déduit de l'ensemble de ses constatations que les nuisances en provenance de l'exploitation litigieuse excédaient, par leur nature, leur récurrence et leur intensité, les inconvénients normaux du voisinage.

14. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'exploitation agricole à responsabilité limitée Verschuere aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C300791

Responsabilité décennale : réparation de l'ensemble des conséquences dommageables des désordres à l'ouvrage, quelle qu'en soit la nature, matérielle ou immatérielle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 795 F-D

Pourvoi n° D 22-20.699




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2023

La société Madic, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° D 22-20.699 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2022 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant à la société Perlandis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Madic, de la SCP Duhamel, avocat de la société Perlandis, après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 juin 2022), la société Perlandis a confié à la société Madic la réalisation d'une nouvelle station-service dans l'hypermarché qu'elle exploite, la réception des travaux ayant été prononcée, sans réserve, le 23 octobre 2013.

2. A la suite de plaintes d'automobilistes, des analyses ont révélé une concentration d'eau anormalement élevée dans le carburant dont la distribution a été mise à l'arrêt le 10 juin 2014.

3. Le 13 juin suivant, la société Madic est intervenue pour remplacer un joint de bride fuyard mais, après remplissage des cuves, la teneur en eau du carburant était toujours anormale.

4. L'installation a été remise en service, après expertise, le 27 avril 2018.

5. La société Perlandis a assigné la société Madic en réparation de ses divers préjudices, notamment de perte d'exploitation, sur le fondement de l'article 1792 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Madic fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Perlandis une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les écritures de parties ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Madic n'avait pas rempli son obligation de livrer un ouvrage parfaitement étanche, la cour d'appel a retenu qu'elle n'avait fourni « aucun élément technique de nature à contredire la conclusion de l'expert mettant en cause le défaut d'étanchéité de la tétine de dépotage et de l'évent » ; qu'en statuant ainsi, quand la société Madic avait longuement exposé, schémas et planche photographique à l'appui, les règles techniques et réglementaires régissant la construction et le fonctionnement des installations de stockage de carburant, et quand cette même société avait rappelé l'existence plusieurs tests démontrant la parfaite étanchéité de l'installation, la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions de la société Madic, a violé le principe susvisé ;

2°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Madic n'avait pas rempli son obligation de livrer un ouvrage parfaitement étanche, la cour d'appel a retenu qu'elle n'avait fourni « aucun élément technique de nature à contredire la conclusion de l'expert mettant en cause le défaut d'étanchéité de la tétine de dépotage et de l'évent » ; qu'en statuant ainsi, quand la société Madic avait produit à l'appui de son argumentation une planche photographique et un dire à expert afin d'expliquer le fonctionnement de l'installation et notamment de démontrer qu'un évent n'avait pas à être étanche, et quand elle avait produit un contrôle acoustique du 18 juin 2014, démontrant l'étanchéité de l'installation après réparation du joint de bride défectueux, la cour d'appel, qui a dénaturé le bordereau de communication de pièces produit par la société Madic, a violé le principe susvisé ;

3°/ que si tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, cette responsabilité n'a toutefois pas lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère, et notamment d'une faute du maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la société Madic avait failli à son obligation de fournir à la société Perlandis une installation apte à délivrer à ses clients de l'essence non polluée par de l'eau en raison d'une remise en état incomplète de l'installation après la réparation du joint de bride, consistant en l'absence de vidage complet de la cuve de stockage du carburant ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses constatations que le cahier des charges prévoyait que l'anomalie liée à la présence d'eau dans les citernes n'était pas prise en charge par la société Madic dans le cadre de l'entretien de l'installation et que la société Perlandis, maître de l'ouvrage, était spécialisée dans la distribution et donc le stockage de carburant, ce dont il résultait qu'il appartenait à cette dernière d'assurer l'entretien et le nettoyage des citernes, en particulier en cas d'anomalie liée à la présence d'eau, obligation à laquelle elle avait manifestement manqué en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792 du code civil ;

4°/ qu'il est interdit au juge de statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer que l'entretien décrit dans le cahier des charges « ne peut être réalisé que par une entreprise exerçant le même domaine d'activité que la société Madic, contrairement à ce que cette dernière laisse entendre », sans autre considération, la cour d'appel, qui a statué par voie de simple affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en considérant que le cahier des charges ne contenait « aucun avertissement concernant de l'eau dans les citernes », quand ce cahier, adressé à la société Perlandis, prévoyait expressément qu'étaient exclues de la charte de réparation « les interventions faisant suites aux anomalies constatées sur l'installation et étrangères à l'appareil, telle que la présence d'eau dans les citernes », ce dont il résultait que de l'eau pouvait s'infiltrer dans les citernes et que la société Perlandis était ainsi avertie d'une telle possibilité, la cour d'appel, qui a dénaturé le cahier des charges, a violé le principe susvisé ;

6°/ que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur ; qu'est ainsi admise la clause limitant les conséquences de l'engagement de la garantie décennale, en excluant l'indemnisation de certains préjudices, a fortiori lorsqu'elle engage deux professionnels ; qu'en jugeant que la société Madic devait « réparer l'ensemble des conséquences dommageables des désordres quelle qu'en soit la nature », malgré la « clause limitative de responsabilité prévue au marché excluant sa participation à d'éventuelles pertes d'exploitation, au manque à gagner, aux préjudices de tiers », quand cette clause visait seulement à limiter les conséquences de l'engagement de la garantie décennale entre deux professionnels avertis et quand aucune atteinte à une obligation essentielle souscrite par la société Madic n'était caractérisée ni même alléguée, la cour d'appel a violé l'article 1792-5 du code civil, ensemble le principe de la liberté contractuelle ;

7°/ que tout défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Madic soutenait qu'à supposer que sa responsabilité décennale puisse être engagée, le marché conclu avec la société Perlandis limitait les « conséquences » de l'engagement de cette responsabilité en excluant l'indemnisation de certains préjudices tels les préjudices d'exploitation et qu'une telle limitation n'était, en tant que telle, nullement exclue par l'article 1792-5 du code civil ; qu'en considérant que la société Madic devait réparer l'ensemble des conséquences dommageables des désordres quelle qu'en soit la nature, après s'être bornée à rappeler les dispositions de l'article 1792-5 du code civil, pour en déduire que la société Madic devait « réparer l'ensemble des conséquences dommageables des désordres quelle qu'en soit la nature », sans répondre à ce moyen, pourtant opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ que le maître de l'ouvrage a droit à l'indemnisation des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis, à la condition toutefois que ces préjudices soient en lien direct avec les désordres de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la société Perlandis sollicitait l'indemnisation d'un préjudice de perte d'exploitation, évalué à 58 677,97 euros, lié à la fermeture totale de la station-service pendant 1 417 jours ; qu'en jugeant cette demande fondée, quand il ressortait de ses propres constatations que les désordres observés affectaient exclusivement la cuve servant à la distribution de SP95-E10 et non les autres parties de l'ouvrage servant à la distribution d'autres carburants, ce dont il se déduisait que la station-service aurait pu continuer de fonctionner partiellement et donc qu'aucun lien direct n'existait entre les désordres constatés et la fermeture totale de la station-service, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, la cour d'appel a souverainement retenu que les désordres liés à la présence d'eau dans le carburant résultaient notamment, selon l'expert, du rôle conjugué du joint de bride non étanche et de l'absence de purge totale de la cuve et de la tuyauterie de dépotage SP95-E10 après le changement dudit joint, intervenu le 13 juin 2014.

8. Elle a relevé que la société Madic s'était alors bornée à assécher et nettoyer le compartiment concerné par le joint défaillant en précisant au maître de l'ouvrage qu'aucun contrôle n'était nécessaire avant la remise en fonctionnement, alors que, compte tenu de la conception de la cuve divisée en plusieurs compartiments, il convenait, pour éviter le passage de l'eau d'un compartiment à un autre, de procéder à la vidange et au nettoyage des quatre compartiments, ce qui ne sera réalisé que par l'intervention d'une société le 17 avril 2018, ajoutant que si celle-ci avait eu lieu en juin 2014, le préjudice d'exploitation aurait été très limité.

9. Elle a, enfin, relevé, sans dénaturation, que si le cahier des charges précisait que la présence d'eau dans les citernes n'était pas prise en charge au titre de l'entretien, celui-ci n'imposait au maître de l'ouvrage aucune autre obligation que celle de faire vérifier les installations par les organismes compétents et ne comportait aucun avertissement concernant la présence d'eau dans le carburant.

10. Elle a pu déduire de ces seules constatations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première, deuxième et quatrième branches, que la société Madic, qui n'était pas fondée à invoquer la cause étrangère du fait du maître de l'ouvrage, avait failli à son obligation de fournir une installation apte à délivrer de l'essence non polluée par de l'eau, faisant ainsi ressortir que l'ouvrage était impropre à sa destination, de sorte que sa responsabilité de plein droit était engagée sur le fondement de l'article 1792 du code civil.

11. En deuxième lieu, ayant exactement énoncé que toute clause d'un contrat ayant pour objet d'exclure ou de limiter les responsabilités légales et les garanties prévues aux articles 1792 et suivants du code civil, est réputée non écrite, elle en a déduit, à bon droit, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que la société Madic était tenue à réparation de l'ensemble des conséquences dommageables des désordres à l'ouvrage, quelle qu'en soit la nature, matérielle ou immatérielle.

12. En troisième lieu, elle a retenu, répondant, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées, que faute de solution alternative proposée par la société Madic, la décision de fermeture de la station-service était la conséquence de la présence d'eau dans le carburant qui a perduré jusqu'au 17 avril 2018.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Madic aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Madic et la condamne à payer à la société Perlandis la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C300795