vendredi 29 octobre 2021

Secret professionnel : le Garde des Sceaux a proposé à la profession de produire une nouvelle rédaction acceptable à la fois par les députés et les sénateurs. La voici...

 

Secret professionnel :

vote de l'Assemblée générale du CNB

 
 

Comme vous le savez, nous subissons une attaque inédite et inacceptable contre le secret professionnel.
 
Face à la régression des droits des citoyens qui se dessine, toute la profession d’avocat est mobilisée.
Nul doute, la protection réelle et effective du secret professionnel au bénéfice du justiciable demeure notre demande principale. La version votée à l’assemblée nationale réunifiait, sans aucune exception, le secret du conseil et de la défense. Nous demandions donc le retrait pur et simple des exceptions.


Le Garde des Sceaux a proposé à la profession de produire une nouvelle rédaction acceptable à la fois par les députés et les sénateurs.
 
Au regard de la menace des régressions portées dans le texte issu de la Commission mixte paritaire, l’Assemblée générale du CNB, réunie ce jour, a réfléchi à l'opportunité de  formuler une proposition de rédaction. Celle-ci repositionne à sa juste place le secret professionnel au cas où nous ne parviendrions pas à obtenir un retrait pur et simple.
 
A l'unanimité des suffrages exprimés, l’Assemblée du Conseil national des barreaux a donc approuvé, ce jour, une proposition de modification substantielle de l’article 3 du projet de loi “Confiance dans l’institution judiciaire” et donné mandat au bureau de la porter devant les pouvoirs publics.
 
Cette proposition rappelle le principe de l'interdiction de la saisine des documents couverts par le secret professionnel sauf preuve de la participation intentionnelle de l’avocat à l’infraction.
 
Elle restaure les prérogatives du bâtonnier protecteur du secret dans le cadre des perquisitions.
 
Elle supprime enfin le dernier alinéa de l’article 3 qui, de fait, annule purement et simplement le secret professionnel.
  
C’est la raison pour laquelle, sans naïveté et avec fermeté, nous allons poursuivre notre travail de conviction, pas à pas, alinéa après alinéa, auprès du gouvernement et des parlementaires.
 
Nous continuerons donc de plaider auprès du ministre et des parlementaires pour qu’un amendement soit déposé et voté conformément à l’article 45 alinéa 3 de la Constitution, qui permet une marge de manœuvre très faible.
 
Face à l'atteinte inacceptable au secret professionnel, vous pouvez compter sur l’engagement et l’unité de vos élus.

 

 
► En savoir plus sur la mobilisation pour le secret professionnel

______

 

Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux ; Olivier Cousi, vice-président de droit, bâtonnier de Paris ; Hélène Fontaine, vice-présidente de droit, présidente de la Conférence des bâtonniers ; Marie-Aimée Peyron, vice-présidente ; Laurent Martinet, vice-président ; Olivier Fontibus, trésorier ; Florian Borg, secrétaire du Bureau ; Nathalie Attias, Rusen Aytac, Alexandra Boisramé, Gilles Boxo, membres du Bureau.

 
 

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Lorsqu'aucune juridiction d'un Etat membre de l'UE n'est compétente, la compétence est, dans chaque Etat, réglée par la loi de cet Etat

 Note A. Mars, GP 2021, n° 37, p. 25.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 septembre 2021




Cassation partielle


Mme AUROY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 538 F-D

Pourvoi n° B 19-24.779


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 octobre 2019.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2021


Mme [K] [P], épouse [D], domiciliée chez Mme [U] [X], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 19-24.779 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 3), dans le litige l'opposant à M. [W] [D], domicilié [Adresse 2], (Liban), défendeur à la cassation.


La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.




Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [P], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2009), M. [D], de nationalité libanaise, et Mme [P], de nationalités française, libanaise et mexicaine, se sont mariés le [Date mariage 1] 2012, à [Localité 2] (Chypre), selon la loi chypriote. De cette union est issu un enfant, [Y], né le [Date naissance 1] 2013 à [Localité 1].

2. Le 9 octobre 2017, Mme [P] a déposé une requête en divorce sur le fondement de l'article 251 du code civil.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui est irrecevable.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [P] fait grief à l'arrêt de déclarer le juge français incompétent pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale, alors « que conformément à l'article 14 du règlement CE n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis, lorsqu'aucune juridiction d'un Etat membre n'est compétente en vertu des articles 8 à 13 du règlement, la compétence est, dans chaque Etat, réglée par la loi de cet Etat ; que cette compétence est, en droit français, énoncée aux articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil ; que ce dernier texte, qui donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française, s'applique lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France ; qu'en retenant que la compétence du juge français pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ne pouvait être fondée sur l'article 14 du code civil, tout en constatant qu'aucune juridiction au sein des Etats membres n'était compétente pour en connaître et que le juge français était incompétent sur le fondement de l'article 1070 du code civil, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, et les articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil :

5. Selon le premier de ces textes, lorsqu'aucune juridiction d'un Etat membre n'est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5 du règlement, la compétence est, dans chaque Etat, réglée par la loi de cet Etat.

6. Cette compétence est, en droit français, énoncée aux articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil.

7. Ce dernier texte, qui donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française, s'applique lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France.

8. Pour dire que le juge français n'est pas compétent à l'égard de la demande relative à la responsabilité parentale, l'arrêt, après avoir constaté qu'aucune juridiction française n'était compétente en application des articles 3 du règlement (CE) n° 2201/2003 et 1070 du code de procédure civile, retient que le critère de la nationalité de la partie demanderesse n'est pas pertinent d'abord, parce que les obligations qui naissent de l'attribution de l'autorité parentale ne sont pas des obligations réciproques entre parents, mais sont des obligations des deux parents à l'égard de leur enfant commun, ensuite parce que l'enfant lui-même a plusieurs nationalités, enfin, parce que le critère de la nationalité du parent demandeur est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.

9. En statuant ainsi, alors que la juridiction française avait été valablement saisie en application de l'article 14 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le juge français incompétent pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale, l'arrêt rendu le 16 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [D] à payer à la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR jugé que le juge français n'était pas compétent pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale ;

AUX MOTIFS QUE considérant que depuis la loi du 4 mars 2002, la compétence du juge aux affaires familiales pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale dans le cadre d'une procédure de divorce n'est plus liée à sa compétence pour statuer sur le divorce, mais aux règles prévues pour la compétence en matière de responsabilité parentale ; Considérant qu'en application de l'article 8 du règlement CE n° 2201/2003, directement applicable en l'espèce, le Liban n'étant pas partie à la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection concernant les enfants, les juridictions françaises sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement en France au moment où la juridiction est saisie ; Considérant qu'à la date à laquelle le premier juge a été saisi, la résidence habituelle de l'enfant était le Liban, où il était né, où il avait vécu quatre an et demi, où ses parents avaient leur résidence habituelle depuis sa naissance, où se trouve l'ensemble de sa famille paternelle et plusieurs membres de sa famille maternelle, ainsi qu'en témoignent les adresses figurant sur les attestations produites par Mme [K] [P], et où il était prévu qu'il soit scolarisé pour l'année scolaire 2017-2018 ; Considérant qu'il n'est pas démontré que le transfert de la résidence de l'enfant en France ait été envisagé par ses parents ; Considérant que le déplacement de [Y] opéré par Mme [K] [P] au mois de septembre 2017, sans l'accord du père et en contravention avec le droit fondamental de l'enfant de pouvoir entretenir des relations personnelles et régulières avec ses deux parents, n'a pas pu entraîner le changement de la résidence habituelle de cet enfant, qui restait donc fixée au Liban à la date à laquelle Mme [K] [P] a saisi le juge français ; Considérant que le juge français n'était pas compétent pour statuer sur les mesures provisoires concernant l'exercice de l'autorité parentale en application de l'article 8 du règlement CE n° 2201/2003 ; Considérant que selon l'article 14 de ce même règlement, lorsqu'aucune juridiction d'un Etat membre n'est compétente en vertu des articles 8 à 13, ce qui est le cas en l'espèce, la compétence est, dans chaque Etat membre, réglée par la loi de cet Etat ; Considérant que la résidence de l'enfant ayant été artificiellement fixée en France, depuis moins d'un mois au jour de la saisine du premier juge, de la seule initiative de la mère et en fraude des droits de l'enfant et de ceux de son père, la compétence du juge français ne pouvait être fondée sur l'article 1070 du code de procédure civile ; Considérant que pour retenir la compétence du juge français pour statuer sur la responsabilité parentale, le premier juge a fait application de l'article 14 du code civil ; Considérant que selon l'article 14 du code civil, l'étranger même non résidant en France, peut être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un français et peut de même être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étrangers envers des Français ; Considérant que les obligations qui naissent de l'attribution de l'autorité parentale ne sont pas des obligations réciproques entre parents mais sont des obligations des deux parents à l'égard de leur enfant commun ; que le seul critère de la nationalité ne saurait dès lors fonder la compétence des juridictions françaises pour trancher entre eux un litige relatif à leur enfant dont l'environnement ne présente aucun lien avec la France ; Considérant que fonder la compétence du juge saisi d'une demande relative à l'organisation de la vie d'un enfant et aux relations qu'il entretiendra avec ses deux parents à la suite de leur séparation sur la seule nationalité de l'un ou l'autre de ses parents, de ses deux parents ou la sienne, par exception au principe de la compétence fondée sur sa résidence habituelle, est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ; Considérant en effet que l'ensemble des textes nationaux, européens et internationaux conclus par la France retiennent tous le critère de la résidence habituelle de l'enfant pour fonder la compétence juridictionnelle en matière de responsabilité parentale en raison de l'importance pour le bien-être de l'enfant de prendre en considération son environnement familier, les liens qu'il y a construits et les modalités pratiques de sa prise en charge, pour décider de l'organisation de sa vie quand ses parents sont en conflit sur celle qui correspond le mieux à son intérêt ; Considérant au surplus que quand l'enfant dispose de plusieurs nationalités ce qui est le cas en l'espèce, fonder la compétence juridictionnelle sur la seule nationalité de l'un de ses parents revient à l'amputer d'une part de son identité, ce qui porte gravement atteinte à son intérêt ; Considérant que la compétence du juge français pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ne peut être fondée sur l'article 14 du code civil ; Considérant qu'à la date à laquelle le premier juge a été saisi, le juge français n'était pas compétent pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale ; que la décision dont appel est infirmée de ce chef.

1°) ALORS QUE conformément à l'article 14 du règlement CE n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis, lorsqu'aucune juridiction d'un Etat membre n'est compétente en vertu des articles 8 à 13 du Règlement, la compétence est, dans chaque Etat, réglée par la loi de cet Etat ; que cette compétence est, en droit français, énoncée aux articles 1070 du code de procédure civile et 14 du code civil ; que ce dernier texte, qui donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française, s'applique lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France ; qu'en retenant que la compétence du juge français pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ne pouvait être fondée sur l'article 14 du code civil, tout en constatant qu'aucune juridiction au sein des Etats membres n'était compétente pour en connaître et que le juge français était incompétent sur le fondement de l'article 1070 du code civil, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

2°) ALORS QU'en outre, l'article 14 du code civil donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française ; qu'en retenant « que les obligations qui naissent de l'attribution de l'autorité parentale ne sont pas des obligations réciproques entre parents mais sont des obligations des deux parents à l'égard de leur enfant commun ; que le seul critère de la nationalité ne saurait dès lors fonder la compétence des juridictions françaises pour trancher entre eux un litige relatif à leur enfant dont l'environnement ne présente aucun lien avec la France », quand Mme [P], demanderesse de nationalité française en demandait le bénéfice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

3°) ALORS QU'enfin, l'article 14 du code civil a un caractère impératif pour le juge saisi ; qu'en retenant « que fonder la compétence du juge saisi d'une demande relative à l'organisation de la vie d'un enfant et aux relations qu'il entretiendra avec ses deux parents à la suite de leur séparation sur la seule nationalité de l'un ou l'autre de ses parents, de ses deux parents ou la sienne, par exception au principe de la compétence fondée sur sa résidence habituelle, est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant », « que l'ensemble des textes nationaux, européens et internationaux conclus par la France retiennent tous le critère de la résidence habituelle de l'enfant pour fonder la compétence juridictionnelle en matière de responsabilité parentale en raison de l'importance pour le bien-être de l'enfant de prendre en considération son environnement familier, les liens qu'il y a construits et les modalités pratiques de sa prise en charge, pour décider de l'organisation de sa vie quand ses parents sont en conflit sur celle qui correspond le mieux à son intérêt », et qu'au « surplus [?]quand l'enfant dispose de plusieurs nationalités ce qui est le cas en l'espèce, fonder la compétence juridictionnelle sur la seule nationalité de l'un de ses parents revient à l'amputer d'une part de son identité, ce qui porte gravement atteinte à son intérêt », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'application de l'article 14 du code civil, a violé le texte susvisé.






SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR dit la loi chypriote applicable aux obligations alimentaires entre époux ;

AUX MOTIFS QUE considérant que pour écarter la loi française, loi de l'Etat de résidence habituelle de la créancière d'aliment, le premier juge a retenu que la loi libanaise présentait un lien plus étroit avec le mariage et devait de ce fait être appliquée aux obligations alimentaires entre époux par application de l'article 5 du protocole de La Haye du 23 novembre 2007 auquel renvoie l'article 15 du règlement 4/2009, étant précisé que la loi libanaise conduit à l'application de la loi chypriote, loi du lieu de célébration du mariage ; Considérant cependant que l'article 12 du protocole de La Haye du 23 novembre 2007 dispose qu'au sens du Protocole, le terme « loi » désigne le droit en vigueur dans un Etat à l'exclusion des règles de conflit de loi ; Considérant en revanche que l'article 5 du protocole de La Haye du 23 novembre 2007 dispose que en ce qui concerne les obligations alimentaires entre des époux, des ex-époux ou des personnes dont le mariage a été annulé, l'article 3 ne s'applique pas lorsque l'une des parties s'y oppose et que la loi d'un autre Etat, en particulier l'Etat de leur dernière résidence commune, présente un lien plus étroit avec le mariage, auquel cas, la loi de cet autre Etat s'applique ; Considérant que M. [W] [D] s'oppose à l'application de la loi française aux obligations alimentaires ; Considérant que, aux termes de l'article 5 du protocole, la dernière résidence commune ne constitue pas le seul élément constitutif d'un lien plus étroit avec le mariage ; qu'en l'espèce, en se mariant à Chypre, afin de soumettre leur mariage à la loi chypriote, les époux ont manifesté la volonté de rattacher leur mariage à cette loi ; que la loi chypriote présente dès lors un lien plus étroit avec le mariage que la loi française, à laquelle rien ne lie le mariage ; qu'en effet le mariage n'a pas été célébré en France ; que les époux n'y ont jamais vécu et que l'épouse n'a manifesté sa volonté de s'y installer que moins d'un mois avant de saisir le juge français d'une demande en divorce ; Qu'en application de l'article 5 du protocole de La Haye du 23 novembre 2007, il peut donc être retenu que la loi chypriote s'applique aux obligations alimentaires entre époux ; que la décision dont appel est confirmée de ce chef.

1°) ALORS QUE l'article 3 du Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 rend applicable aux obligations alimentaires entre époux la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliments, quand l'article 5 précise qu'en ce qui concerne les obligations alimentaires entre des époux, des ex-époux ou des personnes dont le mariage a été annulé, l'article 3 ne s'applique pas lorsque l'une des parties s'y oppose et que la loi d'un autre État, en particulier l'État de leur dernière résidence habituelle commune, présente un lien plus étroit avec le mariage ; qu'en faisant application de l'article 5 du Protocole, alors que les parties, si elles s'opposaient sur la détermination du lieu de résidence habituelle de Mme [P], ne s'opposaient aucunement à l'applicabilité de l'article 3 du Protocole de La Haye du 23 novembre 2007, la cour d'appel a violé l'article 5 susvisé ;

2°) ALORS, subsidiairement, QUE l'article 5 du Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 ne saurait rendre applicable qu'une loi présentant un lien plus étroit avec le mariage que la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliment ; qu'en déduisant le lien plus étroit entre la loi chypriote et le mariage, du seul fait qu'il s'agissait du lieu de célébration du mariage des époux [P]-[D], la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à caractériser un lien plus étroit avec le mariage que la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliment, a violé le texte susvisé.ECLI:FR:CCASS:2021:C100538

Construction sur terrain d'autrui - bonne foi non établie -> démolition

  Note J. Dubarry, GP 2021, n° 37, p. 30.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 avril 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 382 FS-P

Pourvoi n° Z 20-13.649




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 AVRIL 2021

M. [M] [P], domicilié [Adresse 1] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° Z 20-13.649 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [V] [Y],

2°/ à M. [H] [Y],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [P], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mme Andrich, MM. Barbieri, Jessel, David, Jobert, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 22 octobre 2019), M. [P] a construit une maison sur un terrain appartenant à Mme [Y], sa fille, et, après avoir quitté les lieux, a assigné celle-ci en remboursement sur le fondement de l'article 555 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande et d'ordonner la démolition, à ses frais, de l'immeuble construit sur la propriété de Mme [Y], alors :

« 1°/ que si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits sur le terrain d'autrui par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations ; que celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi, sans qu'il ait besoin de prouver l'existence d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice ; qu'en décidant néanmoins, pour ordonner la démolition de la maison édifiée par M. [P] sur le terrain de M. et Mme [Y], que l'autorisation donnée par ces derniers de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne suffisait pas à conférer à M. [P] la qualité de constructeur de bonne foi, au motif inopérant qu'il ne prouvait ni ne prétendait être ou avoir été titulaire d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil ;

2°/ que, subsidiairement, la renonciation à un droit peut être tacite, pourvu qu'elle soit non équivoque ; que l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification d'une construction sur son terrain par un constructeur de mauvaise foi peut constituer une renonciation tacite à se prévaloir de son droit à la démolition d'un tel ouvrage ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison, que l'autorisation de construire donnée par Mme [Y] à ses parents ne saurait suffire à lui interdire d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette autorisation valait renonciation tacite non équivoque des propriétaires à se prévaloir d'une telle démolition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. La cour d'appel a constaté que, si Mme [Y] avait autorisé ses parents à construire sur son terrain, M. [P] ne disposait d'aucun titre translatif de propriété.

4. Ayant énoncé, à bon droit, que la bonne foi au sens de l'article 555 du code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices, elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que M. [P] n'avait pas la qualité de constructeur de bonne foi et que la démolition requise de l'immeuble en cause devait être ordonnée.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze avril deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. [P].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de Monsieur [M] [P] tendant à voir condamner Monsieur et Madame [Y] à lui payer la somme de 117.000 euros et d'avoir ordonné la démolition à ses frais de l'immeuble construit sur la parcelle appartenant à Madame [V] [Y], objet du permis de construire accordé le 29 août 2002 par le maire de Mauprévoir, sous le numéro PC 8615202T008 ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'il est constant aux débats, et en tant que de besoin établi par les productions, que [M] [P] et son épouse aujourd'hui décédée ont fait construire à leurs frais en 2004 une maison d'habitation sur un terrain sis « [Localité 1] » à [Adresse 2] appartenant à leur fille [V] [P] épouse [Y] et au mari de celle-ci [H] [Y] ; qu'aux termes de l'article 552 du Code civil, la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ; que selon l'article 555 de ce même code, lorsque les constructions, plantations et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'aliéna 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever. Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; que c'est en vertu de ces dispositions légales que les époux [Y] s'opposent aux prétentions de [M] [P] tendant à les voir condamner à lui payer la valeur dont le fonds s'est trouvé augmenté du fait de cette construction, et qu'ils poursuivent sa condamnation à supprimer l'ouvrage ; que [M] [P] invoque à titre principal les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 555 du Code civil selon lesquelles, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger leur suppression mais aura le choix de rembourser au tiers soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte-tenu de l'état dans lequel ils se trouvent ; que [M] [P] soutient devoir être regardé comme un constructeur de bonne foi au sens de cette disposition légale, en faisant valoir qu'il a fait bâtir la maison avec l'autorisation de sa fille ; et que certes, [V] [Y] a autorisé ses parents à réaliser cette construction, ainsi qu'elle le reconnaît, et qu'il ressort en tant que de besoin du fait qu'elle habitait à quelques dizaines de mètres, sur le même domaine ; qu'elle déposa à son nom la demande de permis de construire ; et qu'elle transmit pour qu'ils les règlent à ses parents certaines factures que des artisans lui avaient adressées ; que toutefois, une telle autorisation ne suffit pas à conférer à [M] [P] la qualité de constructeur de bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil, laquelle s'entend par référence à l'article 550 dudit code et ne vise, ainsi, que celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore le vice ; que [M] [P] ne prouve ni ne prétend être ou avoir été titulaire d'un tel titre translatif de propriété ; qu'il n'est pas fondé à revendiquer cette qualité de tiers de bonne foi en arguant d'un titre putatif au motif que sa fille [V] lui aurait laissé croire que s'il payait la construction il en serait propriétaire, ce qui est réfuté par l'intimée, n'est pas établi avec certitude, et ne saurait en tout état de cause être assimilé à la possession comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété vicié telle que visée à l'article 550 du Code civil ; que c'est donc à raison que le premier juge a débouté sur ce fondement de l'article 555 [M] [P] de ses demandes indemnitaires ; (…) ; que c'est ainsi à raison que le tribunal a débouté [M] [P] de tous ses chefs de prétentions et qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle des époux [Y] en démolition aux frais de M. [P] de l'immeuble construit sur la parcelle appartenant à [V] [Y] objet du permis de construire accordé le 29 août 2002 sous le numéro PC 8615202T008 par le maire de Mauprévoir ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes des dispositions de l'article 555 du Code civil, lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever ; que si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds ; que si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages ; que si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l'une ou l'autre des sommes visées à l'alinéa précédent ; que le constructeur de bonne foi, visé par cet article, est celui qui possède le terrain sur lequel il a bâti en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ; qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que Mme [Y], en dépit des affirmations du demandeur, ait prévu de faire donation du terrain à ses parents et donc que ces derniers aient été titulaires d'un titre putatif de propriété relatif au terrain ; qu'en effet, si l'autorisation donnée par le propriétaire de demander le permis de construire, quoique n'étant pas de nature à rendre vraisemblable le fait allégué d'une vente d'ores et déjà parfaite, peut constituer un titre putatif conférant au bénéficiaire la qualité de constructeur de bonne foi au sens de l'article 555 susvisé, la demande de permis de construire a été régularisée en l'espèce au nom de la seule Mme [V] [Y], sans que M. ou Mme [P] n'apparaisse ; que par ailleurs, l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne peut avoir rendu le constructeur de bonne foi, laquelle répond à la définition technique sus rappelée et non simplement morale, l'autorisation invoquée démontrant précisément que le constructeur savait n'avoir aucun droit sur le sol ; qu'en l'espèce, il n'est pas douteux que Mme [V] [Y] avait donné à ses parents l'autorisation de construire, mais cela ne saurait suffire à lui interdire de solliciter par la suite et d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée ; qu'il résulte de ce qui précède, que M. [P] n'établissant pas avoir été de bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil, Mme [Y] a le choix de conserver l'ouvrage moyennant une indemnité ou d'en solliciter la démolition ; que cette dernière sera en conséquence ordonnée, aux frais du demandeur, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la question de savoir si ce dernier est ou non bien-fondé à solliciter l'intégralité de l'indemnité alors que les sommes ont été exposées par lui-même et son épouse décédée, dans la succession de laquelle Madame [Y] elle-même et sa soeur ont des droits ;

1°) ALORS QUE si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits sur le terrain d'autrui par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations ; que celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi, sans qu'il ait besoin de prouver l'existence d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice ; qu'en décidant néanmoins, pour ordonner la démolition de la maison édifiée par Monsieur [P] sur le terrain de Monsieur et Madame [Y], que l'autorisation donnée par ces derniers de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne suffisait pas à conférer à Monsieur [P] la qualité de constructeur de bonne foi, au motif inopérant qu'il ne prouvait ni ne prétendait être ou avoir été titulaire d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du Code civil ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, la renonciation à un droit peut être tacite, pourvu qu'elle soit non équivoque ; que l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification d'une construction sur son terrain par un constructeur de mauvaise foi peut constituer une renonciation tacite à se prévaloir de son droit à la démolition d'un tel ouvrage ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison, que l'autorisation de construire donnée par Madame [Y] à ses parents ne saurait suffire à lui interdire d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette autorisation valait renonciation tacite non équivoque des propriétaires à se prévaloir d'une telle démolition, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du Code civil. ECLI:FR:CCASS:2021:C300382

Un monument funéraire, sur un caveau servant de fondation, doit être regardé globalement, avec tous éléments incorporés, comme un bâtiment, immeuble par nature (CE)

 Note J. Dubarry, GP 2021, n° 37, p. 31.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I... ont demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania O..., y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse 3, boulevard Edgar Quinet à Paris (14e), d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 juin 2016 par laquelle la même autorité a rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 par laquelle elle a déclaré irrecevable la " demande d'autorisation de travaux ", déposée le 8 mars 2016, tendant à la dépose de cette sculpture, ainsi que cette décision du 17 mars 2016.

Par un jugement n° 1609810-1613427 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n°18PA02011 du 11 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par la société Duhamel Fine Art et autres, a annulé ce jugement en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., de M. T... R... I..., de Mme U... V... P..., épouse J..., de M. F... R... I..., de Mme M... S... A..., épouse P... et de M. G... R... I..., ainsi que l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, et enjoint à ce dernier de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur le groupe sculpté " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.

Par une décision n° 447968 du 31 mars 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a fait droit à la demande de la ministre de la culture tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cet arrêt.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre et 31 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la culture demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I... ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Duhamel Fine Art et autres ;

3°) de mettre à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 ;
- le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du ministre de la culture et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Duhamel fine art et autres.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 juin 2021, présentée par la société Duhamel Fine Art et autres ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... O..., décédée le 5 décembre 1910, a été inhumée au cimetière du Montparnasse à Paris. Sa sépulture comporte une stèle faisant socle qui porte épitaphe et supporte la troisième version de la sculpture intitulée " Le Baiser ", oeuvre de Constantin Brancusi réalisée en 1909. Par un arrêté du 4 octobre 2006, le ministre de la culture a élevé cette sculpture au rang de trésor national et refusé de délivrer le certificat demandé en vue de son exportation. Par un arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Mme B... O.... Les ayants droit de la concession funéraire à titre perpétuel acquise le 12 décembre 1910 par le père de la défunte, Mme U... J... née P..., M. F... I..., Mme M... P... née A..., M. G... I..., Mme C... L... née P..., et M. T... I..., ont déposé le 8 mars 2016, par l'intermédiaire des sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, auprès des services de la préfecture de la région Ile-de-France, une déclaration de travaux, en application de l'article L. 622-22 du code du patrimoine, en vue de la dépose de la sculpture. Par courrier du 17 mars 2016, cette demande a été rejetée au motif que " la tombe, avec le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle est un immeuble inscrit en totalité parmi les monuments historiques ", les demandeurs étant par conséquent invités à déposer une demande de permis de construire. Cette décision a fait l'objet le 26 avril 2016 d'un recours gracieux, rejeté par une décision du 28 juin suivant.

2. Par un jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté les requêtes de la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., et M. F... R... I... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris du 21 mai 2010 et, d'autre part, de ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016. Sur appel des intéressés, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 11 décembre 2020 contre lequel la ministre de la culture se pourvoit en cassation, annulé ce jugement en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., de M. T... R... I..., de Mme U... V... P..., épouse J..., de M. F... R... I..., de Mme M... S... A..., épouse P... et de M. G... R... I... ainsi que l'arrêté du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, et enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.


Sur le cadre juridique :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 516 du code civil : " Tous les biens sont meubles ou immeubles ". L'article 517 du même code dispose que : " Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent ". L'article 518 précise que : " Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 524 : " Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ". Aux termes de l'article 525 : " Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés./ (...) Quant aux statues, elles sont immeubles lorsqu'elles sont placées dans une niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu'elles puissent être enlevées sans fracture ou détérioration ".

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 621-25 du code du patrimoine : " Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l'autorité administrative, au titre des monuments historiques (...) ". L'article L. 622-20 du même code dispose que : " Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent, au point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, peuvent, à toute époque, être inscrits au titre des monuments historiques. Les objets mobiliers appartenant à une personne privée ne peuvent être inscrits qu'avec son consentement ".

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2223-12 du code général des collectivités territoriales : " Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture ". Aux termes de l'article L. 2223-12-1 du même code : " Le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses ". L'article L. 2223-13 du même code dispose que : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux (...) ".


Sur le pourvoi :

6. Pour l'interprétation des dispositions de l'article 518 du code civil citées au point 3, la seule circonstance qu'un élément incorporé à un immeuble n'ait pas été conçu à cette fin et qu'il puisse en être dissocié sans qu'il soit porté atteinte à l'intégrité de cet élément lui-même ou à celle de l'immeuble n'est pas de nature à faire obstacle au caractère d'immeuble par nature de l'ensemble, qui doit être apprécié globalement. Il s'ensuit qu'en considérant que le groupe sculpté " Le Baiser " qui surmonte la tombe de Tania O... ne pouvait être regardé comme un immeuble par nature au seul motif qu'il n'avait pas été créé à cette fin par Constantin Brancusi et qu'il n'était pas établi qu'il ne pouvait en être descellé sans porter atteinte à son intégrité, ni à celle du monument funéraire, sans rechercher si ce monument avait été conçu comme un tout indivisible incorporant ce groupe sculpté, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

7. Il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I....

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.


Sur la régularité du jugement :

9. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés devant lui, a suffisamment répondu, aux points 3 à 11 de son jugement, au moyen, qu'il a visé, tiré de ce que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris aurait commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en appliquant à la sépulture de Tania O... le régime juridique des immeubles par nature en lieu et place du régime des objets mobiliers et des immeubles par destination, aux points 12 à 16, au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 21 mai 2010 et, en particulier, de l'irrégularité alléguée de la délégation de signature octroyée par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, à M. Laurent Fiscus, secrétaire général de la préfecture de la région Ile-de-France, signataire de l'arrêté attaqué, aux points 20 à 23, au moyen tiré de la violation du droit de propriété et, aux points 24 à 26, au moyen tiré du détournement de pouvoir et de procédure.


Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de l'arrêté du 21 mai 2010 procédant à l'inscription de la tombe au titre des monuments historiques :

Quant à la compétence du signataire de l'arrêté :

10. D'une part, aux termes de l'article 34 du décret du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural : " L'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites réunis en formation plénière (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, était compétent pour prononcer, après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites, l'inscription du bien en cause au titre des monuments historiques.

11. D'autre part, aux termes de l'article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et les départements, le préfet de région peut donner délégation de signature : " 1° En toutes matières, et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs de services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans la région, au secrétaire général pour les affaires régionales et, en cas d'empêchement de celui-ci, aux agents de catégorie A placés sous son autorité ". L'article 39 de ce même décret, dans sa version modifiée par le décret du 16 février 2010 modifiant le décret du 29 avril 2004 dispose que : " En cas d'absence ou d'empêchement, le préfet de région est suppléé par le secrétaire général pour les affaires régionales (...) ". Il ressort des pièces du dossier que M. Laurent Fiscus, secrétaire général de la préfecture de la région d'Ile-de-France, signataire de l'arrêté attaqué, a reçu délégation du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, par arrêté du 22 avril 2010, régulièrement publié aux recueil des actes administratifs de la région Ile-de-France n° 2010-13 des 19 au 23 avril 2010, à l'effet de signer au nom du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en toutes matières, à l'exception des ordres de réquisition du comptable, tous arrêtés, décisions, pièces et conventions. Cette délégation de signature, qui n'est pas une délégation de pouvoir et n'a donc pas pour effet de départir le préfet de sa compétence, est conforme aux dispositions précitées du décret du 29 avril 2004.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 21 mai 2010 doit être écarté.


Quant à la qualification juridique de la sculpture :

13. Un monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation, fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l'édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l'application de l'article 518 du code civil.

14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la volonté du père de la défunte, titulaire de la concession perpétuelle qui lui a été consentie au cimetière du Montparnasse par la Ville de Paris après le décès de Tania O... en décembre 1910, a été d'ériger sur sa tombe un monument funéraire qui accueille " Le Baiser " de Constantin Brancusi, acquis auprès de l'artiste sur la recommandation de l'amant de sa fille disparue, en hommage à la jeune femme. C'est ainsi qu'il a fait réaliser par un marbrier, en pierre d'Euville tout comme l'oeuvre, une stèle faisant socle, implantée sur la tombe, portant épitaphe et sur le lit d'attente de laquelle le groupe sculpté a été fixé et scellé en avril 1911. Dès lors, la sculpture " Le Baiser " de Constantin Brancusi qui surmonte la tombe de Tania O... est un élément de cet édifice qui a perdu son individualité lorsqu'il a été incorporé au monument funéraire, sans qu'importe la circonstance ni que l'oeuvre n'ait pas été réalisée à cette fin par Constantin Brancusi, ni qu'elle ait été implantée quelques semaines après le décès de la jeune femme. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce qu'en se fondant, pour prendre l'arrêté attaqué, sur la circonstance que le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle constituait, avec la tombe, un immeuble par nature, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris n'a pas commis d'erreur dans la qualification juridique des faits.


Quant à l'inscription de l'ensemble de la tombe au titre des monuments historiques :

15. Il résulte des dispositions citées au point 4 que l'autorité administrative peut procéder à l'inscription au titre des monuments historiques d'immeubles ou, le cas échéant, de parties d'immeubles qui présentent un intérêt d'art ou d'histoire suffisant pour en justifier la préservation. Si l'inscription peut également porter sur certaines parties de l'immeuble qui ne présentent pas par elles-mêmes cet intérêt, c'est à la condition, compte tenu des limitations ainsi apportées à l'exercice du droit de propriété, que cette mesure apparaisse nécessaire afin d'assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques.

16. Pour inscrire au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania O... avec le groupe sculpté " Le Baiser " et " son socle formant stèle ", le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a considéré dans son arrêté du 21 mai 2010 que : " (...) la conservation du groupe sculpté : " Le Baiser " réalisé par Constantin Brancusi en 1909 et installé sur la tombe de Tania O... à son décès en 1910 présente au point de vue de l'histoire et de l'art un intérêt public en raison d'une part, de sa place essentielle dans l'oeuvre de Brancusi et de sa qualité intrinsèque qui en fait une oeuvre majeure, d'autre part, de son intégration à l'ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant l'épitaphe gravée et signée par Brancusi ".

17. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 13 et 14 que les dispositions de l'article L. 622-20 du code du patrimoine relatives au classement des objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination, n'étaient pas applicables en l'espèce, le monument funéraire constituant un immeuble par nature. Le préfet n'a par suite pas commis d'erreur de droit en procédant au classement du groupe sculpté sans avoir recueilli l'accord des propriétaires.

18. D'autre part, si le socle et la stèle de la tombe de Tania O... ne présentent pas en tant que tel un intérêt patrimonial suffisant pour justifier leur inscription au titre des monuments historiques, ils forment un tout indivisible avec la sculpture incorporée au monument funéraire. Dès lors en inscrivant en totalité la tombe de Tania O..., y compris l'oeuvre de Constantin Brancusi, au titre des monuments historiques, le préfet n'a pas non plus commis d'erreur de droit.


Quant à la méconnaissance du droit de propriété :

19. Aux termes de l'article L. 621-17 du code du patrimoine : " L'inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l'obligation de ne procéder à aucune modification de l'immeuble ou partie de l'immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l'autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu'ils se proposent de réaliser./ Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d'aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non-opposition ne peut intervenir sans l'accord de l'autorité administrative chargée des monuments historiques (...) ". L'article R. 421-16 du code de l'urbanisme prévoit que : " Tous les travaux portant sur un immeuble ou une partie d'immeuble inscrit au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires et des travaux répondant aux conditions prévues à l'article R. 421-8 ". Il résulte de ces dispositions que l'inscription au titre des monuments historiques a pour effet de conditionner à l'obtention d'un permis de construire les travaux portant sur les immeubles concernés et de soumettre l'exécution de ces travaux au contrôle du service des monuments historiques. Ainsi, la décision d'inscription qui ne constitue pas une privation de propriété a cependant pour effet, par elle-même, de limiter l'exercice du droit de propriété.

20. D'une part, aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaitrait les dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut être utilement invoqué.

21. D'autre part, aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ". Si ces stipulations ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'une décision individuelle prise sur la base d'une telle réglementation, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets juridiques, d'autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

22. Si l'arrêté contesté affecte l'exercice du droit de propriété des ayants droit du père de la défunte, les limitations qu'il apporte à l'exercice de ce droit sont justifiées par l'objectif d'intérêt général de conservation du patrimoine national. Cette inscription non seulement ne fait pas obstacle à la réalisation des travaux d'entretien et de réparation que nécessite la conservation de l'immeuble inscrit au titre des monuments historiques mais encore elle autorise l'autorité administrative à les subventionner, en vertu de l'article L. 621-29 du code du patrimoine, dans la limite de 40% de la dépense effective. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme portant au droit de propriété des requérants une atteinte disproportionnée au but d'intérêt général poursuivi par l'arrêté attaqué. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une atteinte excessive au droit de propriété des requérants ne peut qu'être écarté.


Quant au détournement de pouvoir et de procédure :

23. Aux termes de l'article L. 111-1 du code du patrimoine : " Sont des trésors nationaux :/ (...) 5° Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie ". L'article L. 111-2 du même code dispose que : " L'exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l'une des catégories définies par décret en Conseil d'Etat est subordonnée à l'obtention d'un certificat délivré par l'autorité administrative (...) ". L'article L. 111-6 prévoit que : " En cas de refus du certificat, toute demande nouvelle pour le même bien est irrecevable pendant une durée de trente mois à compter de la date du refus./ Après ce délai, le refus de délivrance du certificat ne peut être renouvelé que dans le cas prévu pour la procédure d'offre d'achat au sixième alinéa de l'article L. 121-1, sans préjudice de la possibilité de classement du bien en application des dispositions relatives aux monuments historiques ou aux archives (...) ".

24. Si les requérants soutiennent que l'arrêté préfectoral du 21 mai 2010 est entaché d'un détournement de pouvoir et de procédure au motif qu'il ne viserait pas à assurer la protection du groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi mais seulement à faire échec à son déplacement et à toute nouvelle demande de certificat de libre-circulation, le moyen n'est pas fondé dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 18, il ressort des pièces du dossier que l'inscription du bien en cause en tant qu'immeuble par nature au titre des monuments historiques est justifiée par un intérêt d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation au sens des dispositions de l'article L. 621-25 du code du patrimoine citées au point 4.

25. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 21 mai 2010.


S'agissant des décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016 rejetant la demande d'autorisation de travaux :

26. D'une part, par arrêté n° 2015097-0008 du 7 avril 2015, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région d'avril 2015, spécial n° 63, délégation de signature a été donnée par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, à Mme K... Q..., directrice régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, pour les décisions relevant des attributions de la direction régionale des affaires culturelles. Par arrêté n° 2015-140 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée par la directrice régionale des affaires culturelles à M. H... E..., conservateur régional des monuments historiques, à l'effet de signer, notamment, les décisions en matière d'autorisation de travaux sur les objets mobiliers et les immeubles inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Cet arrêté réglementaire a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région, recueil régional spécial n° NV421 du 18 décembre 2015, comme l'indiquait l'article 8 de l'arrêté. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 17 mars 2016 n'est pas fondé.

27. D'autre part, par le même arrêté du 18 décembre 2015, publié, ainsi qu'il a été dit au point précédent, au recueil des actes administratifs régional spécial n° NV421 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée pour l'ensemble des matières administratives à M. N... D..., directeur régional adjoint des affaires culturelles, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme K... Q.... Dès lors que l'arrêté du 18 décembre 2015 vise le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales des affaires culturelles, qui définit les attributions de la direction régionale des affaires culturelles, et que la délégation de signature n'est consentie à M. D..., directeur régional adjoint, qu'en cas d'absence ou d'empêchement de Mme K... Q..., une telle délégation de signature doit être regardée comme suffisamment précise. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 28 juin 2016, qui se borne d'ailleurs à confirmer la décision du 17 mars 2016, n'est pas fondé.

28. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016.

29. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par suite obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres à verser à l'Etat au titre des mêmes dispositions.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I....
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... P... devant la cour administrative d'appel de Paris sont rejetées.
Article 3 : La société Duhamel Fine Art et autres verseront la somme de 3 000 euros à l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Duhamel Fine Art et autres tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture et à la société Duhamel Fine Art, première dénommée.
Copie en sera adressée à la Ville de Paris.

ECLI:FR:CECHR:2021:447967.20210702