vendredi 29 octobre 2021

Construction sur terrain d'autrui - bonne foi non établie -> démolition

  Note J. Dubarry, GP 2021, n° 37, p. 30.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 avril 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 382 FS-P

Pourvoi n° Z 20-13.649




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 AVRIL 2021

M. [M] [P], domicilié [Adresse 1] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° Z 20-13.649 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [V] [Y],

2°/ à M. [H] [Y],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [P], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. Parneix, Mme Andrich, MM. Barbieri, Jessel, David, Jobert, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 22 octobre 2019), M. [P] a construit une maison sur un terrain appartenant à Mme [Y], sa fille, et, après avoir quitté les lieux, a assigné celle-ci en remboursement sur le fondement de l'article 555 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande et d'ordonner la démolition, à ses frais, de l'immeuble construit sur la propriété de Mme [Y], alors :

« 1°/ que si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits sur le terrain d'autrui par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations ; que celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi, sans qu'il ait besoin de prouver l'existence d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice ; qu'en décidant néanmoins, pour ordonner la démolition de la maison édifiée par M. [P] sur le terrain de M. et Mme [Y], que l'autorisation donnée par ces derniers de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne suffisait pas à conférer à M. [P] la qualité de constructeur de bonne foi, au motif inopérant qu'il ne prouvait ni ne prétendait être ou avoir été titulaire d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil ;

2°/ que, subsidiairement, la renonciation à un droit peut être tacite, pourvu qu'elle soit non équivoque ; que l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification d'une construction sur son terrain par un constructeur de mauvaise foi peut constituer une renonciation tacite à se prévaloir de son droit à la démolition d'un tel ouvrage ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison, que l'autorisation de construire donnée par Mme [Y] à ses parents ne saurait suffire à lui interdire d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette autorisation valait renonciation tacite non équivoque des propriétaires à se prévaloir d'une telle démolition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. La cour d'appel a constaté que, si Mme [Y] avait autorisé ses parents à construire sur son terrain, M. [P] ne disposait d'aucun titre translatif de propriété.

4. Ayant énoncé, à bon droit, que la bonne foi au sens de l'article 555 du code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices, elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que M. [P] n'avait pas la qualité de constructeur de bonne foi et que la démolition requise de l'immeuble en cause devait être ordonnée.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze avril deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. [P].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de Monsieur [M] [P] tendant à voir condamner Monsieur et Madame [Y] à lui payer la somme de 117.000 euros et d'avoir ordonné la démolition à ses frais de l'immeuble construit sur la parcelle appartenant à Madame [V] [Y], objet du permis de construire accordé le 29 août 2002 par le maire de Mauprévoir, sous le numéro PC 8615202T008 ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'il est constant aux débats, et en tant que de besoin établi par les productions, que [M] [P] et son épouse aujourd'hui décédée ont fait construire à leurs frais en 2004 une maison d'habitation sur un terrain sis « [Localité 1] » à [Adresse 2] appartenant à leur fille [V] [P] épouse [Y] et au mari de celle-ci [H] [Y] ; qu'aux termes de l'article 552 du Code civil, la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ; que selon l'article 555 de ce même code, lorsque les constructions, plantations et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'aliéna 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever. Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; que c'est en vertu de ces dispositions légales que les époux [Y] s'opposent aux prétentions de [M] [P] tendant à les voir condamner à lui payer la valeur dont le fonds s'est trouvé augmenté du fait de cette construction, et qu'ils poursuivent sa condamnation à supprimer l'ouvrage ; que [M] [P] invoque à titre principal les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 555 du Code civil selon lesquelles, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger leur suppression mais aura le choix de rembourser au tiers soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte-tenu de l'état dans lequel ils se trouvent ; que [M] [P] soutient devoir être regardé comme un constructeur de bonne foi au sens de cette disposition légale, en faisant valoir qu'il a fait bâtir la maison avec l'autorisation de sa fille ; et que certes, [V] [Y] a autorisé ses parents à réaliser cette construction, ainsi qu'elle le reconnaît, et qu'il ressort en tant que de besoin du fait qu'elle habitait à quelques dizaines de mètres, sur le même domaine ; qu'elle déposa à son nom la demande de permis de construire ; et qu'elle transmit pour qu'ils les règlent à ses parents certaines factures que des artisans lui avaient adressées ; que toutefois, une telle autorisation ne suffit pas à conférer à [M] [P] la qualité de constructeur de bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil, laquelle s'entend par référence à l'article 550 dudit code et ne vise, ainsi, que celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore le vice ; que [M] [P] ne prouve ni ne prétend être ou avoir été titulaire d'un tel titre translatif de propriété ; qu'il n'est pas fondé à revendiquer cette qualité de tiers de bonne foi en arguant d'un titre putatif au motif que sa fille [V] lui aurait laissé croire que s'il payait la construction il en serait propriétaire, ce qui est réfuté par l'intimée, n'est pas établi avec certitude, et ne saurait en tout état de cause être assimilé à la possession comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété vicié telle que visée à l'article 550 du Code civil ; que c'est donc à raison que le premier juge a débouté sur ce fondement de l'article 555 [M] [P] de ses demandes indemnitaires ; (…) ; que c'est ainsi à raison que le tribunal a débouté [M] [P] de tous ses chefs de prétentions et qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle des époux [Y] en démolition aux frais de M. [P] de l'immeuble construit sur la parcelle appartenant à [V] [Y] objet du permis de construire accordé le 29 août 2002 sous le numéro PC 8615202T008 par le maire de Mauprévoir ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes des dispositions de l'article 555 du Code civil, lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever ; que si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds ; que si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages ; que si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l'une ou l'autre des sommes visées à l'alinéa précédent ; que le constructeur de bonne foi, visé par cet article, est celui qui possède le terrain sur lequel il a bâti en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ; qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que Mme [Y], en dépit des affirmations du demandeur, ait prévu de faire donation du terrain à ses parents et donc que ces derniers aient été titulaires d'un titre putatif de propriété relatif au terrain ; qu'en effet, si l'autorisation donnée par le propriétaire de demander le permis de construire, quoique n'étant pas de nature à rendre vraisemblable le fait allégué d'une vente d'ores et déjà parfaite, peut constituer un titre putatif conférant au bénéficiaire la qualité de constructeur de bonne foi au sens de l'article 555 susvisé, la demande de permis de construire a été régularisée en l'espèce au nom de la seule Mme [V] [Y], sans que M. ou Mme [P] n'apparaisse ; que par ailleurs, l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne peut avoir rendu le constructeur de bonne foi, laquelle répond à la définition technique sus rappelée et non simplement morale, l'autorisation invoquée démontrant précisément que le constructeur savait n'avoir aucun droit sur le sol ; qu'en l'espèce, il n'est pas douteux que Mme [V] [Y] avait donné à ses parents l'autorisation de construire, mais cela ne saurait suffire à lui interdire de solliciter par la suite et d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée ; qu'il résulte de ce qui précède, que M. [P] n'établissant pas avoir été de bonne foi au sens de l'article 555 du Code civil, Mme [Y] a le choix de conserver l'ouvrage moyennant une indemnité ou d'en solliciter la démolition ; que cette dernière sera en conséquence ordonnée, aux frais du demandeur, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la question de savoir si ce dernier est ou non bien-fondé à solliciter l'intégralité de l'indemnité alors que les sommes ont été exposées par lui-même et son épouse décédée, dans la succession de laquelle Madame [Y] elle-même et sa soeur ont des droits ;

1°) ALORS QUE si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits sur le terrain d'autrui par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations ; que celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi, sans qu'il ait besoin de prouver l'existence d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice ; qu'en décidant néanmoins, pour ordonner la démolition de la maison édifiée par Monsieur [P] sur le terrain de Monsieur et Madame [Y], que l'autorisation donnée par ces derniers de procéder à l'édification de la construction litigieuse ne suffisait pas à conférer à Monsieur [P] la qualité de constructeur de bonne foi, au motif inopérant qu'il ne prouvait ni ne prétendait être ou avoir été titulaire d'un titre translatif de propriété dont il ignorait le vice, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du Code civil ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, la renonciation à un droit peut être tacite, pourvu qu'elle soit non équivoque ; que l'autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l'édification d'une construction sur son terrain par un constructeur de mauvaise foi peut constituer une renonciation tacite à se prévaloir de son droit à la démolition d'un tel ouvrage ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour ordonner la démolition de la maison, que l'autorisation de construire donnée par Madame [Y] à ses parents ne saurait suffire à lui interdire d'obtenir la démolition de l'édifice, dès lors qu'aucune renonciation expresse à solliciter cette démolition n'était établie ni même invoquée, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette autorisation valait renonciation tacite non équivoque des propriétaires à se prévaloir d'une telle démolition, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du Code civil. ECLI:FR:CCASS:2021:C300382

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