vendredi 26 novembre 2021

Au rapport 2020 de la Cour de cassation, les commentaires des arrêts importants de la 3ème chambre civile rendus en droit de la construction et de l’assurance construction

 

Au rapport 2020 de la Cour de cassation sont commentés la plupart des arrêts importants de la 3ème chambre civile rendus en droit de la construction et de l’assurance construction.

 

Voici ces commentaires. Les arrêts sont eux-mêmes publiés sur ce blog. Vous les retrouverez par le moteur de recherche

 

Assurance dommages – Assurance dommages-ouvrage – Désordres de nature décennale – Prise en charge par le garant – Recours contre l’assureur dommages-ouvrage – Prescription – Prescription biennale – Délai – Point de départ – Détermination 

 

3e Civ., 13 février 2020, pourvoi no 19-12.281, publié au Bulletin, rapport de M. Nivose et avis de M. Burgaud 

 

Le point de départ du délai de prescription biennale de l’action du garant de livraison, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur dommages-ouvrage, dans le cas de désordres survenus avant réception et de liquidation judiciaire de l’entreprise, est la date de l’événement donnant naissance à l’action, c’est-à-dire celle de l’ouverture de la procédure collective, emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage. 

 

L’arrêt commenté tranche une question inédite : quel est le point de départ du délai de prescription biennale de l’action du garant de livraison, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur dommages-ouvrage quand la garantie de celui-ci est recherchée avant réception et que le constructeur a été mis en liquidation judiciaire? 

 

Deux solutions s’offraient à la troisième chambre civile de la Cour de cassation : 

 

– fixer le point de départ du délai biennal à la date à laquelle les maîtres de l’ouvrage avaient eu connaissance des désordres; 

 

– fixer ce point de départ à la date de l’ouverture de la liquidation judiciaire de l’entreprise, emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage. 

 

Pour accueillir le pourvoi du garant et retenir la seconde solution, la troisième chambre civile cite tout d’abord les deux textes applicables. 

 

D’une part, l’article L. 114-1, alinéa 1, du code des assurances, qui dispose que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. 153 / Arrêts rendus par les chambres Droit immobilier, environnement et urbanisme 

 

D’autre part, l’article L. 242-1 du même code, qui prévoit que l’assurance de dommages-ouvrage prend effet, avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur étant résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations. 

 

Pour les désordres survenus après réception, la jurisprudence décide que l’assuré dispose d’un délai de deux ans à compter de la connaissance qu’il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception pour réclamer l’exécution de la garantie souscrite (1re Civ., 4 mai 1999, pourvoi no 97-13.198, Bull. 1999, I, no 141; 3e Civ., 19 mai 2016, pourvoi no 15-16.688). 

 

L’arrêt commenté souligne que cette doctrine n’est pas applicable avant réception. En effet, dans cette hypothèse, l’événement à l’origine de la mise en œuvre de la garantie n’est pas la survenance des désordres de nature décennale, qui est une condition de la garantie, mais la défaillance de l’entrepreneur qui manque à ses obligations en ne procédant pas à la reprise des désordres, ce qui justifie la résiliation du marché. Cette défaillance constitue l’événement qui donne naissance à l’action contre l’assureur dommages-ouvrage au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances. 

 

Un autre paramètre devait être pris en considération dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté : le constructeur avait été mis en liquidation judiciaire. 

 

La troisième chambre civile rappelle que la Cour de cassation juge qu’il peut être dérogé à l’obligation prévue par l’article L. 242-1 du code des assurances de mettre en demeure l’entrepreneur défaillant, avant réception, lorsque celle-ci s’avère impossible ou inutile en cas de cessation de l’activité de l’entreprise (1re Civ., 23 juin 1998, pourvoi no 95-19.340, Bull. 1998, I, no 222) ou de liquidation judiciaire emportant résiliation de contrat de louage d’ouvrage (1re Civ., 3 mars 1998, pourvoi no 95-10.293, Bull. 1998, I, no 83). 

 

Elle en déduit qu’avant réception, la date d’ouverture de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage, constitue l’événement donnant naissance à l’action du garant de livraison subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage contre l’assureur dommages-ouvrage et, partant, le point de départ du délai de la prescription biennale prévu par l’article L. 114-1 du code des assurances.

 

Commentaire au rapport 2020 de la Cour de cassation :

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes – Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée

3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo

 

En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de cette prescription ne lui profitent pas.

 

Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

 

L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».

 

L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier texte cité.

 

En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de droit commun.

 

En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la réparation de ses préjudices.

 

La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action, soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

 

L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.

 

Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage, fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.

 

Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.

 

Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux. Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?

 

Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil.

 

D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006 (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716, Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le constructeur, qui était initialement de trente ans.

 

Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.

 

La troisième chambre civile écarte, par là même, l’application de l’article 1792-4-3 du code civil et ne transpose pas le délai décennal, même en en aménageant les modalités, à la situation dans laquelle aucune réception n’est intervenue. Elle complète ainsi sa jurisprudence sur les délais de prescription des différentes actions envisageables dans le domaine du droit de la construction. Par deux arrêts du 16 janvier 2020 également publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au Bulletin), elle a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Garantie décennale – Domaine d’application – Élément d’équipement ou construction d’un ouvrage – Caractérisation – Exclusion – Cas – Enduit de façade non destiné à fonctionner 

 

3e Civ., 13 février 2020, pourvoi nº 19-10.249, publié au Bulletin, rapport de M. Pronier et avis de M. Burgaud 

 

Un enduit de façade, qui constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité, ne constitue pas un élément d’équipement, même s’il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. 

 

Procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a retenu, par trois arrêts successifs, publiés au Rapport annuel, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi no 16-19.640, Bull. 2017, III, no 71; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi no 16-17.323, Bull. 2017, III, no 100; 3e  Civ., 26 octobre 2017, pourvoi no 16-18.120, Bull. 2017, III, no 119). 

 

Restait à définir la notion d’élément d’équipement. 

 

C’est à cette question que le présent arrêt répond, à propos d’un enduit de façade, par un double apport doctrinal : 

 

En premier lieu, la Cour de cassation rappelle, en le confirmant, qu’en application de l’article 1792 du code civil, un enduit de façade constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité (3e Civ., 4 avril 2013, pourvoi no 11-25.198, Bull. 2013, III, no 45).

 

 En second lieu, la Cour de cassation énonce qu’un enduit de façade ne constitue pas un élément d’équipement, même s’il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. 

 

Il s’ensuit que des travaux, autres que la construction de l’ouvrage et les éléments d’équipement qui en sont indissociables, ne constituent un élément d’équipement dissociable, au sens de l’article 1792-3 du code civil, que s’ils fonctionnent, ce qui n’est pas le 158 LIVRE 3 / Jurisprudence de la Cour cas des moquettes et tissus (3e  Civ., 30 novembre 2011, pourvoi no 09-70.345, Bull. 2011, III, no 202), de dallages (3e Civ., 13 février 2013, pourvoi no 12-12.016, Bull. 2013, III, no 20) ou d’un carrelage (3e Civ., 11 septembre 2013, pourvoi no 12-19.483, Bull. 2013, III, no 103). 

 

Cette solution s’explique par la garantie de bon fonctionnement applicable aux éléments d’équipement dissociables instituée par l’article 1792-3 du code civil. 

 

La Cour de cassation en déduit que la solution, née du revirement de jurisprudence, n’est pas applicable à un enduit de façade, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. Sur ce point, la Cour reprend la distinction déjà faite entre la fonction d’étanchéité et la fonction d’imperméabilisation (3e Civ., 9 février 2000, pourvoi no 98-13.931, Bull. 2000, III, no 27).

 

 Cette solution sera étendue à tous les éléments d’équipement dissociables qui ne fonctionnent pas. 

 

Enfin, il est permis de souligner que la nouvelle rédaction des arrêts en style direct permet d’en mieux présenter l’apport doctrinal.

 

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes – Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée

3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo

 

En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de cette prescription ne lui profitent pas.

 

Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

 

L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».

 

L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier texte cité.

 

En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de droit commun.

 

En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la réparation de ses préjudices.

 

La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action, soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

 

L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.

 

Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage, fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.

 

Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.

 

Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux. Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?

 

Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil.

 

D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006 (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716, Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le constructeur, qui était initialement de trente ans.

 

Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.

 

La troisième chambre civile écarte, par là même, l’application de l’article 1792-4-3 du code civil et ne transpose pas le délai décennal, même en en aménageant les modalités, à la situation dans laquelle aucune réception n’est intervenue. Elle complète ainsi sa jurisprudence sur les délais de prescription des différentes actions envisageables dans le domaine du droit de la construction. Par deux arrêts du 16 janvier 2020 également publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au Bulletin), elle a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.

"Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire est le dernier témoignage du mouvement de singerie de l'instruction par l'enquête préliminaire"

 Editorial, F. Fourment, GP 2021, n° 41, p. 47 : "Enquête de sens".

mercredi 24 novembre 2021

L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers

 

L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »

Ce collectif de juges, substituts, greffiers dénonce l’approche « gestionnaire » de la justice et souligne la « discordance » entre la volonté de rendre une justice de qualité et la réalité du quotidien.

Lille, lundi 30 août. Nous enterrions Charlotte, notre jeune collègue de 29 ans, qui s’est suicidée le 23 août. Cela faisait deux ans qu’elle était magistrate, juge placée [auprès du premier président d’une cour d’appel], envoyée de tribunaux en tribunaux pour compléter les effectifs des juridictions en souffrance du Nord et du Pas-de-Calais. Charlotte mesurait la charge de travail et le niveau d’exigence qu’elle devait atteindre pour devenir la magistrate humaine et rigoureuse qu’elle souhaitait être. Nous souhaitons affirmer que son éthique professionnelle s’est heurtée à la violence du fonctionnement de notre institution.

Faire du chiffre

Charlotte a eu deux années de fonctions particulièrement éprouvantes et elle a surmonté les événements avec un grand professionnalisme, un enthousiasme et une implication indéniables. A sa sortie de l’école de la magistrature, unique juge au sein d’un tribunal d’instance, elle a su faire face avec persévérance à plusieurs situations inédites, telles que la gestion des urgences pendant le premier confinement, seule, le personnel de greffe ayant été congédié, puis la mise en œuvre d’une réforme conduisant à la suppression de ce même tribunal.

A ces conditions de travail difficiles s’ajoutaient des injonctions d’aller toujours plus vite et de faire du chiffre. Mais Charlotte refusait de faire primer la quantité sur la qualité. Elle refusait de travailler de façon dégradée. A plusieurs reprises, au cours de l’année qui a précédé son décès, Charlotte a alerté ses collègues sur la souffrance que lui causait son travail. Comme beaucoup, elle a travaillé durant presque tous ses week-ends et ses vacances, mais cela n’a pas suffi. Se sont ensuivis un arrêt de travail, une première tentative de suicide. Nous souhaitons affirmer que Charlotte n’est pas un cas isolé.

C’est pourquoi nous, magistrats judiciaires, qui ne prenons que très rarement la parole publiquement, avons décidé aujourd’hui de sonner l’alarme. Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient, tant chez les nouveaux magistrats que chez les magistrats plus expérimentés. L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance.

Envie d'en savoir plus sur la justice en France ?

Test gratuit

Audiences suchargées, procédures classées sans suite…

Nous, juges aux affaires familiales, sommes trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes et de ne pas donner la parole au couple lorsque chacune des parties est assistée par un avocat, pour ne pas perdre de temps.

Nous, juges civils de proximité, devons présider des audiences de 9 heures à 15 heures, sans pause, pour juger 50 dossiers ; après avoir fait attendre des heures des personnes qui ne parviennent plus à payer leur loyer ou qui sont surendettées, nous n’avons que sept minutes pour écouter et apprécier leur situation dramatique.

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés « La santé et la justice sont aux prises avec le péril de la standardisation »

Nous, juges des enfants, en sommes réduits à renouveler des mesures de suivi éducatif sans voir les familles, parce que le nombre de dossiers à gérer ne nous permet pas de les recevoir toutes.

Nous, juges correctionnels, du fait de la surcharge des audiences, devons choisir entre juger à minuit des personnes qui encourent des peines d’emprisonnement, ou décider de renvoyer des dossiers aussi complexes que des violences intrafamiliales à une audience qui aura lieu dans un an. A cette date, la décision aura perdu son sens et laissé la vie des justiciables et de leur entourage en suspens.

Nous, substituts du procureur, devons fréquemment nous résoudre à poursuivre devant les tribunaux ou à classer sans suite des procédures sur la base d’un compte rendu téléphonique ou électronique succinct, sans avoir le temps de les lire intégralement avant.

Une justice maltraitante

Ces situations ne sont pas anecdotiques. Nous y sommes confrontés chaque jour et nous devons les affronter, les assumer en tant que face visible d’une justice qui maltraite les justiciables, mais également ceux qui œuvrent à son fonctionnement, greffiers et magistrats.

Floriane, de la même promotion que Charlotte, écrivait dans sa lettre de démission, en septembre 2020, un an après sa prise de fonctions : « J’ai vu bien trop de collègues en souffrance, qu’ils se l’avouent ou le dénient. Que fait l’institution de cette souffrance ? Elle la tait, comme elle tait ses manifestations : les abus d’autorité, le harcèlement, le surmenage, ou même les suicides. On récompense ceux qui la nient et on préfère dire de ceux qui se l’avouent qu’ils n’avaient pas les épaules. »

« Nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables »

Aujourd’hui, nous témoignons car nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout. Nous, magistrats, faisons le même constat que les justiciables. Nous comprenons que les personnes n’aient plus confiance aujourd’hui en la justice que nous rendons, car nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables.

Les attentes fortes des justiciables à l’égard de la justice sont légitimes, les critiques doivent être entendues et vues comme une chance de progresser pour notre institution. Nous devons rester à l’écoute. Mais ce dialogue entre la justice et la société est aujourd’hui rendu impossible par une vision gestionnaire de notre métier à laquelle nous sommes chaque jour un peu plus soumis.

Affaiblissement de l’Etat de droit

Nous constatons chez nos partenaires du quotidien (services publics de la santé, de l’éducation, de la police…) la même souffrance éthique, le même sentiment de perte de sens.

Alors que se sont ouverts les états généraux de la justice [cent vingt jours de consultation citoyenne et de débats qui ont démarré le 18 octobre] avec pour objectif annoncé de renouer les liens entre les citoyens et leur justice, nous, juges du quotidien des tribunaux judiciaires, souhaitons témoigner de nos expériences et de nos inquiétudes sur les conditions dans lesquelles la justice est rendue en France et sur l’affaiblissement de l’Etat de droit qui en découle.

Nous souhaitons dire haut et fort que malgré notre indéfectible conscience professionnelle, notre justice souffre de cette logique de rationalisation qui déshumanise et tend à faire des magistrats des exécutants statistiques, là où, plus que nulle part ailleurs, il doit être question avant tout d’humanité.

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés « Les citoyens ont le sentiment d’une justice de classe »

Nous souhaitons ainsi rappeler avec force que notre volonté est de rendre la justice avec indépendance, impartialité et attention portée à autrui, telle que l’exige toute société démocratique.

Les premiers signataires de cette tribune sont : Nelly Bertrand, juge de l’application des peines ; Léa Clouteau, juge placée ; Clara Lanoës, juge ; Manon Lefebvre, substitute du procureur de la République ; Anna Michaut, juge de l’application des peines ; Pierre Msika, juge placé ; Albertine Munoz, juge de l’application des peines ; Bérangère Thery, substitute ; Juliette Vigny, juge placée.

Liste Des Signataires by Le Monde on Scribd 

mardi 23 novembre 2021

Trouble anormal de voisinage - ondes électromagnétiques

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 novembre 2021




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 797 F-D

Pourvoi n° G 19-19.311




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2021

Mme [P] [V], épouse [I], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 19-19.311 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société TDF, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de Mme [V], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société TDF, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 avril 2019), propriétaire d'un terrain bâti acquis en 1998 et revendu en 2013, Mme [V] a assigné la société Télédiffusion de France (la société TDF), propriétaire du terrain voisin sur lequel est implantée une antenne-relais depuis 1977, en indemnisation de troubles anormaux du voisinage imputés à la présence du pylône, et à l'origine, selon elle, d'une importante dépréciation de son bien.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; qu'en affirmant, pour décider que Madame [V] ne pouvait se prévaloir utilement d'un trouble anormal de voisinage lié au risque sanitaire potentiel créé par la présence de l'antenne-relais, qu'elle avait adressé, en 2012 et 2013, plusieurs courriels à des acquéreurs potentiels de sa maison, destinés à les rassurer sur les dangers que pouvait représenter la présence d'une telle antenne sur la santé, de sorte qu'elle se contredisait à soutenir devant le juge que l'ouvrage litigieux constituait un risque sanitaire potentiel, bien que les appréciations faites par Madame [V] dans ces courriels, à un instant donné, n'aient pas été de nature à faire obstacle à son action en justice formée ultérieurement, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;

2°/ que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; que le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage ; qu'en décidant néanmoins que Madame [V] ne pouvait se prévaloir d'aucun trouble anormal de voisinage lié à la crainte d'être exposé à un risque sanitaire en raison de la proximité immédiate de l'antenne-relais, au motif inopérant que le champ électrique total du site, était inférieur au seuil légal, tel qu'il résultait du décret n° 2002-775 du 3 mai 2002, bien que le respect des dispositions légales n'ait pas été de nature à exclure l'existence d'un trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel a violé le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;

3°/ que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; que la crainte légitime d'être exposé à un risque sanitaire suffit à caractériser un trouble anormal de voisinage ; qu'en décidant néanmoins que Madame [V] ne pouvait se prévaloir d'aucun trouble anormal de voisinage lié à la crainte d'être exposé à un risque sanitaire en raison de la proximité immédiate de l'antenne-relais, motifs pris que le champ électrique total du site litigieux était largement inférieur au seuil légal, qui intégrait le principe de précaution, et que la peur d'être exposé à un risque ne constituait pas la preuve de la réalité de ce danger, bien que la crainte légitime perçue par l'opinion publique, liée à l'absence de garantie permettant d'exclure un risque sanitaire induit par l'exposition aux ondes électromagnétiques, ait suffit à caractériser un trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel a violé le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »

Réponse de la Cour

3. Ayant relevé que la peur du risque sanitaire ne suffisait pas à prouver la réalité du danger, la cour d'appel a, d'une part, constaté que le rapport d'expertise établi à la demande de Mme [V] démontrait que le champ électrique émis par l'ensemble des installations de la société TDF était inférieur de 71 % au seuil fixé par la réglementation en vigueur, établie en considération des données actuelles de la science, et dans le respect du principe de précaution.

4. Elle a, d'autre part, constaté que Mme [V], qui avait elle-même nié l'existence d'un tel risque auprès des personnes s'étant déclarées intéressées par la maison mise en vente, était parvenue à vendre son bien au prix du marché, retenant souverainement que la crainte suscitée par l'exposition aux ondes électromagnétiques, que Mme [V] invoquait comme facteur de dépréciation, n'avait pas eu d'incidence préjudiciable sur l'opération réalisée.

5. Elle a souverainement déduit de ces motifs que Mme [V] ne justifiait pas d'un trouble anormal du voisinage.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [V] et la condamne à payer à la société Télédiffusion de France la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour Mme [V].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Madame [P] [V] épouse [I] de sa demande tendant à voir condamner la Société TDF, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 319.683 euros en réparation de son préjudice financier, 10.000 euros en réparation de son préjudice visuel et 10.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE, s'agissant des allégations de Madame [V] sur le "risque sanitaire potentiel" lié à la présence des antennes-relais, il convient de citer quelques extraits des courriels que Madame [V] elle-même adressait aux personnes qui la contactaient pour se renseigner sur la maison alors en vente :

- le 24 décembre 2012 : « l'antenne de Tv a tjs existé. Elle a par contre grossis avec le temps pour les tel. Elle ne peut plus grossir. Elle est sur la hauteur de la colline assez loin tout de même, à env 150m à vol d'oiseau. Un rapport a été fait. Elle est 86 fois moins forte que la limite autorisée et 10000 fois moins puissante que la tour Eiffel qui a pourtant tout autour les appartements les plus recherchés de Paris. Des lotissements un peu haut de gamme ont été faits très récemment au pied de l'antenne sans que ça ne pose aucun pb. Ils se sont vendus tous et relativement vite (certains aux alentours de 600000e sans charme ...) Nous vous montrerons où ils sont car ils sont sur les hauteurs alors que nous sommes plus en contrebas C'est vrai que par contre c'est un peu dommage pour l'esthétisme car comme je vous l'ai dit au tel, c'est le seul défaut de cette maison ... » ;

- le 13 février 2013 : « voilà quelques infos pour l'antenne. La valeur la plus haute des ondes mesurées ds notre maison est de 0,72V/M soit 39 fois inférieur à la valeur limite la plus faible fixée par le décret du 3 mai 2002 (les conclusions sont page 7 du rapport ci-joint). La valeur d'un téléphone portable à un mètre de distance est entre 0,5 - 2 V/M, comme vous pouvez le voir ci-après. Le Wifi est entre 1,1 et 4,9 V/M à 50 cm de distance (ie qd on est sur son ordinateur). Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas plus de risque avec l'antenne qu'avec un téléphone et il y en a même bcp moins qu'avec le wifi. Par ailleurs, comme je vous le disais tout à l'heure, les ondes ne peuvent pas dévaler une pente. La colline nous protège intégralement. Il y a plus d'ondes sur le plateau que chez nous ». (Ces propos ont été tenus à plusieurs personnes intéressées par la maison, les 16 et 18 mars 2013, le 13 avril 2013) ;

que ces propos résument, mieux que ne saurait le faire la Société TDF, la situation sanitaire réelle générée par la présence du pylône litigieux et Madame [V] ne saurait, sans se contredire, affirmer aujourd'hui que cet ouvrage constitue un "risque sanitaire potentiel" ; qu'il suffira de préciser que le rapport réalisé le 27 juillet 2011 par la société Aexperise à la demande de Madame [V] (qu'elle adressait en pièce jointe aux destinataires des courriels précités) a effectivement mis en évidence que le champ électrique total du site TDF était 38,89 fois inférieur au niveau de référence le plus faible, soit 71 % inférieur au seuil légal ; que le juge judiciaire n'a bien évidemment aucune légitimité pour remettre en cause une réglementation (le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002) qui a été arrêtée en fonction des données contemporaines de la science et qui a fixé les seuils intégrant le principe de précaution, lequel ne consiste pas à supprimer tout risque, mais à adopter les mesures proportionnées ; qu'en toute hypothèse, la peur d'être exposé à un risque sanitaire ne constitue pas la preuve de la réalité de ce danger, et Madame [V] ne saurait imputer à la Société TDF la responsabilité du délai qui s'est écoulé pour trouver des acquéreurs et la moins-value qu'elle dit avoir supportée dans le cadre de la vente de sa propriété, étant observé qu'elle l'a finalement vendue au prix de 600 000 euros, ce qui doit être considéré comme son juste prix sur le marché immobilier de la région à cette époque étant observé qu' aucune personne raisonnable n'achèterait un bien situé dans une zone dangereuse fût-ce moyennant une diminution de prix ; qu'en conséquence, en l'absence de preuve d'un trouble anormal du voisinage imputable à la Société TDF, Madame [V] sera déboutée de toutes ses demandes ; que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions ;

1°) ALORS QUE nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; qu'en affirmant, pour décider que Madame [V] ne pouvait se prévaloir utilement d'un trouble anormal de voisinage lié au risque sanitaire potentiel créé par la présence de l'antenne-relais, qu'elle avait adressé, en 2012 et 2013, plusieurs courriels à des acquéreurs potentiels de sa maison, destinés à les rassurer sur les dangers que pouvait représenter la présence d'une telle antenne sur la santé, de sorte qu'elle se contredisait à soutenir devant le juge que l'ouvrage litigieux constituait un risque sanitaire potentiel, bien que les appréciations faites par Madame [V] dans ces courriels, à un instant donné, n'aient pas été de nature à faire obstacle à son action en justice formée ultérieurement, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le principe suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » ;

2°) ALORS QUE nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; que le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage ; qu'en décidant néanmoins que Madame [V] ne pouvait se prévaloir d'aucun trouble anormal de voisinage lié à la crainte d'être exposé à un risque sanitaire en raison de la proximité immédiate de l'antenne-relais, au motif inopérant que le champ électrique total du site, était inférieur au seuil légal, tel qu'il résultait du décret n° 2002-775 du 3 mai 2002, bien que le respect des dispositions légales n'ait pas été de nature à exclure l'existence d'un trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel a violé le principe suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » ;

3°) ALORS QUE nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; que la crainte légitime d'être exposé à un risque sanitaire suffit à caractériser un trouble anormal de voisinage ; qu'en décidant néanmoins que Madame [V] ne pouvait se prévaloir d'aucun trouble anormal de voisinage lié à la crainte d'être exposé à un risque sanitaire en raison de la proximité immédiate de l'antenne-relais, motifs pris que le champ électrique total du site litigieux était largement inférieur au seuil légal, qui intégrait le principe de précaution, et que la peur d'être exposé à un risque ne constituait pas la preuve de la réalité de ce danger, bien que la crainte légitime perçue par l'opinion publique, liée à l'absence de garantie permettant d'exclure un risque sanitaire induit par l'exposition aux ondes électromagnétiques, ait suffit à caractériser un trouble anormal de voisinage, la Cour d'appel a violé le principe suivant lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».ECLI:FR:CCASS:2021:C300797