vendredi 26 novembre 2021

Au rapport 2020 de la Cour de cassation, les commentaires des arrêts importants de la 3ème chambre civile rendus en droit de la construction et de l’assurance construction

 

Au rapport 2020 de la Cour de cassation sont commentés la plupart des arrêts importants de la 3ème chambre civile rendus en droit de la construction et de l’assurance construction.

 

Voici ces commentaires. Les arrêts sont eux-mêmes publiés sur ce blog. Vous les retrouverez par le moteur de recherche

 

Assurance dommages – Assurance dommages-ouvrage – Désordres de nature décennale – Prise en charge par le garant – Recours contre l’assureur dommages-ouvrage – Prescription – Prescription biennale – Délai – Point de départ – Détermination 

 

3e Civ., 13 février 2020, pourvoi no 19-12.281, publié au Bulletin, rapport de M. Nivose et avis de M. Burgaud 

 

Le point de départ du délai de prescription biennale de l’action du garant de livraison, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur dommages-ouvrage, dans le cas de désordres survenus avant réception et de liquidation judiciaire de l’entreprise, est la date de l’événement donnant naissance à l’action, c’est-à-dire celle de l’ouverture de la procédure collective, emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage. 

 

L’arrêt commenté tranche une question inédite : quel est le point de départ du délai de prescription biennale de l’action du garant de livraison, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur dommages-ouvrage quand la garantie de celui-ci est recherchée avant réception et que le constructeur a été mis en liquidation judiciaire? 

 

Deux solutions s’offraient à la troisième chambre civile de la Cour de cassation : 

 

– fixer le point de départ du délai biennal à la date à laquelle les maîtres de l’ouvrage avaient eu connaissance des désordres; 

 

– fixer ce point de départ à la date de l’ouverture de la liquidation judiciaire de l’entreprise, emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage. 

 

Pour accueillir le pourvoi du garant et retenir la seconde solution, la troisième chambre civile cite tout d’abord les deux textes applicables. 

 

D’une part, l’article L. 114-1, alinéa 1, du code des assurances, qui dispose que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. 153 / Arrêts rendus par les chambres Droit immobilier, environnement et urbanisme 

 

D’autre part, l’article L. 242-1 du même code, qui prévoit que l’assurance de dommages-ouvrage prend effet, avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur étant résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations. 

 

Pour les désordres survenus après réception, la jurisprudence décide que l’assuré dispose d’un délai de deux ans à compter de la connaissance qu’il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception pour réclamer l’exécution de la garantie souscrite (1re Civ., 4 mai 1999, pourvoi no 97-13.198, Bull. 1999, I, no 141; 3e Civ., 19 mai 2016, pourvoi no 15-16.688). 

 

L’arrêt commenté souligne que cette doctrine n’est pas applicable avant réception. En effet, dans cette hypothèse, l’événement à l’origine de la mise en œuvre de la garantie n’est pas la survenance des désordres de nature décennale, qui est une condition de la garantie, mais la défaillance de l’entrepreneur qui manque à ses obligations en ne procédant pas à la reprise des désordres, ce qui justifie la résiliation du marché. Cette défaillance constitue l’événement qui donne naissance à l’action contre l’assureur dommages-ouvrage au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances. 

 

Un autre paramètre devait être pris en considération dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté : le constructeur avait été mis en liquidation judiciaire. 

 

La troisième chambre civile rappelle que la Cour de cassation juge qu’il peut être dérogé à l’obligation prévue par l’article L. 242-1 du code des assurances de mettre en demeure l’entrepreneur défaillant, avant réception, lorsque celle-ci s’avère impossible ou inutile en cas de cessation de l’activité de l’entreprise (1re Civ., 23 juin 1998, pourvoi no 95-19.340, Bull. 1998, I, no 222) ou de liquidation judiciaire emportant résiliation de contrat de louage d’ouvrage (1re Civ., 3 mars 1998, pourvoi no 95-10.293, Bull. 1998, I, no 83). 

 

Elle en déduit qu’avant réception, la date d’ouverture de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage, constitue l’événement donnant naissance à l’action du garant de livraison subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage contre l’assureur dommages-ouvrage et, partant, le point de départ du délai de la prescription biennale prévu par l’article L. 114-1 du code des assurances.

 

Commentaire au rapport 2020 de la Cour de cassation :

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes – Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée

3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo

 

En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de cette prescription ne lui profitent pas.

 

Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

 

L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».

 

L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier texte cité.

 

En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de droit commun.

 

En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la réparation de ses préjudices.

 

La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action, soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

 

L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.

 

Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage, fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.

 

Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.

 

Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux. Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?

 

Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil.

 

D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006 (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716, Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le constructeur, qui était initialement de trente ans.

 

Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.

 

La troisième chambre civile écarte, par là même, l’application de l’article 1792-4-3 du code civil et ne transpose pas le délai décennal, même en en aménageant les modalités, à la situation dans laquelle aucune réception n’est intervenue. Elle complète ainsi sa jurisprudence sur les délais de prescription des différentes actions envisageables dans le domaine du droit de la construction. Par deux arrêts du 16 janvier 2020 également publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au Bulletin), elle a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Garantie décennale – Domaine d’application – Élément d’équipement ou construction d’un ouvrage – Caractérisation – Exclusion – Cas – Enduit de façade non destiné à fonctionner 

 

3e Civ., 13 février 2020, pourvoi nº 19-10.249, publié au Bulletin, rapport de M. Pronier et avis de M. Burgaud 

 

Un enduit de façade, qui constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité, ne constitue pas un élément d’équipement, même s’il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. 

 

Procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a retenu, par trois arrêts successifs, publiés au Rapport annuel, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi no 16-19.640, Bull. 2017, III, no 71; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi no 16-17.323, Bull. 2017, III, no 100; 3e  Civ., 26 octobre 2017, pourvoi no 16-18.120, Bull. 2017, III, no 119). 

 

Restait à définir la notion d’élément d’équipement. 

 

C’est à cette question que le présent arrêt répond, à propos d’un enduit de façade, par un double apport doctrinal : 

 

En premier lieu, la Cour de cassation rappelle, en le confirmant, qu’en application de l’article 1792 du code civil, un enduit de façade constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité (3e Civ., 4 avril 2013, pourvoi no 11-25.198, Bull. 2013, III, no 45).

 

 En second lieu, la Cour de cassation énonce qu’un enduit de façade ne constitue pas un élément d’équipement, même s’il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. 

 

Il s’ensuit que des travaux, autres que la construction de l’ouvrage et les éléments d’équipement qui en sont indissociables, ne constituent un élément d’équipement dissociable, au sens de l’article 1792-3 du code civil, que s’ils fonctionnent, ce qui n’est pas le 158 LIVRE 3 / Jurisprudence de la Cour cas des moquettes et tissus (3e  Civ., 30 novembre 2011, pourvoi no 09-70.345, Bull. 2011, III, no 202), de dallages (3e Civ., 13 février 2013, pourvoi no 12-12.016, Bull. 2013, III, no 20) ou d’un carrelage (3e Civ., 11 septembre 2013, pourvoi no 12-19.483, Bull. 2013, III, no 103). 

 

Cette solution s’explique par la garantie de bon fonctionnement applicable aux éléments d’équipement dissociables instituée par l’article 1792-3 du code civil. 

 

La Cour de cassation en déduit que la solution, née du revirement de jurisprudence, n’est pas applicable à un enduit de façade, dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. Sur ce point, la Cour reprend la distinction déjà faite entre la fonction d’étanchéité et la fonction d’imperméabilisation (3e Civ., 9 février 2000, pourvoi no 98-13.931, Bull. 2000, III, no 27).

 

 Cette solution sera étendue à tous les éléments d’équipement dissociables qui ne fonctionnent pas. 

 

Enfin, il est permis de souligner que la nouvelle rédaction des arrêts en style direct permet d’en mieux présenter l’apport doctrinal.

 

Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes – Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée

3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo

 

En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de cette prescription ne lui profitent pas.

 

Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

 

L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».

 

L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier texte cité.

 

En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de droit commun.

 

En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la réparation de ses préjudices.

 

La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action, soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

 

L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.

 

Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage, fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.

 

Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.

 

Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux. Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?

 

Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil.

 

D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006 (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716, Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le constructeur, qui était initialement de trente ans.

 

Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.

 

La troisième chambre civile écarte, par là même, l’application de l’article 1792-4-3 du code civil et ne transpose pas le délai décennal, même en en aménageant les modalités, à la situation dans laquelle aucune réception n’est intervenue. Elle complète ainsi sa jurisprudence sur les délais de prescription des différentes actions envisageables dans le domaine du droit de la construction. Par deux arrêts du 16 janvier 2020 également publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au Bulletin), elle a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.

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