mardi 11 mai 2021

Trouble illicite et pouvoirs du juge des référés

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mai 2021




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 401 F-D

Pourvoi n° A 19-23.145




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021

La société Le pain au Levain, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 19-23.145 contre l'arrêt rendu le 4 septembre 2019 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Norma, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Le pain au Levain, de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de la société Norma, après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 4 septembre 2019), le 31 juillet 1981, la société civile immobilière Lystole (la SCI), propriétaire du centre commercial « [Établissement 1] », a donné à bail un local à une société aux droits de laquelle se trouve la société Le Pain au Levain. L'acte précise que les locaux ont une destination exclusive de « boulangerie, pâtisserie, traiteur, distribution automatique de produits alimentaires et non alimentaires. »

2. Par acte du 24 et 27 novembre 1998, la SCI a donné à bail à la société Norma divers locaux à usage de supermarché au sein du même centre commercial. Ce bail, en son article 3, dispose que « les locaux présentement loués devront servir exclusivement à l'exploitation du commerce de : Alimentation générale et tous commerces, à l'exception de ceux actuellement exploités dans le centre commercial, ainsi que boucherie-charcuterie. »

3. La société Pain au Levain, après avoir fait constater que la société Norma avait installé, en 2017, un four de cuisson pour les produits surgelés qui lui étaient livrés précuits et qu'elle commercialisait diverses viennoiseries et gammes de pain, a assigné en référé la société Norma, en invoquant un trouble manifestement illicite né de la violation par cette société de ses engagements contractuels, aux fins de voir condamner celle-ci à mettre fin à cette activité.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société le Pain au levain fait grief à l'arrêt de retenir l'absence de trouble manifestement illicite et de dire en conséquence n'y avoir lieu à référé, alors « que le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'article 3 du bail commercial liant la SCI Lystole à la société Norma stipulait que « les locaux présentement loués devront servir exclusivement à l'exploitation du commerce de : Alimentation générale et tous commerces, à l'exception de ceux actuellement exploités dans le centre commercial, ainsi que boucherie-charcuterie », que l'article 3 du bail commercial liant la SCI Lystole à la société Le Pain au Levain prévoyait que « les locaux présentement loués sont destinés à l'exploitation de son fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie traiteur distribution automatique de produits alimentaires et non alimentaires, exclusivement » ; que « tant la société Le Pain au Levain que la société Norma exerç[aient] leur activité commerciale au sein du centre commercial « [Établissement 1] » à [Localité 1] » ; qu'il n'était pas contesté que l'activité de boulangerie exercée par la société Le Pain au Levain était antérieure à la conclusion du bail entre les sociétés Lystole et Norma ; qu'il s'en déduisait que la commercialisation de pains et viennoiseries précuits par un fournisseur de produits surgelés, après une nouvelle cuisson sur place au sein de son établissement, constituait une violation manifeste, par la société Norma, de ses obligations contractuelles comme empiétant sur l'activité de boulangerie-pâtisserie de la société Le Pain au Levain ; qu'en jugeant cependant, pour dire n'y avoir lieu à référé, que « le caractère licite ou non de la nouvelle activité exercée par la société Norma échappe à l'appréciation du juge des référés, comme constituant une question de fond devant impérativement être jugée à l'aune notamment des dispositions contractuelles liant respectivement les parties à leur bailleur commun», la cour d'appel a violé l'article 873 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de sa compétence, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

6. Pour rejeter les demandes de la société Le Pain au levain, l'arrêt retient que le caractère licite ou non de la nouvelle activité exercée par la société Norma échappe à l'appréciation du juge des référés, comme constituant une question de fond devant impérativement être jugée à l'aune notamment des dispositions contractuelles liant respectivement les parties à leur bailleur commun, que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'est pas caractérisée dès lors que la société Le Pain au Levain ne se trouve pas privée de la faculté d'exercer sa propre activité commerciale par l'effet de la nouvelle activité de la société Norma qui, selon le chiffre d'affaires que cette société a réalisé, est très marginale.

7. En statuant ainsi, alors que la violation par la société Norma de ses obligations contractuelles était constitutive d'un trouble manifestement illicite qu'il lui appartenait de faire cesser, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Norma aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Norma et la condamne à payer à la société Le Pain au Levain, la somme de 3 500 euros ;

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