jeudi 23 janvier 2025

Variations autour de la réception des travaux sans procès-verbal : tacite ou judiciaire ?

 

Variations autour de la réception des travaux sans  procès-verbal :

tacite ou judiciaire ?

Résumé :

Trois arrêts de septembre 2024 rappellent (entre autres…) que, si la réception tacite suppose l’analyse de manifestations de volonté du maître d'ouvrage, la réception judicaire  s’en affranchit. Mais, dans tous les cas, la Cour de cassation doit être mise en mesure d’exercer son contrôle…

1èr arrêt : cass. civ. 3ème, 19 septembre 2024, n° 22-24.808, FD, rejet de pourvoi formé c/ CA Poitiers, 25 octobre 2022,

2ème arrêt : cass. civ. 3ème, 19 septembre 2024, n° 22-24.871, 23-10.105 et 23-10.965, cassation partielle CA Versailles, 3 octobre 2022.

3ème arrêt : cass. civ. 3ème, 5 septembre 2024, n° 23-18.751, cassation partielle CA Rennes, 30 mars 2023.

Faits et procédure

1èr arrêt (réception tacite) :

En vue de faire construire une maison d'habitation, Mme [R] a confié à la société [R], depuis en liquidation judiciaire, assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), la réalisation de certains travaux, notamment, de gros oeuvre et élévation. Après expertise judiciaire, se plaignant d'un retard dans l'exécution des travaux et de désordres, elle a assigné notamment la société [R] et son liquidateur judiciaire, la société MJO, ainsi que la SMABTP, en réparation de ses préjudices.

 La SMABTP fait grief à l'arrêt d’appel de fixer la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017, alors que la prise de possession de l'ouvrage était contrainte et la volonté de recevoir l'ouvrage équivoque.

Son pourvoi est rejeté car :

« le fait que Mme [R] avait, trois mois après une prise de possession d'un ouvrage en partie inachevé, formulé des réserves auprès de la société [R], tenté d'obtenir la reprise des malfaçons par les entreprises et recherché des solutions d'hébergement alternatives en urgence, ne retirait rien à la réalité de sa prise de possession de l'ouvrage intervenue le 26 juillet 2017, quels qu'en étaient été les motifs, et relevé qu'elle avait alors procédé au paiement de la quasi-totalité du prix du devis signé ainsi que des factures complémentaires de la société [R], la cour d'appel a pu en déduire sa volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage et, par conséquent, l'existence d'une réception tacite à cette date. ».

2ème arrêt (réception judiciaire) :

Le 28 décembre 2009, M. et Mme [N] ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan avec la société Groupe Diogo Fernandes, assurée pour sa responsabilité civile décennale auprès de la société Aviva assurances, aux droits de laquelle vient la société Abeille IARD et santé. Une garantie de livraison à prix et délais convenus a été souscrite auprès de la société HCC International Insurance Company, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Tokio marine Europe. Le 16 mai 2014, la société Groupe Diogo Fernandes a assigné M. et Mme [N] pour que soit prononcée la réception judiciaire et pour que les maîtres de l'ouvrage soient condamnés à lui payer le solde du prix des travaux. La société Tokio marine Europe est intervenue volontairement.

Elle fait grief à l'arrêt d’appel, notamment, de prononcer la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves, de la condamner sous astreinte à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux, de la condamner à payer à M. et Mme [N] la somme de 578 014,21 euros au titre des pénalités de retard de livraison, alors notamment

« que le juge saisi d'une demande en fixation judiciaire de la réception des travaux est tenu de rechercher si les locaux étaient habitables et à quelle date », alors en outre que «  M. et Mme [N] ont obtenu les clés du pavillon afin de faire procéder aux travaux qu'ils s'étaient réservés comme les revêtements intérieurs et la pose de la cuisine, ce qui est un signe de prise de possession de l'ouvrage, en contradiction avec le refus de procéder à sa réception »

Son pourvoi est accueilli car :

« la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

11. Il est jugé que, lorsqu'elle est demandée, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l'ouvrage est en état d'être reçu, c'est-à-dire, pour une maison d'habitation, à la date à laquelle elle est habitable, sans qu'importe la volonté du maître de l'ouvrage de la recevoir (3e Civ., 30 juin 1993, pourvoi n° 91-18.696, Bull. 1993, III, n° 103 ; 3e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-26.090, Bull. 2016, III, n° 159 ; 3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 15-27.802, Bull. 2017, III, n° 112).

12. Pour écarter la date du 9 janvier 2014 proposée par le constructeur et le garant pour la réception judiciaire de l'ouvrage, l'arrêt relève qu'à cette date, les maîtres de l'ouvrage n'avaient pas même été convoqués pour une réception.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un obstacle à la réception judiciaire, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, à la date du 9 janvier 2014, la maison était habitable et, ainsi, en état d'être reçue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. ». 

3ème arrêt (contrôle de la Cour de cassation) :

Mme [I] et M. [O] ont confié à la société Niquel-Legrand, assurée auprès de la société Aviva assurances, devenue Abeille IARD et santé (la société Abeille), des travaux de construction d'une maison. Pour financer ces travaux, les maîtres de l'ouvrage ont souscrit un emprunt auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique Vendée (le Crédit agricole). La société Niquel-Legrand a été placée en liquidation judiciaire avant l'achèvement des travaux. Les maîtres de l'ouvrage ont assigné, notamment, la société Abeille et le Crédit agricole en indemnisation de leurs préjudices.

La société Abeille fait grief à l'arrêt de constater la réception tacite des travaux de l'infrastructure réalisés par la société Niquel-Legrand le 5 mars 2014 et de la condamner en qualité d'assureur décennal de cette société à payer à M. [O] et Mme [I] diverses sommes, alors

« que tout jugement doit être motivé ; que pour retenir l'existence d'une présomption de réception tacite des travaux formant l'infrastructure de l'ouvrage et fixer la date de réception tacite au 5 mars 2014, la cour d'appel retient que ces travaux ont été réglés et « qu'il en a été pris possession par les maîtres de l'ouvrage sans critiques du travail réalisé » ; qu'en statuant par voie de simple affirmation sans préciser les éléments dont elle déduisait l'existence prétendue de cette prise de possession, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile qu'elle a violé. »

Le pourvoi est accueilli au visa de cette disposition, car :

« En statuant ainsi, par une affirmation ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'examen des éléments de preuve qui lui étaient proposés, alors que la société Abeille contestait la prise de possession de l'ouvrage, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. ».

Sens, valeur et portée de ces décisions

1èr arrêt (réception tacite) :

Cet arrêt, disant caractérisée la volonté non équivoque du maître d'ouvrage, se situe dans la ligne d’un arrêt de principe de la même Haute juridiction, en date du 30 janvier 2019[1], énonçant (quoique à propos de la réception tacite d’un seul lot)  que :

·       L’achèvement de la totalité de l’ouvrage n’est pas une condition de la prise de possession et de sa réception,

·       Le paiement de l’intégralité des travaux et leur prise de possession par le maître d'ouvrage valent présomption de réception tacite.

Cette thèse de la réception tacite, maintenue à la lumière la loi de 1978, avait été consacrée par la Cour de cassation le 16 juillet 1987[2], ne faisant ainsi que mettre en œuvre deux notions qu’un raisonnement juridique classique distingue aisément : l’existence d’un acte juridique (la réception) et son mode de preuve en l’absence d’acte écrit, preuve tirée alors de manifestations de volonté non équivoques de son auteur, à savoir en l’espèce : prise de possession et paiement. C’est ce qu’illustre abondamment le 1er arrêt ici commenté, rendu  sur pourvoi d’un assureur, car, si la jurisprudence est abondante en la matière, c’est parce que l’existence d’une réception conditionne l’applicabilité de la police d’assurance de responsabilité décennale de l’entrepreneur.

On retrouve tout cela ces dernières années dans des décisions considérant comme non établie la volonté non équivoque du maître d'ouvrage de recevoir les travaux.

Il en va ainsi dans des arrêts du :

·       16 novembre 2022[3] : non-paiement du prix, désordres constatés par huissier et prise de possession non déterminante,

·       26 octobre 2022[4] : contestation quasi-immédiate de la qualité des travaux, demande d’expertise judiciaire,

·       23 mai 2024[5] : finitions inexécutées et non payées, prise de possession non déterminante,

·       6 juin 2024[6] : refus exprès de réception malgré prise de possession.

En revanche, le caractère tacite de la réception a été retenu les :

·       6 juin 2024[7] : prise de possession et constatation d’achèvement non déterminantes,

·       21 décembre 2023[8] : prise de possession et paiement intégral..

2ème arrêt (réception judiciaire) :

La réception dite « judiciaire » n’est autre qu’une réception provoquée, telle qu’envisagée par l’article 1792-6 du code civil, qui vise manifestement l’hypothèse dans laquelle le maître d'ouvrage refuse de la prononcer amiablement à la date à laquelle l’ouvrage doit être considéré comme en état d’être reçus (habitabilité)[9], à moins qu’existent des malfaçons dont l’importance serait de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou sa destination[10].

Dans un tel contexte, la volonté du maître d'ouvrage de recevoir ne saurait être prise en considération puisque le débat judiciaire nait ici précisément du refus manifeste dudit maître d'ouvrage. Le 2ème arrêt ici commenté le rappelle, en citant trois arrêts antérieurs, tous publiés et rappelant que la volonté du maître d'ouvrage est alors dépourvue d’incidence.

L’assureur par police « dommages-ouvrage » n’étant pas partie au marché ne l’est pas plus à l’égard de la réception. Tout comme le garant, il n’a donc pas qualité pour requérir la fixation judiciaire de la date de réception[11]. Il peut cependant débattre judiciairement de cette question qui conditionne la mise en oeuvre de ses garanties.

3ème arrêt (contrôle de la Cour de cassation) :

Il s’agit ici d’un type de cassation s’attachant plus à la forme du débat qu’au fond de la question posée. Elle est dite classiquement « disciplinaire ». Ainsi ici dans notre arrêt pour un défaut de motivation, par méconnaissance de l’obligation de motivation énoncée par l’article 455 du code de procédure civile. En l’espèce, la Cour de cassation n’avait pu exercer son contrôle sur les éléments de preuve proposés, alors qu’ils étaient contestés, le pourvoi reprochant au juge d’appel d’avoir statué par voie de simple affirmation sans préciser les éléments dont était déduite l’existence d’une prise de possession.

Il en va de même en cas de défaut de réponse à concluions ou aussi pour dénaturation des écritures d’une partie :

« En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur la date de la mise en service de l'installation, dont il était allégué qu'elle était postérieure à la date de la réception tacite de l'ouvrage et sans constater que le défaut de positionnement de l'armature permettait au maître de l'ouvrage d'appréhender toutes ses conséquences sur les parois de la piscine, dont elle avait constaté une détérioration seulement progressive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »[12] .

« En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, la société Enduit plus 63 demandait, à titre principal, le prononcé d'une réception judiciaire, et, à titre subsidiaire, le constat d'une réception tacite, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé les textes susvisés. »[13]  

 [1] N° 18-10.197 et 18-10.699, publié au Bulletin annuel, note F.-X. Ajaccio, A. Caston et R. Porte : « Nouvelle doctrine en matière de réception des travaux », Gaz. Pal. 2019-19, p. 75.

[2] N° 86-11.455, publié.

[3] N°21-21.577

[4] N° 21-22.011

[5] N° 22-22.938.

[6] N° 22-23.557.

[7] N° 22-24.047.

[8] N° 22-15.655.

[9] Cass. civ. 3ème, 30 octobre 1991, n° 90-12.069 ; cass. civ. 3ème, 9 mai 2012,n° 10-21.041 et cass. civ. 3ème, 24 novembre 2016, n° 15-26.090 (entre autres) ; cass. civ. 3ème, 12 octobre 2017, n° 15-27.802 et, plus récemment : cass. civ. 3ème, 22 juin 2023, n° 22-12.816.

[10] Cass. civ. 3ème, 11 janvier 2012, n° 10-26.898.

[11] Cass. civ. 3ème, 23 avril 1997, n° 95-18.318.

[12] Cass. civ. 3ème, 18 janvier 2024, n° 22-22.480.

[13] Cass. civ. 3ème, 15 février 2024, n° 22-19.861.

mardi 21 janvier 2025

Notion d'impropriété de l'ouvrage à sa destination et réparation en nature

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 janvier 2025




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 19 FS-B

Pourvoi n° S 23-17.265




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JANVIER 2025

La société La Dormoise, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-17.265 contre l'arrêt rendu le 28 février 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre civile - 1re section), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Hanau énergies concept, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La société Hanau énergies concept a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Dormoise, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Hanau énergies concept, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 28 février 2023), la société La Dormoise a confié l'installation d'une centrale photovoltaïque en toiture de bâtiment agricole à la société Hanau énergies concept (la société Hanau), assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

2. Se plaignant de désordres, elle a, après expertise, assigné les sociétés Hanau et Axa en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société La Dormoise fait grief à l'arrêt de dire que la société Hanau n'est pas responsable des problèmes de condensation dus à l'absence d'écran sous toiture, et de rejeter sa demande indemnitaire à ce titre et sa demande en garantie à l'encontre de la société Axa, alors « que l'impropriété d'un ouvrage à sa destination doit s'apprécier par référence à la destination convenue entre les parties ; qu'en se contentant de relever, pour écarter la responsabilité décennale de la société Hanau au titre des désordres de condensation affectant la toiture, que les « phénomènes de condensation qui sont dus à l'absence d'écran sous-toiture » « ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination », sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si la condensation affectant ainsi la toiture devant assurer la couverture d'un bâtiment affecté au stockage de grains, ne rendait pas l'ouvrage impropre à sa destination contractuelle dès lors que toute humidité entraîne le pourrissement de ces grains, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

4. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

5. Il est jugé que l'impropriété de l'ouvrage à sa destination s'apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation, telle qu'elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties (3e Civ., 10 octobre 2012, pourvois n° 10-28.309, 10-28.310, publié ; 3e Civ., 4 avril 2013, pourvoi n° 11-25.198, publié ; 3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-15.107, publié).

6. Pour écarter le caractère décennal des désordres de condensation et rejeter la demande d'indemnisation, l'arrêt retient que, si les phénomènes d'infiltration dus à un défaut d'étanchéité causé par le mauvais placement de la parclose rendaient la toiture fuyarde et relevaient de la garantie décennale, les phénomènes de condensation dus à l'absence d'écran sous toiture ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la condensation affectant la toiture d'un bâtiment affecté au stockage de grains ne rendait pas l'ouvrage impropre à sa destination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société La Dormoise fait grief à l'arrêt de condamner la société Hanau à faire poser le kit de réparation pour panneaux photovoltaïques Just Roof dans un délai de trois mois, alors « qu'une réparation en nature d'un désordre ne saurait être imposée à un maître de l'ouvrage ; qu'en condamnant la société Hanau à faire poser le kit de réparation pour panneaux photovoltaïques Just Roof afin de mettre fin aux infiltrations de la toiture, quand la société La Dormoise s'opposait à ce mode de réparation, la cour d'appel a violé les articles 1792 et suivants du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

9. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

10. Il est jugé que l'entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci (3e Civ., 28 septembre 2005, pourvoi n° 04-14.586, publié).

11. Dès lors, le juge du fond ne peut condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l'ouvrage s'y oppose.

12. Pour condamner la société Hanau à faire poser le kit de réparation des panneaux photovoltaïques, l'arrêt retient que doivent être réparés les seuls désordres d'infiltration sous toiture, que la solution tenant à la pose d'un kit de réparation permet de remédier aux infiltrations et que celle-ci constitue une réparation proportionnée et adaptée au dommage sans enrichissement pour le maître de l'ouvrage.

13. En statuant ainsi, alors que la société La Dormoise s'était opposée à la réparation en nature par la société Hanau, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, et sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

14. Par son troisième moyen, pris en sa seconde branche, la société La Dormoise fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en garantie à l'encontre de la société Axa, alors « que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen de cassation, faisant grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Hanau à faire poser le kit de réparation pour panneaux photovoltaïques Just Roof entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté la société La Dormoise de sa demande aux fins de voir la société Axa, assureur de la société Hanau, garantir les conséquences du sinistre aux motifs que « la réparation du dommage n'est pas assurée par l'allocation d'une somme destinée à indemniser le coût des travaux de réfection (remplacement intégral du système) mais s'opère par équivalence, soit la fourniture et la pose d'un kit, cette prestation étant assurée par une autre entreprise que la société Hanau », en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

15. Par son moyen, pris en sa troisième branche, la société Hanau fait grief à l'arrêt de la condamner à faire poser à ses frais le kit de réparation pour panneaux photovoltaïques, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que, si la cassation devait être prononcée sur le fondement du deuxième moyen de cassation dirigé contre le chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné la société Hanau à faire poser le kit de réparation pour panneaux photovoltaïques Just Roof, elle entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif ayant condamné cette société à faire poser ce kit à ses frais, sans garantie de son assureur la société Axa, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

16. Selon ce texte, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

17. La cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société Hanau à faire poser le kit de réparation pour panneaux photovoltaiques Just Roof dans un délai de trois mois de la signification de l'arrêt, s'étend aux chefs de dispositif condamnant la société Hanau à faire poser ce kit à ses frais et rejetant la demande de la société La Dormoise tendant à voir la société Axa, assureur de la société Hanau, garantir les conséquences du sinistre, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Hanau à faire poser à ses frais un kit de réparation et rejetant la demande indemnitaire au titre des désordres de condensation ne s'étend pas au rejet de la demande formée par la société La Dormoise au titre de son préjudice moral, qui n'est pas soutenu par les motifs critiqués par ces moyens.



PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société La Dormoise au titre du préjudice moral, l'arrêt rendu le 28 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne les sociétés Hanau énergies concept et Axa France IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-cinq.ECLI:FR:CCASS:2025:C300019

Les locateurs d'ouvrage ne sont tenus à une responsabilité décennale que pour les désordres imputables aux travaux qu'ils ont réalisés

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 décembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 694 F-D

Pourvoi n° X 23-15.039




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024

La société SMA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° X 23-15.039 contre l'arrêt rendu le 22 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [W] [X], domiciliée [Adresse 7],

2°/ à Mme [P] [N],

3°/ à M. [L] [M],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

4°/ à la compagnie d'assurances Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 5],

5°/ au syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8], [Adresse 3], représenté par syndic la société société Terra groupe, exerçant sous l'enseigne Terra immo, dont le siège est [Adresse 4],

6°/ à la société d'architecture [L] [M] et [P] [N], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],

7°/ à M. [F] [K], domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Mme [N], M. [M], la Mutuelle des architectes français et la société d'architecture [L] [M] et [P] [N] ont formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Le syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8] a également formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Mme [N], M. [M], la Mutuelle des architectes français et la société d'architecture [L] [M] et [P] [N] invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Le syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8] invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMA, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [N], de M. [M], de la compagnie d'assurances Mutuelle des architectes français et de la société d'architecture [L] [M] et [P] [N], de la SARL Gury & Maitre, avocat du syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8], et l'avis de Mme Delpey-Corbaux, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société SMA du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [X].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris , 22 février 2023), la société civile immobilière du Domaine de la ferme de [Localité 8] (la SCI), ayant pour associés M. [K] et Mme [X], assurée par la société Sagena, désormais société SMA, a entrepris la rénovation et la transformation d'un ancien haras en logements commercialisés dans le cadre de ventes en l'état futur d'achèvement.

3. Sont intervenues à l'opération :
- la société civile professionnelle d'architecture [L] [M] et [P] [N] (la société d'architectes), désormais en liquidation amiable, assurée par la Mutuelle des architectes français (la MAF), en charge d'une mission de maîtrise d'oeuvre,
- la société Carrelage de la Lys (la société CDL), assurée par la société SMA, en qualité d'entreprise principale.

4. Les livraisons sont intervenues entre mai 2004 et juin 2005.

5. La SCI a été dissoute à effet du 30 septembre 2006, M. [K] étant désigné en qualité de liquidateur amiable, puis radiée du registre du commerce et des sociétés (RCS) le 5 décembre suivant.

6. Invoquant des désordres affectant notamment la zinguerie et la couverture et le défaut de production d'un dossier de récolement, le syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8] (le syndicat des copropriétaires), après expertise, a, par actes des 4 et 10 janvier 2013, assigné M. [K], Mme [X], la société d'architectes, Mme [N], M. [M], la MAF, et la société SMA, en ses qualités d'assureur dommages-ouvrage, d'assureur de la SCI et de la société CDL, en indemnisation de son préjudice.

Recevabilité du pourvoi provoqué du syndicat des copropriétaires examinée d'office

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 16 du code de procédure civile, il est fait application des articles 528, 550, 612 et 614 du code de procédure civile

8. Il est jugé, sur le fondement des trois derniers textes, qu'est irrecevable le pourvoi incident qui critique un chef de l'arrêt attaqué n'intéressant qu'un codéfendeur au pourvoi principal dès lors qu'il a été formé, après expiration du délai pour agir à titre principal, postérieurement au désistement partiel du demandeur au pourvoi principal, en ce qu'il était dirigé à l'encontre de ce codéfendeur (2e Civ., 16 février 2023, pourvoi n° 20-23.241).

9. Aux termes du premier de ces textes, le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement. Le délai court même à l'encontre de celui qui notifie.

10. En l'espèce, le syndicat des copropriétaires, qui a signifié l'arrêt attaqué à la société SMA le 27 mars 2023, a formé, le 23 octobre 2023, un pourvoi provoqué reprochant à l'arrêt attaqué de le déclarer irrecevable en son action dirigée contre Mme [X].

11. Formé alors que, le 22 août 2023, la SMA s'était partiellement désistée, de son pourvoi principal, en ce qu'il était dirigé à l'encontre de Mme [X], après l'expiration du délai pour agir à titre principal, ce pourvoi provoqué est, par conséquent, irrecevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal de la société SMA, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. La société SMA fait grief à l'arrêt de dire que la responsabilité de la SCI était engagée au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil pour les désordres affectant la toiture, de la condamner in solidum avec M. [K] en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, M. [M], Mme [N] et la MAF, à payer au syndicat des copropriétaires diverses sommes au titre du traitement des charpentes et de la révision de la couverture, des honoraires de maîtrise d'oeuvre, des frais d'assistance à la sécurisation lors de l'expertise et au titre du financement des travaux durant l'expertise autorisés par l'expert et financés par le syndicat des copropriétaires, et de dire qu'elle devait sa garantie à M. [K], pris en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, dans les limites de la police constructeur non réalisateur souscrite par celle-ci, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que, dans ses conclusions, après avoir relevé que « le piteux état général, [montrait] que sauf quelques interventions ponctuelles, la charpente et les chevrons [n'avaient] reçu aucun traitement et que la couverture [n'avait] pas été révisée », le syndicat des copropriétaires a énoncé que « l'expert [mettait] en exergue la responsabilité de la SCI au titre de sa responsabilité contractuelle de droit commun » ; qu'en retenant cependant que la responsabilité de la SCI était engagée à son égard sur le fondement de l'article 1792 du code civil pour les désordres affectant la toiture, et en condamnant la SMA, en sa qualité d'assureur CNR, à garantir la SCI de ce chef, quand le syndicat des copropriétaires formulait exclusivement ses demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle de la SCI assurée, en l'absence de réalisation des travaux convenus, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Les conclusions du syndicat des copropriétaires évoquant les fondements de la responsabilité contractuelle de droit commun, de la responsabilité délictuelle et de la responsabilité décennale des constructeurs, c'est sans méconnaître l'objet du litige que la cour d'appel a retenu que la responsabilité de la SCI était engagée, s'agissant des désordres affectant la toiture, au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil et que la société SMA lui devait sa garantie.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais, sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société SMA et sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi provoqué de Mme [N], M. [M], la MAF et la société d'architectes, rédigés en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

15. Par son premier moyen, pris en sa seconde branche, la société SMA fait grief à l'arrêt de dire que la responsabilité de la SCI était engagée au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil pour les désordres affectant la toiture, de la condamner in solidum avec M. [K], en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, M. [M], Mme [N] et la MAF à payer au syndicat des copropriétaires diverses sommes avec actualisation au titre du traitement des charpentes et de la révision de la couverture, des honoraires de maîtrise d'oeuvre, des frais d'assistance à la sécurisation lors de l'expertise et au titre du financement des travaux durant l'expertise autorisés par l'expert et financés par le syndicat des copropriétaires et de dire qu'elle devait sa garantie à M. [K], pris en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, dans les limites de la police constructeur non réalisateur souscrite par la SCI, alors « que la garantie décennale d'un constructeur ne peut pas être mise en oeuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention ; que, pour dire que la responsabilité décennale de la SCI était engagée s'agissant des désordres affectant la toiture, et corrélativement retenir la garantie de la SMA, en sa qualité d'assureur CNR, la cour d'appel a affirmé que « des désordres généralisés [affectaient] la couverture, la charpente et la zinguerie qui [étaient] à l'origine de nombreuses infiltrations dont les sondages réalisés [avaient] permis d'établir l'ampleur dans le délai décennal rendant indiscutablement l'immeuble impropre à sa destination » ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que les travaux de révision de la toiture, promis par la SCI venderesse aux acquéreurs, n'avaient pas été commandés à l'entreprise de travaux et n'avaient donc jamais été réalisés, ce dont il résultait que les désordres, qui affectaient exclusivement la toiture préexistante de l'ouvrage, ne pouvaient engager la responsabilité décennale de la SCI, en l'absence de tous travaux réalisés, ni mobiliser, consécutivement, la garantie de la SMA, en sa qualité d'assureur CNR de cette dernière, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et elle a violé l'article 1792 du code civil. »

16. Par son second moyen, pris en sa première branche, la société SMA fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec M. [K], en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, M. [M], Mme [N] et la MAF, à payer au syndicat des copropriétaires diverses sommes avec actualisation au titre du traitement des charpentes et de la révision de la couverture, des honoraires de maîtrise d'oeuvre, des frais d'assistance à la sécurisation lors de l'expertise, du financement des travaux durant l'expertise autorisés par l'expert et financés par le syndicat des copropriétaires, alors « que la garantie décennale d'un constructeur ne peut pas être mise en oeuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention ; que, pour condamner la société SMA, en qualité d'assureur de responsabilité décennale de la société CDL à indemniser le syndicat des copropriétaires au titre des désordres affectant la toiture, la cour d'appel a affirmé que « des désordres généralisés [affectaient] la couverture, la charpente et la zinguerie qui [étaient] à l'origine de nombreuses infiltrations dont les sondages réalisés [avaient] permis d'établir l'ampleur dans le délai décennal rendant indiscutablement l'immeuble impropre à sa destination » et que « ces désordres affectant la toiture [relevaient], aux visas des textes précités, de la garantie obligatoire due par le constructeur [?] l'entreprise titulaire de tous les corps d'état la société CDL »; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que les travaux de révision de la toiture, promis par la SCI venderesse aux acquéreurs, n'avaient pas été commandés à l'entreprise de travaux et n'avaient donc jamais été réalisés, ce dont il résultait que les désordres, qui affectaient exclusivement la toiture préexistante de l'ouvrage, ne pouvaient engager la responsabilité décennale de la société CDL, ni mobiliser, consécutivement, la garantie de la société SMA, en sa qualité d'assureur de responsabilité décennale de cette société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et elle a violé l'article 1792 du code civil. »

17. Par leur moyen, pris en sa première branche, Mme [N], M. [M] et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec M. [K], en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, et la société SMA, à payer au syndicat des copropriétaires diverses sommes au titre du traitement des charpentes et de la révision de la couverture, des honoraires de maîtrise, des frais d'assistance à la sécurisation lors de l'expertise, du financement des travaux durant l'expertise autorisés par l'expert et financés par le syndicat des copropriétaires, alors « que la garantie décennale d'un constructeur ne peut pas être mise en oeuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention ; que pour condamner Mme [N], M. [M] et la MAF à indemniser le syndicat des copropriétaires au titre des désordres affectant la toiture, la cour d'appel a affirmé que « des désordres généralisés [affectaient] la couverture, la charpente et la zinguerie qui [étaient] à l'origine de nombreuses infiltrations dont les sondages réalisés [avaient] permis d'établir l'ampleur dans le délai décennal rendant indiscutablement l'immeuble impropre à sa destination » et que « ces désordres affectant la toiture [relevaient], aux visas des textes précités, de la garantie obligatoire due par [?] l'architecte » ; qu'elle a également constaté que l'expert avait relevé l'absence complète d'intervention depuis très longtemps sur la toiture et que « le piteux état général montre que sauf quelques interventions ponctuelles, la charpente et les chevrons n'ont reçu aucun traitement et que la couverture n'a pas été révisée ce qui est confirmé selon lui par le faible montant des travaux prévus au devis de la société CDL » ; qu'enfin, la cour a reproché à l'architecte de ne pas avoir justifié avoir « alerté le maître d'ouvrage sur la distorsion relevée par l'expert entre le devis de révision de la toiture établi par la société CDL, très faiblement chiffré, et l'ampleur des travaux prévus dans la notice descriptive » et de n'avoir pas mis en garde le maître d'ouvrage « sur l'insuffisance des travaux prévus au devis au regard des engagements contractualisés par la notice descriptive dont l'architecte avait la direction de l'exécution » ; qu'il en résultait que les désordres, qui affectaient la toiture préexistante de l'ouvrage, ne pouvaient engager la responsabilité décennale de l'architecte chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre en vue de la rénovation et de la transformation de l'immeuble ; que dès lors, en condamnant les exposants à réparer les désordres affectant la toiture sur le fondement de la garantie décennale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1646-1 et 1792 du code civil :

18. En application de ces textes, les locateurs d'ouvrage et le vendeur d'immeuble à construire ne sont tenus à une responsabilité de plein droit à raison des désordres à l'ouvrage de nature décennale que si ceux-ci sont imputables aux travaux qu'ils ont réalisés ou fait réaliser.

19. Pour retenir la responsabilité décennale de la SCI, de la société d'architectes et de la société CDL au titre des désordres affectant la toiture et condamner, en conséquence, in solidum, la société SMA, M. [M], Mme [N] et la société MAF à payer diverses sommes au syndicat des copropriétaires à titre d'indemnisation, l'arrêt relève que l'expert conclut que le piteux état général de la toiture montre que, sauf quelques interventions ponctuelles, la charpente et les chevrons n'ont reçu aucun traitement et que la couverture n'a pas été révisée, ce que confirme le faible montant des travaux prévu au devis de la société CDL, et retient qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que des désordres généralisés affectant ces parties de l'ouvrage, à l'origine de nombreuses infiltrations dans le délai décennal, rendent indiscutablement l'immeuble impropre à sa destination.

20. En se déterminant ainsi, après avoir relevé que la toiture n'avait pas été révisée, hors quelques interventions ponctuelles, sans rechercher si le désordre d'infiltrations généralisé avait été causé ou aggravé par celles-ci ou était imputable à l'ouvrage existant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen du pourvoi provoqué de Mme [N], M. [M], la MAF et la société d'architectes

Enoncé du moyen

21. Mme [N], M. [M] et la MAF font grief à l'arrêt de dire que leur responsabilité est engagée, in solidum avec M. [K], associé liquidateur de la SCI à raison de la non-communication des plans de récolement, et de les condamner, en conséquence, in solidum à régler au syndicat des copropriétaires une certaine somme, alors « que les exposants faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, que le dossier de récolement devait être transmis au syndicat des copropriétaires une fois les travaux achevés et que la mission de la société d'architecture [M] et [N] ayant pris fin lors de la liquidation judiciaire de la SCI, elle n'avait pu fournir à l'expert judiciaire de documents sur la période postérieure à l'achèvement de sa mission, notamment les plans de récolement, de sorte que sa responsabilité ne pouvait être engagée ; qu'après avoir relevé que l'absence de communication des plans de récolement était de nature à engager la responsabilité de l'architecte, sauf à rapporter la preuve que le terme prématuré de sa mission par le maître de l'ouvrage l'a placé dans l'impossibilité d'exécuter son obligation, « ce point étant examiné plus bas », la cour d'appel a jugé que l'absence de communication des plans de récolement engageait la responsabilité de l'architecte ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si l'architecte n'était pas dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de fournir en fin de travaux le dossier de récolement, sa mission ayant pris fin antérieurement à la fin des travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

22. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

23. Pour infirmer le jugement et dire que la responsabilité de M. [M], de Mme [N] et de la MAF est engagée à raison de la non-communication des
plans de récolement et les condamner, en conséquence, à régler au syndicat des copropriétaires une certaine somme, l'arrêt retient que le dossier de récolement n'a pas été fourni par l'architecte, alors que la notice descriptive des prestations prévues par la SCI prévoyait notamment les canalisations sous dallage, les branchements aux égouts et le raccordement sur le réseau à créer.

24. Il ajoute que, compte tenu de la mission dévolue à l'architecte, qui comporte le visa des plans d'exécution, celui-ci a contracté l'obligation de fournir en fin de travaux le dossier de récolement et que cette absence de communication est de nature à engager sa responsabilité, sauf à rapporter la preuve que le terme prématuré mis à sa mission par le maître de l'ouvrage l'a placé dans l'impossibilité d'exécuter son obligation, « ce point étant examiné plus bas ».

25. En se déterminant ainsi, sans procéder à l'examen annoncé ni répondre aux conclusions de M. [M], de Mme [N] et de la MAF qui, faisant valoir que la liquidation de la SCI avait mis fin au contrat de maîtrise d'oeuvre la liant à la société d'architectes, une nouvelle SCI Domaine de la ferme des haras de [Localité 8], qui avait pris en charge l'achèvement des travaux, ayant désigné un nouveau maître d'oeuvre, soutenaient qu'aucun manquement ne pouvait être relevé à leur encontre susceptible d'engager leur responsabilité au titre des plans de récolement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

26. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt disant que la responsabilité de la SCI était engagée au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil pour les désordres affectant la toiture, et condamnant in solidum la société SMA, en sa qualité d'assureur de celle-ci et de la société CDL, M. [M], Mme [N] et la MAF à payer diverses sommes au syndicat des copropriétaires au titre du désordre d'infiltrations de la toiture entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant M. [K], en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires au titre de ce même désordre, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

27. La cassation du chef de l'arrêt condamnant M. [M], Mme [N] , sous la charge définitive de la société MAF, à régler au syndicat des copropriétaires une certaine somme au titre du défaut de production des plans de récolement des réseaux n'atteint pas le chef de l'arrêt condamnant M. [K], en sa qualité d'associé liquidateur de la SCI, au titre de ce même défaut, qui ne s'y rattache pas par un lien de dépendance nécessaire.

28. Elle n'atteint pas les chefs de l'arrêt concernant les frais irrépétibles et les dépens, qui ne s'y rattachent pas par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et du pourvoi provoqué de Mme [N], M. [M], la MAF et de la société d'architectes, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi provoqué du syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8] ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la responsabilité de la société civile immobilière du Domaine de la ferme de [Localité 8], représentée par son syndic en exercice, est engagée au titre des dispositions de l'article 1792 du code civil pour les désordres affectant la toiture, il condamne in solidum M. [K], pris en sa qualité d'associé liquidateur de la société civile immobilière du Domaine de la ferme de [Localité 8], la société SMA, M. [M], Mme [N] et la Mutuelle des architectes français à payer au syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8], diverses sommes, avec indexation, au titre du traitement des charpentes et de la révision de la couverture, des honoraires de maîtrise, des frais d'assistance à la sécurisation lors de l'expertise et du financement des travaux durant l'expertise, il dit que la société SMA doit sa garantie à M. [K], pris en sa qualité d'associé liquidateur de la société civile immobilière du Domaine de la ferme de [Localité 8], dans les limites de la police constructeur non réalisateur contrat n° 81996/B souscrite par cette société, il dit que la responsabilité de M. [M], Mme [N] et la Mutuelle des architectes français est engagée à raison de la non-communication des plans de récolement et les condamne de ce chef, in solidum avec M. [K], pris en sa qualité d'associé liquidateur de la société civile immobilière du Domaine de la ferme de [Localité 8], à payer une certaine somme au syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8] ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme [X], M. [K] et le syndicat des copropriétaires du Domaine de la ferme des haras de [Localité 8], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300694