mercredi 24 septembre 2025

Aucune diligence particulière n'avait été mise à la charge des parties, la péremption n'était donc pas encourue

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 septembre 2025




Cassation


Mme MARTINEL, présidente



Arrêt n° 833 F-B

Pourvoi n° B 23-14.491




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 SEPTEMBRE 2025

La caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-14.491 contre l'arrêt rendu le 10 février 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société Novandie, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseillère référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Novandie, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 juin 2025 où étaient présentes Mme Martinel, présidente, Mme Techer, conseillère référendaire rapporteure, Mme Durin-Karsenty, conseillère doyenne, et Mme Sara, greffière de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 février 2023), le 2 octobre 2017, M. [Y], salarié de la société Novandie, a été victime d'un accident de travail, qui a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir (la caisse), au titre de la législation des risques professionnels.

2. Le 23 février 2018, l'employeur a contesté la décision de prise en charge devant la commission de recours amiable de la caisse.

3. En l'absence de réponse, il a saisi, le 14 novembre 2018, un tribunal des affaires de sécurité sociale en contestation de la décision implicite de rejet.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer bien fondé le moyen tiré de la péremption de l'instance et de constater que l'instance est périmée, alors « que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que lorsque la procédure est sans représentation obligatoire, le greffe avise l'intimé de l'appel, lui adresse une copie de la déclaration d'appel, l'informe qu'elle sera ultérieurement convoquée devant la cour, puis convoque le défendeur à l'audience prévue pour les débats, dès sa fixation et quinze jours au moins à l'avance ; que la procédure étant orale et la convocation étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l'accélérer ; qu'en retenant dès lors que la caisse ayant interjeté appel le 13 juillet 2020, les parties devaient accomplir une diligence de nature à manifester leur volonté de poursuivre l'instance, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la CEDH. »

Réponse de la Cour

5. Vu les articles 386, 446-1, 932, 936 et 937 du code de procédure civile :

6. Selon le premier de ces textes, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

7. Selon le troisième, dans la procédure sans représentation obligatoire, l'appel est formé par une déclaration que la partie ou tout mandataire fait ou adresse, par pli recommandé, au greffe de la cour d'appel.

8. Aux termes du quatrième, dès l'accomplissement des formalités par l'appelant, le greffe avise, par tous moyens, la partie adverse de l'appel, lui adresse une copie de la déclaration d'appel et l'informe qu'elle sera ultérieurement convoquée devant la cour.

9. Aux termes du dernier, le greffier de la cour convoque le défendeur à l'audience prévue pour les débats, dès sa fixation et quinze jours au moins à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le demandeur est avisé par tous moyens des lieu, jour et heure de l'audience. La convocation vaut citation.

10. Par ailleurs, selon le deuxième des textes susvisés, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit. Les observations des parties sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal.

11. Il résulte de ce texte qu'en procédure orale, hors le cas où le juge organise les échanges entre les parties conformément à l'article 446-2 du code de procédure civile, les parties ne sont pas tenues d'échanger des conclusions avant l'audience des débats.

12. Il découle de l'ensemble de ces textes qu'une fois que les parties ont rempli les formalités prévues à l'article 932 du code de procédure civile, et à moins qu'elles ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la cour d'appel, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, plus de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe.

13. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.

14. Pour constater la péremption de l'instance, l'arrêt énonce que, si en procédure orale, les parties n'ont pas l'obligation de conclure, il leur appartient à tout le moins, si elles n'entendent pas le faire, de manifester leur intention de poursuivre l'instance en demandant la fixation de l'affaire à une audience, quelles que soient les chances de succès d'une telle demande, et, si au contraire elles entendent conclure, de le faire en temps voulu. Il retient que, la caisse ayant interjeté appel le 13 juillet 2020, les parties devaient accomplir une diligence avant le 13 juillet 2022. Il ajoute que la caisse a adressé ses premières conclusions le 4 novembre 2022 et que l'employeur a conclu le 9 décembre 2022 et n'a pas sollicité la fixation de l'affaire, laquelle a été fixée par le greffe au-delà du délai de deux ans par convocation du 6 septembre 2022. Il en déduit que l'instance est périmée, faute de diligence accomplie avant le 13 juillet 2022 et à défaut de fixation de l'affaire dans ce délai.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'aucune diligence particulière n'avait été mise à la charge des parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne la société Novandie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Novandie et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le onze septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200833

La déclaration d'appel énumérait des chefs de dispositif du jugement critiqués, la cour d'appel ne pouvait donc constater l'absence d'effet dévolutif

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

EO1



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 septembre 2025




Cassation


Mme DURIN-KARSENTY, conseillère doyenne
faisant fonction de présidente



Arrêt n° 809 F-D

Pourvoi n° Z 24-14.309

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 février 2024.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 SEPTEMBRE 2025

M. [D] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 24-14.309 contre l'arrêt rendu le 29 mars 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-4), dans le litige l'opposant à M. [E] [O], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseillère référendaire, les observations de Me Bardoul, avocat de M. [T], de la SCP Duhamel, avocat de M. [O], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 juin 2025 où étaient présents Mme Durin-Karsenty, conseillère doyenne faisant fonction de présidente, Mme Bohnert, conseillère référendaire rapporteure, M. Delbano, conseiller, et Mme Gratian, greffière de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 mars 2023), M. [T] a, par déclaration du 7 janvier 2022, relevé appel d'un jugement d'un tribunal judiciaire ayant statué sur le litige l'opposant à M. [O].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [T] fait grief à l'arrêt de juger dépourvue d'effet dévolutif la déclaration d'appel formée par lui le 7 janvier 2022 à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grasse le 12 juillet 2021, alors « qu'aucune disposition n'exige que la déclaration d'appel mentionne qu'il est demandé l'annulation ou l'infirmation du jugement ; que l'effet dévolutif peut opérer même en l'absence d'une telle précision ; qu'en jugeant dès lors qu'il y avait lieu de dire que la déclaration d'appel n'avait pas opéré d'effet dévolutif au motif que la déclaration d'appel ne précisait pas s'il était demandé la réformation, l'infirmation ou l'annulation de la décision attaquée, la cour d'appel, qui a retenu, à tort, que l'appelant est tenu d'indiquer dans la déclaration d'appel que ce dernier tend à l'infirmation ou l'annulation du jugement pour que l'effet dévolutif opère, a violé les articles 562 et 901 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 901, 4°, et 562 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

3. En application du premier de ces textes, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à la nullité du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

4. En application du second, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

5. Aucun de ces textes ni aucune autre disposition n'exige que la déclaration d'appel mentionne, s'agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu'il en est demandé l'infirmation.

6. Pour juger la déclaration d'appel dépourvue d'effet dévolutif, l'arrêt retient
que la déclaration d'appel, qui énumère les chefs du jugement critiqués, ne précise toutefois pas s'il est demandé la réformation ou l'infirmation ou l'annulation de la décision attaquée, et que si la portée est définie en listant les chefs visés, en revanche l'objet de l'appel n'est pas précisé, de sorte la cour n'est saisie d'aucun litige et ne peut se prononcer que dans la limite de sa dévolution.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la déclaration d'appel énumérait des chefs de dispositif du jugement critiqués, la cour d'appel, qui ne pouvait constater l'absence d'effet dévolutif, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le onze septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200809

L'article 1147 (responsabilité contractuelle) est un moyen subsidiaire de l'article 1792 (responsabilité décennale) et non une prétention nouvelle

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CH10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 septembre 2025




Rejet


Mme MARTINEL, présidente



Arrêt n° 820 F-D

Pourvoi n° J 22-24.269




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 SEPTEMBRE 2025

La société Périgord génie civil, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° J 22-24.269 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [G] [F], épouse [J], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à M. [E] [J], domicilié [Adresse 2], Mexique,

3°/ à la société Smabtp, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Mme [J] et M. [J] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principale invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseillère, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Périgord génie civil, de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [J] et M. [J], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 juin 2025 où étaient présentes Mme Martinel, présidente, Mme Grandemange, conseillère rapporteure, Mme Durin-Karsenty, conseillère doyenne, et Mme Sara, greffière de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2022), M. [J], propriétaire d'une maison d'habitation occupée par sa mère Mme [J] (les consorts [J]), a confié la réalisation de travaux à la société Périgord génie civil (la société).

2. Le 6 juin 2013, les consorts [J] ont assigné la société en responsabilité et indemnisation des préjudices subis. La société a appelé en cause la SMABTP en sa qualité d'assureur décennal.

3. Le 30 novembre 2018, les consorts [J] ont relevé appel de deux jugements ayant notamment ordonné une expertise et les ayant déboutés de l'intégralité de leurs prétentions à l'encontre de la société Périgord génie civil et de la compagnie SMABTP à défaut de réception tacite des travaux.

Examen du moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux consorts [J] des sommes au titre de la démolition et de la reconstruction du garage, des mesures réparatoires du mur de soutènement, du préjudice de jouissance, alors « que nul ne peut se prévaloir en appel d'un moyen auquel il a expressément renoncé devant les premiers juges ; que pour examiner la demande des consorts [J] fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de la société Périgord génie civil et y faire droit, l'arrêt, après avoir rappelé que dans leurs dernières conclusions devant le tribunal de grande instance de Périgueux du 9 février 2018 les consorts [J] ne fondaient leurs demandes que sur la responsabilité décennale de la SARL Périgord génie civil, le tribunal n'étant tenu de répondre que sur ce moyen par application de l'article 753 du code de procédure civile, retient qu'en formant les mêmes demandes à titre subsidiaire devant la cour sur le fondement de l'article 1147 du code civil (?) les consorts [J] développent un moyen nouveau mais non un prétention nouvelle, seule interdite par l'article 564 du code de procédure civile, l'article 565 précisant que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent et qu'il ne peut être considéré que les consorts [J] qui sont réputés avoir abandonné le moyen tiré de la responsabilité contractuelle par application de l'article 753 du code de procédure civile ont violé le principe de concentration des moyens par l'utilisation d'un fondement juridique nouveau en appel, celui-ci étant expressément admis par l'article 565 du code de procédure civile ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que dans leurs dernières conclusions devant le tribunal de grande instance de Périgueux du 9 février 2018 les consorts [J] ne fondaient leurs demandes que sur la responsabilité décennale de la SARL Périgord Génie Civil et qu'ils étaient ainsi réputés avoir abandonné le moyen tiré de la responsabilité contractuelle par application de l'article 753 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé l'article 563 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article 563 du code de procédure civile, que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, sauf renonciation expresse devant les premiers juges.

6. La seule circonstance qu'un moyen invoqué par une partie dans des conclusions ait été omis dans ses dernières conclusions devant les premiers juges, ne suffit pas à caractériser une renonciation expresse à s'en prévaloir devant la cour d'appel.

7. Après avoir retenu qu'en l'absence de réception des travaux, la garantie décennale ne pouvait être mise en oeuvre, l'arrêt constate que dans leurs dernières conclusions devant le tribunal de grande instance, les consorts [J] ne fondaient leurs demandes que sur la responsabilité décennale de la société. Il relève qu'ils étaient réputés avoir abandonné le moyen tiré de la responsabilité contractuelle par application de l'article 753 du code de procédure civile.

8. Il ajoute que les consorts [J], en formant les mêmes demandes à titre subsidiaire devant la cour d'appel sur le fondement de l'article 1147 du civil, dans sa rédaction applicable, développent un moyen nouveau mais non une prétention nouvelle et que l'utilisation d'un fondement juridique nouveau en appel, expressément admise par l'article 565 du code de procédure civile, ne contrevient pas au principe de concentration des moyens.

9. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement déduit
qu'elle devait examiner la demande des consorts [J], présentée devant elle sur le fondement du moyen pris de la responsabilité contractuelle de droit commun.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

Condamne la société Périgord génie civil aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Périgord génie civil et la condamne à payer à Mme [J] et M. [J] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le onze septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200820

Assurance - devoir de conseil - plafond de garantie

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CH10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 18 septembre 2025




Cassation partielle


Mme MARTINEL, présidente



Arrêt n° 838 F-B

Pourvoi n° V 24-10.165




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2025

La CNA insurance company Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 24-10.165 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2023 par la cour d'appel de Nancy (première chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [T] [O]-[F], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à la société [X] [C], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brouzes, conseillère référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la CNA insurance company Europe, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [X] [C], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2025 où étaient présentes Mme Martinel, présidente, Mme Brouzes, conseillère référendaire rapporteure, Mme Isola, conseillère doyenne, et Mme Cathala, greffière de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 septembre 2023), le 5 octobre 2011, la
société [X] [C] a acquis par l'intermédiaire de Mme [O]-[F] (Mme [F]), conseiller en gestion de patrimoine, suivant convention dénommée « Amadeus », une collection de manuscrits auprès de la société Aristophil au prix de 500 000 euros et conclu avec cette société une convention de garde et de conservation de cette collection pour une durée de cinq années.

2. Les 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.

3. Après avoir obtenu la restitution des oeuvres et manuscrits dont la valeur fut estimée à dire d'expert entre 42 700 et 58 500 euros, la société [X] [C] les a vendus aux enchères publiques au prix de 40 200 euros.

4. Reprochant à Mme [F] un manquement à son obligation d'information et de conseil, la société [X] [C] a assigné celle-ci ainsi que son assureur, la société CNA Insurance Company Limited (l'assureur), en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

5. La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillou, conseiller, M. Calloch, conseiller rapporteur, et Mme Sezer, greffier de chambre.

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

7. La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillou, conseiller, M. Calloch, conseiller rapporteur, et Mme Sezer, greffier de chambre.

Enoncé du moyen

8. L'assureur fait grief à l'arrêt de condamner Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi et, en conséquence, de le condamner à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, alors :

« 1°/ que le conseil en gestion de patrimoine est tenu d'une obligation d'information, de conseil et de mise en garde à l'égard de son client, qui ne peut toutefois porter sur des risques inexistants et imprévisibles au moment de la conclusion du contrat ; qu'en condamnant Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi, motifs pris qu'« en tant que professionnelle, Mme [F] n'a pas effectué les vérifications qui s'imposaient quant à la fiabilité du produit conseillé à la société [X] [C], sur la pertinence du rendement garanti du 8% à l'issue de cinq ans de contrat de garde », qu'« il y a lieu de se référer aux avis succincts certes mais clairs de l'AMF dès 2003 puis 2007 (pièces 11-1 b et c), en ce qu'ils engageraient les acteurs financiers, investisseurs et partant leurs conseillers en gestion de patrimoine, de garder la plus grande prudence par rapport aux produits Aristophil ainsi qu'aux sociétés les commercialisant », sans prendre en compte, comme il lui était demandé, la circonstance que les communiqués de l'AMF avaient été aussitôt retirés de son site internet et n'étaient plus accessibles lors de la souscription et, qu'à la date de la souscription du contrat, il n'existait aucune information sur un manque de fiabilité du produit Aristophil, lequel s'est révélé ultérieurement avec la découverte de la fraude et qui était imprévisible au moment de la souscription du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, devenu 1231-1 du même code ;

2°/ que la remise de documents contractuels ou commerciaux clairs et précis dans l'exposé des risques encourus constitue une information des risques de nature à mettre en garde le client ; qu'en condamnant Mme [F] à payer à la société [X] [C] la somme de 360 375 euros en indemnisation du préjudice subi, motifs pris qu'en retenant que « la seule information tenant à l'absence de sécurité de tout rendement du fait du caractère hypothétique du rachat in fine des biens acquis lui incombait ; or elle ne déclare pas avoir attiré l'attention de l'appelante sur ce point, tel qu'elle y était contrainte par ses obligations professionnelles et déontologiques », sans prendre en compte, comme il lui était demandé, la circonstance que les documents contractuels, « lus et approuvés » par la société [X] [C], mentionnaient clairement l'absence de garantie de rachat impliquant celle d'un aléa et d'un risque important de perte en capital, que l'investisseur ne pouvait ignorer eu égard au taux de rendement exceptionnel proposé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ».

Réponse de la Cour

9. Après avoir relevé, d'un côté, que le placement mentionné dans la « fiche de connaissance client » établie par Mme [F] était qualifié de placement à moyen terme avec un risque faible et de l'autre, que contrairement à l'argumentaire du conseiller en gestion de patrimoine, le produit Aristophil ne présentait aucune garantie de rachat des collections à l'issue du contrat de garde, le contrat ne stipulant qu'une promesse de l'acquéreur-investisseur de revendre au prix initial majoré de 8% la collection à la société Aristophil qui disposait d'une simple option d'achat, l'arrêt retient que Mme [F] n'a pas alerté son client, comme ses obligations professionnelles et déontologiques le lui imposaient, de l'absence de sécurité de rendement du fait du caractère hypothétique du rachat in fine.

10. De ces seuls motifs, la cour d'appel a pu déduire que Mme [F] n'avait pas respecté son obligation de conseil, d'information et de loyauté à l'égard de la société [X] [C] en lui conseillant un produit qui ne correspondait pas objectivement à un investissement à risque faible tel que sollicité par cette société.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, alors « que le délai subséquent des garanties déclenchées par la réclamation ne peut être inférieur à cinq ans ; que le plafond applicable à la garantie déclenchée dans le délai subséquent mentionné aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 124-5 est unique pour l'ensemble de la période, sans préjudice des autres termes de la garantie ou de stipulations contractuelles plus favorables, est spécifique et ne couvre que les seuls sinistres dont la garantie est déclenchée pendant toute cette période ; qu'en condamnant l'assureur à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, « dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016 », quand le délai subséquent commençait à courir à compter de la date de résiliation de la police n° FN 1549, soit au 1er janvier 2013 jusqu'au 1er janvier 2018, de sorte que toutes les réclamations constatées dans ce délai, et non pas seulement durant l'année 2016, étaient soumises au même plafond de garantie de 2 000 000 euros, la cour d'appel a violé l'article R. 124-4 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 124-4 du code des assurances :

13. Il résulte de ce texte qu'en matière de garantie déclenchée par la réclamation, les sinistres donnant lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent à la date de résiliation du contrat sont soumis à un plafond de garantie unique pour l'ensemble de la période subséquente, d'un montant au moins égal au plafond en vigueur durant l'année précédant la résiliation du contrat, sauf stipulations contractuelles plus favorables.

14. Pour condamner l'assureur à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, l'arrêt énonce que, s'agissant d'un fait dommageable réalisé pendant le temps du contrat et dénoncé postérieurement, soit en l'espèce en 2016, la garantie de l'assureur est engagée pendant une durée de cinq ans après la date d'effet de la résiliation, soit en l'espèce le 1er janvier 2013, et que le plafond de garantie prévu au contrat s'applique à la période du sinistre, soit du 1er janvier au 31 décembre 2016.

15. Il retient en conséquence que la garantie de l'assureur est due sous réserve du plafond de garantie de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées au titre des réclamations formulées pour l'année 2016.

16. En statuant ainsi, alors que, sauf stipulations plus favorables du contrat d'assurance, le plafond de garantie en cause couvre l'ensemble des sinistres ayant donné lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent, soit entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société CNA insurance company Europe à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l'assureur, dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l'encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l'année 2016, l'arrêt rendu le 25 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne Mme [O]-[F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200838

L'assuré et la déclaration du risque

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CH10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 18 septembre 2025




Cassation


Mme MARTINEL, présidente



Arrêt n° 845 F-B

Pourvoi n° V 23-21.201


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 SEPTEMBRE 2025

La société MIC Insurance Company, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Millenium Insurance Company Ltd, société étrangère, dont le siège social est situé [Adresse 2] Gibraltar, a formé le pourvoi n° V 23-21.201 contre l'arrêt rendu le 21 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4-chambre 8), dans le litige l'opposant à la société 123 JM, société civile, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de la société MIC Insurance Company, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société 123 JM, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2025 où étaient présents Mme Martinel, présidente, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseillère doyenne, et Mme Cathala, greffière de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2023), la société 123 JM (l'assuré) est propriétaire d'un immeuble à usage d'entrepôt, divisé en différents lots, qu'elle a, par contrat du 20 décembre 2011 à effet rétroactif au 15 décembre 2011, assuré auprès de la société Millenium Insurance Company Limited, aux droits de laquelle se trouve la société MIC Insurance Company (l'assureur).

2. Le 17 mai 2014, un incendie, survenu dans le lot pris à bail, le 15 février 2014, par la société Distri clim, a détruit l'immeuble.

3. Après avoir vainement demandé à l'assureur de garantir le sinistre, l'assuré l'a assigné devant un tribunal de commerce.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'assureur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de nullité de la police d'assurance et de le condamner à payer à l'assuré les sommes de 1 303 167,37 euros HT au titre des dommages immobiliers, 93 600 TTC au titre de la perte de loyers et de 15 181,32 euros HT au titre des frais de gardiennage, alors « que s'il procède d'une réticence intentionnelle, le non-respect de l'obligation de l'assuré de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, est de nature à justifier l'annulation du contrat d'assurances ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Distri clim avait exercé, dans les locaux assurés, à compter du 1er mars 2014, une activité de vente en gros de tout appareil de climatisation, qui, distincte de l'activité initiale de stockage de vêtements, aurait dû être déclarée en cours de contrat ; que, pour écarter le moyen de nullité de l'assureur, la cour d'appel a considéré qu'il n'était pas établi que la présence de bouteilles de gaz, d'oxygène et d'acétylène dans les locaux loués à la société Distri clim avait été à l'origine de l'incendie ou de la plus grande rapidité de sa propagation ; qu'en se déterminant ainsi alors qu'il lui appartenait de rechercher objectivement si la nouvelle activité, non déclarée, avait pour effet d'augmenter le risque ou d'en créer de nouveaux et non pas si, dans les faits, si cette activité avait été à l'origine du sinistre ou de son ampleur, la cour d'appel a violé les articles L. 113-2, 3° et L. 113-8 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 113-2, 2°, L. 113-2, 3°, et L. 113-8 du code des assurances :

5. Selon le premier de ces textes, l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions précises posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l'interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge.

6. Selon le deuxième, l'assuré est obligé de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes les réponses faites à l'assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2° ci-dessus.

7. Selon le troisième, le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre.

8. Pour débouter l'assureur de sa demande de nullité du contrat d'assurance et le condamner à payer diverses sommes à l'assuré, l'arrêt relève, d'abord, que le questionnaire soumis par l'assureur à l'assuré préalablement à la conclusion du contrat ne lui demandait que de déclarer son activité principale, en précisant la proportion de la surface des locaux à assurer qui y était consacrée, ce qui a été fait par l'assuré qui a mentionné « stockage de vêtements » et précisé que cela occupait « plus de 25 % de la surface développée totale ».

9. L'arrêt relève, ensuite, que le questionnaire ne posait aucune question sur les activités accessoires, voire dangereuses, exercées dans les locaux à assurer et qu'il ne peut être déduit de l'absence de toute mention d'une activité « autre » dans la rubrique afférente du questionnaire, que seule l'activité principale déclarée y était exercée.

10. L'arrêt, après avoir ajouté que si l'assuré a autorisé, en cours de contrat, un locataire à exercer une activité de « vente en gros de tout appareil de climatisation » et le stockage afférent à cette activité, cette nouvelle activité annexe demeurait accessoire dès lors qu'elle occupait à peine plus de 5 % de la surface totale assurée, relève qu'il ressort des « dispositions personnelles multirisque professionnelle » du contrat que l'assuré a déclaré, lors de sa souscription, être propriétaire non occupant d'un immeuble comportant un entrepôt de stockage de vêtements, sur une superficie de 7 500 m².

11. Il en déduit que, si l'activité nouvelle exercée dans les locaux constituait une circonstance nouvelle qui n'avait pu être déclarée initialement, de sorte qu'elle aurait dû l'être par la suite, il n'est pas démontré par l'assureur que cette activité a eu pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux dès lors qu'il reconnaît que la présence, dans les locaux, mais qui n'est pas certaine, de bouteilles de gaz, d'oxygène et d'acétylène, qui serait liée à l'exercice de cette nouvelle activité, n'est pas à l'origine de l'incendie et qu'il n'est pas démontré, sauf à dénaturer les termes du rapport d'expertise judiciaire, qu'elle est à l'origine de sa propagation très rapide, et donc de l'ampleur du sinistre.

12. En statuant ainsi, alors que les circonstances nouvelles qui doivent être déclarées en cours de contrat par l'assuré ne dépendent ni de l'origine du sinistre dont la garantie est demandée, ni du rôle qu'elles ont joué dans son ampleur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société 123 JM aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2025:C200845

mardi 23 septembre 2025

Le juge peut rechercher l'existence d'une perte de chance d'éviter le dommage alors que lui était demandée la réparation de l'entier préjudice

 voir :

-  rendu le même jour par la même formation : 22-21.146,

- note L. Bloch, RCA 2025-9, p.28..

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

COUR DE CASSATION CH10


ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE


Arrêt du 27 juin 2025

Cassation partielle

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 683 B+R

Pourvoi n° P 22-21.812





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 27 JUIN 2025


La société Unipatis Production, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-21.812, contre l'arrêt rendu le 21 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [T], [L], [D] [P], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Par ordonnance en date du 16 décembre 2024, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.

Le demandeur au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la S.A.R.L. Unipatis Production.

Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [T] [P].

Un mémoire complémentaire a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la S.A.R.L. Unipatis Production.

Des observations complémentaires sur avis et sur rapport ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la S.A.R.L. Unipatis Production.

Des observations en vue de l'audience ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [T] [P].

Le rapport écrit de Mme Bacache, conseillère, et l'avis écrit de M. Chaumont, avocat général, ont été mis à disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Bacache, conseillère, assistée de Mme Sciore, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 16 mai 2025 où étaient présents M. Soulard, premier président, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, Mmes Champalaune, Martinel, présidents, M. Huglo, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Bacache, conseillère rapporteure, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, M. Ponsot, doyens de chambre, Mmes Capitaine, Isola, Proust, conseillères faisant fonction de doyennes de chambre, Mmes Goanvic, Chauve, Bérard, MM. Brillet, Thomas, conseillers, M. Chaumont, avocat général, et Mme Mégnien, cadre greffière,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 juin 2022), le 20 août 2007, la société Unipatis Production (la société), assistée de M. [P] (l'avocat), a procédé au licenciement d'un salarié, lequel a saisi la juridiction prud'homale en paiement de diverses indemnités.

2. Un jugement du 20 juillet 2017 a condamné la société à payer au salarié une certaine somme au titre de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis. Un arrêt du 18 octobre 2018 a fixé cette somme au passif du redressement judiciaire de la société.

3. Le 7 février 2020, la société, soutenant que l'avocat avait manqué à ses obligations d'information et de conseil quant aux conséquences de l'absence de libération de cette clause lors du licenciement, l'a assigné en responsabilité et indemnisation.

4. L'existence d'un manquement de l'avocat à son obligation d'information et de conseil a été admise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires, alors que « le juge ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le manquement commis par Me [P] avait causé un préjudice à la société Unipatis Production mais a refusé de l'indemniser en considérant que ce préjudice était une simple une perte de chance dont cette dernière ne demandait pas réparation, la société réclamant la réparation intégrale du préjudice subi ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 4 et 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. L'avocat conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il repose sur une argumentation incompatible avec celle qui avait été développée devant les juges du fond, la société ayant soutenu en appel que son préjudice était équivalent au montant de l'indemnité de non-concurrence, excluant par la même la notion de perte de chance.

8. Cependant, le moyen n'est pas contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond, dès lors que les conclusions devant la cour d'appel ne tendaient qu'à obtenir réparation de l'entier préjudice.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 4 et 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil, et les articles 4 et 5 du code de procédure civile :

10. Aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

11. Selon l'article 5 du même code, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé.

12. Il résulte de l'article 1147, précité, du code civil que caractérise une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

13. La reconnaissance d'une perte de chance permet de réparer une part de l'entier dommage, déterminée à hauteur de la chance perdue, lorsque ce dommage n'est pas juridiquement réparable. Le préjudice ainsi réparé, bien que distinct de l'entier dommage, en demeure dépendant.

14. Il résulte de l'article 4 du code civil que le juge ne peut refuser de réparer un dommage dont il a constaté l'existence en son principe.

15. Il s'en déduit que :

- le juge peut, sans méconnaître l'objet du litige, rechercher l'existence d'une perte de chance d'éviter le dommage alors que lui était demandée la réparation de l'entier préjudice ; il lui incombe alors d'inviter les parties à présenter leurs observations quant à l'existence d'une perte de chance ;

- le juge ne peut refuser d'indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l'existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée.

16. Pour rejeter la demande indemnitaire de la société, l'arrêt relève que le préjudice qui résulte du manquement de l'avocat se limite à la perte de chance de ne pas avoir eu la possibilité de faire un choix éclairé sur la levée ou non de la clause de non-concurrence et que la société ne demandait pas la réparation d'un tel préjudice.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a refusé d'indemniser un préjudice dont elle a constaté l'existence, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en réparation du préjudice consécutif à la faute d'information et de conseil imputée à M. [P], l'arrêt rendu le 21 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de M. [P] et le condamne à payer à la société Unipatis Production la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé publiquement le vingt-sept juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2025:AP00683