mardi 14 juin 2022

Les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 429 FS-D


Pourvois n°
C 20-10.524
H 20-12.506 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022


I. 1°/ M. [O] [R], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société SA, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° C 20-10.524 contre un arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [L] [A], domicilié [Adresse 4],

2°/ à M. [V] [X] [H], domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

II. M. [V] [X] [H], a formé le pourvoi n° H 20-12.506 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [A],

2°/ à M. [O] [R],

3°/ à la société SA, société civile immobilière,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs au pourvoi n° C 20-10.524 invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demandeurs au pourvoi n° H 20-12.506 invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. [R] et de la société SA, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. [X] [H], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [A], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 20-10.524 et H 20-12.506 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 décembre 2019), par acte du 25 novembre 2003, MM. [X] [H] et [A] ont constitué la société civile immobilière SA (la SCI) en se répartissant le capital en parts égales, M. [X] [H] étant en outre nommé gérant.

3. Par acte du 14 juin 2005, la SCI a fait l'acquisition d'un local commercial qu'elle a donné à bail à la société Boucherie de l'étoile gérée par M. [A], qui l'a exploitée jusqu'à sa liquidation judiciaire en 2007.

4. Ses parts sociales ayant été vendues le 9 janvier 2006 à M. [R], M. [A], contestant l'authenticité de sa signature sur cet acte, a, le 26 décembre 2014, assigné MM. [X] [H] et [R], ainsi que la SCI, en annulation de cette cession de parts et des actes subséquents et en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier et le second moyen du pourvoi n° C 20-10.524, pris en leurs premières branches, et sur le second moyen du pourvoi n° H 20-12.506, pris en sa première branche, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi n° C 20-10.524, pris en sa seconde branche, et sur le premier moyen du pourvoi n° H 20-12.506, réunis

Enoncé des moyens

6. Par leur premier moyen, M. [R] et la SCI font grief à l'arrêt de déclarer l'action recevable, de déclarer nul l'acte de cession de parts du 9 janvier 2006, de condamner in solidum MM. [X] [H] et [R] à payer à M. [A] diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de déclarer nuls le procès-verbal de l'assemblée générale de la SCI du 14 mars 2006 et les statuts modifiés du 14 mars 2006, alors « que selon l'article 2234 du code civil « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure » ; que M. [R] soutenait devant la cour d'appel d'une part, que « l'historique des événements délivré par ce Greffe le 17 avril 2014 laisse apparaître que l'intervention de M. [R] en qualité de co-gérant et nouvel associé de la SCI S.A. a été enregistrée dans le courant du mois de mars 2006. Ces différentes formalités ont nécessairement été précédées de la parution d'une annonce légale consacrant leur opposabilité à tous. Et compte tenu des contestations élevées par Monsieur [A] sur l'existence de la publicité relative au changement de gérant, le Greffe du Tribunal de Commerce de Versailles a confirmé par courrier du 22 juillet 2019 que la publicité de la nomination du nouvel associé M. [R] en qualité de gérant est parue dans le journal « Le Parisien » du 17 mars 2006 » et d'autre part, que « M. [A] ne peut en outre, feindre d'avoir ignoré qu'il n'était plus associé, ni gérant de la SCI SA, alors que s'il avait continué à l'être, il aurait participé activement à la vie sociale de cette personne morale, mais il aurait surtout continué à percevoir la moitié des revenus fonciers dont il connaissait nécessairement le montant en sa qualité de locataire de cette même SCI comme cela va être exposé ci- après. (ce point ayant été relevé par le Juge d'instruction dans son ordonnance de non lieu précitée) » ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que l'action n'était pas prescrite, que la signature sur l'acte de cession n'était pas identifiée comme celle de M. [A], sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [A] avait nécessairement eu connaissance de l'existence de cette cession en raison d'une part, de l'enregistrement au greffe du tribunal de commerce de Versailles de la qualité de co-gérant de M. [R] et de la parution de ce changement de gérant dans un journal d'annonce légale et d'autre part, du fait qu'il avait cessé de percevoir la moitié des revenus fonciers de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil. »

7. Par son premier moyen, M. [X] [H] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que pour estimer que la prescription de l'action en annulation de l'acte de cession des droits sociaux était suspendue jusqu'au 17 décembre 2013 par application de l'article 2234 du code civil, la cour d'appel s'est bornée à relever que M. [A] a été mis dans l'impossibilité d'agir, en ce qu'il n'a pas pu avoir connaissance d'un acte qu'il n'a pas signé, d'autant que M. [X] [H], en tant que gérant de la société SA ne justifie ni de la tenue d'assemblées générales ni des comptes sociaux, ou de la participation de M. [A] à la vie de la société ; qu'en statuant ainsi, sans exiger que l'impossibilité présente les caractères de la force majeure, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil ;

2°/ que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; qu'au cas présent, M. [X] [H] faisait valoir que la cession des droits sociaux litigieuse avait été publiée au registre des commerces et des sociétés depuis 2006 et que le nom du nouvel associé figurait au Kbis de la société, de sorte que toute personne, dont M. [A], pouvait avoir connaissance de la cession litigieuse, par application de l'article L. 123-9 du code de commerce ; qu'en déclarant suspendue la prescription de l'action en annulation de la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la publication de l'acte au RCS et la mention du nouvel associé au Kbis, n'empêchaient pas que soit établie une impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon les premier et deuxième alinéas de l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils sont découverts.

9. L'action en nullité fondée sur l'absence de consentement d'une partie, qui ne tend qu'à la protection des intérêts privés de celle-ci, relève du régime des nullités relatives prévues par ce texte (3e Civ., 3 décembre 2015, pourvoi n°14-12.998, Bull. 2015, III, n° 129).

10. L'absence de consentement constituant, comme le vice du consentement, une cause de nullité inhérente à l'une des parties, le délai de prescription de cinq ans ne court qu'à compter du jour de sa découverte.

11. L'action en nullité de la cession de ses parts sociales engagée par M. [A] en invoquant la falsification de sa signature s'analyse en une action fondée sur une absence de consentement.

12. Il s'ensuit qu'elle était soumise au délai de prescription quinquennal de l'article 1304 précité courant à compter du jour où M. [A] a eu connaissance de l'acte comportant sa signature falsifiée, et non au délai trentenaire de l'article 2262 ancien du code civil.

13. La cour d'appel a souverainement retenu que la signature qui figurait sur l'acte de cession du 9 janvier 2006 était apocryphe et que M. [A] n'avait pu avoir connaissance d'un acte qu'il n'avait pas signé jusqu'à ce que son conseil reçoive une lettre du conseil de M. [X] [H] le 17 décembre 2013.

14. Il en résulte que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de cette date, de sorte que l'action introduite le 26 décembre 2014 n'était pas prescrite, sans que la cour d'appel soit tenue de procéder à une recherche inopérante relative à la présomption de connaissance de la cession de parts résultant de sa publication au registre du commerce et des sociétés, cette publication, destinée à assurer l'opposabilité de l'acte aux tiers, ne s'appliquant pas dans les rapports entre les parties à l'acte.

15. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.


Mais sur le second moyen du pourvoi n° C 20-10.524, pris en sa troisième branche, et sur le second moyen du pourvoi n° H 20-12.506, pris en sa seconde branche, réunis

Enoncé des moyens

16. Par leur second moyen, M. [R] et la SCI font grief à l'arrêt de déclarer nul l'acte de cession de parts du 9 janvier 2006, de condamner in solidum MM. [X] [H] et [R] à payer à M. [A] diverses sommes à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral et de déclarer nuls le procès-verbal de l'assemblée générale de la SCI du 14 mars 2006 et les statuts modifiés du 14 mars 2006, alors « que le principe de la réparation intégrale du préjudice interdit au juge d'allouer à la victime une indemnisation supérieure au préjudice réellement subi ; qu'en allouant une somme de 100 000 euros en prenant en compte le loyer annuel de 25 200 euros HT sur huit ans, sans prendre en compte les charges de fonctionnement de la société, la cour d'appel qui a nécessairement alloué une indemnisation supérieure au préjudice réellement subi par M. [A], a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

17. Par son second moyen, M. [X] [H] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la responsabilité civile vise à réparer intégralement le préjudice de la victime, sans perte ni profit ; qu'en condamnant M. [X] [H] à verser à M. [A] une somme de 100 000 euros en prenant en compte le loyer annuel de 25 200 euros HT sur huit ans perçu par la société, sans déduire les charges de fonctionnement de la société, la cour d'appel qui a ce faisant alloué une indemnisation supérieure au préjudice de M. [A], a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

18. Il résulte de ce texte et de ce principe que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

19. Pour condamner MM. [R] et [X] [H] à payer une somme de 100 000 euros à M. [A] en réparation de son préjudice économique, l'arrêt retient que le premier juge s'est fondé à juste titre sur le prix d'achat du local commercial de 100 000 euros ainsi que sur le bail commercial qui a été consenti à la société Boucherie de l'étoile à compter du 8 février 2006 moyennant un loyer annuel de 25 200 euros, pour en déduire que le revenu foncier brut s'élève sur huit ans de 2011 à juin 2017 à la somme de 201 600 euros, soit 100 000 euros pour M. [A], que force est par ailleurs de constater que M. [X] [H], qui conteste ce montant, ne produit pas les comptes sociaux ni les assemblées générales de la SCI, qu'il ne produit dès lors pas les charges de fonctionnement de la société et qu'il indique seulement déclarer les revenus fonciers que M. [R] et lui ont perçus mais que la SCI n'a pour sa part établi aucune déclaration.

20. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a calculé le préjudice à partir des seuls revenus de la SCI, à l'exclusion de toutes charges de fonctionnement et sans constater qu'il n'en existait aucune, a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y [X] lieu de statuer sur la deuxième branche du second moyen du pourvoi n° C 20-10.524, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [X] [H] et M. [R] à payer à M. [A] la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne M. [A] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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