mercredi 21 septembre 2022

Devoir de conseil du courtier en assurances

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 septembre 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1003 F-B

Pourvoi n° N 21-15.528


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2022

1°/ M. [O] [K], domicilié [Adresse 4],

2°/ la société Allo express multi services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° N 21-15.528 contre l'arrêt rendu le 24 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Gras Savoye, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Groupama, elle-même venue aux droits de la société GAN eurocourtage,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [K] et la société Allo express multi services, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Gras Savoye, la société Allianz Iard et la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, venant aux droits de la société Groupama, elle-même venue aux droits de la société GAN eurocourtage, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 février 2021), et les productions, M. [K], gérant de la société Allo express multi services, a organisé un spectacle de cascades et de rodéo en automobiles et motocyclettes, le 15 juillet 2007, à [Localité 5] (29).

2. Par l'intermédiaire de la société Gras Savoye (le courtier) M. [K] et la société Allo express multi services (les assurés) ont souscrit, auprès de la société GAN eurocourtage, aux droits de laquelle sont successivement venues la société Groupama, la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama et la société Allianz Iard (l'assureur) une « police d'assurance de la responsabilité civile pour les concentrations et manifestations (véhicules terrestres à moteur) », temporaire, garantissant, pour les sinistres survenant lors de la manifestation organisée le 15 juillet 2007, les risques prévus par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006, jusqu'à concurrence des montants figurant dans l'arrêté d'application du 27 octobre 2006.

3. Dans la matinée du 15 juillet 2007, quatre bénévoles qui installaient un mât métallique, faisant partie du décor du spectacle, situé à moins de cinq mètres d'une ligne à haute tension, ont été victimes d'une électrocution.

4. L'un des bénévoles est décédé et les trois autres ont été blessés.

5. Les assurés ont été déclarés coupables des faits d'homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement et de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas trois mois par un tribunal correctionnel, dont le jugement a été confirmé en appel. Statuant sur les intérêts civils, la cour d'appel a indemnisé les victimes et précisé que l'assureur n'était pas tenu à garantie.

6. Estimant que ce défaut de garantie relevait d'un manquement de l'assureur et du courtier à leur obligation de conseil, les assurés ont assigné ces derniers devant un tribunal de grande instance pour obtenir leur condamnation in solidum à réparer leur préjudice constitué des condamnations civiles mises à leur charge au profit des victimes de l'accident.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinq premières branches, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1147, devenu 1231-1, du code civil et L. 520-1, II, 2°, du code des assurances, ce dernier dans sa rédaction alors applicable :

9. Selon le premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une force majeure et, suivant le second, avant la conclusion de tout contrat d'assurance, l'intermédiaire doit préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé, ces précisions devant être adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé.

10. Pour débouter les assurés de toutes leurs demandes, l'arrêt relève que, selon le courtier, l'assurance obligatoire prévue par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006 relatif aux concentrations et manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, intéresse non seulement le risque automobile mais également la responsabilité générale de l'organisateur et que la police souscrite, prévoyant un plafond de garantie de 6 100 000 euros pour les dommages corporels autres que ceux relevant de la responsabilité civile automobile, convenait parfaitement aux risques que ses clients lui avaient demandé de faire garantir, qui ne se limitaient pas aux dommages occasionnés par des véhicules.

11. L'arrêt relève encore que les assurés, confirmant les déclarations de leur courtier, indiquent que ce dernier était persuadé que la garantie souscrite couvrait non seulement les épreuves automobiles mais également l'ensemble de l'organisation de la manifestation.

12. Contredisant l'analyse juridique du courtier, l'arrêt retient que la garantie des risques prévus par le décret précité couvre exclusivement la responsabilité civile des assurés et des participants, pilotes et propriétaires des véhicules et leurs collaborateurs, en cas d'accident survenu au cours de la manifestation ou des essais préalables, causé par un véhicule terrestre à moteur, et ajoute que la simple lecture des documents précontractuels et contractuels rédigés en des termes précis permettait de connaître exactement l'objet et l'étendue de la garantie.

13. L'arrêt ajoute, au titre du devoir de conseil incombant au seul courtier, que l'analyse de ces mêmes documents démontre que ce dernier a proposé une assurance en adéquation avec le risque déclaré par les assurés, lesquels ne rapportent pas la preuve de lui avoir demandé de garantir, en plus de la garantie obligatoire instituée par le décret, les risques inhérents à l'installation, par des bénévoles, des équipements et matériels nécessaires à la manifestation. Il retient encore que le courtier n'avait aucune obligation d'attirer spécialement l'attention de ses clients, ou de les mettre en garde, sur les limites de la police souscrite, conforme à leur demande et adaptée aux besoins qu'il s'agissait de garantir.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le courtier avait admis que les risques que les assurés lui avaient demandé de faire garantir ne se limitaient pas aux risques automobiles et qu'il soutenait, à tort, que le produit d'assurance conseillé couvrait le risque survenu, ce dont il résultait qu'il avait induit les assurés en erreur et qu'il avait ainsi manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas spécialement leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

16. En application de ce même texte, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Allianz dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'iI a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, débouté M. [K] et la société Allo express multi services de toutes leurs demandes, l'arrêt rendu le 24 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

MET hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Allianz Iard ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne la société Allianz Iard et la société Gras Savoye aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et la société Allo express multi services à l'encontre de la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, rejette la demande formée par cette dernière à l'encontre de M. [K] et de la société Allo express multi services, rejette la demande formée par les sociétés Allianz Iard et Gras Savoye et les condamne à payer à M. [K] et à la société Allo express multi services la somme globale de 3 000 euros ;

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