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mercredi 31 janvier 2024

Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 décembre 2023




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1254 F-D


Pourvois n°
et
Y 21-25.382
W 21-25.725 Jonction






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 DÉCEMBRE 2023

I. La Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Banque Courtois, a formé le pourvoi n° Y 21-25.382 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [V] [F], épouse [O],

2°/ à M. [T] [O],

tous deux domiciliés [Adresse 8],

3°/ à M. [Z] [O], domicilié [Adresse 3],

4°/ à Mme [K] [O], épouse [R], domiciliée [Adresse 2],

5°/ à M. [U] [M], domicilié [Adresse 4],

6°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] de l'Hers, société civile immobilière,

7°/ à la société [Localité 11] du Parc, société civile immobilière,

8°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] l'Ormeau, société civile immobilière,

ayant toutes trois leur siège [Adresse 5],

9°/ à la société Cabinet L'Immeuble, société à responsabilité limitée,

10°/ à la société Cabinet L'Immeuble gestion, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 9],

11°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

12°/ à la Société civile immobilière Le Souleiha du Cordie, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 10],

13°/ à la Société civile immobilière Sodere, société civile immobilière,

14°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] Montaudran, société civile immobilière,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 5],

15°/ à la société Télé-Montaudran, société à responsabilité limitée,

16°/ à la société Le Clos de la Bourdette, société civile immobilière,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 9],

défendeurs à la cassation.

II. M. [U] [M] a formé le pourvoi n° W 21-25.725 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [V] [F], épouse [O],

2°/ à M. [T] [O],

3°/ à M. [Z] [O],

4°/ à Mme [K] [O], épouse [R],

5°/ à la société BNP Paribas, société anonyme,

6°/ à la société Banque Courtois, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, dont le siège est [Adresse 7],

7°/ à la société Cabinet L'Immeuble, société à responsabilité limitée,

8°/ à la société Cabinet L'Immeuble gestion, société à responsabilité limitée,

9°/ à la Société civile immobilière Le Souleiha du Cordie, société civile immobilière,

10°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] l'Ormeau, société civile immobilière,

11°/ à la société [Localité 11] Montaudran, société civile immobilière,

12°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] du Parc, société civile immobilière,

13°/ à la Société civile immobilière Sodere, société civile immobilière,

14°/ à la société Le Clos de la Bourdette, société civile immobilière,

15°/ à la Société civile immobilière [Localité 11] de l'Hers, société civile immobilière,

16°/ à la société Télé-Montaudran, société à responsabilité limitée,

défendeurs à la cassation.

Les sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, [Localité 11] du Parc, Le Clos de la Bourdette, Télé-Montaudran et les Sociétés civiles immobilières Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere, [Localité 11] de l'Hers ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt dans le pourvoi n° W 21-25.725.

La demanderesse au pourvoi n° Y 21-25.382 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le demandeur au pourvoi principal n° W 21-25.725 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident n° W 21-25.725 invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la Société générale, venant aux droits de la société Banque Courtois, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [M] et des sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudan, [Localité 11] du Parc, Sodere, Le Clos de la Bourdette, [Localité 11] de l'Hers, et Télé-Montaudran, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [V] [F], épouse [O], M. [T] [O], M. [Z] [O] et Mme [K] [O], épouse [R], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 21-25.382 et W 21-25.725 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte d'une part à M. [M], d'autre part, aux sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, Télé-Montaudran, [Localité 11] du Parc, Le Clos de la Bourdette, et les Sociétés civiles immobilières Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere et [Localité 11] de l'Hers du désistement de leurs pourvois respectifs (n° W 21-25.725) en ce qu'ils sont dirigés contre la société BNP Paribas.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 octobre 2021), soupçonnant des défaillances dans la gestion des Sociétés civiles immobilières Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere, [Localité 11] de l'Hers, les sociétés [Localité 11] du Parc, Le Clos de la Bourdette, et Télé-Montaudran (les sociétés) qui ont pour gérants, M. [M], la société Cabinet L'Immeuble ou la société Cabinet L'Immeuble gestion (les gérants), Mme [V] [O] et ses enfants, M. [T] [O], Mme [K] [O], M. [Z] [O] (les consorts [O]), détenteurs de parts sociales dans ces sociétés, ont obtenu en référé la communication sous astreinte de relevés bancaires, puis ont assigné, le 19 février 2020, devant un juge des référés, les gérants, les sociétés, ainsi que les sociétés BNP Paribas et Banque Courtois, afin d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

4. Par ordonnance du 22 octobre 2020, dont les consorts [O] ont relevé appel, un juge des référés a rejeté leur demande.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° Y 21-25.382, pris en sa première branche, et le moyen des pourvois principal et incident n° W 21-25.725, pris en leur première branche, réunis

Enoncé des moyens

5. La société Banque Courtois, aux droits de laquelle vient la Société générale, fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise comptable des SCI [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette, d'ordonner une expertise en donnant à l'expert mission de se faire communiquer sans délai tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission et de se faire communiquer par la Banque Courtois l'identité des bénéficiaires et émetteurs des 2 virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Le Clos de la Bourdette, alors « que si le juge doit examiner les rapports d'expertise non-judiciaires établis à la demande d'une partie qui lui sont soumis, il ne peut pas se fonder uniquement sur une telle pièce ; qu'en l'espèce, pour caractériser le motif légitime et la perspective d'un potentiel litige futur en vue duquel la mesure d'instruction pouvait être sollicitée, la cour d'appel s'est contentée de juger que les consorts [O] produisent deux rapports d'expertise amiable concernant les SCI [Localité 11] du Parc et Clos de la Bourdette qui, analysant les bilans et les relevés bancaires des comptes ouverts dans les livres de la Banque Courtois, a mis à jour quelques anomalies dans la gestion de ces deux sociétés par leur gérant respectif la SARL Cabinet l'Immeuble et M. [M]. Ainsi pour la SCI [Localité 11] du Parc l'expert relève de 2015 à 2018 des flux inexpliqués pour un montant de 155 000 euros et considère comme anormal que des fonds provenant des locataires transitent par un compte de la SARL le Cabinet L'Immeuble pour ensuite être virés sur le compte de la SCI. Et cet expert sollicite l'identification des destinataires des deux virements pour 155 000 euros, la production par le gérant des pièces comptables complètes des exercices traités afin de pouvoir analyser les flux ainsi que la production des grands livres et relevés de banque. Pour la SCI Le Clos la Bourdette l'expert amiable a relevé des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif pour la SCI de 208 000 euros (émetteurs et destinataires inconnus sur des opérations inexpliquées et loyers non perçus en 2017). Et l'expert a également relevé dans les deux SCI des manquements de la gérance à l'obligation d'information des associés et des défauts de publication des modifications sur la période de 2014 à 2019. Ainsi, les consorts [O] justifient d'un litige plausible relatif à la sincérité des comptes sociaux et à l'obligation d'information des associés, les opposant aux deux sociétés la SCI [Localité 11] du Parc et la SCI Le Clos de la Bourdette et leur gérant, en leur qualité d'associés et/ou co-indivisaires sur le fondement des articles 1855 du code civil et donc de leur demande d'investigations à confier à un expert concernant ces deux sociétés dans le cadre d'une mission limitée à la recherche des renseignements sollicités ; qu'elle a également défini la mission de l'expert judiciaire en la seule considération des travaux de l'expert officieux, en jugeant que, au regard des interrogations soulevées par l'expert amiable quant à la sincérité des écritures comptables des deux sociétés civiles, il convient d'enjoindre tant à la SARL Cabinet l'Immobilier, la SARL Cabinet l'Immobilier et M. [M] qu'à la SA Banque Courtois gestionnaire des comptes ouverts au nom des deux SCI Clos la Bourdette et [Localité 11] du Parc, de produire à l'expert, tout document permettant l'identification des bénéficiaires et émetteurs des 2 virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Clos de Bourdette ; qu'en fondant ainsi sa décision uniquement sur des rapports non-judiciaires établis à la demande d'une des parties, lesquels ne pouvaient pas se corroborer mutuellement puisque ces deux rapports établis par le même auteur concernaient chacun une société différente, sans les corroborer par d'autres éléments, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile. »

6. M. [M] (pourvoi principal) et les sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, Le Clos de la Bourdette, [Localité 11] du Parc, Télé-Montaudran, les Sociétés civiles immobilières Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere, [Localité 11] de l'Hers (pourvoi incident) font grief à l'arrêt d'ordonner une expertise avec pour mission confiée à l'expert, de se rendre dans les locaux de la société [Localité 11] du Parc et de la société Le Clos de la Bourdette, se faire communiquer sans délai tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, se faire communiquer par les sociétés Le Cabinet L'Immeuble, Le Cabinet L'Immeuble gestion, M. [M], la société Banque Courtois, l'identité des bénéficiaires et émetteurs des deux virements pour 155 000 euros sur le compte de la société [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la société Le Clos de la Bourdette, se faire remettre par la SARL Le Cabinet L'Immeuble, la SARL Le Cabinet L'Immeuble gestion et M. [M], les bilans, comptes d'exploitation et grands livres comptables ainsi que tous les documents relatifs aux statuts des deux sociétés et à la tenue des assemblées générales d'associés sur la période de 2014 à 2019 des SCI [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette relatifs aux années 2014 à 2019, procéder à un examen des comptes bancaires et documents sociaux des sociétés [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette et dire s'il constate des manquements et des dysfonctionnements ; dans l'affirmative, les décrire et dire quel en est l'impact sur la sincérité des comptes et l'information des associés, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction qui sera saisie au fond de déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis, alors « que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties ; qu'en se fondant, pour relever l'existence d'un motif légitime et d'un litige potentiel de nature à justifier la mesure d'instruction sollicitée, ainsi que pour définir la mission de l'expert judiciaire, exclusivement sur deux rapports amiables établis à la demande des consorts [O] à propos des sociétés Le Clos de la Bourdette et [Localité 11] du Parc et qui ne pouvaient se corroborer entre eux dès lors qu'ils étaient établis par le même expert chacun à propos d'une société différente, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen contesté par la défense

7. Les consorts [O] soutiennent que le moyen, nouveau et mélangé de fait, n'est pas recevable.

8. Cependant, le moyen est né de la décision et est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

9. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

10. L'appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond.

11. Ayant relevé que les consorts [O] produisaient deux rapports d'expertise amiable concernant les sociétés [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette, selon lesquels l'expert, après analyse des bilans et relevés bancaires des comptes ouverts dans les livres de la société Banque Courtois, d'une part a mis à jour des anomalies dans la gestion de ces deux sociétés par leur gérant respectif, la société Cabinet L'Immeuble et M. [M], résultant de flux inexpliqués entre 2014 et 2018, pour des montants respectifs de 155 000 euros et 208 000 euros, d'autre part, a constaté pour ces deux sociétés des manquements de la gérance à l'obligation d'information des associés et des défauts de publication des modifications sur la période de 2014 à 2019, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du motif légitime que la cour d'appel a, sans méconnaître le principe de la contradiction, statué comme elle l'a fait.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi n° Y 21-25.382, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le moyen des pourvois principal et incident n° W 21-25.725, pris en leurs deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, réunis

Enoncé des moyens

13. La société Banque Courtois, aux droits de laquelle vient la Société générale, fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que le secret bancaire étant opposable au juge civil, il ne peut y être porté atteinte par une mesure ordonnée par le juge des référés saisi in futurum que s'il constate que la mesure est requise par le droit à la preuve du demandeur, c'est-à-dire que l'atteinte au secret bancaire est indispensable à l'exercice des droits de ce dernier et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; qu'en l'espèce, pour ordonner à la Banque Courtois de transmettre à l'expert des documents couverts par le secret bancaire, la cour d'appel, tout en rappelant justement que ce secret était opposable au juge civil, mais qu'il cède devant le droit de la preuve dès lors que sa levée est indispensable à la solution du litige, s'est contentée de juger que les consorts [O] produisent deux rapports d'expertise amiable concernant les SCI [Localité 11] du Parc et Clos de la Bourdette qui, analysant les bilans et les relevés bancaires des comptes ouverts dans les livres de la Banque Courtois, a mis à jour quelques anomalies dans la gestion de ces deux sociétés par leur gérant respectif la SARL Cabinet l'immeuble et M. [M]. Ainsi pour la SCI [Localité 11] du Parc l'expert relève de 2015 à 2018 des flux inexpliqués pour un montant de 155 000 euros et considère comme anormal que des fonds provenant des locataires transitent par un compte de la SARL le Cabinet L'Immeuble pour ensuite être virés sur le compte de la SCI. Et cet expert sollicite l'identification des destinataires des deux virements pour 155 000 euros, la production par le gérant des pièces comptables complètes des exercices traités afin de pouvoir analyser les flux ainsi que la production des grands livres et relevés de banque. Pour la SCI le Clos la Bourdette l'expert amiable a relevé des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif pour la SCI de 208 000 euros (émetteurs et destinataires inconnus sur des opérations inexpliquées et loyers non perçus en 2017). Et l'expert a également relevé dans les deux SCI des manquements de la gérance à l'obligation d'information des associés et des défauts de publication des modifications sur la période de 2014 à 2019. Ainsi, les consorts [O] justifient d'un litige plausible relatif à la sincérité des comptes sociaux et à l'obligation d'information des associés, les opposant aux deux sociétés la SCI [Localité 11] du Parc et la SCI Le Clos de la Bourdette et leur gérant, en leur qualité d'associés et/ou co-indivisaires sur le fondement des articles 1855 du code civil et donc de leur demande d'investigations à confier à un expert concernant ces deux sociétés dans le cadre d'une mission limitée à la recherche des renseignements sollicités, ce dont elle a déduit que, au regard des interrogations soulevées par l'expert amiable quant à la sincérité des écritures comptables des deux sociétés civiles, il convient d'enjoindre tant à [?] la SA Banque Courtois gestionnaire des comptes ouverts au nom des deux SCI Clos la Bourdette et [Localité 11] du Parc, de produire à l'expert, tout document permettant l'identification des bénéficiaires et émetteurs des 2 virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Clos de Bourdette ; qu'en statuant ainsi, sans démontrer ni en quoi la production de documents couverts par le secret bancaire était indispensable à l'exercice du droit à la preuve des consorts [O] dans la perspective du litige potentiel dans la perspective duquel ils sollicitaient l'organisation d'une expertise judiciaire, ni que l'atteinte portée était proportionnée aux intérêts en présence et au but probatoire poursuivi par les demandeurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du Code de procédure civile, ensemble l'article L. 511-33 du Code monétaire et financier et l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

3°/ que le juge des référés ne peut ordonner une mesure in futurum que si celle-ci est strictement adéquate, c'est-à-dire limitée aux besoins du procès potentiel qui justifie la demande in futurum et, partant, clairement et strictement définie et limitée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a donné pour mission à l'expert désigné de se faire communiquer par [?] la Banque Courtois l'identité des bénéficiaires et émetteurs des deux virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Clos de Bourdette ; qu'en statuant ainsi, sans identifier clairement et limitativement les opérations en cause, ni préciser les documents et informations que la banque devrait remettre à l'expert, quand une rigueur particulière était requise, la mesure portant atteinte au secret bancaire, la cour d'appel a violé l'article 145 du Code de procédure civile. »

14. M. [M] (pourvoi principal n° W 21-25.725) et les sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, [Localité 11] du Parc, Le Clos de la Bourdette, Télé-Montaudran et les Sociétés civiles immobilières Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere et [Localité 11] de l'Hers (pourvoi incident n° W 21-25.725) font le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ qu'il incombe au juge de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; qu'en l'espèce, les défendeurs faisaient valoir que les consorts [O] avaient déjà obtenu en référé, la condamnation du Cabinet l'immeuble et des SCI à leur fournir l'intégralité des pièces bancaires, comptables, administratives et autres sous astreinte, que cette condamnation avait été exécutée et qu'ils possédaient notamment l'intégralité des comptes bancaires ; qu'ils faisaient valoir que les comptes sociaux avaient été approuvés par les assemblées générales et les dividendes avaient été distribués ; qu'en ordonnant une mesure d'instruction et la communication à l'expert par les SCI [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette de tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, la communication par la SARL Le Cabinet l'immeuble, la SARL Le Cabinet l'immeuble gestion, M. [M], la Banque Courtois, de l'identité des bénéficiaires et émetteurs des deux virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Clos de la Bourdette, en ordonnant la remise à l'expert par la SARL Le Cabinet L'Immeuble, la SARL Le Cabinet l'Immeuble gestion et M. [M], des bilans, comptes d'exploitation et grands livres comptables ainsi que tous les documents relatifs aux statuts des deux sociétés et à la tenue des assemblées générales d'associés sur la période de 2014 à 2019 des SCI [Localité 11] du Parc et Le Clos de la Bourdette relatifs aux années 2014 à 2019, sans vérifier ainsi qu'elle y était invitée, si compte tenu des circonstances ainsi invoquées, la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve des requérants et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la Cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que ne constituent des mesures légalement admissibles que des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ; qu'en autorisant l'expert désigné à se rendre dans les locaux de la SCI [Localité 11] du Parc et de la SCI du Clos de la Bourdette, et à se faire communiquer sans délai tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, et à procéder à un examen des comptes bancaires et documents sociaux des sociétés [Localité 11] du Parc et le Clos de la Bourdette pour dire s'il constate des manquements et des dysfonctionnements, dans l'affirmative, les décrire et dire quel en est l'impact sur la sincérité des comptes et l'information des associés, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction qui sera saisie au fond de déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis, sans aucune limitation concernant les pièces dont l'expert pourrait demander la communication par les SCI, laissées à l'appréciation discrétionnaire de ce dernier, et sans définir les manquements ou dysfonctionnements prétendus qu'il appartiendrait à l'expert de rechercher, la Cour d'appel a ordonné une mesure d'investigation générale, en violation de l'article 145 du code de procédure civile ;

4°/ que le secret professionnel auquel est tenu un établissement de crédit constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; qu'en ordonnant la communication par la Banque Courtois, de documents couverts par le secret bancaire, la Cour d'appel a violé les articles L 511-33 du code monétaire et financier, 10 du code civil et 145 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en ordonnant la communication de documents couverts par le secret bancaire, sans même vérifier si cette mesure était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve des requérants et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la Cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

6°/ que ne constituent des mesures légalement admissibles, que des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ; qu'il doit en aller d'autant plus ainsi lorsque la mesure porte atteinte au secret bancaire ; qu'en ordonnant la communication par la Banque Courtois à l'expert, de l'identité des bénéficiaires et émetteurs des deux virements pour 155 000 euros sur le compte de la SCI [Localité 11] du Parc et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 représentant un solde négatif de 208 000 euros sur le compte de la SCI Clos de Bourdette, sans identifier clairement et limitativement les opérations en cause ni préciser les documents et informations que la banque devrait remettre à l'expert, la Cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

16. Après avoir rappelé que le juge ne peut à travers la mission confiée à l'expert ordonner des mesures d'investigations générales extérieures au litige susceptibles de constituer une immixtion illégitime dans la vie privée ou le secret des affaires et qui ne seraient pas strictement en rapport avec le litige, l'arrêt relève que la mission confiée à l'expert devait être limitée à ce qui est strictement en rapport avec le litige plausible rapporté.

17. Il retient que le secret bancaire n'est pas absolu et cède devant le droit à la preuve dès lors que sa levée est indispensable à la solution du litige, et, qu'au regard des interrogations soulevées par l'expert amiable quant à la sincérité des écritures comptables des deux sociétés civiles, il convient d'enjoindre aux gérants ainsi qu'à la société Banque Courtois, gestionnaire des comptes ouverts au nom des sociétés Le Clos de la Bourdette et [Localité 11] du Parc, de produire à l'expert, tout document permettant l'identification des bénéficiaires et émetteurs des deux virements sur le compte de la société [Localité 11] du Parc, et des flux inexpliqués du 30 octobre 2014 au 24 janvier 2018 sur le compte de la SCI Le Clos de la Bourdette. Il ajoute qu'il convient d'enjoindre aux gérants de produire à l'expert les bilans et comptes déjà produits et tous les documents relatifs aux statuts des deux sociétés et à la tenue des assemblées générales d'associés sur la période de 2014 à 2019, l'expert amiable ayant relevé des manquements sur ce point.

18. Ayant ainsi fait ressortir que la production des documents bancaires à l'expert désigné détenus par la société Banque Courtois et les gérants était indispensable à l'exercice du droit à la preuve des consorts [O], tout en la limitant dans le temps et dans son objet, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Banque Courtois, M. [M], les sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, Le Clos de la Bourdette, Saint-Jean du Parc, Télé-Montaudran et les Sociétés civiles immobilières Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere et [Localité 11] de l'Hers, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Banque Courtois, aux droits de laquelle vient la Société générale, M. [M], les sociétés Cabinet L'Immeuble, Cabinet L'Immeuble gestion, société [Localité 11] du Parc, Le Clos de la Bourdette, et Télé-Montaudran et les Sociétés civiles immobilières Le Souleiha du Cordie, [Localité 11] l'Ormeau, [Localité 11] Montaudran, Sodere, [Localité 11] de l'Hers, et condamne la Société générale, venant aux droits de la société Banque Courtois, et M. [M] à payer à Mme [V] [O], M. [T] [O], Mme [K] [O], M. [Z] [O] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C201254

vendredi 5 novembre 2021

Mesure d'instruction sur requête et principe de contradiction

 Note L. Lauvergnat, GP 2021, n° 38, p. 55.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 juin 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 577 F-P

Pourvoi n° S 20-13.803




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021

La Société de gestion de garanties et de participations, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], agissant en la personne de son liquidateur amiable, la société Consortium de réalisation, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 20-13.803 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [A] [E],

2°/ à Mme [S] [H], épouse [E],

domiciliés tous deux [Adresse 3],

3°/ à la société Financière et foncière des victoires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la société Maunoury Invest 2012, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à M. [Y] [L], domicilié [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société de gestion de garanties et de participations, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [E], de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société Maunoury Invest 2012 et de M. [L], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 décembre 2019), la Société de gestion des garanties et de participations (la SGGP), soupçonnant un comportement frauduleux de la part de M. [E] et de Mme [H], son épouse (M. et Mme [E]) afin d'organiser leur insolvabilité, a saisi le président d'un tribunal de grande instance d'une requête tendant à voir désigner un huissier de justice, assisté d'un technicien informatique, avec pour mission d'exécuter un mesure d'investigation.

2. Par ordonnance du 28 juillet 2017, le juge a accueilli cette demande.

3. M et Mme [E], la société Financière et foncière des victoires et M. [L], gérant de la SCI Maunoury Invest 2012, intervenant volontaire, ont sollicité la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La SGGP fait grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance en date du 28 juillet 2017, de dire n'y avoir lieu à ordonner la mesure d'investigation qu'elle sollicitait et de rejeter toute autre demande de sa part, alors :

« 1°/ que la nécessité de ménager un effet de surprise et d'éviter la dissimulation ou la destruction d'éléments de preuve constitue un motif justifiant qu'une mesure d'instruction soit ordonnée de manière non-contradictoire ; qu'en l'espèce, pour infirmer l'ordonnance de référé du 22 février 2019 et rétracter l'ordonnance rendue le 28 juillet 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris sur requête de la SGGP, autorisant un huissier à procéder à un constat informatique au domicile des époux [E] ainsi qu'aux sièges sociaux de la société Financière et foncière des victoires, dont M. [E] est le gérant, et de la SCI Maunoury Invest 2012, dont M. [L] est le gérant, la cour d'appel a retenu que la SGGP exposait dans sa requête envisager d'agir en justice à l'encontre des époux [E] en résolution du protocole d'accord conclu le 7 avril 2009, ainsi qu'à l'encontre de ceux-ci et de certaines personnes morales et physiques dans le cadre d'une action paulienne sur le fondement de l'ancien article 1167 du code civil et du principe « fraus omnia corrumpit », qu'elle décrivait des montages financiers destinés, selon elle, à dissimuler les actifs des époux [E] et des opérations démontrant une confusion des patrimoines de la société Financière et foncière des victoires et des époux [E], et expliquait qu'il était nécessaire qu'elle obtienne des informations sur les liens existant entre la SCI Saint Denis Basilique, le bien immobilier de [Adresse 6] et les membres de la famille [E], les mouvements sur les comptes bancaires de la FFDV, les liens entre la FFDV et diverses sociétés en participation ; que la cour d'appel a estimé que les « considérations d'ordre général » évoquées en page 31 de la requête sur la possible disparition des preuves détenues sur des supports informatiques ne répondaient pas « à l'exigence de caractérisation, in concreto, des circonstances particulières au cas d'espèce, justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction », et que le juge ayant autorisé les investigations n'avait pas relevé de circonstances particulières justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, pour en déduire l'absence de circonstances précises imposant à la SGGP de solliciter une mesure d'instruction in futurum sans appeler les parties adverses en la cause ; qu'en statuant de la sorte, quand la requête déposée par la SGGP, qui visait formellement le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de ménager un effet de surprise, était motivée par renvoi à des faits dont il était soutenu qu'ils caractérisaient une fraude paulienne et l'organisation par les époux [E] de leur insolvabilité, ce qui justifiait le recours à une procédure non contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que pour infirmer l'ordonnance de référé du 22 février 2019 et rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 28 juillet 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, la cour d'appel a également retenu que les informations que la SGGP estimait nécessaires à une action future, listées en page 24 de sa requête, à savoir les participations et liens capitalistiques de la société FFDV, le patrimoine et les opérations immobilières, ainsi que mobilières (achat d'un bateau) réalisées par les [E] et la société Financière et foncière des victoires, les divers lieux de résidence et les relations d'affaires de M. [E] pouvaient être recueillies ? et l'avaient au demeurant déjà été pour certaines d'entre elles ? auprès de sources légales, telles que les greffes des tribunaux de commerce, y compris à l'étranger, les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des assemblées générales des sociétés possédant des actifs immobiliers, les services de la publicité foncière ; qu'en statuant de la sorte, quand le succès des actions qu'envisageait d'engager la SGPP contre les défendeurs supposait que soit rapportée la preuve de l'existence de conventions de prête-nom, de mouvements bancaires entre les époux [E] et les autres participants à la fraude alléguée, ainsi que la confusion des patrimoines des époux [E] avec les sociétés et intervenants en cause, et enfin, s'agissant de l'action paulienne envisagée par la SGGP, de l'intention frauduleuse ayant animé les époux [E], éléments qui ne pouvaient résulter de la seule consultation des documents énumérés par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a méconnu l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 493 et 812 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 145 et 493 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Aux termes du second, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

6. Pour infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 22 février 2019, l'arrêt retient que faute de circonstances précises imposant à la société SGGP, qui pouvait ou avait déjà recueilli certains documents relatifs aux liens capitalistiques de la société Financière et foncière des victoires, au patrimoine et aux opérations immobilières et mobilières réalisées par les époux [E] et à leurs relations d'affaire auprès de sources légales, telles que les greffes des tribunaux de commerce, les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des assemblées générales des sociétés possédant des actifs immobiliers et les services de la publicité foncière, de solliciter une mesure d'instruction in futurum sans appeler les parties adverses en la cause, l'ordonnance sur requête rendue le 28 juillet 2017 devait être rétractée.

7. En statuant ainsi, alors que la société SGGP avait exposé de façon détaillée dans sa requête un contexte laissant craindre une intention frauduleuse de la part M. et Mme [E] afin d'organiser leur insolvabilité en fraude aux droits de leurs créancier, qui ne pouvait ressortir des seuls éléments déjà recueillis auprès de sources légales, et que le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient motivés par référence à ce contexte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [E], Mme [H], épouse [E], la société Financière et foncière des victoires, la SCI Maunoury Invest 2012 et M. [Y] [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [E], Mme [H], épouse [E], la SCI Maunoury Invest 2012 et M. [Y] [L] et les condamne in solidum à payer à la Société de gestion de garanties et de participations la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Société de gestion de garanties et de participations

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR rétracté l'ordonnance rendue par le juge des requêtes en date du 28 juillet 2017, D'AVOIR dit n'y avoir lieu à ordonner la mesure d'investigation sollicitée par la société SGGP, et D'AVOIR rejeté toute autre demande de la SGGP ;

AUX MOTIFS QUE « La cour constate que la SCI Maunoury Invest 2012 n'est pas partie en la cause pour n'avoir pas été assignée par la société SGGP puis n'être pas intervenue volontairement à l'instance devant le premier juge comme devant la cour, seul M. [Y] [L], au demeurant gérant de la SCI Maunoury, ayant été déclaré recevable par le premier juge en son intervention volontaire. Aux termes des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Lorsqu'il agit sur requête, le demandeur à la mesure d'instruction doit, en application des articles 812 et 493 du code de procédure civile, démontrer les éléments caractérisant des circonstances justifiant la dérogation au principe de la contradiction. Cette démonstration doit être faite dans la requête qui ne peut se borner à invoquer un risque de dépérissement des preuves et à reprendre les termes de l'article 493 précité sans décrire les éléments propres au cas d'espèce caractérisant de telles circonstances. En l'espèce, la cour relève qu'aux termes de sa requête présentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la Société de gestion de garanties et de participations : - expose qu'elle envisage d'agir en justice à l'encontre des époux [E] en résolution du protocole d'accord transactionnel pour violation de ses articles 1, 3 et 6 ainsi qu'à l'encontre de ceux-ci et de certaines personnes morales et physiques dans le cadre d'une action paulienne sur le fondement de l'ancien article 1167 du code civil et du principe "Fraus omnia corrumpit" ; - décrit des montages financiers destinés, selon elle, à dissimuler les actifs des époux [E] et des opérations démontrant une confusion des patrimoines de la FFDV et des époux [E] ; - explique que les éléments de preuve dont elle dispose ne sont pas suffisants pour engager une action en justice et qu'il est nécessaire qu'elle puisse obtenir des informations sur les liens existants entre la SCI Saint Denis Basilique, le bien immobilier de [Adresse 6] et les membres de la famille [N], les mouvements sur les comptes bancaires de la FFDV, les liens entre la FFDV et diverses sociétés en participation. En conclusion de la partie de la requête intitulée "Sur les preuves complémentaires nécessaires à l'introduction de l'action au fond", la SGGP énonce que : "Les circonstances et la conservation de la preuve exige, bien entendu, qu'une décision non contradictoire soit rendue à l'encontre de Monsieur [U] [E] et de Mme [S] [V] épouse [E], Madame [T] [E], Monsieur [G] [X], SARL Financière et Foncière des Victoires, SCI Saint Denis Basilique et SCI Maunourv Invest 2012; en effet, une procédure contradictoire permettrait à ces derniers d'effacer (ou d'ordonner que soient effacés) de ses ordinateurs tous fichiers/documents utiles. Dès lors, Madame ou Monsieur le Président du Tribunal de grande instance ne pourra que constater que la société SGGP a un motif légitime d'établir, avant tout procès, les preuves précitées." (page 31 de la requête, mis en gras et souligné dans la requête). Ces considérations d'ordre général sur la possible disparition de preuves détenues sur des supports informatiques ne répondent pas à l'exigence de caractérisation, in concreto, des circonstances particulières au cas d'espèce, justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction. Le fait que le jour du constat d'huissier ayant débuté à 8 heures, M. [E] a transféré un fichier intitulé "AD-Perso" dans la corbeille de son ordinateur peu avant 9 heures, ne peut justifier, a posteriori, l'utilisation d'une mesure d'instruction non contradictoire, ce d'autant moins qu'une telle manoeuvre ne permet pas d'effacer définitivement les éléments contenus dans ce fichier, lesquels subsistent dans la mémoire du disque dur de l'ordinateur. Par ailleurs, les informations que la SGGP estime nécessaires à une action future, listées page 24 de la requête, à savoir les participations et liens capitalistiques de la société FFDV, le patrimoine et les opérations immobilières ainsi que mobilières (achat d'un bateau) réalisées par les époux [E] et la FFDV, les divers lieux de résidence et les relations d'affaires de M. [E] peuvent être recueillies -et l'ont au demeurant déjà été pour certaines d'entre elles- auprès de sources légales tels que les greffes des tribunaux de commerce, y compris à l'étranger, les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des assemblées générales des sociétés possédant des actifs immobiliers, les services de la publicité foncière. En dernier lieu, force est de constater que le juge ayant rendu l'ordonnance autorisant les investigations par huissier de justice n'a pas relevé les circonstances particulières justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire. Dans ces conditions, en l'absence de circonstances précises imposant à la SGGP de solliciter une mesure d'instruction in futurum sans appeler les parties adverses en la cause, l'ordonnance sur requête rendue le 28 juillet 2017 doit être rétractée. Par conséquent, sans qu'il soit utile de statuer sur la demande de rectification d'erreur matérielle et sur la demande de sursis, l'ordonnance de référé-rétractation dont appel est infirmée. Compte tenu du sens de la présence décision, les dépens de l'entière instance doivent être mis à la charge de la SGGP. Il serait inéquitable de laisser totalement à la charge des époux [E] et de la société FFV les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure. Il leur sera accordé des indemnités telles que fixées dans le dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile » ;


1°) ALORS QUE la nécessité de ménager un effet de surprise et d'éviter la dissimulation ou la destruction d'éléments de preuve constitue un motif justifiant qu'une mesure d'instruction soit ordonnée de manière non-contradictoire ; qu'en l'espèce, pour infirmer l'ordonnance de référé du 22 février 2019 et rétracter l'ordonnance rendue le 28 juillet 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris sur requête de la SGGP, autorisant un huissier à procéder à un constat informatique au domicile des époux [E] ainsi qu'aux sièges sociaux de la société Financière et Foncière des Victoires, dont M. [E] est le gérant, et de la SCI Maunoury Invest 2012, dont M. [L] est le gérant, la cour d'appel a retenu que la SGGP exposait dans sa requête envisager d'agir en justice à l'encontre des époux [E] en résolution du protocole d'accord conclu le 7 avril 2009, ainsi qu'à l'encontre de ceux-ci et de certaines personnes morales et physiques dans le cadre d'une action paulienne sur le fondement de l'ancien article 1167 du code civil et du principe « fraus omnia corrumpit », qu'elle décrivait des montages financiers destinés, selon elle, à dissimuler les actifs des époux [E] et des opérations démontrant une confusion des patrimoines de la société Financière et Foncière des Victoires et des époux [E], et expliquait qu'il était nécessaire qu'elle obtienne des informations sur les liens existant entre la SCI Saint Denis Basilique, le bien immobilier de [Adresse 6] et les membres de la famille [E], les mouvements sur les comptes bancaires de la FFDV, les liens entre la FFDV et diverses sociétés en participation ; que la cour d'appel a estimé que les « considérations d'ordre général » évoquées en page 31 de la requête sur la possible disparition des preuves détenues sur des supports informatiques ne répondaient pas « à l'exigence de caractérisation, in concreto, des circonstances particulières au cas d'espèce, justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction », et que le juge ayant autorisé les investigations n'avait pas relevé de circonstances particulières justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, pour en déduire l'absence de circonstances précises imposant à la SGGP de solliciter une mesure d'instruction in futurum sans appeler les parties adverses en la cause ; qu'en statuant de la sorte, quand la requête déposée par la SGGP, qui visait formellement le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de ménager un effet de surprise, était motivée par renvoi à des faits dont il était soutenu qu'ils caractérisaient une fraude paulienne et l'organisation par les époux [E] de leur insolvabilité, ce qui justifiait le recours à une procédure non contradictoire, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°) ALORS, EN OUTRE, QUE la nécessité de ménager un effet de surprise et d'éviter la dissimulation ou la destruction d'éléments de preuve constitue un motif justifiant qu'une mesure d'instruction soit ordonnée de manière non-contradictoire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le fait que le jour du constat informatique ayant débuté à 8 heures, M. [E] avait transféré un fichier intitulé « AD-Perso » dans la corbeille de son ordinateur peu avant 9 heures, ne pouvait justifier a posteriori l'utilisation d'une telle mesure d'instruction non contradictoire, ce d'autant moins qu'une telle manoeuvre ne permettait pas d'effacer définitivement les éléments contenus dans ce fichier, lesquels subsistaient dans la mémoire du disque dur de l'ordinateur ; qu'en statuant de la sorte, quand la circonstance que M. [E], le jour où le constat informatique a été effectué à son domicile, ait essayé d'effacer de son ordinateur des fichiers, était de nature à accréditer le risque de déperdition des preuves recherchées par la SGGP et à justifier qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, peu important que cette tentative ait été vaine, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 493 et 812 du même code ;

3°) ALORS QUE pour infirmer l'ordonnance de référé du 22 février 2019 et rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 28 juillet 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, la cour d'appel a également retenu que les informations que la SGGP estimait nécessaires à une action future, listées en page 24 de sa requête, à savoir les participations et liens capitalistiques de la société FFDV, le patrimoine et les opérations immobilières, ainsi que mobilières (achat d'un bateau) réalisées par les [E] et la société Financière et Foncière des Victoires, les divers lieux de résidence et les relations d'affaires de M. [E] pouvaient être recueillies ? et l'avaient au demeurant déjà été pour certaines d'entre elles ? auprès de sources légales, telles que les greffes des tribunaux de commerce, y compris à l'étranger, les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des assemblées générales des sociétés possédant des actifs immobiliers, les services de la publicité foncière (arrêt, p. 9-10) ; qu'en statuant de la sorte, quand le succès des actions qu'envisageait d'engager la SGPP contre les défendeurs supposait que soit rapportée la preuve de l'existence de conventions de prête-nom, de mouvements bancaires entre les époux [E] et les autres participants à la fraude alléguée, ainsi que la confusion des patrimoines des époux [E] avec les sociétés et intervenants en cause, et enfin, s'agissant de l'action paulienne envisagée par la SGGP, de l'intention frauduleuse ayant animé les époux [E], éléments qui ne pouvaient résulter de la seule consultation des documents énumérés par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a méconnu l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 493 et 812 du même code ;

4°) ALORS QU' en retenant, pour rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 28 juillet 2017 par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, que les informations que la SGGP estimait nécessaires à une action future, listées en page 24 de sa requête, pouvaient être recueillies ? et l'avaient au demeurant déjà été pour certaines d'entre elles ? auprès de sources légales, en particulier « les rapports des commissaires aux comptes, les procès-verbaux des assemblées générales des sociétés possédant des actifs immobiliers », sans expliquer autrement qu'en l'affirmant comment la SGGP aurait pu avoir accès à ces documents qui ne sont par principe pas accessibles aux tiers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 145 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2021:C200577

lundi 27 septembre 2021

Référé précontractuel et secret des affaires (CE)

 Note S. Hul, AJDA 2021, p. 1878.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Gimarco a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision d'attribution du contrat de concession de services pour l'exploitation du terminal " multivrac " du Grand port maritime du Havre à la société Lorany Conseils, d'enjoindre au Grand port maritime du Havre, s'il entendait poursuivre la procédure de consultation, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres après avoir éliminé la candidature de cette société et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation. Par une ordonnance n° 2100012 du 28 janvier 2021, le juge des référés a annulé la procédure de passation en litige.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 12 février, 1er mars, 28 avril, 14, 21 et 26 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lorany Conseils demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Gimarco ;

3°) de mettre à la charge de la société Gimarco la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;

Vu les notes en délibérés, enregistrée les 26 mai et 8 juin 2021, présentées par la société Lorany Conseils ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Colin - Stoclet, avocat de la société Lorany Conseils et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Gimarco ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Rouen que le Grand port maritime du Havre a lancé, le 5 décembre 2019, un avis d'appel à la concurrence en vue de l'attribution d'un contrat de concession portant sur la réalisation et l'exploitation d'un terminal de vracs solides dans le port du Havre. La société Gimarco, qui s'est portée candidate à l'attribution de ce contrat, a été informée, par un courrier du 23 décembre 2020, du rejet de son offre et de ce que l'offre de la société Lorany Conseils était retenue. Par une ordonnance du 28 janvier 2021, contre laquelle la société Lorany Conseils se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande de la société Gimarco tendant à l'annulation de l'ensemble de la procédure de passation en litige.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique./ (...) Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Si la société Lorany Conseils soutient en premier lieu que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen s'est à tort fondé sur des pièces communiquées par la société Gimarco en violation du secret des affaires, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ni d'erreur de droit son ordonnance, dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, c'est sans soulever un moyen d'office que le juge des référés, saisi par la société Gimarco d'un moyen tiré de ce que la requérante ne présentait pas de garanties financières suffisantes, a relevé que les termes du rapport d'analyse des offres ne lui permettaient pas de s'assurer que le Grand port maritime du Havre avait procédé au contrôle de ses capacités financières sur la base des éléments mentionnés dans le règlement de consultation.

5. C'est, en troisième lieu, sans commettre d'erreur de droit et au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a estimé que l'appréciation par le Grand port maritime du Havre des capacités financières de la société Lorany Conseils était entachée d'erreur manifeste, eu égard notamment à la situation financière de cette société et à la formalisation insuffisante des soutiens de sociétés tierces revendiqués par la requérante.

6. En quatrième lieu, les motifs par lesquels l'ordonnance attaquée retient, d'une part, l'existence d'un nantissement judiciaire au bénéfice de la société Ciments de la Seine sur les actions détenues par la société SMEG international dans le capital de la requérante et, d'autre part, que la candidature de la société Lorany Conseils serait fondée sur de faux renseignements relatifs à l'exploitation d'un terminal de vrac sur le port de Gand sont surabondants. La requérante ne peut par suite utilement soutenir qu'ils seraient entachés d'insuffisance de motivation, d'erreur de droit et de dénaturation.

7. En dernier lieu, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur sur la qualification juridique des faits en estimant, d'une part, que la société Gimarco justifiait d'un intérêt à conclure le contrat, la rendant recevable à contester la procédure de passation en litige, et, d'autre part, que ses intérêts avaient été lésés par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu'il a retenus, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la divulgation d'informations confidentielles contenues dans le rapport d'analyse des offres, dans le cadre de la procédure contradictoire devant lui, était susceptible de porter atteinte à l'égalité entre les candidats dans le cadre d'une éventuelle nouvelle procédure de passation, à brève échéance, de la concession en litige. En effet, une telle circonstance, qui pourrait affecter la légalité de la nouvelle procédure susceptible d'être mise en oeuvre, est en elle-même sans incidence sur celle de la procédure contestée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Lorany Conseils n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lorany Conseils la somme de 3 000 euros à verser à la société Gimarco au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Gimarco qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.






D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Lorany Conseils est rejeté.
Article 2 : La société Lorany Conseils versera à la société Gimarco une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Lorany Conseils et à la société Gimarco.
Copie en sera adressée au Grand port maritime du Havre.

ECLI:FR:CECHR:2021:449643.20210609

jeudi 29 avril 2021

Motif légitime (art. 145 CPC) et principe de proportionnalité au regard de la mesure d'instruction sollicitée

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mars 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 274 F-D

Pourvoi n° E 19-22.965







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MARS 2021

La société Maisons du monde France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° E 19-22.965 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Eurodif, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Maisons du monde France, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société Eurodif, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 février 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2019), suspectant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la société Eurodif, la société Maisons du monde France (la société Maisons du monde) a saisi le président d'un tribunal de commerce d'une requête à fin de désignation d'un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

2. La requête a été accueillie le 19 avril 2018 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 7 juin 2018.

3. Ayant été déboutée de ses demandes en rétractation et nullité des mesures par ordonnance du 18 décembre 2018, la société Eurodif en a interjeté appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Maisons du monde fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du 18 décembre 2018, de rétracter l'ordonnance sur requête du 19 avril 2018, d'annuler le procès-verbal de constat du 7 juin 2018 dressé en exécution de l'ordonnance et en conséquence d'ordonner que soient restitués à la société Eurodif l'ensemble des pièces, documents et données, quel qu'en soit le support, appréhendés à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête du 19 avril 2018, de lui faire interdiction d'utiliser les pièces, documents et données appréhendés par l'huissier de justice en exécution de l'ordonnance rétractée, de dire que l'huissier de justice ne pourra transmettre aucune copie de ces pièces, documents et données à quiconque d'autre que la société Eurodif et de la condamner à verser à cette dernière la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'une mesure peut être ordonnée sur requête lorsque les circonstances exigent qu'elle ne le soit pas contradictoirement ; que les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction doivent être caractérisées par la requête ou l'ordonnance rendue sur celle-ci ; qu'il résulte des termes de la requête présentée en l'espèce par la société Maisons du monde, que celle-ci avait dûment justifié, pièces à l'appui, de la situation de concurrence existant entre la société Eurodif et elle-même, du rapprochement parasitaire mis en oeuvre par cette dernière entre la nouvelle identité visuelle de l'enseigne Bouchara et la sienne, de la copie par sa concurrente de l'aménagement intérieur de ses magasins comme de la présentation de son site internet, ainsi que de la nécessité de procéder aux opérations de constat sollicitées de manière non contradictoire, compte tenu des actes de copies généralisés, de la découverte de leur l'ampleur, de la gravité et du caractère mûrement réfléchi des faits constatés ainsi que du fait que la société Eurodif avait manifestement tenté de retarder le plus longtemps possible leur découverte par la société Maisons du monde, en procédant d'un côté à l'aménagement d'un magasin pilote dont l'identité visuelle était calquée sur celle des magasins de la société Maisons du monde pour tester le concept sur les clients, tout en maintenant d'un autre côté une communication officielle sur des magasins à l'identité visuelle différente, y compris lors du déploiement postérieur de cet aménagement litigieux dans d'autres magasins Bouchara ; que la société Maisons du monde indiquait ainsi que « ces circonstances démontrent que Eurodif et Bouchara ont agi en parfaite connaissance de cause et ont souhaité dissimuler leurs actes litigieux le plus longtemps possible pour retarder les risques encourus » et qu'en conséquence compte tenu de ce contexte, de la nature et de l'ampleur des actes litigieux, elle était « bien fondée à solliciter non contradictoirement des mesures d'instruction à l'égard des sociétés Eurodif et Bela, et ce afin que lesdites mesures soient utiles et efficaces et qu'elles permettent ainsi d'obtenir des éléments sur l'origine et l'ampleur des actes litigieux » ; que l'ordonnance rendue sur cette requête a en outre constaté que « au vu des justifications produites, (
) le requérant est fondé à ne pas appeler la partie visée par la mesure du fait que certaines preuves informatiques ou d'accès Web pourraient disparaître dans le cas contraire » ; qu'en retenant cependant que les motifs allégués pour déroger au principe du contradictoire étaient « soit non circonstanciés, soit insusceptibles de justifier la volonté de dissimulation prêtée à la société Eurodif », la cour d'appel a violé les articles 145 et 493 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 145 et 493 du code de procédure civile :

5. Il résulte de ces textes que le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier, au jour où il statue, les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

6. Pour rétracter l'ordonnance sur requête ayant ordonné la mesure d'instruction, l'arrêt retient, d'abord, que la requête, bien que particulièrement longue et détaillée quant aux multiples exemples en lesquels la société Maisons du monde considère illustrer le comportement parasitaire de son adversaire, avec de nombreuses photographies à l'appui et de multiples comparaisons quant à l'aménagement des magasins respectifs des parties et à la présentation de leurs sites internet ayant ordonné la mesure d'instruction, n'explique pas en quoi le fait de procéder par la voie classique du référé risquerait de conduire à des résultats moindres et que rien n'indique en quoi ces éléments recueillis n'auraient pas pu l'être dans le cadre d'un débat contradictoire.

7. L'arrêt relève, ensuite, que de nombreux exemples mis en exergue par la société Maisons du monde sont relatifs aux matériaux employés dans les magasins, aux types d'éclairage, aux revêtements au sol, autant d'éléments qui ne sauraient être aisément remplacés entre le temps d'un débat contradictoire et le temps de l'exécution de mesures d'instruction.

8. L'arrêt retient, encore, que s'agissant des pages de site internet de la société Eurodif, la société Maisons du monde n'indique pas de manière pertinente en quoi elle avait besoin à cet égard de recueillir de manière non contradictoire des éléments tels que ceux relatifs au point 3.10 de la mission confiée à l'huissier de justice, qui consiste, en substance, à permettre à celui-ci de se faire remettre les documents, tels que des devis, des factures et des courriels, relatifs à la conception des nouveaux sites internet utilisés par la société Eurodif pour ses enseignes Bouchara.

9. L'arrêt relève, encore, que la volonté de dissimulation de la société Eurodif, invoquée par la société Maisons du monde, repose sur une interprétation pour le moins singulière de la stratégie de communication de la société Eurodif, dès lors qu'il serait en effet paradoxal que cette dernière s'efforçât de dissimuler le mouvement de réorganisation de ses magasins, alors même que la requête insiste par ailleurs, en page 42, sur l'ampleur de ce mouvement qui, s'agissant de magasins destinés à accueillir le maximum de chalands, n'est précisément pas conçu pour être caché.

10. L'arrêt retient, enfin, que la possibilité de faire disparaître des preuves informatiques n'est pas non plus de nature à justifier, en soi, qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, ce risque existant tout autant s'agissant des preuves sur support papier et qu'il en va de même s'agissant de ce que le requérant indique, sans autre précision, être des « preuves d'accès Web », d'autant que la société Maisons du monde elle-même se prévaut, en page 43 de sa requête, de la possibilité par le site archive.org d'obtenir des pages internet archivées.

11. L'arrêt en déduit que les motifs allégués pour déroger au principe de la contradiction sont, en dépit de la longueur de la requête, soit non-circonstanciés soit insusceptibles de justifier la volonté de dissimulation prêtée à la société Eurodif.

12. En statuant ainsi, alors que la requête était motivée en considération de la nature des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, à leur ampleur et à la volonté de dissimulation de ces faits par leur auteur, expressément dénoncés dans la requête comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire, seule susceptible d'assurer dans ces circonstances l'efficacité de la mesure et d'éviter le risque de dépérissement des preuves informatiques ou d'accès Web, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

13. La société Maison du monde fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une mesure d'instruction, qui est circonscrite dans son objet et limitée dans le temps, est légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile et ne peut en conséquence porter atteinte aux intérêts légitimes de la personne qui en fait l'objet ; qu'en l'espèce, l'ordonnance sur requête du 19 avril 2018 a autorisé l'huissier instrumentaire à se faire remettre et prendre copie, « sur une période allant du 1er juillet 2016 à aujourd'hui », d'abord des documents « permettant de démontrer la reprise et/ou l'utilisation des caractéristiques visées au 3.2 dans les magasins Bouchara litigieux », c'est-à-dire un « parquet en bois », de « larges allées aménagées pour développer un parcours client non pas en rayon mais en zones avec des ambiances mixant mobilier et articles de décoration », des « linéaires constitués de grandes et larges étagères de couleur marron, de largeur uniforme, dont le fond est fermé, ouvertes en leur partie haute, avec des panneaux latéraux fins, dont les rainures contiennent des tringles métalliques permettant de faire varier la hauteur des étagères en bois plein », un « revêtement d'une partie des murs ou piliers du magasin dans des tons gris et/ou utilisation de la couleur grise pour le fond des armoires susvisées » et une « mise en scène d'articles d'ameublement et de décoration à proximité de linéaires en bois tels que ceux susvisés », ces cinq caractéristiques cumulatives pouvant être combinées ou non avec des « tables en bois avec des pieds carrés », une « mise en scène de mobilier (meubles, sièges, fauteuils, etc.) soit dans des racks et positionnés en étage, soit dans de larges étagères en bois » et un « système d'éclairage constitué de spots sur rails de couleur noire » ; ensuite de « tous documents, notamment comptables, relatifs au changement des codes couleurs de l'enseigne « Bouchara » et au déploiement de ladite enseigne en lettres blanches sur fond noir sur le territoire national, et notamment les devis et factures des agences, entrepreneurs et fournisseurs concernés par ce changement et ce déploiement » ; en outre de « tous documents, notamment comptables, relatifs à l'implantation de l'aménagement intérieur des magasins Bouchara litigieux ainsi qu'au déploiement de l'aménagement intérieur au sein du réseau Bouchara et notamment le plan de déploiement de l'aménagement litigieux, les devis et factures des agences, entrepreneurs et fournisseurs concernés par cette implantation et de déploiement » ; enfin de « tous documents relatifs à la reprise des caractéristiques susvisées sur le site www.bouchara.com, et en particulier les éléments comptables relatifs aux modifications opérées (devis, factures, etc.) et qui permettent de façon générale de déterminer l'origine et l'étendue des faits litigieux », les caractéristiques en cause étant définies comme « (i) un large bandeau noir sur la partie supérieure des pages d'accueil et de présentation des produits, (ii) le logo « Bouchara » en noir et blanc placé en dessous du bandeau noir et dans la partie supérieure gauche de l'écran sur les pages d'accueil et de présentation des produits, (iii) les rubriques de navigation (qui) permettent de se repérer et d'accéder aux différentes pages du site, avec un contenu qui s'affiche par simple positionnement de la souris sur le nom de la rubrique, à la fois sur les pages d'accueil et de présentation des produits, (iv) le corps de la page d'accueil (qui) est constitué de photographies de mises en scène des produits dans lesquelles sont incrustées une phrase d'accroche et des expressions telles que « Je découvre », « Je craque » ou « Je participe » qui changent de couleur lorsque l'on passe la souris dessus, (v) le corps de la page de présentation des produits (qui) comprend un visuel du produit en arrière-plan et en transparence, suivi d'un texte de présentation, (vi) des trames relatives aux critères des produits (couleurs, matières et prix) (qui) sont placées en dessous du texte de présentation, (vii) un affichage épuré des produits considérés » ; qu'en décidant néanmoins que ces mesures, compte tenu de leur flou et de leur imprécision, ne comportaient pas de limite sérieuse au champ des investigations de l'huissier de justice, cependant que, toutes relatives au comportement déloyal et parasitaire de la société Eurodif consistant à se placer dans le sillage de la société Maisons du monde en copiant son identité visuelle, l'aménagement intérieur de ses magasins et la présentation et la présentation de son site internet, elles étaient, quelle que soit leur étendue, circonscrites, à la fois dans leur objet et dans le temps, aux faits litigieux décrits dans la requête, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

14. Il résulte de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi.

15. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, d'abord, que l'absence de restriction quant aux documents pouvant être saisis et l'extrême imprécision de ceux à quoi ils se rapportent seraient de nature à permettre à la société Maisons du monde de prendre connaissance d'un nombre de documents disproportionné par rapport à la légitime volonté de la société Eurodif de conserver le secret de ses archives.

16. L'arrêt relève, ensuite, que les ajouts qui figurent dans ces points de la mission, introduits par l'adverbe « notamment » ne constituent à cet égard pas des limites à la mesure ordonnée mais simplement des orientations, non contraignantes, données à l'huissier de justice dans ses recherches et que le même raisonnement peut être tenu s'agissant de l'appréhension de documents relatifs aux sites internet de la société Eurodif pour la marque Bouchara.

17. L'arrêt retient encore que les points 3.9 et 3.10 de la requête, qui autorisent l'huissier de justice à se faire remettre les documents qui à cet égard, permettent de façon générale de déterminer l'origine et l'étendue des faits litigieux ne fixent aucune limite à caractère sérieux au champ des investigations et que le caractère imprécis de la mesure ordonnée est de nature à porter une atteinte disproportionnée au souhait légitime de la société Eurodif de conserver le secret des échanges qu'elle a en son sein et de ceux qu'elle a avec les partenaires sur lesquels elle s'appuie.

18. En statuant ainsi, alors que les mesures d'instruction ordonnées étaient circonscrites dans le temps et dans leur objet, limité aux faits litigieux dénoncés dans la requête, et restreint par l'utilisation de mots-clefs, et que l'atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n'était pas disproportionnée au regard du but poursuivi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Eurodif aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurodif et la condamne à payer à la société Maisons du monde France la somme de 3 000 euros ;