mercredi 16 septembre 2020

Non-respect par l'assureur de son obligation d'information précontractuelle

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 20 mai 2020, 18-24.102, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 mai 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 431 F-D

Pourvoi n° V 18-24.102




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020

M. V... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 18-24.102 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant à la société Inora Life, société de droit étranger, dont le siège est [...] défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. C..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Inora Life, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Le 17 décembre 2007, M. C... a adhéré à deux contrats collectifs d'assurance sur la vie, dénommés « Imaging », souscrits par la société Arca patrimoine auprès de la société Inora Life (l'assureur) et versé sur chacun de ces contrats une somme de 20 000 euros qui a été placée sur l'unité de compte « Fastuo Dynamic ».

2. Le 1er juillet 2010, M. C... a transféré la totalité de son épargne vers le support obligataire « Arca Mutigestion + ».

3. Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 20 juillet 2012, reçues le 26 juillet suivant, M. C... s'est prévalu de son droit de renonciation en invoquant le non-respect par l'assureur de son obligation d'information précontractuelle.

4. L'assureur ayant refusé de donner suite à sa demande, M. C... l'a assigné en restitution des sommes versées et en paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. C... fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors, « que le caractère éventuellement abusif de l'exercice par l'assuré du droit de renonciation à un contrat d'assurance collectif sur la vie ne répondant pas au formalisme informatif imposé par le code des assurances s'apprécie au regard de la situation concrète de celui-ci, de sa qualité d'assuré averti ou profane, et des informations dont il disposait effectivement au moment de la conclusion du contrat ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que M. C... avait exercé de manière abusive la faculté de renonciation prorogée aux contrats collectifs d'assurance-vie auxquels il avait adhéré auprès de la société Inora Life, après avoir examiné les mentions du bilan de situation patrimoniale et des bons d'adhésion, ainsi que certains des documents contractuels remis à l'adhérent, que ce dernier n'avait pas souffert d'un défaut d'information dans la période précontractuelle et qu'en réalité, ayant pris en toute connaissance de cause le risque d'une opération financière dans l'espoir d'un gain conséquent, il s'était emparé de manquements de l'assureur au formalisme imposé par la loi dans l'unique dessein de lui faire prendre en charge ses pertes financières, sans avoir recherché si M. C... était un investisseur averti ou profane ni en conséquence avoir examiné la connaissance qu'il avait pu avoir des caractéristiques essentielles de son investissement à l'aune de ses compétences personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-5-1, L. 132-5-2 et L. 132-5-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 132-5-1 et L. 132-5-2 du code des assurances dans leur rédaction issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 applicable au litige ;

6. Si la faculté prorogée de renonciation prévue par le second de ces textes en l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif qu'il édicte, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus ;

7. Pour débouter M. C... de toutes ses demandes, après avoir constaté que l'assureur n'avait pas respecté les dispositions des articles L. 132-5-2 et A. 132-8 du code des assurances, de sorte que la possibilité de renoncer au contrat s'était trouvée prorogée, l'arrêt retient d'abord qu'il résulte du bilan de situation patrimoniale de M. C... qu'il avait réparti ses actifs en immobilier pour 30 %, en assurance vie sur des supports en unités de compte pour 50 % et en produits de taux pour 20 %, qu'il a indiqué que l'objectif de placement recherché était « une performance élevée à long terme en contrepartie du risque de contre-performance », ce qui signifie clairement qu'il acceptait le risque d'une perte, qu'il a coché la réponse « oui » aux questions suivantes : « êtes vous prêt(e) à immobiliser, sur une durée de 10 ans et plus, la part d'actifs financiers que vous souhaitez investir dans le support », « avez-vous déjà effectué des placements à risque et, plus particulièrement, êtes-vous familier des placements sur les marchés action », « avez-vous bien compris le mode de fonctionnement du support et la nature des risques de moins-values qu'il peut engendrer », « en cas de fortes fluctuations des marchés financiers ou en cas de baisse de la valeur du support, pensez-vous rester investi(e) jusqu'au terme du support » , qu'il a coché la réponse « non » à cette dernière question : « souhaitez-vous obtenir des informations complémentaires sur le support ».

8. L'arrêt relève ensuite que M. C... a choisi d'investir sur le titre Fastuo Dynamic qui est de type EMTN, que dans l'annexe 2 qui constitue la fiche technique de ce titre, il est indiqué notamment que sa maturité est de 10 ans, qu'il est constitué d'un panier de 20 actions internationales, que sa valeur évolue en fonction de formules mathématiques et qu'il bénéficie d'une garantie à échéance de 45 % du nominal, et qu'il résulte de cette fiche qu'il s'agit à l'évidence d'un produit complexe ainsi que le révèle la formule mathématique expliquant son fonctionnement, et risqué puisqu'il peut se solder par une perte de 55 % du capital investi.

9. L'arrêt énonce également que M. C... ne peut prétendre ne pas avoir eu connaissance des caractéristiques essentielles du support, la fiche relative à celui-ci précisant, par ailleurs, que « les investisseurs devront procéder à leur propre analyse des risques et devront si nécessaire, consulter préalablement leurs propres conseils juridiques, financiers, fiscaux, comptables ou tout autre professionnel », et les certificats d'adhésion mentionnant en caractères gras qu' « Inora Life ne s'engage que sur le nombre d'unités de compte mais non sur leur contre-valeur en euros ».

10. L'arrêt retient enfin que l'information essentielle, à savoir qu'il existait un risque de perte, a donc bien été, in fine, délivrée, et ce dans le délai d'exercice de la faculté de renonciation et que M. C..., ayant pris en toute connaissance de cause le risque d'une opération financière dans l'espoir d'un gain conséquent, s'est emparé de manquements de l'assureur au formalisme imposé par la loi dans l'unique dessein de lui faire prendre en charge ses pertes financières.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher si M. C... était un assuré averti ou profane afin d'apprécier, à la date d'exercice de sa faculté de renonciation, en fonction de sa situation concrète et des informations dont il disposait réellement au regard de ses compétences personnelles sur les caractéristiques essentielles de son investissement sur un produit complexe, quelle était la finalité de l'exercice de son droit de renonciation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Inora Life aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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