mardi 6 juin 2023

Les assureurs "dommages ouvrage" ne démontraient pas avoir été privés de leur recours subrogatoire du fait des assurés

 Note, P. Dessuet, RGDA 2023-6, p. 28.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 352 FS-B

Pourvoi n° F 22-13.410







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023

1°/ la société MMA IARD, société anonyme,

2°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° F 22-13.410 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2021 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [T] [Y],

2°/ à Mme [G] [N],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [Y] et de Mme [N], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 1er décembre 2021), M. [Y] et Mme [N] ont souscrit auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA) une assurance dommages-ouvrage pour la construction d'un immeuble d'habitation, dont la réception tacite est intervenue le 8 septembre 2003.

2. Le 24 juin 2013, M. [Y] et Mme [N] ont déclaré divers désordres à l'assureur dommages-ouvrage qui, après un rapport préliminaire du 14 août 2013, complété par un second rapport du 3 février 2014, a formulé, le 5 février 2014, une proposition d'indemnisation partielle.

3. M. [Y] et Mme [N] ont, après expertise, assigné l'assureur en réparation de leurs entiers préjudices. Les sociétés MMA leur ont, notamment, opposé l'exception de subrogation de l'article L. 112-12, alinéa 2, du code des assurances, au motif qu'ils avaient contracté avec une autre entreprise que celle initialement désignée, sans vérifier que celle-ci avait souscrit une assurance de responsabilité décennale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner à payer diverses sommes à M. [Y] et Mme [N] en indemnisation de leurs préjudices matériels et immatériels, alors « que lorsque la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur dommages-ouvrage, celui-ci peut être déchargé en tout ou partie de sa responsabilité à l'égard de l'assuré ; que la cour d'appel a retenu, par ses motifs propres, qu'en l'état d'une garantie dommage-ouvrage qui expirait le 30 juin 2013, les consorts [Y]-[N] ayant déclaré leur sinistre avant l'expiration de ladite garantie, soit le 13 juin 2013, les MMA ne démontraient pas que le maître d'ouvrage avait laissé s'éteindre ses actions en responsabilité contre l'entreprise [L] pour la pose du carrelage, la disparition de cette entreprise n'étant pas du fait des consorts [Y]-[N] et n'empêchant pas le recours subrogatoire des assureurs, et aux motifs adoptés des premiers juges, que les MMA s'étaient abstenues d'appeler en la cause l'assureur de M. [L], à savoir la MAAF ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer, comme elle y était conviée par les conclusions d'appel des MMA, sur la circonstance que l'entreprise [L] n'avait pas souscrit d'assurance de responsabilité décennale auprès de la MAAF, et sans rechercher si le fait, pour les consorts [Y]-[N], d'avoir omis de vérifier si cette entreprise avait dûment souscrit une assurance de responsabilité décennale, et/ou d'avoir omis d'indiquer aux MMA, que cette entreprise n'en avait pas contracté, ne constituait pas une faute des assurés ayant privé les MMA de la possibilité d'exercer leur recours subrogatoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-12 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, qui a relevé que le maître de l'ouvrage avait déclaré le sinistre à l'assureur dommages-ouvrage le 24 juin 2013, soit avant l'expiration du délai de dix ans ayant couru à compter de la date de réception tacite du 8 septembre 2003, a constaté que le rapport préliminaire de l'assureur dommages-ouvrage, remis le 14 août 2013, avait été suivi d'un second rapport du 3 février 2014 et d'une proposition d'indemnisation du 5 février 2014.

6. Ayant ainsi fait ressortir que, le délai de garantie décennale étant alors expiré, l'impossibilité du recours subrogatoire était due aux seuls délais d'instruction de la déclaration de sinistre prévus à l'article L. 242-1 du code des assurances, elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à d'autres recherches, que les assureurs ne démontraient pas avoir été privés de leur recours subrogatoire du fait des assurés.

7. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner à payer diverses sommes à M. [Y] et Mme [N] en indemnisation de leurs préjudices matériels et immatériels, alors :

« 1°/ que la mise en oeuvre de la garantie décennale exige que l'impropriété à destination ou l'atteinte à la solidité de l'ouvrage survienne avant l'expiration du délai d'épreuve de dix ans dont le point de départ est la date de réception de l'ouvrage ; que la cour d'appel ayant constaté que la réception de l'immeuble des consorts [Y]-[N] était intervenue le 8 septembre 2003 et que l'expert judiciaire avait constaté que le carrelage du rez-de-chaussée était fissuré cassé en différents endroits, a, pour retenir la garantie décennale des MMA, déclaré aux motifs adoptés des premiers juges que l'expert judiciaire avait indiqué que ce désordre était intrinsèque à la construction existant depuis la date de réalisation de l'ouvrage pour être imputable à la chape mal exécutée ; qu'en statuant ainsi, cependant que le rapport d'expertise judiciaire, sollicité par une demande en justice des consorts [Y]-[N] du 15 juillet 2014, avait été déposé le 4 juillet 2016, et sans constater que les fissures et bris du carrelage du rez-de-chaussée étaient survenus dans le délai décennal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil ;

2°/ que le désordre évolutif est celui qui, né après l'expiration du délai décennal, trouve son siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature présentant le caractère de gravité requis par l'article 1792 du code civil a été dénoncé avant l'expiration du délai de garantie décennale ; que la cour d'appel a retenu que la chape ayant servi de support à la pose du carrelage était identique au 1er étage et au rez-de-chaussée, la maigreur de cette chape causant les mêmes effets (fissures et casse des carreaux), et tant par ses motifs propres qu'aux motifs adoptés des premiers juges, que devait être traité de même manière le désordre affectant le carrelage du rez-de-chaussée, survenu après expiration du délai de dix ans, et le désordre affectant le 1er étage apparu avant expiration de ce délai, au regard de la "jurisprudence opposée en matière de corbeaux d'un immeuble qui avait opéré une distinction entre ceux affectés d'un désordre avant le délai décennal et d'autres plus de dix ans après" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses constatations que les désordres affectant la chape du rez-de-chaussée et celle du 1er étage affectaient deux ouvrages distincts et indépendants, la cour d'appel a violé les articles 1792 et suivants du code civil. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel, qui a constaté que le désordre affectant le carrelage fissuré et cassé du premier étage avait été pris en charge par l'assureur dommages-ouvrage, a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'expertise diligentée par celui-ci avait conclu que deux carreaux sur trois du carrelage du rez-de-chaussée sonnaient creux et que l'expert judiciaire avait imputé ces désordres à un même défaut d'exécution lié au délitement de la chape résultant d'un insuffisant dosage de la colle et au passage de fourreaux dans la chape de support sans chape de ravoirage.

10. Ayant souverainement retenu que les pathologies affectant le carrelage du rez-de-chaussée étaient identiques à celles du premier étage, ce dont il résultait que les désordres constatés par l'expert affectant le carrelage du rez-de-chaussée trouvaient leur siège dans un même ouvrage où un désordre identique avait été constaté avant l'expiration du délai de garantie décennale, elle en a exactement déduit que la garantie de l'assureur dommages-ouvrage au titre des désordres du carrelage du rez-de-chaussée était due.

11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la mise en oeuvre de la garantie décennale exige que l'impropriété à destination ou l'atteinte à la solidité de l'ouvrage survienne avant l'expiration du délai d'épreuve de dix ans dont le point de départ est la date de réception de l'ouvrage ; que sur l'humidité en pied de cloison du WC du rez-de-chaussée, la cour d'appel a déclaré aux motifs adoptés des premiers juges que l'expert attribuait les traces de moisissure s'y trouvant à une saturation d'humidité de la chape, l'eau remontant par capillarité dans les cloisons périphériques et sur les plaques non hydrofuges et que ce désordre rendait l'ouvrage impropre à sa destination ; qu'en statuant ainsi, cependant que le rapport d'expertise judiciaire, sollicité par une demande en justice des consorts [Y]-[N] du 15 juillet 2014, avait été déposé le 4 juillet 2016, et sans constater que l'humidité en pied de cloison du WC du rez-de-chaussée et la moisissure étaient survenues dans le délai décennal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil ;

2°/ que le désordre évolutif est celui qui, né après l'expiration du délai décennal trouve son siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature présentant le caractère de gravité requis par l'article 1792 du code civil a été dénoncé avant l'expiration du délai de garantie décennale ; que sur l'humidité en pied de cloison du WC du rez-de-chaussée, la cour d'appel a déclaré que ce problème constaté provenait d'une saturation d'humidité de la chape, l'eau remontant par capillarité dans les cloisons périphériques et sur les plaques non hydrofuges et "rel[evait] donc du désordre affectant la chape et la pose du carrelage dans l'ensemble de la maison" ; que cependant, il résulte du premier moyen que les constatations de la cour d'appel ne permettaient pas de situer l'apparition du désordre affectant le carrelage du rez-de-chaussée avant l'expiration du délai d'épreuve de dix ans et qu'il résultait en revanche de ses constatations que les désordres affectant le carrelage du rez-de-chaussée ne trouvaient pas leur siège dans les désordres affectant le carrelage du premier étage constatés dans le délai décennal ; que par voie de conséquence et par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef du premier moyen devra entraîner la cassation de l'arrêt en ce qu'il a considéré que le désordre résidant dans l'humidité en pied de cloison du WC du rez-de-chaussée revêtait une nature décennale. »

Réponse de la Cour

13. En premier lieu, ayant retenu le caractère décennal du désordre affectant tant le carrelage du premier étage que celui du rez-de-chaussée, résultant du délitement de la chape lié à un défaut d'exécution d'origine, celle-ci s'apparentant à un simple lit de sable, la cour d'appel a relevé que les traces de moisissures en pied de cloison des WC du rez-de-chaussée, constatées par l'expert, provenaient d'une saturation d'humidité de la chape, l'eau remontant par capillarité dans les cloisons périphériques et sur les plaques non hydrofuges.

14. Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le phénomène d'humidité relevait du désordre affectant la chape et la pose du carrelage dans l'ensemble de la maison, dont elle avait retenu le caractère décennal pour avoir été constaté avant l'expiration du délai d'épreuve.

15. En second lieu, le grief de la seconde branche, tiré, par suite d'une erreur matérielle dans l'énoncé du moyen, d'une annulation par voie de conséquence d'une éventuelle cassation à intervenir sur le premier moyen, alors que la cassation invoquée ne pouvait être que celle à intervenir que sur le deuxième moyen, est devenu sans portée, la cassation n'étant pas prononcée sur celui-ci.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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